jeudi 6 novembre 2008

PRUDENCE : CE N'EST PAS OBAMA QUI DEVELOPPERA L'AFRIQUE!

BARACK OBAMA : LECONS D'UNE ELECTION
Maintenant que l'essai Obama a été transformé aux Etats-Unis, maintenant que la fièvre est retombée et que le quotidien reprend le dessus, il est temps pour nous qui avons souhaité ce sacre de Barack Hussein Obama, de tirer les leçons du sacre du nouveau président américain.
La première leçon nous fait comprendre que la stratégie du métissage, de la synthèse, du consensus et du step by step contre la stratégie de l'extrémisme, de tout et tout de suite et du repli sur soi. De quoi s'agit-il?

L'élection de Barack Obama a démontré que dans un processus de négociation ou même d'affrontement, la solution durable se trouve finalement au centre, dans le métissage, la synthèse, le consensus, dans une démarche consistant à grimper un escalier après un autre. Cette démarche qui étale la conquête sur le temps et qui privilégie la ruse, a l'avantage de préserver les vies humaines. La solution ne se trouve nullement dans les extrêmes, dans le radicalisme, dans la stratégie du tout et tout de suite. Cette démarche qui privilégie l'affrontement permanent, fait du sang des humains le lubrifiant de la conquête. C'est vrai que les extrêmes sont nécessaires dans une lutte au moins pour maintenir la pression et obtenir une meilleure position de négociation mais il faut pouvoir les contenir et toujours les maintenir dans la portion congrue. Un chef qui se laisse déborder par les faucons de son camp a perdu l'essentiel de ce qui fait un chef.
Je me rappelle une discussion que j'eus, il y a quelques mois, avec un militant de la cause noire à la maison de Mines à Paris. Il disait ceci à propos de Barack Obama : "Je n'ai pas confiance en ce Obama pour porter la parole des Noirs parce qu'il est métis et les métis ont souvent trahi". Il le disait avec une telle conviction que j'ai eu du mal à le convaincre malgré l'aide qu'a bien voulu m'apporter Yves Ekoué Amaïzo. J'ai compris qu'il faisait reposer sa conviction sur les récentes déclarations de certains leaders noirs des Etats Unis tels les pasteurs Jesse Jackson et Jeremiah Right. Mais malgré tout, je lui ai dis qu'il commettait là une grave erreur de jugement et faisait courir au monde un grand péril parce que sa démarche était empreinte de la théorie de la pureté de la race qui comme on sait a été à l'origine de plus d'une calamité humaine. En repoussant Obama chez les Blancs, il le condamnait par le seul fait qu'il porte du sang blanc. Ce qui était à la fois regrettable et particulièrement dommageable pour ce Obama qui du coup et de ce fait se retrouvait "sans race" puisque les métis sont comme on le sait, biologiquement rejeté par les blancs qui leur colle souvent et systématiquement l'étiquette de Noir, surtout lorsqu'ils n'ont pas réussi. Je lui ai demandé s'il n'était pas stratégique pour la communauté noire d'ouvrir grandement la porte aux métis et leur permettre de faire leurs preuves et ne les juger qu'au résultat?
Obama a été ferme avec les extrémistes afro américains qui eux aussi lui déniaient la qualité de représentant des Noirs du simple fait qu'il n'est pas descendant d'esclave. Ce qu'il ne revendiquait d'ailleurs pas, pour ne pas apparaître comme un candidat communautaire, même s'il se positionnait dans le trajectoire de Martin Luther King. Face à son Pasteur Jeremiah Right, Obama est resté ferme et il a gagné. Il a gagné parce que les masses noires des Etats-Unis ont compris ce qu'il pouvait leur apporter sur le plan psychologique bien qu'étant métis, bien que n'étant pas un descendant des esclaves. Ce sont finalement ces masses qui ont obligé leurs leaders à mettre de l'eau dans leur vin et à apporter leur soutien Obama. Les larmes du Pasteur Jesse Jackson à l'annonce des résultats traduisent sans doute ce drame intérieur qui devait habiter ce grand militant des droits civiques.
Mais ce que les afro américains n'ont pas compris ou ne peuvent pas comprendre tant la blessure est encore profonde, c'est que Obama est bel et bien un des leurs. Comme eux, il exhale aussi l'odeur des plantations de canne à sucre. Et d'où lui vient cette odeur? De son épouse Michelle à qui personne ne peut dénier la qualité de descendante d'esclave. En épousant Michelle Robinson, alors qu'il pouvait se trouver une fille blanche de son entourage familiale pour rassurer sa grand-mère qui, comme il l'a révélé lui-même, avait peur des noirs, Barack Obama acceptait ainsi de porter à sa façon les chaînes de l'esclavage qu'il a bien sûr aussitôt brisé. Elevé par sa famille blanche, rien n'obligeait Obama à décevoir les siens en leur imposant une belle sœur noire, descendante d'esclave. Et pourtant il l'a fait. Si ce n'est pour l'amour de la race noire, que l'on me dise pourquoi il l'a fait. C'aurait donc été une grave erreur, qu'alors qu'il venait ainsi de poser un acte révolutionnaire, que par manque de discernement, la communauté noire américaine le repousse à son tour. Tout le monde sait aujourd'hui que si Obama n'avait pas été élu, cela aurait représenté un retard encore plus grand pour la communauté afro américaine et pour les Noirs de la planète en général.
C'est vrai qu'on peut comprendre mais c'est l'approuver, le scepticisme et l'extrême prudence des leaders afro américains. Les souffrances multiformes ont fait d'eux un bloc uniformes si bien qu'ils ont chaud au même moment, ils rient au même moment, ils pleurent au même moment bref, ils surfent sur le même registre. C'est vrai qu'on ne saurait leur lancer la pierre en les taxant de communautarisme puisqu'au regard des dernières élections, on constate que le communautarisme n'est pas l'apanage des seuls noirs. En effet, en votant à plus de 60% pour Mc Cain, la communauté blanche des Etats-Unis a bien démontré qu'elle aussi avait une démarche communautaire. Mais il faut se féliciter des 40% des bancs qui en accordant leur suffrage à Obama ont suivi la vague presque planétaire des supporters d'Obama qui, le temps d'une élection, se sont senti Américains mais surtout citoyen de l'Amérique d'Obama.
La seconde leçon qui se dégage de l'élection d'Obama est la conviction que j'ai désormais de l'existence d'une justice immanente en cette terre et non point dans un quelconque au-delà. L'adhésion presque spontanée de la majorité des population du monde, plus de 84% des Français, autant dans toutes les autres vieilles démocraties esclavagistes d'Europe, à l'Obamania a toutes les allures d'une repentance et d'une volonté des uns et des autres de tenter de solder la dette esclavagiste et coloniale. Chacun voulait par cette adhésion payer un tribut pour toutes les souffrances endurées par le peuple noir depuis des siècles et qui continuent d'ailleurs si l'on s'en tient à ce qui s'est passé avec l'ouragan Katrina dans la Nouvelle Orléans aux Etats-Unis. Je m'étais toujours dit qu'un être humain doté de conscience ne pouvait pas infliger de telles souffrances à d'autres êtres humains et rester à jamais indifférent.
Si je peux me permettre de décrypter les larmes du pasteur Jackson, ces lèvres qui vibrent, secoué par le reliquat des sanglots qu'il n'avait pas pu verser à la mort de Martin Luther King, je dirai qu'il voit en l'élection de Barack Obama la réparation d'une injustice. Il était aux cotés du Pasteur Martin Luther King lorsqu'une balle raciste lui a ôté la vie. Il a pensé que le rêve se brisait avec son porteur. Il a vu au cours de ces années raciales, ces hommes à la tunique blanche se réunir dans le cadre du Ku klux Klan pour tuer et brûler d'autres hommes tout simplement parce qu'ils étaient noirs. En homme d'église, il a dû se faire violence pour dire : "Nous n'y arriverons jamais. Ce monde n'est pas le nôtre. Nous sommes certainement maudits". En portant sa main sur son visage et en laissant les larmes ruisseler le long de ses joues et tremper sa chemise, le pasteur Jackson mesurait sans doute le chemin parcouru et voyait comment la justice peut être rendue avec une telle célérité, moins de 40 ans après la mort de Martin Luther King. Cette justice là n'est pas celle des hommes même si elle est rendue sur terre.

Ce n'est pas Obama qui développera l'Afrique!
La troisième leçon est tirée pour le peuple africain. C'est bien de danser à tout rompre pour Obama, c'est bien de se l'approprier – par contre ce n'est pas bien de décréter le férié comme on l'a fait au Kenya – mais il faut garder à l'esprit cette certitude : le développement de l'Afrique se fera par les Africains eux-mêmes ou ne se fera pas. Ce que Obama apporte à l'Afrique est plus symbolique que réel. Il apporte au peuple africain et au Noir en particulier, ce supplément psychologique qui lui permettra de marcher désormais la tête haute et d'affronter avec plus d'aisance les vicissitudes de la vie. Ce que Obama apporte au monde en général et au monde de la finance en particulier c'est la confiance, ce lubrifiant du lien social et des échange économiques qui manquait désormais tant au monde. Au soir de l'élection d'Obama, on a vu dans tous les continents, des hommes blancs, noirs, jaunes, s'embrasser dans une liesse interminable. Ce qui veut dire que la méfiance, ce sable de la machine monde, a été défaite. Autrement dit, Obama n'a pas des cartons de poisson à distribuer à l'Afrique mais il a des cannes à pêche à offrir au monde entier y compris au peuple d'Afrique. C'est à chacun, à son niveau et avec ses moyens, de transformer l'essai, de fructifier le capital, d'aller à la pêche, non pas au sens figuré de la démission mais au sens propre d'aller chercher du poisson.
C'est vrai qu'en Afrique, il y a beaucoup de personnes qui comprennent parfaitement qu'il faut absolument mettre un bémol par rapport aux attentes portées en Obama. Mais par manque de discernement, certaines personnes l'expriment mal. C'est sans doute le cas de mon ami de Bamako, Modibo qui dans un mail m'a demandé si je ne voyais que cette hystérie des Noirs pour Obama est une sorte de racisme à l'envers. Non, Modibo, ce n'est pas encore le racisme. Le fait de vanter son champion et même de verser dans une sorte de chauvinisme n'est pas le racisme. Il y a racisme lorsqu'il y a la négation de l'autre, lorsqu'il y a la volonté de réduire l'autre à l'état de chose pour mieux l'asservir et l'anéantir. L'Africain doit être fier d'Obama. Il doit même porter de façon ostensible des objets renvoyant à lui si cela lui chante. Il doit évoquer son nom à chaque fois qu'il se trouve devant un acte de discrimination visant à nier aux Noir des compétences. Je voudrais dire à Modibo que la peur du racisme est un racisme paradoxal qui paralyse.
Dans leur stratégie pour fructifier le capital que leur lègue l'élection d'Obama, les Africains doivent copier le colibri. En effet, d'après une légende amérindienne rapportée par Pierre Rabhi, "lors d'un feu de forêt, ce petit oiseau faisait des allers et retours de la source d'eau pour éteindre l'incendie. Tous les autres animaux de la forêt, atterrés, la regardait brûler et regardaient le colibri s'affairer. Puis le Tatou lui dit : ce n'est pas avec ces quelques gouttes que tu vas arrêter le feu, colibri. Le petit oiseau lui réponde : Je le sais mais je fais ma part. Chacun peut faire quelque chose. Si nous sommes nombreux à le faire, çà fait beaucoup". Les Africains doivent être capables chacun dans son pays d'aider à porter le rêve au pouvoir comme les Américains l'ont fait. Il y a partout en Afrique des dictateurs qui ont bouché tous les horizons à leur peuple et continuent de s'incruster au pouvoir. Le peuple souverain doit prendre ses responsabilités et faire triompher le rêve au lieu d'attendre que la concrétisation du rêve des autres leur soit bénéfique. La réussite de Obama doit leur servir de modèle, de repère et non point d'une source de mendicité.
Il a beau avoir la fibre africaine, mais la tâche d'Obama à la tête des Etats-Unis, pays pour lequel il a été élu et donc les objectifs peuvent bien diverger de ceux de l'Afrique, est immense. Il hérite d'un pays en crise dont la dette culmine à 10 000 milliards de dollars, un pays engagé dans des guerres ruineuses qui selon Joseph Stiglitz, le Prix Nobel d'économie, et Linda Bilmes, professeur à Harvard, spécialiste des questions budgétaires, estiment "qu'elle a déjà coûté 3 000 milliards de dollars aux Etats-Unis, dans un livre intitulé The Three Trillion Dollar War". Dans le réel, Obama doit satisfaire l'électorat de son pays qui l'a porté aux affaires. Il s'agit d'une tâche prenante à coté de laquelle l'Afrique ne compte et ne doit d'ailleurs pas compter absolument.
La ruée vers l'Obama, si on revient sur terre, montre que le peuple du monde, effrayé par des nouvelles toujours plus catastrophistes qui sortent des bourses et de la bouche des gouvernants, cherche le Messie venu pour le sauver. Mais Obama n'ayant pas une baguette magique, et n'étant pas un faiseur de miracle, ceux qui voudraient tout et tout de suite passer du changement symbolique et du don symbolique qu'apporte Obama à un don matériel risquent une bonne dose de déception. Mais cela n'enlève rien au rêve et à l'apport psychologique qu'il charrie.

