dimanche 19 octobre 2008

UN SMS AU G8 : "LES PAUVRES VOUS EMMERDENT"


Alors que la bombe des siècles d'exploitation, de spéculation et de manipulations diverses vient de leur exploser entre les mains, les dirigeants du G8 croient toujours à leur puissance et à leur capacité à prendre en main la misère du monde, du moins, à faire semblant de la prendre en main à travers des promesses fallacieuses.

C'est ainsi que certaines ONG néocoloniales n'ont pas hésité à faire cette déclaration en direction des pays occidentaux : "N'oubliez pas les pauvres, n'oubliez pas l'Afrique, ne supprimer pas l'aide publique au développement". Ce qui est dommage, c'est qu'un tel appel trouve souvent écho en Afrique auprès de certains suppôts qui répondront : "Oui, vraiment ne nous oubliez pas".
Pour celui qui suit l'actualité de ces derniers mois, cet appel a quelque chose de curieux et même d'anachronique et ne manquera pas de susciter quelques questionnements : Comment et pourquoi des pays qui font face à une violente crise, qui n'ont plus le contrôle de leur propre système et qui peinent à offrir un pouvoir d'achat acceptable à leurs propres peuples ou même tout simplement à les rassurer par rapport à l'avenir, s'entêtent-ils à vouloir se présenter comme des sauveurs d'autres peuples? Où trouveront-ils les fonds nécessaires à cette ultime opération humanitaire? Pourquoi toujours ce paternalisme rampant?
La manœuvre consiste pour le G8 à continuer à faire courir l'illusion de la puissance et tenter d'avoir le monde à ses pieds. Et pourtant, la réalité milite largement contre lui. L'écroulement du système financier international – ce qui était d'ailleurs prévisible quand on sait que les spéculateurs de tout bords avaient réussi à transformer l'économie mondiale en un vaste casino – devrait ramener le G8 et ses dirigeants sur terre. Plus que le seul système financier, c'est tout le modèle de développement mis sur pieds au lendemain de la seconde guerre mondiale par les vainqueurs qui montre ses limites. Et cela devrait être riche d'enseignement pour les pays en développement qui cherchent encore leur voie pour le développement.
Ce que l'Afrique, toujours présentée comme l'éclopée par les dirigeants du G8, aura gagné dans cette crise, c'est de comprendre que le système qu'on lui proposait comme passage obligé pour la prospérité est un système piégé par ses propres turpitudes. C'est de se résoudre une fois pour toute à rechercher sa propre voie pour le développement.
Ce que le reste du monde a gagné de cette crise, c'est 'avoir des dirigeants du G8 moins arrogants et qui pour la première fois comprennent qu'ils peuvent se remettre en question sans complaisance. C'est ce que le président Français Nicolas Sarkozy fait lorsqu'il affirme qu'on ne peut pas gérer le 21e siècle avec les lois du 20e siècle. Le président français qui dénonce sans ambages les paradis fiscaux, les hedge funds, les spéculations en bourse, en fait les travers de ce système délirant, sollicite auprès de Georges Bush l'organisation d'un G8 consacré à la refondation du système financier mondial. Et lui de rêver avoir au cours de ce sommet du G8, les puissances émergentes telles l'Inde et la Chine. Pourquoi les solliciter aujourd'hui alors qu'on les a toujours regardé avec condescendance?
Mais Georges Bush, qui veut être le dernier soutien de ce système qui s'écroule prévient : "Faut pas toucher aux fondamentaux de l'économie de marché". Une déclaration paradoxale quand on sait que c'est ce qu'il a fait lorsqu'il a fait voter une somme de 700 milliards de dollars pour venir en aide aux entreprises en difficulté. En réalité, une nationalisation ou à tout le moins une subvention qui ne veut pas dire son nom.

Une remise à plat du système
Ce que le monde attend aujourd'hui de ses dirigeants y compris ceux du G8, ce n'est nullement un replâtrage du système le ou des petites combines qui permettront aux plus malins de continuer à piller les richesses des moins malins pour ensuite les dominer, mais plutôt une intervention systémique qui remettra à plat le système pour faire que les appareils en charge de la gestion de l'économie globale du monde soit en rapport avec la nouvelle configuration de ce monde au 21e siècle.
Les institutions de Bretton Woods et leurs excroissances, ces institutions qui ont servi aux vainqueurs de la deuxième guerre mondiale de se présenter comme les plus puissants du monde et de profiter de cette manœuvre pour soumettre les autres peuples de la planète, doivent être révisé de fonds en comble à défaut d'être supprimé. En réalité, la banque mondiale et le Fmi devront passer devant le tribunal de l'histoire pour avouer le fait que de façon tout à fait artificielle, elles ont bloqué la croissance et semer la misère dans la plus part des pays en voie de développement. Mais le problème n'est même pas à ce niveau. Le problème est d'avouer que ce système a échoué. Il a échoué parce qu'il était mauvais. Il a échoué parce que au lieu de miser sur l'homme comme l'alpha et l'oméga du développement, il a misé contre l'homme, il a misé pour la richesse même si cette richesse devra être obtenu au prix du sang des humains.
Depuis plus de 50 ans, les pays en développement, généralement libérés de la colonisation, revendiquent dans tous les fora internationaux les nouveaux ordres mondiaux : le nouvel ordre mondial de l'information et de la communication (Nomic), le nouvel ordre mondial du commerce, le nouvel ordre mondial de l'économie. Mais les pays dits riches, du haut de leur arrogance, n'en ont fait qu'à leur tête. Ils ont pris en otage toutes les institutions de régulation à commencer par l'ONU, l'OMC, l'Unesco… Ils ont piétiné tous les traités internationaux visant à humaniser le monde : le traité de Rome créant la CPI et visant à juger les criminels de tout bords, le traiter de Kyoto sur la protection de l'environnement.
Depuis l'effondrement de l'union soviétique, le système occidental de l'économie de marché était devenu le seul maître à bord du bateau monde. Il tenait solidement et jalousement le gouvernail. Ce système triomphant a commencé à imposer ses deux instruments majeurs de domination que sont l'économie du marché et la démocratie même s'ils leur fallait parfois des fourgons blindés pour livrer ces marchandises. Mais force est de constater qu'il nous a conduit tout droit dans un mur. Mais voilà que les vainqueurs d'hier, mais perdants d'aujourd'hui, veulent encore se retrouver juste pour ajuster leurs appareils de domination et trouver la meilleure position pour exploiter le reste du monde et le maintenir dans la position d'éternel dominé. Est-ce possible?
Ce qui est possible aujourd'hui, c'est introduire une bonne dose de justice dans les nouvelles institutions qui vont remplacer celles qui nous ont amené là où nous sommes aujourd'hui. C'est par exemple au niveau de l'OMC, créer les conditions d'un commerce équitable au lieu d'imposer la loi du plus fort comme c'est le cas aujourd'hui à travers les APE; c'est neutraliser l'action des fonds d'investissement spéculatifs qui portent une lourde responsabilité dans la dégénérescence du système financier mondial à travers l'industrie du risque et les parapluies dorés pour des managers transformés en chasseur de bénéfice même en pressurant les employés; c'est demander par exemple à la France de libérer l'Afrique francophone en leur permettant d'abandonner le Franc des Colonies Françaises d'Afrique (F CFA) pour créer leur propre monnaie et booster ainsi leurs économies; c'est faire de la gouvernance mondiale la préoccupation majeure de tout le monde, ce qui permettra à l'Afrique de toucher le juste prix de ses matières premières et promouvoir son développement sans avoir besoins de l'aide de qui que ce soit; c'est démanteler les réseaux maffieux qui continuent d'habiter les relations entre certains pays colonisateurs et leurs anciennes colonies; c'est d'accéder à la demande des pays en développement d'instaurer un nouvel ordre mondial dans tous les domaines : économie, culture, finance, communication…
Lorsque toutes ces dispositions seront prises, les pays en développement en général et ceux d'Afrique en particulier pourront actionner un développement endogène à partir de leurs ressources propres, à partir de leur force de travail. La prospérité qui s'en suivra entraînera le retour des Africains de la diaspora et à travers l'effet multiplicateur l'Afrique retrouver la place qui est la sienne, c'est-à-dire d'un continent d'avenir. Vous comprenez qu'il n'y aura plus de place pour des discours misérabilistes tendant à solliciter l'aide publique au développement.