Etienne de Tayo
Promoteur de Afrique Intègre
http://www.edetayo.blogspot.com/

dimanche 2 novembre 2008

POURQUOI BARACK OBAMA DOIT ETRE ABSOLUMENT ELU


Interrogé au cours d'un journal de TF1 sur les retombées, pour la communauté noire, d'une éventuelle élection de Barack Obama à la tête des Etats-Unis, un gamin noir issu de la banlieue française, d'à peine 8 ans, a eu la réponse suivante : "On nous dit toujours que les Noirs et les Arabes sont des vauriens. Il faut qu'il soit élu président des Etats-Unis et on verra alors si cela est vrai". Une réponse décapante qui en dit long sur les discriminations qui enserrent la France et touche jusqu'aux gamins à peine sortis du biberon. Mais mon propos n'est pas d'enfermer le débat en cours dans la simpiternelle question de l'affirmation du Noir par rapport aux autres êtres humains. Depuis Alexandre Dumas père et fils, depuis Cheikh Anta Diop, depuis Aimé Césaire et bien d'autres encore, le Noir n'a plus rien à démontrer et le fait d'ailleurs de poser la question d'une quelconque retombée pour les Noirs de l'élection d'Obama est un racisme à rebours. Mais mon propos dans la présente réflexion n'est même pas là. Voyons plutôt le danger que court les Etats Unis et le monde entier avec si jamais un nouveau bail devaitêtre accordé aux républicains.

Les attaques du 11 septembre 2001 ayant conduit à la destruction des tours jumelles du "World Trade Center", qui veut dire "centre du commerce mondial", ont marqué de façon symbolique la disqualification des Etats-Unis en tant que leader de l'économie mondiale. Du moins, cela marque l'essoufflement du système capitaliste dont les Etats-Unis étaient le chef de file et qui, comme l'avait prévenu Karl Marx et les autres s'est complètement corrompu avec le temps au point de représenter pour l'individu un vrai danger. Même si les Etats-Unis restent aujourd'hui un poids lourd des échanges au niveau mondial avec près de 22% du PIB mondiale, même si le pays détient le brevet d'invention sur la majorité des produits fabriqués de par le monde, une chose est sûr que le compte à rebours de son déclin économique a sonné et cela prendra le temps que çà prendra. C'est le destin tragique des empires. Aujourd'hui, du rôle du leader mondial toute catégorie, les Etats-Unis sont devenus le mouton noir de la communauté internationale, celui par qui les malheurs arrivent et à travers qui la maladie est entrée dans le village.
Les 8 ans du Bushisme ont mis les Etats-Unis au banc de la communauté internationale. En échouant dans leur aventure impériale et en se retrouvant les quatre fers en l'air, les Etats-Unis ont permis de vérifier la théorie de R. Gilpin selon laquelle, "l'hégémonisme contiendrait en quelque sorte en germe la possibilité de son propre déclin", autrement, "les coûts financiers exorbitants de la domination planétaire, impliqués notamment par la nécessité d'entretenir et moderniser les armements militaires, finiraient par affaiblir économiquement puis politiquement la puissance bénéficiaire". La conséquence est là, puisque à ce jour, les Etats-Unis sont endettés à hauteur de 11 000 milliards de dollars soit près de 80% du PIB. Le déficit budgétaire est constamment creusé et devra atteindre plus de 10% en 2009. Si c'était une entreprise, on aurait tout simplement déposé le bilan.
Mais ce pays qui est presque en banqueroute économique conserve encore intact leur capacité de nuisance tant au cours des 50 dernières années, la course aux armements a permis au pays de l'Oncle Sam d'accumuler les armes de destruction massives capables de mettre en péril toute la planète. La collusion entre George Bush et les milieux conservateurs les plus réactionnaires a permis d'amener au cœur du pouvoir des Etats-Unis, des hommes sans foi ni loi, guidés par leur seul appétit financier, qui sont capables, au cas où ils verraient leur pays perdre le leadership mondial, ils seraient capables de pratiquer la politique de la terre brûlée en appuyant sur le bouton rouge.
Malgré sa volonté de se présenter comme un indépendant qui peut se démarquer du clan Bush, John Mc Cain, s'il est élu, sera très vite pris en otage par les néo conservateur. Et son profil de chef de guerre sera un argument supplémentaire. Et d'ailleurs, il ne s'en cache pas lorsqu'il promet à ses partisans qu'il gagnera la guerre en Afghanistan et en Irak et qu'il leur livrera Ossama Ben Laden.
Barack Obama doit être absolument élu parce qu'il porte désormais sur ses épaules les espoirs de paix de toute la planète. Il doit être élu pour permettre à la nation américaine de se réconcilier avec le reste du monde. Il doit être élu pour ramener sur terre les Etats-Unis longtemps grisés par "l'ivresse du pouvoir, la démesure et la surextension impériale" des néo conservateurs. Il doit être élu pour offrir au monde le nouvel équilibre après que les appétits financiers des capitalistes sauvages nous ont conduit au bord du précipice.

Par Etienne de Tayo
Promoteur du réseau Afrique Intègre
www.edetayo.blogspot.com

dimanche 19 octobre 2008

UN SMS AU G8 : "LES PAUVRES VOUS EMMERDENT"


Alors que la bombe des siècles d'exploitation, de spéculation et de manipulations diverses vient de leur exploser entre les mains, les dirigeants du G8 croient toujours à leur puissance et à leur capacité à prendre en main la misère du monde, du moins, à faire semblant de la prendre en main à travers des promesses fallacieuses.

C'est ainsi que certaines ONG néocoloniales n'ont pas hésité à faire cette déclaration en direction des pays occidentaux : "N'oubliez pas les pauvres, n'oubliez pas l'Afrique, ne supprimer pas l'aide publique au développement". Ce qui est dommage, c'est qu'un tel appel trouve souvent écho en Afrique auprès de certains suppôts qui répondront : "Oui, vraiment ne nous oubliez pas".
Pour celui qui suit l'actualité de ces derniers mois, cet appel a quelque chose de curieux et même d'anachronique et ne manquera pas de susciter quelques questionnements : Comment et pourquoi des pays qui font face à une violente crise, qui n'ont plus le contrôle de leur propre système et qui peinent à offrir un pouvoir d'achat acceptable à leurs propres peuples ou même tout simplement à les rassurer par rapport à l'avenir, s'entêtent-ils à vouloir se présenter comme des sauveurs d'autres peuples? Où trouveront-ils les fonds nécessaires à cette ultime opération humanitaire? Pourquoi toujours ce paternalisme rampant?
La manœuvre consiste pour le G8 à continuer à faire courir l'illusion de la puissance et tenter d'avoir le monde à ses pieds. Et pourtant, la réalité milite largement contre lui. L'écroulement du système financier international – ce qui était d'ailleurs prévisible quand on sait que les spéculateurs de tout bords avaient réussi à transformer l'économie mondiale en un vaste casino – devrait ramener le G8 et ses dirigeants sur terre. Plus que le seul système financier, c'est tout le modèle de développement mis sur pieds au lendemain de la seconde guerre mondiale par les vainqueurs qui montre ses limites. Et cela devrait être riche d'enseignement pour les pays en développement qui cherchent encore leur voie pour le développement.
Ce que l'Afrique, toujours présentée comme l'éclopée par les dirigeants du G8, aura gagné dans cette crise, c'est de comprendre que le système qu'on lui proposait comme passage obligé pour la prospérité est un système piégé par ses propres turpitudes. C'est de se résoudre une fois pour toute à rechercher sa propre voie pour le développement.
Ce que le reste du monde a gagné de cette crise, c'est 'avoir des dirigeants du G8 moins arrogants et qui pour la première fois comprennent qu'ils peuvent se remettre en question sans complaisance. C'est ce que le président Français Nicolas Sarkozy fait lorsqu'il affirme qu'on ne peut pas gérer le 21e siècle avec les lois du 20e siècle. Le président français qui dénonce sans ambages les paradis fiscaux, les hedge funds, les spéculations en bourse, en fait les travers de ce système délirant, sollicite auprès de Georges Bush l'organisation d'un G8 consacré à la refondation du système financier mondial. Et lui de rêver avoir au cours de ce sommet du G8, les puissances émergentes telles l'Inde et la Chine. Pourquoi les solliciter aujourd'hui alors qu'on les a toujours regardé avec condescendance?
Mais Georges Bush, qui veut être le dernier soutien de ce système qui s'écroule prévient : "Faut pas toucher aux fondamentaux de l'économie de marché". Une déclaration paradoxale quand on sait que c'est ce qu'il a fait lorsqu'il a fait voter une somme de 700 milliards de dollars pour venir en aide aux entreprises en difficulté. En réalité, une nationalisation ou à tout le moins une subvention qui ne veut pas dire son nom.

Une remise à plat du système
Ce que le monde attend aujourd'hui de ses dirigeants y compris ceux du G8, ce n'est nullement un replâtrage du système le ou des petites combines qui permettront aux plus malins de continuer à piller les richesses des moins malins pour ensuite les dominer, mais plutôt une intervention systémique qui remettra à plat le système pour faire que les appareils en charge de la gestion de l'économie globale du monde soit en rapport avec la nouvelle configuration de ce monde au 21e siècle.
Les institutions de Bretton Woods et leurs excroissances, ces institutions qui ont servi aux vainqueurs de la deuxième guerre mondiale de se présenter comme les plus puissants du monde et de profiter de cette manœuvre pour soumettre les autres peuples de la planète, doivent être révisé de fonds en comble à défaut d'être supprimé. En réalité, la banque mondiale et le Fmi devront passer devant le tribunal de l'histoire pour avouer le fait que de façon tout à fait artificielle, elles ont bloqué la croissance et semer la misère dans la plus part des pays en voie de développement. Mais le problème n'est même pas à ce niveau. Le problème est d'avouer que ce système a échoué. Il a échoué parce qu'il était mauvais. Il a échoué parce que au lieu de miser sur l'homme comme l'alpha et l'oméga du développement, il a misé contre l'homme, il a misé pour la richesse même si cette richesse devra être obtenu au prix du sang des humains.
Depuis plus de 50 ans, les pays en développement, généralement libérés de la colonisation, revendiquent dans tous les fora internationaux les nouveaux ordres mondiaux : le nouvel ordre mondial de l'information et de la communication (Nomic), le nouvel ordre mondial du commerce, le nouvel ordre mondial de l'économie. Mais les pays dits riches, du haut de leur arrogance, n'en ont fait qu'à leur tête. Ils ont pris en otage toutes les institutions de régulation à commencer par l'ONU, l'OMC, l'Unesco… Ils ont piétiné tous les traités internationaux visant à humaniser le monde : le traité de Rome créant la CPI et visant à juger les criminels de tout bords, le traiter de Kyoto sur la protection de l'environnement.
Depuis l'effondrement de l'union soviétique, le système occidental de l'économie de marché était devenu le seul maître à bord du bateau monde. Il tenait solidement et jalousement le gouvernail. Ce système triomphant a commencé à imposer ses deux instruments majeurs de domination que sont l'économie du marché et la démocratie même s'ils leur fallait parfois des fourgons blindés pour livrer ces marchandises. Mais force est de constater qu'il nous a conduit tout droit dans un mur. Mais voilà que les vainqueurs d'hier, mais perdants d'aujourd'hui, veulent encore se retrouver juste pour ajuster leurs appareils de domination et trouver la meilleure position pour exploiter le reste du monde et le maintenir dans la position d'éternel dominé. Est-ce possible?
Ce qui est possible aujourd'hui, c'est introduire une bonne dose de justice dans les nouvelles institutions qui vont remplacer celles qui nous ont amené là où nous sommes aujourd'hui. C'est par exemple au niveau de l'OMC, créer les conditions d'un commerce équitable au lieu d'imposer la loi du plus fort comme c'est le cas aujourd'hui à travers les APE; c'est neutraliser l'action des fonds d'investissement spéculatifs qui portent une lourde responsabilité dans la dégénérescence du système financier mondial à travers l'industrie du risque et les parapluies dorés pour des managers transformés en chasseur de bénéfice même en pressurant les employés; c'est demander par exemple à la France de libérer l'Afrique francophone en leur permettant d'abandonner le Franc des Colonies Françaises d'Afrique (F CFA) pour créer leur propre monnaie et booster ainsi leurs économies; c'est faire de la gouvernance mondiale la préoccupation majeure de tout le monde, ce qui permettra à l'Afrique de toucher le juste prix de ses matières premières et promouvoir son développement sans avoir besoins de l'aide de qui que ce soit; c'est démanteler les réseaux maffieux qui continuent d'habiter les relations entre certains pays colonisateurs et leurs anciennes colonies; c'est d'accéder à la demande des pays en développement d'instaurer un nouvel ordre mondial dans tous les domaines : économie, culture, finance, communication…
Lorsque toutes ces dispositions seront prises, les pays en développement en général et ceux d'Afrique en particulier pourront actionner un développement endogène à partir de leurs ressources propres, à partir de leur force de travail. La prospérité qui s'en suivra entraînera le retour des Africains de la diaspora et à travers l'effet multiplicateur l'Afrique retrouver la place qui est la sienne, c'est-à-dire d'un continent d'avenir. Vous comprenez qu'il n'y aura plus de place pour des discours misérabilistes tendant à solliciter l'aide publique au développement.