Par Etienne de Tayo
Promoteur Afrique Intègre
http://www.edetayo.blogspot.com/

vendredi 3 octobre 2008

CAMEROUN : ASSUMER L'HERITAGE NATIONALISTE DE RUBEN UM NYOBE OU SE SABORDER


Le Cameroun, en tant que pays, en tant que Etat, en tant que Nation, est en train de s’étrangler. Et le monde entier, qui porte un amour jamais démenti à ce pays, le vit avec douleur. Il suffit de parcourir le monde et de se présenter comme Camerounais pour être assailli des questions de ceux qui veulent percer le mystère du Cameroun, qui veulent comprendre les contours d’un tel paradoxe : un pays qui a tout pour réussir mais qui est en train de sombrer. Le président Paul Biya lui même ne s’étonnait-il pas devant un tel paradoxe, pointant du doigt accusateur, l’inertie. Il cohabite au Cameroun deux mots qui finissent par former un oxymore détonant : nationalisme et anti-patriotisme. Et la question qu’on peut se poser est celle de savoir comment un peuple nationaliste peut être à ce point anti-patriote? En général, le nationalisme (fierté d’appartenir à), emporte forcément le patriotisme (amour pour la patrie). Au Cameroun, le constat est que, on est nationaliste et même patriote dans le discours mais fondamentalement anti-patriote dans les actes au quotidien. Nous voulons dans la présente réflexion, interroger ce paradoxe. Et ceci n’est nullement un chant de cygne mais le résultat d’une observation patiente et minutieuse.
Un ami venu à Paris pour un symposium m’a rapporté ce cri de Coeur d’un participant travaillant pour une organisation internationale : “Je ne sais pas ce qui ne va pas avec votre pays. J’ai déjà parcouru le monde mais je n’ai pas encore vu une telle volonté de se suicider de la part d’un peuple et de ses dirigeants. Je dispose de deux lignes de crédit de 10 millions de dollars chacune pour des projets au Cameroun. J’y étais par trois fois déjà où j’ai rencontré les autorités en charge du dossier ainsi que des cadres particulièrement compétents. Chaque fois, j’ai été bien reçu avec de grandes mises en scène. Mais j’ai l’impression que les dossiers sont bloqués. Et lorsque je mène ma petite enquête, je constate que les autorités qui m’ont toujours assuré de leur volonté de faire avancer les choses sont les principaux responsables de ces blocages. Je ne comprends rien à votre pays”, lui a t-il dit.
Cette histoire m’a rappelé celle d’un ami italien qui était venu au Cameroun plein d’enthousiasme pour faire les affaires. Il avait donc déposé ses bagages aux Cameroun et il était bourré d’argent pour ses projets. Après plusieurs années d’un parcours de combattant au bout duquel il avait perdu tout son fonds et réduit à vivre aux collets d’une femme, il me fit cette remarque à la fois pleine d’humour mais aussi de sagesse : “Etienne, tu sais c’est quoi ton pays là? C’est le bureau de complication des affaires simple. Si ailleurs dans le monde un problème paraît trop simple, il faut l’amener au Cameroun pour le faire compliquer”.
Arrivé en fin de séjour au Cameroun, l’Ambassadeur des Pays-Bas dans une interview accordée au journal “Le Messager” relevait lui aussi le paradoxe camerounais et reconnaissait sans ambages que le Camerounais n’était pas suffisamment patriote. C’est dire si le problème du Cameroun préoccupe le monde. Les autres peuples du monde aiment le Cameroun pour son football, pour l'intelligence de son peuple. J'ai eu encore à le mesurer récemment alors que je participais à un séminaire international regroupant 92 journalistes venant de 52 pays en voie de développement. Pendant ce séminaire, j'ai eu l'insigne honneur d'être élu leader du groupe et c'est à ce titre que j'ai délivré un speech à la cérémonie de clôture au nom des autres participants. J'ai réfléchi par rapport à cette marque de confiance et j'ai fini par comprendre que c'est plus l'aura du Cameroun que ma modeste personne qui m'a finalement permis d'accéder à ce privilège.
Mais le Cameroun aussi à l'extérieur, c'est beaucoup de paradoxes et finalement beaucoup de zones d'ombres. Ce sont aussi parfois des Camerounais qui détiennent le triste record des escros qui écument le monde en faisant des victimes. C'est vrai qu'à l'intérieur du triangle national aussi les odeurs de corruption qu'exhalent toutes ces affaires pourries ne sont pas de nature à changer l'image perçue du berceau de nos ancêtres. Une gangrène qu'on voudrait voir couper un jour ou l'autre afin que l'estime du monde envers le Cameroun soit enfin fructifié.
L’opération épervier en cours avait d’abord été saluée à ses débuts comme une opération mains propres pouvant débarrasser le pays de la gangrène et partir sur des bases nouvelles. Mais plus le temps passé, plus le doute et le scepticisme gagnent les esprits. D’aucuns n’hésitent plus à n’y voir qu’un vulgaire règlement de comptes entre canailles se battant soit pour la conquête ou la conservation du pouvoir. En fait, dans un tel scénario, on commence d’abord par se réjouir de l’arrestation et de l’embastillement d’untel parce qu’il n’est pas de ma tribu, d’untel autre parce qu’il est de ma tribu et sa disparition m’ouvre aussi des chances, d’untel autre encore parce qu’il en mettait plein les yeux à tout le monde… Jusqu’à ce qu’on comprenne que ce qui se passe n’est que les prémisses d’un suicide collectif. On finit par se rendre compte alors, que l’autre n’est pas très différent de moi et que ce qui lui arrive peut m’arriver, que ce soit déjà d’ailleurs en train de m’arriver.
Dans une réflexion que j’avais faite après l’arrestation de Polycarpe Abah Abah, je parlais de gâchis pour le Cameroun et je m’étais même permis une métaphore forte de l’agneau de Dieu qui peut enlever le péché du Cameroun. En restant au premier degré de la compréhension, certaines personnes n’avaient rien compris et croyaient que je prenais la défense de l’ancien ministre embastillé. Oui, peut-être prenais-je la défense du jeune cadre que j’avais connu et qui était plein de volontarisme et non celle du détourneur de fonds publics qu’il était devenu par la suite pris comme il était dans la mécanique du système. Aujourd’hui, un tel article peut être écrit pour Siyam Siwé, pour Olenguena Awono, pour Atangana Mébara et demain, qui sait, pour bien d’autres, y compris Paul Biya qui, hier étaient aussi des "bons", avant de devenir de simples "morceaux de calebasse brisée".
Mais revenons sur ce mal qui ronge le Cameroun. Nous sommes des Africains et lorsqu'à un moment donné, plus rien ne va pour nous, nous sommes en droit de nous poser cette double question : qu'est ce que nous avons fait et que nous n'aurions jamais dû faire? Qu'est ce que nous n'avons pas fait que nous aurons dû absolument faire?
Sur cette pathologie, j’émets l’hypothèse d’un nationalisme non assumé et finalement mal orienté. Et pour soutenir cette hypothèse, posons le postulat suivant : lorsque le gap entre les aspirations profondes d’un individu ou d’un peuple et ce que les contraintes sociopolitiques et économiques lui imposent quotidiennement, est trop grand, cette personne ou ce peuple a tendance à entrer en résistance camouflée et développe de ce fait des comportements bizarres et paradoxaux. Prenons par exemple le cas d’un journaliste ayant des convictions de gauche mais que les contraintes alimentaires poussent à travailler dans un journal de l’extrême droite. S’il ne trouve pas des espaces où il va se défouler et soulager sa conscience, il est possible qu’il verse dans l’alcool et se détruise inexorablement. Tout cela, parce que pour un être humain, la conscience reste le maître absolu, n’ayant aucune autre autorité au dessus d’elle. C’est certainement ce que le Cameroun et les Camerounais expérimentent aujourd’hui. Notre pays souffrirait de convictions non assumées tout simplement par manque de courage de ses dirigeants et de son peuple.