Par Etienne de Tayo
Promoteur Afrique Intègre
http://www.edetayo.blogspot.com/

vendredi 3 octobre 2008

CAMEROUN : ASSUMER L'HERITAGE NATIONALISTE DE RUBEN UM NYOBE OU SE SABORDER


Le Cameroun, en tant que pays, en tant que Etat, en tant que Nation, est en train de s’étrangler. Et le monde entier, qui porte un amour jamais démenti à ce pays, le vit avec douleur. Il suffit de parcourir le monde et de se présenter comme Camerounais pour être assailli des questions de ceux qui veulent percer le mystère du Cameroun, qui veulent comprendre les contours d’un tel paradoxe : un pays qui a tout pour réussir mais qui est en train de sombrer. Le président Paul Biya lui même ne s’étonnait-il pas devant un tel paradoxe, pointant du doigt accusateur, l’inertie. Il cohabite au Cameroun deux mots qui finissent par former un oxymore détonant : nationalisme et anti-patriotisme. Et la question qu’on peut se poser est celle de savoir comment un peuple nationaliste peut être à ce point anti-patriote? En général, le nationalisme (fierté d’appartenir à), emporte forcément le patriotisme (amour pour la patrie). Au Cameroun, le constat est que, on est nationaliste et même patriote dans le discours mais fondamentalement anti-patriote dans les actes au quotidien. Nous voulons dans la présente réflexion, interroger ce paradoxe. Et ceci n’est nullement un chant de cygne mais le résultat d’une observation patiente et minutieuse.
Un ami venu à Paris pour un symposium m’a rapporté ce cri de Coeur d’un participant travaillant pour une organisation internationale : “Je ne sais pas ce qui ne va pas avec votre pays. J’ai déjà parcouru le monde mais je n’ai pas encore vu une telle volonté de se suicider de la part d’un peuple et de ses dirigeants. Je dispose de deux lignes de crédit de 10 millions de dollars chacune pour des projets au Cameroun. J’y étais par trois fois déjà où j’ai rencontré les autorités en charge du dossier ainsi que des cadres particulièrement compétents. Chaque fois, j’ai été bien reçu avec de grandes mises en scène. Mais j’ai l’impression que les dossiers sont bloqués. Et lorsque je mène ma petite enquête, je constate que les autorités qui m’ont toujours assuré de leur volonté de faire avancer les choses sont les principaux responsables de ces blocages. Je ne comprends rien à votre pays”, lui a t-il dit.
Cette histoire m’a rappelé celle d’un ami italien qui était venu au Cameroun plein d’enthousiasme pour faire les affaires. Il avait donc déposé ses bagages aux Cameroun et il était bourré d’argent pour ses projets. Après plusieurs années d’un parcours de combattant au bout duquel il avait perdu tout son fonds et réduit à vivre aux collets d’une femme, il me fit cette remarque à la fois pleine d’humour mais aussi de sagesse : “Etienne, tu sais c’est quoi ton pays là? C’est le bureau de complication des affaires simple. Si ailleurs dans le monde un problème paraît trop simple, il faut l’amener au Cameroun pour le faire compliquer”.
Arrivé en fin de séjour au Cameroun, l’Ambassadeur des Pays-Bas dans une interview accordée au journal “Le Messager” relevait lui aussi le paradoxe camerounais et reconnaissait sans ambages que le Camerounais n’était pas suffisamment patriote. C’est dire si le problème du Cameroun préoccupe le monde. Les autres peuples du monde aiment le Cameroun pour son football, pour l'intelligence de son peuple. J'ai eu encore à le mesurer récemment alors que je participais à un séminaire international regroupant 92 journalistes venant de 52 pays en voie de développement. Pendant ce séminaire, j'ai eu l'insigne honneur d'être élu leader du groupe et c'est à ce titre que j'ai délivré un speech à la cérémonie de clôture au nom des autres participants. J'ai réfléchi par rapport à cette marque de confiance et j'ai fini par comprendre que c'est plus l'aura du Cameroun que ma modeste personne qui m'a finalement permis d'accéder à ce privilège.
Mais le Cameroun aussi à l'extérieur, c'est beaucoup de paradoxes et finalement beaucoup de zones d'ombres. Ce sont aussi parfois des Camerounais qui détiennent le triste record des escros qui écument le monde en faisant des victimes. C'est vrai qu'à l'intérieur du triangle national aussi les odeurs de corruption qu'exhalent toutes ces affaires pourries ne sont pas de nature à changer l'image perçue du berceau de nos ancêtres. Une gangrène qu'on voudrait voir couper un jour ou l'autre afin que l'estime du monde envers le Cameroun soit enfin fructifié.
L’opération épervier en cours avait d’abord été saluée à ses débuts comme une opération mains propres pouvant débarrasser le pays de la gangrène et partir sur des bases nouvelles. Mais plus le temps passé, plus le doute et le scepticisme gagnent les esprits. D’aucuns n’hésitent plus à n’y voir qu’un vulgaire règlement de comptes entre canailles se battant soit pour la conquête ou la conservation du pouvoir. En fait, dans un tel scénario, on commence d’abord par se réjouir de l’arrestation et de l’embastillement d’untel parce qu’il n’est pas de ma tribu, d’untel autre parce qu’il est de ma tribu et sa disparition m’ouvre aussi des chances, d’untel autre encore parce qu’il en mettait plein les yeux à tout le monde… Jusqu’à ce qu’on comprenne que ce qui se passe n’est que les prémisses d’un suicide collectif. On finit par se rendre compte alors, que l’autre n’est pas très différent de moi et que ce qui lui arrive peut m’arriver, que ce soit déjà d’ailleurs en train de m’arriver.
Dans une réflexion que j’avais faite après l’arrestation de Polycarpe Abah Abah, je parlais de gâchis pour le Cameroun et je m’étais même permis une métaphore forte de l’agneau de Dieu qui peut enlever le péché du Cameroun. En restant au premier degré de la compréhension, certaines personnes n’avaient rien compris et croyaient que je prenais la défense de l’ancien ministre embastillé. Oui, peut-être prenais-je la défense du jeune cadre que j’avais connu et qui était plein de volontarisme et non celle du détourneur de fonds publics qu’il était devenu par la suite pris comme il était dans la mécanique du système. Aujourd’hui, un tel article peut être écrit pour Siyam Siwé, pour Olenguena Awono, pour Atangana Mébara et demain, qui sait, pour bien d’autres, y compris Paul Biya qui, hier étaient aussi des "bons", avant de devenir de simples "morceaux de calebasse brisée".
Mais revenons sur ce mal qui ronge le Cameroun. Nous sommes des Africains et lorsqu'à un moment donné, plus rien ne va pour nous, nous sommes en droit de nous poser cette double question : qu'est ce que nous avons fait et que nous n'aurions jamais dû faire? Qu'est ce que nous n'avons pas fait que nous aurons dû absolument faire?
Sur cette pathologie, j’émets l’hypothèse d’un nationalisme non assumé et finalement mal orienté. Et pour soutenir cette hypothèse, posons le postulat suivant : lorsque le gap entre les aspirations profondes d’un individu ou d’un peuple et ce que les contraintes sociopolitiques et économiques lui imposent quotidiennement, est trop grand, cette personne ou ce peuple a tendance à entrer en résistance camouflée et développe de ce fait des comportements bizarres et paradoxaux. Prenons par exemple le cas d’un journaliste ayant des convictions de gauche mais que les contraintes alimentaires poussent à travailler dans un journal de l’extrême droite. S’il ne trouve pas des espaces où il va se défouler et soulager sa conscience, il est possible qu’il verse dans l’alcool et se détruise inexorablement. Tout cela, parce que pour un être humain, la conscience reste le maître absolu, n’ayant aucune autre autorité au dessus d’elle. C’est certainement ce que le Cameroun et les Camerounais expérimentent aujourd’hui. Notre pays souffrirait de convictions non assumées tout simplement par manque de courage de ses dirigeants et de son peuple.
Contrairement à ce qu’on peut penser, le Cameroun vit aujourd’hui un réveil de son nationalisme consécutif à la vague des privatisations intervenues dans les années 1990 et qui a vu plusieurs entreprises étatiques reprises par les intérêts étrangers. Voyant l’économie retomber entre les mains des nouveaux colons, les nationalistes de tout bord, qui sont plus nombreux dans la classe politique camerounaise qu’on ne le croit, préfèrent détruire cette économie au lieu de la voir faire le bonheur de ceux qu’ils considèrent comme des nouveaux colons. C’est cette destruction de l’économie qui se matérialise entre autre par les détournements des deniers publics et autres blocages des projets. Cela rappelle les nationalistes qui pendant les périodes chaudes du maquis à l’Ouest Cameroun avaient pris sur eux de détruire leurs propres champs de caféiers en signe de révolte contre le colon français. Lorsqu’on voit aujourd’hui les tonnes d’énergie que débauchent quotidiennement certains Camerounais, malheureusement de plus en plus nombreux, pour détruire ce que les autres construisent, pour bloquer les projets en mettant les bâtons dans les roués de leurs collègues entreprenants, il ne peut pas y avoir d’autres explications que celle d’un nationalisme mal orienté : puisque le retour du colon est subtil et qu’on ne peut pas le dénoncer ouvertement sans courir le risqué d’un anachronisme ou sans se faire taper dessus par les relais nationaux, ce qui arrive à Lapiro de Mbanga par exemple, beaucoup préfèrent se camoufler pour poser des actes de destruction de l’économie.
Se comportant comme ils le font aujourd’hui, les nationalistes camerounais adoptent le comportement du ver de terre fâché. En effet, lorsque le ver de terre est fâché soit parce qu’on lui a piétiné la queue ou tout simplement par ce qu’on l’a tiré de sa cachette, elle a l’habitude de se découper en plusieurs morceaux et meurt par la même occasion. La question qu’on peut se poser à ce niveau est celle-ci : mais d’où lui vient ce nationalisme exacerbé au peuple camerounais?