Contrairement à ce qu’on peut penser, le Cameroun vit aujourd’hui un réveil de son nationalisme consécutif à la vague des privatisations intervenues dans les années 1990 et qui a vu plusieurs entreprises étatiques reprises par les intérêts étrangers. Voyant l’économie retomber entre les mains des nouveaux colons, les nationalistes de tout bord, qui sont plus nombreux dans la classe politique camerounaise qu’on ne le croit, préfèrent détruire cette économie au lieu de la voir faire le bonheur de ceux qu’ils considèrent comme des nouveaux colons. C’est cette destruction de l’économie qui se matérialise entre autre par les détournements des deniers publics et autres blocages des projets. Cela rappelle les nationalistes qui pendant les périodes chaudes du maquis à l’Ouest Cameroun avaient pris sur eux de détruire leurs propres champs de caféiers en signe de révolte contre le colon français. Lorsqu’on voit aujourd’hui les tonnes d’énergie que débauchent quotidiennement certains Camerounais, malheureusement de plus en plus nombreux, pour détruire ce que les autres construisent, pour bloquer les projets en mettant les bâtons dans les roués de leurs collègues entreprenants, il ne peut pas y avoir d’autres explications que celle d’un nationalisme mal orienté : puisque le retour du colon est subtil et qu’on ne peut pas le dénoncer ouvertement sans courir le risqué d’un anachronisme ou sans se faire taper dessus par les relais nationaux, ce qui arrive à Lapiro de Mbanga par exemple, beaucoup préfèrent se camoufler pour poser des actes de destruction de l’économie.
Se comportant comme ils le font aujourd’hui, les nationalistes camerounais adoptent le comportement du ver de terre fâché. En effet, lorsque le ver de terre est fâché soit parce qu’on lui a piétiné la queue ou tout simplement par ce qu’on l’a tiré de sa cachette, elle a l’habitude de se découper en plusieurs morceaux et meurt par la même occasion. La question qu’on peut se poser à ce niveau est celle-ci : mais d’où lui vient ce nationalisme exacerbé au peuple camerounais?

50 ans déjà et pourtant…
Le nationalisme camerounais porte la marque de fabrique de l’union des populations du Cameroun (UPC) dont le Mpodol Ruben Um Nyobe était le leader incontesté. En l’exécutant il y a 50 ans, le colon croyait étouffer ce nationalisme et décourager toute tentative de reprise en main. Mais non, c’était comme si on éteignait un feu avec de l’essence. Le 13 septembre 1958, ce n’est donc pas uniquement un homme qui a été abattu dans la forêt de Boumnyebel par la milice coloniale. Ce jour là, c’est le destin de tout un peuple qui a bascule. Et ceci pour une seule chose : avant d’être un parti politique aspirant à gouverner le Cameroun, l’UPC était d’abord un mouvement de libération du peuple camerounais et de revendication de la dignité humaine pour ce même peuple.. Et de ce fait, il avait réussi à conquérir le coeur des Camerounais sans exception. Les revendications de cette UPC là reposaient sur des faits concrets, palpables dont chacun pouvait se rendre compte au quotidien et puiser dans l’effet de groupe, entretenu par les syndicats, la force nécessaire pour dominer en lui l’homme égoïste et poltron généralement hostile au changement. Ces faits comprenaient entre autres, des discriminations insupportables et des tentatives d’animalisation de l’homme autochtone par le colon.
Comme me le rappelait Léopold Moumé Etia au cours d’un entretien, l’indigène qui s’aventurait à Bonanjo sans laissez-passer le faisait à ses risques et périls. Et pourtant le jeune syndicaliste Moumé Etia, un brin provocateur, décida de défier cette loi scélérate. C’était un jour de 1947, le jeune Moumé Etia revenait de France où il a subi une formation de syndicaliste. Il décide alors d’aller à Bonanjo acheter une baguette. Ce qui constituait en fait une double infraction. D’abord le fait d’entrer dans Bonanjo sans laissez-passer et ensuite le fait pour un indigène d’éprouver le désir de manger du pain. Le boulanger lui aurait dit ceci : “un indigène, çà mange des tubercules et d’autres cochonneries qui vont avec mais jamais du pain”. Mais sans se démonter, Moumé Etia s’est donc présenté à la boulangerie et a refusé de présenter son laissez-passer qu’il n’avait évidemment pas. Et il a eu l’outrecuidance de dire au boulanger qu’il achetait du pain pour lui même parce qu’il aimait bien manger du pain et parce qu’il en avait mangé en France. En fait, un indigène ne pouvait acheter du pain que s’il prouvait, document à l’appui, qu’il l’achetait pour son maître Blanc. Moumé Etia a donc décidé de défier le racisme du colon. Evidemment, cette audace a faille l’envoyer en prison n’eût été l’action de certains syndicalistes tel Gaston Donnat. Des actes héroïques comme ceux de Léopold Moumé Etia d’autres Camerounais les avaient pose et c’est ainsi que s’est façonné le nationalisme camerounais.
En 1958 donc, la balle qui a fauché le Mpodol alors qu’il tentait de franchir un tronc d’arbre, a tué symboliquement l’homme politique au Cameroun en général. Certains témoignages rapportent que ce jour là, l’establishment politique autour d’Ahidjo avait cassé le champagne en signe de victoire. Mais au fond d’eux-mêmes et de tous les autres Camerounais qui étaient fortement politisés à l’époque, parce qu’ayant assimilés les enseignements de l’UPC, ils avaient tôt fait de renvoyer dans leur subconscient, les regrets qu’ils ne savaient comment et qu’ils ne sauront jamais comment assumer. Ce jour là, au delà de la classe politique, d’autres Camerounais encore sur les bancs des universités françaises et ailleurs subirent l’affront en direct. Ils avaient pour noms : Ossende Afana, Ngouo Woungly Massaga, François Sengat Kuo, Paul Biya, William Aurelien Etéki Mboumoua, Ayissi Mvodo Victor, Abel Eyinga... Mais incapables pour beaucoup de s’assumer ouvertement comme le fit héroïquement Ossende Afana, ils sont rentrés dans une résistance camouflée. Pour survivre politiquement et même économiquement, ils ont été obligés d’adopter une nature schizophrène qui leur permet de servir le régime pro colonial d’Ahmadou Ahidjo et de temps à autre investir les rôles de nationalistes camouflés. A la direction de l’UPC en exil, certains étaient bien connus et on les appelait des “Nicodèmes” pour nom de code. En les accueillant, Ahidjo croyait accueillir des partisans convaincus par sa politique. Mais en réalité, ce n’était que des nationalistes vaincus qui intérieurement gardaient une dent au colon même si parfois ils l’ignoraient eux-mêmes. Même certaines sorties de Ahidjo, par exemple sur la création de la Camair, montrait bien cet éclair nationaliste.
Au demeurant, c’est parce qu’elle ne veut pas exorciser la mort de Ruben Um Nyobe et de tous ses camarades, que la classe politique camerounaise en général et les dirigeants en particulier se comportent comme des vers de terre. Par ailleurs, c’est parce que le peuple, instrumentalisé politiquement mais en réalité fondamentalement dépolitisé n’accepte pas sa condition et ne partage pas l’idéal des dirigeants qui avaient cautionné l’assassinat de l’espoir qu’était Um Nyobe et son mouvement, qu’il se comporte lui aussi en ver de terre, qu’il préfère se découper en morceau en découpant malheureusement le Cameroun.