50 ans déjà et pourtant…
Le nationalisme camerounais porte la marque de fabrique de l’union des populations du Cameroun (UPC) dont le Mpodol Ruben Um Nyobe était le leader incontesté. En l’exécutant il y a 50 ans, le colon croyait étouffer ce nationalisme et décourager toute tentative de reprise en main. Mais non, c’était comme si on éteignait un feu avec de l’essence. Le 13 septembre 1958, ce n’est donc pas uniquement un homme qui a été abattu dans la forêt de Boumnyebel par la milice coloniale. Ce jour là, c’est le destin de tout un peuple qui a bascule. Et ceci pour une seule chose : avant d’être un parti politique aspirant à gouverner le Cameroun, l’UPC était d’abord un mouvement de libération du peuple camerounais et de revendication de la dignité humaine pour ce même peuple.. Et de ce fait, il avait réussi à conquérir le coeur des Camerounais sans exception. Les revendications de cette UPC là reposaient sur des faits concrets, palpables dont chacun pouvait se rendre compte au quotidien et puiser dans l’effet de groupe, entretenu par les syndicats, la force nécessaire pour dominer en lui l’homme égoïste et poltron généralement hostile au changement. Ces faits comprenaient entre autres, des discriminations insupportables et des tentatives d’animalisation de l’homme autochtone par le colon.
Comme me le rappelait Léopold Moumé Etia au cours d’un entretien, l’indigène qui s’aventurait à Bonanjo sans laissez-passer le faisait à ses risques et périls. Et pourtant le jeune syndicaliste Moumé Etia, un brin provocateur, décida de défier cette loi scélérate. C’était un jour de 1947, le jeune Moumé Etia revenait de France où il a subi une formation de syndicaliste. Il décide alors d’aller à Bonanjo acheter une baguette. Ce qui constituait en fait une double infraction. D’abord le fait d’entrer dans Bonanjo sans laissez-passer et ensuite le fait pour un indigène d’éprouver le désir de manger du pain. Le boulanger lui aurait dit ceci : “un indigène, çà mange des tubercules et d’autres cochonneries qui vont avec mais jamais du pain”. Mais sans se démonter, Moumé Etia s’est donc présenté à la boulangerie et a refusé de présenter son laissez-passer qu’il n’avait évidemment pas. Et il a eu l’outrecuidance de dire au boulanger qu’il achetait du pain pour lui même parce qu’il aimait bien manger du pain et parce qu’il en avait mangé en France. En fait, un indigène ne pouvait acheter du pain que s’il prouvait, document à l’appui, qu’il l’achetait pour son maître Blanc. Moumé Etia a donc décidé de défier le racisme du colon. Evidemment, cette audace a faille l’envoyer en prison n’eût été l’action de certains syndicalistes tel Gaston Donnat. Des actes héroïques comme ceux de Léopold Moumé Etia d’autres Camerounais les avaient pose et c’est ainsi que s’est façonné le nationalisme camerounais.
En 1958 donc, la balle qui a fauché le Mpodol alors qu’il tentait de franchir un tronc d’arbre, a tué symboliquement l’homme politique au Cameroun en général. Certains témoignages rapportent que ce jour là, l’establishment politique autour d’Ahidjo avait cassé le champagne en signe de victoire. Mais au fond d’eux-mêmes et de tous les autres Camerounais qui étaient fortement politisés à l’époque, parce qu’ayant assimilés les enseignements de l’UPC, ils avaient tôt fait de renvoyer dans leur subconscient, les regrets qu’ils ne savaient comment et qu’ils ne sauront jamais comment assumer. Ce jour là, au delà de la classe politique, d’autres Camerounais encore sur les bancs des universités françaises et ailleurs subirent l’affront en direct. Ils avaient pour noms : Ossende Afana, Ngouo Woungly Massaga, François Sengat Kuo, Paul Biya, William Aurelien Etéki Mboumoua, Ayissi Mvodo Victor, Abel Eyinga... Mais incapables pour beaucoup de s’assumer ouvertement comme le fit héroïquement Ossende Afana, ils sont rentrés dans une résistance camouflée. Pour survivre politiquement et même économiquement, ils ont été obligés d’adopter une nature schizophrène qui leur permet de servir le régime pro colonial d’Ahmadou Ahidjo et de temps à autre investir les rôles de nationalistes camouflés. A la direction de l’UPC en exil, certains étaient bien connus et on les appelait des “Nicodèmes” pour nom de code. En les accueillant, Ahidjo croyait accueillir des partisans convaincus par sa politique. Mais en réalité, ce n’était que des nationalistes vaincus qui intérieurement gardaient une dent au colon même si parfois ils l’ignoraient eux-mêmes. Même certaines sorties de Ahidjo, par exemple sur la création de la Camair, montrait bien cet éclair nationaliste.
Au demeurant, c’est parce qu’elle ne veut pas exorciser la mort de Ruben Um Nyobe et de tous ses camarades, que la classe politique camerounaise en général et les dirigeants en particulier se comportent comme des vers de terre. Par ailleurs, c’est parce que le peuple, instrumentalisé politiquement mais en réalité fondamentalement dépolitisé n’accepte pas sa condition et ne partage pas l’idéal des dirigeants qui avaient cautionné l’assassinat de l’espoir qu’était Um Nyobe et son mouvement, qu’il se comporte lui aussi en ver de terre, qu’il préfère se découper en morceau en découpant malheureusement le Cameroun.
Et pourtant Ruben Um Nyobè n’était pas un pouvoiriste. Il ne percevait pas l’UPC comme un simple instrument de conquête du pouvoir. Si cela avait été le cas, il aurait fait les compromis en réalité compromissions, sollicitées par le colon à travers le pouvoir de l’époque pour qu’il ait la vie sauve et qu’il partage le pouvoir. Ruben Um Nyobè n’était pas un extrémiste survolté comme avait tenté de le présenter la propagande colonialiste mais un leader assez posé et ayant le sens de la répartie. En témoigne cette déclaration faite au plus fort du combat nationaliste : “Nous sommes contre les colonialistes et leurs homes de main, qu’ils soient blancs, noirs jaunes et nous sommes les allies de tous les partisans du droit des peuples et nations à disposer d’eux-mêmes, sans considération de couleur”.
En ce mois de septembre fatidique, le Mpodol savait que le nombre de traîtres, chasseurs de primes dans ses rangs avait presque quadruplé; il savait que l’armée coloniale avait déjà repéré son maquis; il se savait encerclé et sans moyens pour se défendre. Et pourtant il a refusé de trahir la confiance placée en lui par le peuple camerounais. En réalité, le Mpodol s’est suicide. Il s’est livré à ses ennemis parce que selon lui, sa mission était accomplie. Il savait son héritage immense.
Le problème qui tourmente le Cameroun aujourd'hui et qui risque le tourmenter encore pendant longtemps si rien n'est fait, c'est celui du rapport à son histoire. Nous nous étions fait des gorges bien chaudes, nous avons vigoureusement protesté après que Nicolas Sarkozy a osé, dans le fameux discours de Dakar, dénier le bénéfice de l'histoire à l'Afrique et aux Africains en ces termes : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles». Une protestation tout à fait légitime. Mais, entre nous, que faisons nous de notre histoire? En sommes nous fiers ou en avons-nous honte? Si nous en sommes fiers, pourquoi ne la glorifions-nous pas?
Certaines villes camerounaises à l'instar de Yaoundé, Douala ou encore Bafoussam, ont entrepris, pour des besoins d'adressage, de baptiser les rues. Mais quelle n'a pas été ma surprise de constater que plusieurs rues dans ces villes portent soit de simples numéros qui ne renvoient à rien, soit des noms d'arbres comme c'est le cas au quartier Biyem-Assi à Yaoundé avec la célèbre rue des acacias ou encore rue des manguiers qui a fini par désigner tout un quartier.
Qu'est ce que cela veut dire finalement? Cela veut dire qu'en décryptant l'histoire aussi bien lointaine ou récente du Cameroun, les Maires de ces villes n'ont pas repéré des Camerounais valeureux ayant fait acte de bravoure et dont les noms pourraient fleurir dans nos rues. Cela veut dire que, dans la tête de ceux qui sont aux affaires aujourd'hui et qui détiennent donc la décision de glorifier ce passé en récompensant ses héros, n'ont pas encore pu accéder au stade de réconciliation et de concorde nationale qui fait qu'il ne puisse plus y avoir de Camerounais à part et des Camerounais à part entière. Qu'on ne peut pas continuer à avoir dans ce pays des personnes bannies tout simplement parce que hier, ils s'élevèrent contre les colons ou leurs représentants. Qu'au contraire, ils méritent réhabilitation dont la conséquence est l'élévation des stèles à leur honneur.
Et pourtant, ce ne sont pas des héros qui nous manquent. A Yaoundé par exemple, à la fin du 19e siècle, un groupe de chefs traditionnels s'élevèrent contre le colon. Trahis par certains de leurs confrères ils furent arrêtés par le colon allemand et exécuté à Etoa Meki. Lesquels traîtres, le colon nous a imposé comme étant des modèles méritant des stèles. La ville de Yaoundé a l'obligation de réécrire cette partie de son histoire et réhabiliter ses héros. A Douala, Rudolph Doualla Manga Bell, pendu par les Allemand ne s'était pas battu tout seul. Il avait des partisans qui sont morts avec lui. Qui étaient-ils? Il y même des anonymes qui s'étaient battus contre les brimades des colons. Qui étaient-ils? La ville de Douala a l'obligation morale de les faire connaître et les faire renaître dans ses rues. Il y a plus près de nous, ceux qui s'étaient battus pour que nous ayons l'indépendance, pour que le Cameroun ne soit pas l'Afrique du Sud ou le Zimbabwé. Nous avons cueilli et continuons à cueillir le fruit de leur travail. Ne soyons pas ingrats. Donnons leur ce qui en réalité ne peut plus leur servir à grand-chose dans cette vie qui est la notre puisqu'ils l'ont quitté depuis fort longtemps.
Par le passé, l'erreur et parfois l'étroitesse d'esprit des gouvernants a fait croire qu'on pouvait effacer les traces des héros en gommant leurs noms des livres d'histoire ou tout simplement en déformant cette histoire. Lorsque j'étais jeune, j'ai entendu parler de Ruben Um Nyobe mais en des termes effroyables. La personne qui avait osé en parler disait de lui qu'il s'agissait d'une espèce de gros oiseau qui vivait dans les arbres dans la forêt du pays Bassa et que de temps à autre, il descendait pour semer la terreur. Jamais je n'avais pensé qu'il s'agissait d'un être humain. Plus tard, lorsque je verrai sa photo, celle d'un homme sanglé dans un costume, j'ai compris comment le plus fort peut imposer sa vérité et en faire la vérité.

L’héritage du Mpodol
Aujourd’hui l’héritage de l’UPC, non pas le parti politique que les Kodock et consort ont dévoyé mais bien le mouvement de revendication et de libération du Cameroun, cet héritage là est immense. Le tribalisme qui est l’un des fléaux les plus présents au Cameroun aujourd’hui avait déjà trouvé une solution du temps des Um Nyobe et les autres. Et qu’on ne me parle pas du multipartisme puisqu’à l’époque, ils étaient déjà dans un système multipartisan. Ainsi, doit-on relever le nombre de mariages mixtes des leaders ; Ernest Ouandié, Bamiléké de Bangou avait convolé en justes noces avec une femme Bassa d’Edéa; Félix Roland Moumié, Bamoun de Foumban avait pris pour épouse, une bulu de Lolodorf; Charles Assalé, Bulu d’Ebolowa, avait épousé une peule de Maroua. Et la liste n’est pas exhaustive.
C’est grâce à la pression de l’UPC, qu’après l’indépendance, Ahidjo a procédé à une camerounisation plus que accélérée des cadres de la fonction publique. Aujourd’hui, en dehors de quelques coopérants du reste très discrets, il est difficile de voir les descendants des colons dans l’administration camerounaise comme c’est le cas dans certains pays africains ayant subi le même parcours.
C’est grâce au nationalisme de l’UPC, que le Cameroun est différent du Gabon, de la Côte d’Ivoire, du Tchad… Il est différent parce que la France n’a pas pu y installer une base militaire comme dans les pays précédemment cités. Lorsqu’il arrive qu’un officier français vienne au Cameroun pour une assistance technique, il enfile l’uniforme de l’armée camerounaise et se met sous les ordres du commandant des armées.
Aujourd'hui, le Camerounais ordinaire est un homme foncièrement nationaliste. La preuve, cette histoire qui se déroule dans une entreprise camerounaise privatisée tombée sous le contrôle d'un grand groupe français. Une altercation a eu lieu entre un dirigeant expatrié de l'entreprise et son subalterne, un Camerounais. On ne saura jamais ce qui s'est passé exactement mais toujours est-il que le subalterne a administré une gifle mémorable à son patron "blanc". Aux dires des témoins, ce dernier était devenu tout rouge. C'est alors qu'un des dirigeants de l'entreprise, un Camerounais, propose à son collègue expatrié de l'accompagner chez le gouverneur de la province afin que ce "crime" soit porté à la connaissance du représentant du chef de l'Etat. Lorsqu'ils y arrivent, le gouverneur affiche son indignation face à un tel comportement de la part d'un subalterne. Et puis s'adressant au Camerounais dans une langue nationale, il dit : "Est-ce qu'il a vraiment bien assené cette gifle là?". L'autre répondit par l'affirmative et le gouverneur de lui dire : "Tu lui diras qu'il est un homme". Puis, se tournant vers l'expatrié, il lui proposa la solution suivante : "Chez nous, lorsqu'un subalterne fait preuve d'une telle audace, il faut le pardonner et même en faire un ami". Voilà sous quelle forme le nationalisme camerounais peut aussi s'exprimer des fois.
C’est grâce à la lutte de l’UPC que l’apartheid qui avait pris pied dans la ville de Douala et dans d’autres localités camerounaises avait été stoppé. Le combat qui continue aujourd’hui en Afrique du Sud et au Zimbabwe avait été remporté par le Cameroun des Um Nyobe dès les années 50.
C’est donc finalement à une séance d’exorcisme que doit se soumettre le peuple Cameroun et ses dirigeants, question de s’assumer et d’assumer l’héritage de Ruben Um Nyobè et ses Camarades de lutte. Il reste à trouver la forme que prendra une telle opération. C’est peut-être ce qu’à une certaine époque, certains réclamèrent sous le nom de conférence nationale souveraine. Qui sait?