Et pourtant Ruben Um Nyobè n’était pas un pouvoiriste. Il ne percevait pas l’UPC comme un simple instrument de conquête du pouvoir. Si cela avait été le cas, il aurait fait les compromis en réalité compromissions, sollicitées par le colon à travers le pouvoir de l’époque pour qu’il ait la vie sauve et qu’il partage le pouvoir. Ruben Um Nyobè n’était pas un extrémiste survolté comme avait tenté de le présenter la propagande colonialiste mais un leader assez posé et ayant le sens de la répartie. En témoigne cette déclaration faite au plus fort du combat nationaliste : “Nous sommes contre les colonialistes et leurs homes de main, qu’ils soient blancs, noirs jaunes et nous sommes les allies de tous les partisans du droit des peuples et nations à disposer d’eux-mêmes, sans considération de couleur”.
En ce mois de septembre fatidique, le Mpodol savait que le nombre de traîtres, chasseurs de primes dans ses rangs avait presque quadruplé; il savait que l’armée coloniale avait déjà repéré son maquis; il se savait encerclé et sans moyens pour se défendre. Et pourtant il a refusé de trahir la confiance placée en lui par le peuple camerounais. En réalité, le Mpodol s’est suicide. Il s’est livré à ses ennemis parce que selon lui, sa mission était accomplie. Il savait son héritage immense.
Le problème qui tourmente le Cameroun aujourd'hui et qui risque le tourmenter encore pendant longtemps si rien n'est fait, c'est celui du rapport à son histoire. Nous nous étions fait des gorges bien chaudes, nous avons vigoureusement protesté après que Nicolas Sarkozy a osé, dans le fameux discours de Dakar, dénier le bénéfice de l'histoire à l'Afrique et aux Africains en ces termes : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles». Une protestation tout à fait légitime. Mais, entre nous, que faisons nous de notre histoire? En sommes nous fiers ou en avons-nous honte? Si nous en sommes fiers, pourquoi ne la glorifions-nous pas?
Certaines villes camerounaises à l'instar de Yaoundé, Douala ou encore Bafoussam, ont entrepris, pour des besoins d'adressage, de baptiser les rues. Mais quelle n'a pas été ma surprise de constater que plusieurs rues dans ces villes portent soit de simples numéros qui ne renvoient à rien, soit des noms d'arbres comme c'est le cas au quartier Biyem-Assi à Yaoundé avec la célèbre rue des acacias ou encore rue des manguiers qui a fini par désigner tout un quartier.
Qu'est ce que cela veut dire finalement? Cela veut dire qu'en décryptant l'histoire aussi bien lointaine ou récente du Cameroun, les Maires de ces villes n'ont pas repéré des Camerounais valeureux ayant fait acte de bravoure et dont les noms pourraient fleurir dans nos rues. Cela veut dire que, dans la tête de ceux qui sont aux affaires aujourd'hui et qui détiennent donc la décision de glorifier ce passé en récompensant ses héros, n'ont pas encore pu accéder au stade de réconciliation et de concorde nationale qui fait qu'il ne puisse plus y avoir de Camerounais à part et des Camerounais à part entière. Qu'on ne peut pas continuer à avoir dans ce pays des personnes bannies tout simplement parce que hier, ils s'élevèrent contre les colons ou leurs représentants. Qu'au contraire, ils méritent réhabilitation dont la conséquence est l'élévation des stèles à leur honneur.
Et pourtant, ce ne sont pas des héros qui nous manquent. A Yaoundé par exemple, à la fin du 19e siècle, un groupe de chefs traditionnels s'élevèrent contre le colon. Trahis par certains de leurs confrères ils furent arrêtés par le colon allemand et exécuté à Etoa Meki. Lesquels traîtres, le colon nous a imposé comme étant des modèles méritant des stèles. La ville de Yaoundé a l'obligation de réécrire cette partie de son histoire et réhabiliter ses héros. A Douala, Rudolph Doualla Manga Bell, pendu par les Allemand ne s'était pas battu tout seul. Il avait des partisans qui sont morts avec lui. Qui étaient-ils? Il y même des anonymes qui s'étaient battus contre les brimades des colons. Qui étaient-ils? La ville de Douala a l'obligation morale de les faire connaître et les faire renaître dans ses rues. Il y a plus près de nous, ceux qui s'étaient battus pour que nous ayons l'indépendance, pour que le Cameroun ne soit pas l'Afrique du Sud ou le Zimbabwé. Nous avons cueilli et continuons à cueillir le fruit de leur travail. Ne soyons pas ingrats. Donnons leur ce qui en réalité ne peut plus leur servir à grand-chose dans cette vie qui est la notre puisqu'ils l'ont quitté depuis fort longtemps.