Etienne de Tayo
Promoteur “Afrique Intègre”
http://www.edetayo.blogspot.com/

vendredi 6 juin 2008

APPROPRIATION : BARACK OBAMA EST UN CAMEROUNAIS

L'autre jour, je discutais avec une personnalité camerounaise de passage à Paris. Nous évoquions alors la campagne présidentielle américaine marquée par le triomphe du candidat Barack Obama. Soudain, prenant un ton particulièrement enjoué et rassurant, il m'informe que le Sénateur de l'Illinois est un Camerounais. Connaissant son niveau de culture générale et sachant qu'il a l'habitude de mettre à jour ses connaissances, je n'ose donc pas l'insulter en me lançant dans une explication des origines du probable futur président des Etats-Unis. D'ailleurs, il sait que je sais et moi aussi je sais qu'il sait que Barack Obama est kenyan par son père.

Lorsque la personnalité camerounaise me dit que Obama est camerounais, même si je ne veux pas le froisser, je ne manque quand même pas d'écarquiller les yeux. Alors, il insiste et précise : "Mais je te dis qu'il est Camerounais. Il doit même être des environs de Yaoundé là. Souviens-toi du professeur Jean Baptiste Obama", précise t-il. Le professeur Jean Baptiste Obama est un brillant historien camerounais à la mémoire d'éléphant qui depuis a emporté son savoir au fond d'une tombe, comme d'ailleurs récemment son cadet, l'anthropologue Séverin Cecil Abéga.
Prenant du recul, je comprends finalement que cette personnalité camerounaise là émet, par son affirmation, à sa manière, le vœu de voir chaque Africain et au-delà, chaque Noir s'approprier Obama. Non pas dans l'exclusion des autres comme le monde avait fonctionné jusqu'à ce jour mais plutôt dans une sorte de symbiose arc-en-ciel. Parce que Barack Obama lui-même n'est pas le fruit de l'exclusion. Il n'est pas le produit de la division. Il symbolise la synthèse. Il est le pont, il est la passerelle. Il est le média par lequel, la puissance régénératrice de l'humanité veut s'exprimer aux hommes, à tous les hommes quel qu'en soit la couleur le leur peau et de leurs yeux, leur continent d'origine, leur religion, leurs opinions politiques. Et il suffit de jeter un regard dans sa généalogie pour comprendre que c'est l'humanité toute entière qui devrait se l'approprier.
Barack Hussein Obama Sr, le père de l'actuel candidat démocrate, est né en 1936 au Kenya. Fils d'un guérisseur de l'ethnie Luo, il a été éduqué à la religion musulmane mais il est néanmoins sans religion. Après de brillantes études d'économie à Havard aux Etats-Unis, il rentre au Kenya et intègre le gouvernement de Jomo Kenyatta dont il était l'un des piliers. Tombé en disgrâce, il sombre dans l'alcool et se tue dans un accident de circulation en 1982. Il faut précisé qu'il avait divorcé de la mère de Obama Junior et avait fondé une nouvelle famille au Kenya.
Quant à la mère du Sénateur de l'Illinois, Shirley Ann Dunham, morte en 1995, elle est une descendante de Jefferson Davis, le président des Etats confédérés d'Amérique. D'origine modeste et chrétienne, elle est néanmoins Agnostique. Elle était d'origine Cherokee par son père. Elle a fait des études en Anthropologie.
Selon certains témoignages, Barack Obama aurait une ancêtre commune, une française, avec l'ancien vice président américain Dick Cheney. On lui reconnaîtrait aussi des ascendances, anglaise, néerlandaises, allemandes et Irlandaises. Son nom signifie en hébreu "béni". Suivant sa mère dans un second mariage après le divorce avec son père, Barack Obama a vécu pendant 4 ans à Jakarta en Indonésie où il a assisté à la naissance de sa demi sœur Maya.
Comme on le voit donc, Obama est une synthèse : il n'est pas issu de l'esclave ou du potentiel esclave exclusivement, ni du maître totalement; il est issu des deux. Il n'est pas uniquement descendant de l'opprimé indien Cherokee, il est aussi de l'oppresseur Européen; il n'est ni exclusivement noir, ni totalement blanc, il est le métissage des deux; il n'est ni musulman, ni juif mais il est un peu de tout çà à la fois; il n'est ni d'Orient, ni d'occident, il a jeté un pont entre les deux; il n'est ni africain exclusivement, ni américain uniquement, il est l'ambassadeur des deux régions. Avec Barack Obama, tout semble se neutraliser.

Le Messie
Le fait pour l'Africain, pour le Noir de se sentir plus concerné que les autres dans l'ascension de Barack Obama ne participe du tout pas aux combats antérieurs ayant opposé ce peuple aux autres peuples du monde. Non, cela vient de très loin. Il suffit pour cela de lire entre les lignes du message de félicitation de la secrétaire d'Etat américaine Condolezza Rice, qui trouve que "Obama est un candidat attractif et et quelqu'un d'extraordinaire" pour comprendre que cette ultra conservatrice, très proche de Georges Bush, n'a pas pu dominer ce frisson racial qui l'a parcouru à l'annonce de la nomination de Brack Obama par les électeurs. Un frisson qu'il faut être noir ou d'ascendance, pour ressentir et dont l'explication rationnelle n'est pas toujours facile à donner. C'est que en moins de 50 ans, Barack Obama a multiplié dans la réalité cette fois ci, par 5 voire par 10 et peut-être même par l'infini, le rêve du pasteur Martin Luther lorsque le 23 août 1963, il prononça à Washington son fameux discours : "I have a dream", devant 250 000 personnes. Ce jour là, le rêve du pasteur King était celui d'une Amérique où ses enfants noirs marcheront un jour à coté des enfants blancs. Même dans ses rêves les plus fous et à l'échelle des siècles, King n'aurait jamais vu un noir aussi proche de la Maison blanche. Et pourtant, Obama n'est plus qu'à quelques mètres.
Obama, et cela, je voudrais rester dans des proportions humaines, est le Messie qui est venu enlever le péché du monde. Il est venu pour réconcilier, non pas seulement les Etats-Unis mais le monde entier avec lui-même. Il est venu pour rappeler que ceux qui avaient un jour pensé, pour des raisons bassement matérielles, à transformer des êtres humains en bête de somme, en objet de traite étaient dans l'erreur totale. Que ceux qui avaient pensé et qui pensent encore qu'ils pouvaient formater la mémoire des autres hommes pour mieux les dominer commettaient ou commettent un crime contre l'humanité. Que ceux qui, malheureusement aujourd'hui, pensent que la couleur de la peau et des yeux peut être des critères objectifs de distinction des individus, continuent de se tromper.
Mais si j'admets que Barack Obama est le Messie, qu'il est "l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde", je n'emprunte tout de même pas les mêmes voies sacrificielles que la prix Nobel Doris Lessing, encore Hillary Clinton ou bien d'autres qui n'ose pas réfléchir à haute voix et qui, bien que reconnaissant implicitement le statut de Messie de Barack Obama, préfèrent procéder par adaptations conservatrices pour voir et souhaiter son assassinat, son sacrifice. Bien qu'elles aient eu le mérite de dire tout haut ce que les autres pensent tout bas, mesdames Lessing et Clinton - et pour Hilary Clinton particulièrement ne sont pas neutres dans le jugement - pêchent quand même par cet appel à peine voilé au meurtre dans une Amérique où on connaît la gâchette facile et où des meurtres similaires avaient déjà eu lieu par le passé. Mais ce qu'elles doivent savoir, c'est que, contrairement à Jésus Christ dont le Royaume n'était pas de ce monde, le Royaume de Barack Obama est bien de ce monde. Ce Royaume là se trouve à la Maison Blanche à Washington. Il doit donc vivre, pour accéder à son Royaume terrestre.

Etienne de tayo
Promoteur "Afrique Intègre"
http://www.edetayo.blogspot.com/
Auteur de l'ouvrage : "Pour la Dignité de l'Afrique, Laissez-nous crever"

lundi 2 juin 2008

CRISE ALIMENTAIRE : LA FAIM JUSTIFIE LES MOYENS DE LA FAO


Les émeutes qu'ont connues récemment l'Egypte, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Burkina Faso, l'Indonésie, Madagascar ou encore Haïti ont replacé l'organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) sur les feux de l'actualité. Depuis lors, son Directeur Général Jacques Diouf parcoure le monde pour faire entendre raison aux Etats membres par rapport à la nécessité de soutenir les programmes agricoles mais surtout susciter la générosité des pays en excédents alimentaires afin qu'ils viennent en aide aux pays en déficit. Le 24 avril, il donnait une conférence de presse à Paris. Au moment où s'ouvre Le sommet mondial sur la sécurité alimentaire de la FAO, c'est le lieu de s'interroger sur la capacité ou non de cet organisme de venir à bout de la catastrophe qui menace l'humanité.

Il faut tout de suite reconnaître que face à l'ampleur et à la profondeur du problème qui déborde largement son mandat et ses moyens, la FAO semble bien démunie. Et malgré le volontarisme de Jacques Diouf, on est bien en droit de relever que c'est une crise alimentaire aux conséquences incalculables qui se profile à l'horizon : selon la FAO, "la facture des importations céréalières des pays les plus pauvres du monde devrait augmenter de 56% en 2007/2008 (…) pour les pays à faible revenu et déficit alimentaire en Afrique, cette facture augmentera de 74%". Toujours selon la FAO, "les stocks céréaliers mondiaux chuteraient à 405 millions de tonnes en 2007/2008, soit 21 millions de tonnes en moins de 5% que le niveau déjà réduit de l'année précédente".
A ce jour, les causes de la catastrophe sont à peu près cernées : mauvaises conditions climatiques, des stocks au plus bas depuis 1980, une demande en augmentation avec la croissance de la population mondiale, la spéculation, l'envolée des cours internationaux des céréales, des tarifs du fret et du baril du pétrole. La production des biocarburants est aussi citée comme l'une des causes majeures. D'autres causes connexes expliquent la situation critique que vit le monde aujourd'hui d'un point de vue alimentaire. Selon la fédération internationale des producteurs agricoles (FIPA), "le prix des engrais a doublé depuis un an seulement. Quant au coût du transport, il a augmenté de 100% au cours de chacune des trois dernières années. Le prix des semences a presque doublé également au cours des dernières années".

Le ver dans le fruit
Mais lorsqu'on observe de près, on constate que ces causes ne sont en réalité que des conséquences des causes encore plus profondes. Et la cause majeure est l'absence de prévisibilité et de visibilité des Etats du monde par rapport à la nutrition de la population de la planète. C'est ce que Jacques Diouf traduit en ces termes : "Tant qu'on ne sortira pas de ce schéma qui consiste à attendre qu'il y ait une crise avant de réagir en cherchant des boucs émissaires, on ne sera pas sorti de l'auberge". Et le bouc émissaire, c'est bien la FAO vers laquelle tous les regards sont tournés aujourd'hui.
Dans le monde, "37 pays sont actuellement confrontés à des crises alimentaires". Comme il est de coutume, les pays les plus touchés sont ceux de l'hémisphère sud et en particulier les pays africains. Il se trouve que dans les années 1980, tous les mécanismes visant à soutenir l'agriculture dans ces pays avaient été démantelés comme l'a relevé le directeur général de la FAO. Il s'agit des caisses de stabilisation des produits agricoles qui servaient à assurer un prix constant aux paysans et soutenir ainsi leur effort de production; il s'agit aussi des structures de machinisme agricole; il s'agit enfin de la suppression des subventions à l'achat des intrants (engrais et semences). Le responsable de ce démantèlement s'appelle Fonds monétaire international (FMI) qui avait introduit des plans d'ajustement structurels (PAS) dans ces pays. Le FMI est un géant contre lequel la FAO ne peut rien en raison de la strict répartition des tâches au sein du système des Nations Unies : "un mandat spécifique est confié à chaque institution par des Etats membre. La FAO n'est pas une institution de financement. Nous avons une mission d'information, d'étude et d'analyse", se justifie Jacques Diouf, un rien impuissant. Mais la plus grosse responsabilité incomberait aux Etats membres qui peinent toujours à mettre au point des programmes publics efficaces et cohérents susceptibles de doper la production intérieure afin d'assurer à terme la souveraineté alimentaire. Selon la FIPA, "certains pays tel l'Inde dépensent plus pour importer des céréales que les sommes qu'ils versent à leurs agriculteurs pour assurer la production locale". C'est ce qu'on appelle la dépendance agricole qui est malheureusement le lot de la plupart des pays de l'hémisphère sud.
Alors que peut faire la FAO en pareille circonstance? Presque rien en raison du caractère souverain de chaque Etat membre par rapport à ses choix en matière de politique agricole et en raison du rôle plutôt de consultant que joue finalement la FAO : "Le développement économique et social d'un pays dépend de son gouvernement et de son peuple et non de la FAO (…) Nous conseillons les pays et les aidons à préparer des programmes. Mon rôle est de faire des analyses, filière par filière et faire une documentation qui va être adoptée ou non par rapport par les Etats membres. Les politiques nationales sont du ressort des souverainetés nationales et non de la FAO", soutient Jacques Diouf qui ne manque pas de préciser à ceux qui souhaiteraient le voir critiquer le FMI qu'il est "un fonctionnaire qui a un devoir de réserve".
C'est vrai que la montée vertigineuse des cours du baril de pétrole et surtout la volonté de plus en plus affirmée de certains pays d'avoir recours au biocarburant sont des parfaits ingrédients d'une catastrophe alimentaire annoncée. En effet, la production des biocarburants viendra en diminution sensible des surfaces cultivables. Si en plus les prix des biocarburants sont confortables, l'esprit rationnel des populations du monde les poussera à se lancer dans la culture des biocarburants. Et du coup on se retrouvera dans la situation d'il y a une soixantaine d'années lorsque l'ordre mondial dominant avait imposé aux pays du sud la culture des produits industriels dont ils étaient seuls à maîtriser les prix. Aujourd'hui, l'urgence frappe à la porte, il n'est plus question de tergiverser. Les manifestations de février dernier dans une dizaine de pays ont donné un avant goût de ce que sera le monde si certains continuent à affamer les autres.
Néanmoins, la FAO ne se laisse pas aller au fatalisme mais prend des initiatives allant dans le sens de la sensibilisation des Etats membre. Par ailleurs, elle "exhorte les bailleurs de fonds et les institutions de financement internationales à revoir leurs programmes d'assistance en faveur des pays les plus affectés par la flambée des prix des denrées alimentaires". Mais on sait ce que les bailleurs de fonds et les puissances mondiales font souvent des demandes formulées en faveur des pays défavorisés. Selon les premières estimations de la FAO, "les financements supplémentaires requis pour mettre en œuvre les programmes et projets dans ces pays se situeraient entre 1,2 milliard et 1,7 milliard de dollars". La FAO vient de lancer "l'initiative visant à lutter contre la flambée des prix des denrées alimentaires (IFPA)". Et sans doute pour donner le bon exemple la FAO a déjà alloué 17 millions de dollars à cette initiative.

Etienne de Tayo
Promoteur Afrique Intègre
www.edetayo.blogspot.com

vendredi 9 mai 2008

ZIMBABWE : LE CYNISME DES NATIONS


La présence de fortes minorités blanches a marqué d'une empreinte singulière l'expression des nationalismes africains en Afrique australe.


Par Achille Mbembe *

Il n'est pas certain que l'extrême personnalisation du conflit et la diabolisation de l'un des principaux protagonistes - Robert Mugabe en l'occurrence - aient aidé en quoi que ce soit à clarifier les enjeux de la lutte sociale et politique en cours au Zimbabwe. D'une part, en faisant de cet autocrate un monstre absolu et le parangon de l'irrationalité, on se prive des moyens d'expliquer comment, pendant les quinze premières années de son règne, il est parvenu à bâtir un pays relativement moderne, doté d'infrastructures viables et d'une économie sans doute insuffisamment diversifiée, mais à plusieurs égards productive. On fait également l'impasse sur le fait qu'au cours de cette période, il a assuré à une bonne partie de ses citoyens un minimum de sécurité sociale. Au passage, le Zimbabwe a enregistré d'importants progrès en matière de scolarisation et de santé, fructifiant ainsi son capital humain et portant celui-ci à des niveaux que n'avait jamais atteint le régime colonial. D'autre part, en faisant comme si Mugabe était à lui tout seul la cause de tous les malheurs du Zimbabwe, on oublie que jusqu'à la fin des années 1990, son pouvoir reposait sur une base sociale relativement élargie. Il bénéficiait en effet du soutien actif de groupes d'intérêt et d'une caste passablement bien organisée, bien représentée au sein de l'appareil d'État, de l'armée, de la bureaucratie et dans les entreprises en particulier, et profondément enracinée dans la société. Contrôlé par le parti dominant (Zanu-Pf), l'État décidait des avantages et des exemptions, accordait des faveurs, distribuait des subsides et garantissait la transmission des avantages acquis. En contrepartie des possibilités d'ascension sociale, de mobilité professionnelle et d'accumulation des richesses, cette constellation d'intérêts toléra plus ou moins, au cours de la même période, un modèle d'assujettissement fait de répression policière, de paternalisme et d'accommodement négocié. Auréolé de la légitimité forgée au cours de la lutte contre le régime raciste et minoritaire de Ian Smith, Mugabe était parvenu par ailleurs à instiller au sein de la population zimbabwéenne une sensibilité et une fierté patriotique, nationaliste et anticolonialiste. Les affiliations partisanes nonobstant, cette sensibilité fait désormais partie intégrante de la culture politique de ce pays et contribue à en façonner l'identité sur la longue durée. Par assentiment, par peur ou par habitude, la contrainte avait été peu à peu internalisée même si la dissidence en tant que telle n'avait jamais été totalement étouffée. Dans les zones rurales, l'éthos du pouvoir était plus ou moins partagé par la population, et la répression, virtuelle, occasionnelle ou récurrente, n'explique pas à elle seule les formes d'adhésion culturelle dont bénéficia ce projet de domination. Du reste, c'est la combinaison de ces facteurs qui explique qu'après 28 ans au pouvoir et malgré la défection de certains de ses soutiens historiques (syndicats, classes moyennes désormais appauvries, jeunes sans emploi des bidonvilles et cadres frappés par la clochardisation), Mugabe commande encore aujourd'hui près de 43% des suffrages, soit un peu moins de la moitié de la population en âge de voter. Le mélange d'hystérie et d'hypocrisie qui, à l'intérieur et hors du Continent accompagne la tourmente en cours ne contribue qu'à obscurcir davantage encore ce qui, n'eut été l'ampleur des souffrances inutiles endurées par la population et notamment par les plus démunis, ne serait qu'une banale crise d'une dictature essoufflée, dont la perversité n'a d'égale que la sénilité. Après tout, la manière dont Mugabe aura colonisé la société zimbabwéenne et exercé le pouvoir depuis 1981 est loin d'être unique dans les annales des satrapies africaines. Si l'on écarte les massacres perpétrés dans le Matabeleland au début des années 1980 et qui, de l'avis de nombreux observateurs, vaudraient sans doute un passage devant le Tribunal Pénal de la Haye, il est responsable de bien moins de morts que de nombreux autres tyrans africains. Après tout, les coresponsables du génocide au Rwanda et les seigneurs des guerres d'Angola, du Mozambique, du Darfour, d'Éthiopie et d'Érythrée, du Burundi, d'Ouganda, de l'Est du Congo Démocratique, de la Sierra Leone ou de la Somalie portent bien sur leurs têtes - calcul macabre s'il en était - au minimum deux ou trois bons millions de victimes directes et indirectes. La plupart jouissent pourtant d'une totale impunité et les chances de les assigner un jour en justice sont quasi-inexistantes. Sur un autre plan, Mugabe n'est pas le seul tyran sénile à vouloir, par tous les moyens, rester au pouvoir jusqu'à sa mort. Qu'il s'agisse de Paul Biya (Cameroun), Omar Bongo (Gabon), Idriss Deby (Tchad), Eduardo dos Santos (Angola), Denis Sassou Nguesso (Congo), Lansana Conté (Guinée), Ben Ali (Tunisie), Yahya Jammeh (Gambie), Hosni Mubarak (Égypte), Muammar Gaddaffi (Lybie), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Yoweri Museveni (Ouganda), Meles Zenawi (Éthiopie), Paul Kagame (Rwanda) ou Teodoro Obiang Nguema (Guinée Équatoriale), la durée au pouvoir de nombreux autocrates africains varie entre 20 et 40 ans. La possibilité de renverser par la voie électorale les régimes établis n'existant pratiquement pas, seule la mort du despote sous sa forme naturelle (maladie) ou criminelle (meurtre, assassinat) est susceptible de mettre un terme (et encore) à la tyrannie. Finalement, en matière de " bonne gouvernance", le Zimbabwe n'est pas le seul pays africain à avoir fait l'expérience de fraudes électorales. Dans la plupart des pays francophones par exemple, la corruption électorale et la brutalité politique constituent, depuis l'époque coloniale, des rouages essentiels du maintien au pouvoir. Par ailleurs, en dépit de la confiscation de propriétés redistribuées ensuite aux hommes de main du régime, la fortune personnelle de Mugabe est de très loin inférieure au butin amassé des décennies durant par les kleptocrates du Kenya, du Nigéria, du Gabon, de Guinée ou du Cameroun où la privatisation des ressources publiques, la prédation et la vénalité constituent des modes à part entière de gouvernement. Misères du nationalisme anticolonial Comment se fait-il donc que dans un continent généralement livré au cynisme et à la perversité, cet ancien héros de l'indépendance, symbole d'une certaine idée de l'émancipation africaine, soit tombé si facilement dans la trappe du mépris et de l'opprobre et ait été si prestement désigné pour servir de bouc émissaire aux turpitudes de tous, Africains et non-Africains, alors que ses agissements relèvent de ce qui, ici, a fini par tenir lieu de norme ? Aux yeux de nombreux Africains, l'explication tient en un mot. Mugabe est mis à l'index parce qu'il aurait attenté à la propriété des fermiers blancs. Se serait-il limité à brutaliser ses congénères noirs que ses agissements n'auraient suscité aucun cri de haine de la part de ceux qui, aujourd'hui, veulent sa tête sur le plateau d'argent des droits de l'homme et de la démocratie. Mais l'on peut également faire valoir que par-delà l'hypocrisie et le cynisme des nations, la raison principale de son échec tient à la faillite politique et morale d'une certaine idée de l'émancipation africaine héritée des nationalismes anticoloniaux de l'après-guerre. La présence de fortes minorités blanches a marqué d'une empreinte singulière l'expression des nationalismes africains en Afrique australe. Dans cette sous-région caractérisée dès le XVIIIème siècle par l'implantation de colonies de peuplement, des États racistes avaient été mis en place dans la foulée de la conquête européenne. Dans la mise en œuvre de cette politique des races, ces États avaient érigé la ségrégation, la cruauté et l'expropriation économique des Africains en autant d'éléments décisifs de leurs modes de gouvernement. Pendant longtemps, l'Afrique du Sud constitua l'emblème paroxystique de cette perversité. Or, de l'idéologie coloniale et raciste, les nationalismes africains ont repris, sur un mode mimétique, deux éléments centraux. D'une part, ils ont adhéré à l'idée alors répandue au long du XIXème siècle selon laquelle la colonisation fut un processus de conquête, d'asservissement et de " civilisation " d'une race par une autre. Au demeurant, la plupart des mouvements armés luttant pour l'indépendance de l'Afrique ont internalisé la fable selon laquelle l'histoire elle-même se ramènerait à un affrontement des races. Dans cette lutte pour la vie, les conflits de race ne se superposeraient pas seulement aux conflits de classe. La race serait la matrice des rapports de classe et, à ce titre, le moteur de la guerre sociale. L'idéologie de la suprématie blanche (dont les nationalismes africains étaient la réponse) partait exactement du même postulat. Au sein des États racistes de l'Afrique australe, les indigènes n'étaient pas des citoyens. Ils étaient des sujets raciaux considérés comme des ennemis tant qu'ils ne se soumettaient pas sans conditions à un ordre politique gouverné par la violence. Politique et violence formaient, dans tous les cas, un seul et même faisceau, une distinction étant cependant établie entre la violence supposée pure des mouvements de résistance et la violence jugée immorale des colonisateurs. Dans le même esprit, les mouvements armés anticoloniaux considéraient que l'ennemi était toujours, par principe, d'une autre race. L'émancipation consistait, quant à elle, à purifier constamment la société de cette autre race, de préférence en inversant radicalement les rapports de propriété et en restituant aux Africains tout ce qu'ils perdirent au moment de l'affrontement initial (terres, traditions, dignité). Déracialisation de la propriété Le deuxième élément que les nationalismes africains empruntèrent à l'idéologie coloniale avait trait à l'identification de la politique et de la guerre. Là où cette conflation de la politique et de la guerre fut poussée jusqu'au bout comme ce fut le cas en Angola et dans une moindre mesure au Mozambique, la conséquence fut la défaite militaire des colons blancs, leur départ massif et l'accaparement de leurs biens par les nouveaux régimes, l'instauration d'États nègres, l'avènement d'une nouvelle classe dominante suivi d'une guerre civile prolongée et opposant cette fois-ci les Noirs entre eux. Dans les cas où en dépit de la lutte armée, les conditions d'une victoire militaire nette ne furent jamais réunies, les mouvements de libération utilisèrent la violence en tant qu'élément complémentaire d'une stratégie de négociation et de compromis foncièrement politique. Au terme de tels compromis, ces États se sont retrouvés avec de substantielles minorités blanches. Défaites sur le plan politique, ces minorités ont néanmoins conservé l'essentiel de leurs biens après la décolonisation. Dans nombre de cas, ces minorités raciales continuent d'exercer une hégémonie culturelle sur la société. Il en est ainsi de l'Afrique du Sud et, dans une bien moindre mesure, de la Namibie et du Zimbabwe. Déracialiser le pouvoir et la propriété au bénéfice des Africains, tel a donc toujours été le moteur des nationalismes anticoloniaux en Afrique australe. En dépit des compromis passés au moment de la transition des " pouvoir pâles " aux " pouvoirs nègres", l'idée d'un renversement radical des rapports coloniaux de pouvoir et des rapports de propriété a continué de hanter l'imaginaire politique de ces pays longtemps après les indépendances. C'est ce qui est arrivé au Zimbabwe lorsque, sur fonds de crise économique au début du XXIème siècle, l'ancien mouvement de libération a été obligé de faire face à une opposition interne et structurée. Afin d'étouffer cette opposition, le régime au pouvoir a alors fait main basse sur l'extraordinaire gisement symbolique qu'a toujours représenté, dans la société et la culture, le rêve de déracialisation de la propriété. En même temps, il a réactivé la ressource imaginaire que fut, au moment de la mobilisation anticoloniale, la lutte des races. Mais cette fois-ci, la race en question est composée à la fois des fermiers blancs et de l'opposition noire. Dans un bouillonnement brouillon qui n'avait rien de révolutionnaire, la lutte pour le maintien au pouvoir a été assimilée à la lutte anticoloniale. Sous le couvert d'une réforme foncière menée dans une brutale improvisation, il a confisqué des fermes appartenant à des zimbabwéens blancs avant de les transférer à ses affidés, à la manière d'un butin de guerre. Puis, faute d'armer purement et simplement tous ses partisans, il s'en est pris aux structures de l'économie dans le but d'instrumentaliser le désordre et le chaos. Il en a résulté une dégradation dramatique des conditions matérielles des populations et une paupérisation généralisée que les problèmes de ravitaillement, la dévaluation vertigineuse de la monnaie, le recours aux réquisitions et au contrôle des prix et des salaires n'ont fait qu'accélérer. La quasi-confiscation des élections ne constitue qu'un épisode de plus de ce long processus. Sortir de l'indigénisme Qu'il s'agisse de la colonisation ou de l'apartheid, l'expérience des " pouvoirs blancs " en Afrique a été désastreuse. Qu'il en ait été ainsi s'explique largement par le fait que ces pouvoirs étaient mus par la logique des races et l'esprit de violence qui en était le corollaire. Dans leur forme comme dans leur contenu, les nationalismes africains se sont malheureusement contentés de récupérer à leur profit et dans un geste purement mimétique et cette politique des races, et son esprit de violence. Au lieu d'embrasser la démocratie, ils ont mis cette logique et cet esprit au service d'un projet de perpétuation de leur propre pouvoir. C'est ce projet d'un pouvoir sans autre justification que lui-même qui, aujourd'hui, rencontre ses limites au Zimbabwe et ailleurs sur le Continent. Dans la crise au Zimbabwe se jouent par conséquent deux ou trois questions décisives pour l'avenir de l'Afrique. D'une part, si le rêve d'émancipation africaine n'a été que l'envers mimétique de la politique et de la violence de la race mise en branle par la colonisation, alors il est temps d'imaginer une sortie du nationalisme qui ouvre la voie à une conception afropolitaine et post-raciale de la citoyenneté, faute de quoi les Africains d'origine européenne n'ont aucun avenir en Afrique. D'autre part, les Africains d'origine européenne n'auront d'avenir en Afrique que si l'on procède effectivement à une déracialisation et une mutualisation de la propriété. Déracialiser la propriété ne signifie pas expropriation pure et simple des blancs, mais investissements multiformes en vue de la fructification de l'ensemble du capital humain disponible. Or, cette fructification de l'ensemble du capital humain disponible n'est guère possible dans un contexte de tyrannie. D'où l'inconditionnelle nécessité d'un véritable passage à la démocratie. Tel étant le cas, Mugabe - et tous les autres - doivent partir. Mais qui peut jurer aujourd'hui que leurs successeurs feront nécessairement mieux ?

Source : Quotidien Mutations
* Historien, politologue, Enseignant à l'Université de Wittwatersrand en Afrique du Sud

mercredi 7 mai 2008

L'éclairage de Shanda TONME : L'AFFAIRE DE LA FLAMME OLYMPIQUE, UNE LECTURE AFRICAINE

Nous reproduisons ici une réflexion ô combien éclairante de l'éditorialiste camerounais Shanda Tonme qui corrobore parfaitement ce que nous avons toujours dit par rapport à la campagne de désinformation, les droits de l'homme à géométrie variable et surtout le "china Bashing" qui est devenu le sport le plus pratiqué en l'occident. Lisez plutôt.

Sans qu’ils puissent véritablement comprendre le pourquoi ni le comment, les africains, déjà soumis au dictat de l’Occident pour l’information, se retrouvent depuis quelques semaines obligés de se nourrir des images et des reportages des manifestations de rue à travers le monde contre la Chine. En effet depuis l’allumage de la flamme Olympique, un débat dur et orienté a été installé au forceps pour promouvoir le boycott des jeux dont l’ouverture est prévue en Août 2008 à Pékin.
Certes, la Chine connaît un problème de revendication autonomiste dans sa région du Tibet et une répression sanglante contre des manifestants y a récemment occasionné la mort de nombreuses personnes aux mains nues face à des forces de maintien de l’ordre plutôt impitoyables. Il existe donc et il a toujours existé ce qu’il est convenu d’appeler une cause tibétaine, laquelle est d’ailleurs mieux exprimée et mieux représentée par son très charismatique leader spirituel, le Dalaï-lama. En réalité le problème n’est pas simplement celui d’une revendication autonomiste ou indépendantiste, c’est aussi et fondamentalement un problème religieux que le pouvoir communiste régnant de la Chine ne veut pas entendre.
Pourquoi donc sortir du bois juste en ce moment, pour faire tant de bruit autour de ce problème, au point de reléguer au second rang toutes les autres préoccupations majeures qui encombrent le tableau géopolitique des conflits et des tensions planétaires ?
En quoi la situation au Tibet menace t’elle de façon directe, immédiate, urgente, impérieuse, et insoutenable la paix et la sécurité internationales ?
En quoi le boycott des jeux olympiques de Pékin contribuera-t-il à résoudre l’équation inextricable qui résulte de l’incompatibilité structurelle, doctrinale et idéologique entre la philosophie communiste et le bouddhisme ?
Nos interrogations ne se situent point au niveau de la justesse des revendications d’un peuple - fut-il minoritaire - pour sa dignité, sa liberté de culte et le bénéfice d’une quelconque autonomie. Nous ne sommes donc ni négationniste du droit du peuple tibétain à l’autodétermination, ni de celui plus large et plus général des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce sont des principes consacrés et sacrés, institutionnalisés et codifiés par un ensemble d’instruments juridiques internationaux dont les plus connus sont la déclaration universelle des droits de l’Homme et les protocoles additifs relatifs aux droits civils et politiques d’une part et aux droits sociaux et économiques d’autres part, la Convention des Nations Unies pour l’élimination de toutes les formes de discrimination, de même que de nombreuses conventions spécifiques.
Notre étonnement prend corps dans le regard discriminatoire de l’Occident, dès lors que notre propre vécu, ici en Afrique, est parsemé au même moment de situations les plus graves de répression et de violation des droits élémentaires des peuples sans que des émotions fortes s’en suivent de l’autre côté. La majorité des citoyens africains demeurent brimés en permanence dans leur plus intime et simple dignité. Les manifestations de rue au passage de la flamme olympique, les commentaires incendiaires des média occidentaux, les déclarations belliqueuses, tapageuses ou insidieuses des gouvernants et des politiciens occidentaux nous laissent un arrière goût de préméditation et de règlement de comptes.
Nous en Afrique, ne comprenons point l’agitation subite de l’Occident, ni pourquoi les mêmes pourfendeurs des violations des droits des tibétains ne descendent pas dans la rue pour crier leur colère contre les massacres perpétrés par les dictatures du Kenya, du Zimbabwe, du Tchad et d’ailleurs. Nous ne comprenons vraiment pas si ce qui se passe au Tibet est autrement plus grave et plus porteur de menaces contre la paix et la sécurité internationales que la modification de la constitution pour orchestrer des présidences à vie au Cameroun, au Tchad, au Gabon, au Burkina Faso…
L’affaire de la flamme olympique, intervient dans un contexte où l’on tentait déjà de nous convaincre du danger que représente la nouvelle Chine, la Chine devenue impériale, plus souveraine, mieux conquérante aux plans commercial et technologique, et menaçante pour les positions de domination coloniale des occidentaux.
Nous, en Afrique, craignons qu’il ne s’agisse pour l’Occident d’utiliser une juste cause - celle du peuple tibétain - pour contester de façon feutrée, malhonnête et maladroite, les succès commerciaux et financiers de Pékin à un moment où toutes les citadelles capitalistes et leurs excroissances périphériques sont violemment secouées par les émeutes de la faim.
Les cris entendus en Afrique, en Amérique latine et dans quelques banlieues misérables de Londres, Paris et Amsterdam, ne sont-ils pas des accusations sans détours contre une idéologie du marché qui a construit depuis des siècles son triomphe par la liberté des prix et une spéculation boursière encourageant le vol et toutes sortes d’égoïsmes voire d’exploitation éhontée ?
Nous en Afrique, craignons que l’Occident ne soit en fait à la recherche des voies et moyens pour bloquer la Chine, lui donner mauvaise conscience, freiner ses ardeurs d’expansion géopolitique et l’investissement de ses colossaux excédants commerciaux.
Faut-il rappeler à tous ceux qui l’ignoreraient encore, que la Chine a un excédent commercial vis-à-vis des Etats Unis de l’ordre de trois cent (300) milliards de dollars pour la seule année 2007. La Chine est excédentaire par rapport à presque tous ses partenaires et dispose à elle seule de deux fois plus de réserves en devises que tous les pays de l’Union Européenne réunis.
Pour mieux comprendre tous les enjeux géostratégiques, le Président sénégalais Abdoulaye Wade n’a pas craint de déclarer que la Chine a investi en vingt ans en Afrique plus que l’Occident en quatre siècles. Il convient certes de relativiser ces propos, car pour aussi révélateurs qu’ils soient, ils peuvent s’avérer vexatoires et excessifs dans la mesure où la dimension de la formation dans laquelle cet Occident prédomine, n’est pas prise en considération. Il n’en demeure pas moins que l’illustre sénégalais et militant africain se veut réaliste et représentatif d’une opinion dorénavant partagée par une très grande majorité des africains qui jugent positivement la coopération avec la Chine et en attendent plus de retombées positives.
Compte tenu de tout ce qui précède, nous ne sommes pas disposés à suivre l’Occident dans cette nouvelle guerre médiatique contre la Chine qu’elle veut imposer au monde en se servant des prochains jeux olympiques. Personne de sensé ne soutiendra que la Chine est un modèle de démocratie ou d’expression des libertés individuelles, mais comment avaliser les thèses de ces défenseurs des droits de l’Homme qui ne se lèvent jamais assez pour des causes plus choquantes en Afrique ?
Ces pourfendeurs de la Chine sont en réalité les mêmes qui implicitement n’ont jamais abandonné l’esprit colonialiste qui renvoie les noirs et les arabes à des épithètes de sous êtres humains sauvages et barbares dont les régimes autocratiques sont les meilleurs genres de gouvernance?
Les mêmes journalistes, qui se voulaient tranchants sur la question du Tibet lors de la conférence de presse avec le Président français récemment, n’ont pas manifesté une égale préoccupation pour la situation dans les anciennes colonies françaises où sa politique constitue un grossier scandale et où il est dorénavant clair qu’il a renié tous ses engagements de campagne.
L’Afrique, celle qui compte réellement et qui réfléchit, ne suivra pas l’Occident dans cette cabale contre la Chine. L’affaire de la flamme olympique n’est ainsi qu’un autre épisode d’une autre guerre, que l’on pourrait dire commerciale, que l’on pourrait dire sale aussi. Pour une fois, l’Occident qui se glorifie d’avoir tout gagné au cours de la longue histoire de l’humanité, a peur de perdre la guerre commerciale, après avoir proclamé la suprématie du système capitaliste sur tous les autres./.
Rédigé par : Shanda Tonme, éditorialiste
Source : 20mai.net

samedi 19 avril 2008

VISION : CE QU'AIME CESAIRE AVAIT VU AVANT TOUT LE MONDE


Avec sa disparition, Aimé Césaire, l'un des plus grands poètes de tous les temps, ouvre la saison des nécromancies parfois ridicules. Des nécromants de tout bord s'alignent pour réclamer tous les honneurs de la Nation et solliciter le Panthéon pour le repos du poète rebelle. En a-t-il vraiment besoin? En a-t-il jamais eu besoin? Peut-être! Je sais que des lobbies se sont formés à un moment pour solliciter pour lui le prix Nobel de la paix. Mais je sais d'expérience que les grands hommes et les grands esprits de la dimension de Césaire répugnent souvent les honneurs parce qu'en fin de compte, ils ne servent que l'hypocrisie et la comédie humaines. Pour rester dans le cadre français, je pense à Jean Paul Sartre qui repoussa le prix Nobel de littérature en 1964.

Mais si d'aventure, Césaire finit par entrer au Panthéon, il y pénétrera après avoir fait un grand détour par son univers nègre. Il y fera entrer plus que Alexandre Dumas l'a fait, sa négritude. La patrie récompensera en lui, non pas la soumission et la collaboration mais plutôt l'insoumission et la rébellion. Tout au long de sa vie, Césaire a pris des risques. Il a secoué le cocotier occidental. Et s'il a survécu et finit par faire l'unanimité autour de sa grandeur d'âme, c'est surtout grâce à la profondeur de sa conviction, à la grandeur de son humanisme et à la prophétie de son propos. Car en fait, Césaire était avant tout un visionnaire.
Le mérite de Césaire le visionnaire, c'est d'avoir diagnostiqué le germe de la destruction de la civilisation occidentale alors même que celle-ci était au sommet de sa puissance. En 1955, s'élevant contre la colonisation et ses destructions, il écrit en ouverture de son ouvrage fondateur "Discours sur le colonialisme" publié chez Présence Africaine : "Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. Le fait est que la civilisation dite européenne, la civilisation occidentale, telle que l'ont façonnée deux siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre les deux problèmes majeurs auxquels son existence a donné naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial; que, déféré à la barre de la raison comme à la barre de la conscience, cette Europe là est impuissante à se justifier; et que, de plus en plus, elle se réfugie dans une hypocrisie d'autant plus odieuse qu'elle a de moins en moins chance de tromper". Ces propos sont d'une telle fraîcheur qu'on croirait qu'ils ont été rédigés au petit matin de ce jour. Et pourtant ils sont vieux de 53 ans.

Un visionnaire humaniste :
Nègre et chantre de la négritude, Césaire aurait pu se réjouir de ce déclin. Ce d'autant plus que le nègre, esclavagisé et colonisé avait des choses à reprocher à l'empire occidental. Non, humaniste, il n'a pas voulu s'installer dans cette posture revancharde. Il a voulu tirer la sonnette d'alarme en disant : "attention, vous êtes en train de foncer dans un mur. Et si vous ne ressaisissez pas, votre attitude vous perdra". Il l'a fait parce qu'il établit clairement une différence entre le peuple souvent embrigadé, désinformé et manipulé par la propagande d'Etat et les dirigeants souvent mus par des intérêts égoïstes. Par exemple, pour envahir l'Irak dans le seul but de s'assurer les revenus pétroliers, les néo-conservateurs américains réunis autour de Georges Bush n'ont pas hésité à user d'un gros mensonge à savoir que l'Irak de Saddam Hussein détenait les armes de destruction massive. Et pour mieux dissimuler la manipulation, ils ont parlé d'une volonté de semer la graine de la démocratie dans ce pays disaient-ils miné par la dictature de Saddam Hussein. Ce à quoi Jacques Chirac avait répondu en disant "qu'on n'exporte pas la démocratie dans un fourgon blindé".
Dans ce jeu de mensonge, les dirigeants occidentaux, qui se gargarisaient d'être à la tête d'un empire, avaient toutefois oublié de dire à leur peuple que le destin d'un empire c'est de décliner à un moment donné et de laisser la place à d'autres empires émergents. L'histoire et surtout le cimetière de l'histoire porte les noms des empires qui, à un moment donné, ont dominé le monde et dont les deux plus récents sont : l'empire Romain et l'empire Hottoman. Ils ont oublié de dire à leur peuple qu'ils n'étaient plus le centre de l'empire mondial. Ce faisant on ne les avait pas préparé à la venue d'un autre géant mondial puisque la propagande était chargée de leur dire qu'ils sont les plus forts et le resteront éternellement.
Ni Césaire en 1955, ni nous même aujourd'hui, personne ne se réjouit du déclin de l'empire occidental. Ceci parce que, d'un point de vue purement humaniste, sa disparition n'apporte rien de substantiel au reste de l'humanité au contraire; le fonctionnement du monde n'étant pas absolument un jeu de sommes nulles. Si nous sommes obligés de dénoncer, c'est parce qu'un petit groupe de privilégiés, semblable à l'aristocratie des siècles passés, est en train d'embrigader tout un peuple; c'est parce que le prolétariat urbain est en train de s'installer en Occident; c'est parce que sous le couvert de la démocratie, les formes les plus pernicieuses de la dictature et du totalitarisme sont en train de prendre corps dans des pays occidentaux. Et les populations sont d'autant plus vulnérables qu'elles croient être immunisés contre.
Aujourd'hui, surpris par l'irruption de la Chine sur la scène mondiale, les dirigeants occidentaux, pour la contrer, recourent une fois de plus aux vieilles recettes faites de désinformation, instrumentalisation et manipulation. Et çà, Aimé Césaire le percevait déjà 53 ans plus tôt lorsqu'il déclarait : " cette Europe là est impuissante à se justifier; et que, de plus en plus, elle se réfugie dans une hypocrisie d'autant plus odieuse qu'elle a de moins en moins chance de tromper". Après l'instrumentalisation ridicule du Darfour où on donne l'impression de vouloir défendre le petit peuple Africain alors même qu'on se moque bien de son sort, l'occident se saisit du Tibet sous le couvert de la violation des droits de l'homme par la Chine en attendant demain de continuer la provocation par Taïwan. Mais tout cela est enrobé dans un mensonge qui parfois révolte.

L'instrumentalisation du Tibet :
A Londres, à Paris ou à San Fransisco, la propagande a lancé des hommes et des femmes parfois de bonne foi dans les rues pour, disent-ils défendre le peuple tibétains en brandissant la menace du boycott des jeux olympique alors même que le Dalaï Lama, le premier des Tibétains désapprouve une telle démarche. Plus tibétain que le Dalaï Lama! Le problème c'est que les dirigeants occidentaux, dans une démarche européocentriste, pensent que leur modèle civilisationnel – la démocratie et l'économie de marché - est le meilleur qu'il faille imposer à tous les peuples de la planète et qu'en dehors il n'y a que déperdition. A ce niveau, il n'y a même pas de problème puisque chaque commerçant sur la place du marché, est libre de faire la promotion des produits présents sur son étal. Seulement, ils oublient de dire à leurs peuples qu'ils les embarquent dans une bataille géopolitique et géostratégique visant à discréditer la Chine et tenter de la contenir afin de rester les maîtres du monde. Et pour le faire, il faut trouver un ventre mou à l'empire du milieu. Et ce ventre mou, ils l'ont trouvé au Tibet.
Il y a quand même des curiosités curieuses dans la démarche de l'Occident par rapport au Tibet. Malgré la sympathie que l'on peut éprouver pour le Dalaï Lama qui symbolise la non violence, il ne faut pas perdre de vue que le système qu'il revendique pour le Tibet est à la fois archaïque et rétrograde parce que marqué par une absence de scolarisation et un intégrisme religieux. Il est donc curieux que ce soit dans l'Europe des lumières et dans les franges les plus éclairées de sa population qu'on retrouve les défenseurs d'un retour à un tel système. Lorsqu'on mesure une telle incohérence, on se dit que le Tibet n'est qu'un prétexte et que le problème est ailleurs. En fait, jusqu'à une date récente, les stratèges occidentaux savaient qu'ils ont verrouillé les chemins de la croissance et du développement à tel point qu'aucune autre puissance ne puisse émerger. Ou bien, si elle devait le faire, ce serait dans le strict canevas tracé par l'Occident. Un peu comme le Japon ou encore ce qu'on avait appelé les dragons d'Asie du Sud Est. En réalité des sortes de bulles que l'Occident pouvait faire pousser grâce aux fonds spéculatifs et qu'il pouvait aussi faire exploser à sa guise, question de démontrer sa puissance. Or, la Chine a évolué complètement en dehors de ce canevas. Et si elle a pu le faire, c'est parce qu'elle est allée aux tréfonds d'elle-même pour rechercher le substrat culturel qui aujourd'hui lui offre le différentiel gagnant sur l'Occident. C'est exactement ce que je recommande toujours à l'Afrique.
La Chine qui est consciente du fait que son système est à parfaire, est devenue un géant qu'on ne peut plus effrayer par quelques manifestations de rue à des milliers de kilomètres. Il se trouve que les "petites mains de la grande usine du monde" comme on disait en occident des ouvriers chinois, ont réussi à bâtir un empire économique qui a envie de se faire respecter. Aujourd'hui, la Chine possède 1 650 milliards de dollars de devises. Elle détient par exemple "21% de la totalité des titres émis par les autorités américaines". Pour rester simplement dans ses relations avec les Etats-Unis qui est la tête de pont de l'occident, il rappeler que le pays de George Bush "finance sa gigantesque dette publique grâce aux achats chinois de bons de Trésor américain. Une créance qui s'élevait début 2008 à 492 milliards de dollars". Et un expert de Natixis de prédire que "Pékin a les moyens de faire dégringoler encore un peu plus le billet vert". A ceux qui, en Occident, réclament le boycott des jeux olympiques et même des brouilles diplomatiques avec la Chine, Jean Pierre Petit, chef économiste à Exane BNP Paribas brandit cet avertissement : "L'Occident n'a jamais été aussi dépendant de la manne financière de la Chine du fait de l'énormité de nos déficits, de l'endettement des ménages, de la crise immobilière… Nous avons besoin de leur argent", tranche t-il.
Le parcours de la flamme olympique et les incidents qui l'émaillent montrent bien les lignes de fracture du monde. Elle montre de façon grossière bien sûr qu'il y a d'un coté l'Occident qui continue à se comporter en donneur de leçon alors que les moyens pour le faire n'existe plus et de l'autre les pays émergents au rang desquels la Chine qui veulent prendre le pouvoir. C'est dire si demain les batailles seront rudes. Et déjà la Chine prend de l'avance comme le note Olivier Guillard : "Sur les 192 Etats membres de l'ONU, la Chine peut compter sur près d'un quart des membres au cas où elle voudrait soumettre une résolution ou s'opposer à une autre".

Par Etienne de Tayo
Promoteur "Afrique Intègre"
www.edetayo.blogspot.com