Par le passé, l'erreur et parfois l'étroitesse d'esprit des gouvernants a fait croire qu'on pouvait effacer les traces des héros en gommant leurs noms des livres d'histoire ou tout simplement en déformant cette histoire. Lorsque j'étais jeune, j'ai entendu parler de Ruben Um Nyobe mais en des termes effroyables. La personne qui avait osé en parler disait de lui qu'il s'agissait d'une espèce de gros oiseau qui vivait dans les arbres dans la forêt du pays Bassa et que de temps à autre, il descendait pour semer la terreur. Jamais je n'avais pensé qu'il s'agissait d'un être humain. Plus tard, lorsque je verrai sa photo, celle d'un homme sanglé dans un costume, j'ai compris comment le plus fort peut imposer sa vérité et en faire la vérité.

L’héritage du Mpodol
Aujourd’hui l’héritage de l’UPC, non pas le parti politique que les Kodock et consort ont dévoyé mais bien le mouvement de revendication et de libération du Cameroun, cet héritage là est immense. Le tribalisme qui est l’un des fléaux les plus présents au Cameroun aujourd’hui avait déjà trouvé une solution du temps des Um Nyobe et les autres. Et qu’on ne me parle pas du multipartisme puisqu’à l’époque, ils étaient déjà dans un système multipartisan. Ainsi, doit-on relever le nombre de mariages mixtes des leaders ; Ernest Ouandié, Bamiléké de Bangou avait convolé en justes noces avec une femme Bassa d’Edéa; Félix Roland Moumié, Bamoun de Foumban avait pris pour épouse, une bulu de Lolodorf; Charles Assalé, Bulu d’Ebolowa, avait épousé une peule de Maroua. Et la liste n’est pas exhaustive.
C’est grâce à la pression de l’UPC, qu’après l’indépendance, Ahidjo a procédé à une camerounisation plus que accélérée des cadres de la fonction publique. Aujourd’hui, en dehors de quelques coopérants du reste très discrets, il est difficile de voir les descendants des colons dans l’administration camerounaise comme c’est le cas dans certains pays africains ayant subi le même parcours.
C’est grâce au nationalisme de l’UPC, que le Cameroun est différent du Gabon, de la Côte d’Ivoire, du Tchad… Il est différent parce que la France n’a pas pu y installer une base militaire comme dans les pays précédemment cités. Lorsqu’il arrive qu’un officier français vienne au Cameroun pour une assistance technique, il enfile l’uniforme de l’armée camerounaise et se met sous les ordres du commandant des armées.
Aujourd'hui, le Camerounais ordinaire est un homme foncièrement nationaliste. La preuve, cette histoire qui se déroule dans une entreprise camerounaise privatisée tombée sous le contrôle d'un grand groupe français. Une altercation a eu lieu entre un dirigeant expatrié de l'entreprise et son subalterne, un Camerounais. On ne saura jamais ce qui s'est passé exactement mais toujours est-il que le subalterne a administré une gifle mémorable à son patron "blanc". Aux dires des témoins, ce dernier était devenu tout rouge. C'est alors qu'un des dirigeants de l'entreprise, un Camerounais, propose à son collègue expatrié de l'accompagner chez le gouverneur de la province afin que ce "crime" soit porté à la connaissance du représentant du chef de l'Etat. Lorsqu'ils y arrivent, le gouverneur affiche son indignation face à un tel comportement de la part d'un subalterne. Et puis s'adressant au Camerounais dans une langue nationale, il dit : "Est-ce qu'il a vraiment bien assené cette gifle là?". L'autre répondit par l'affirmative et le gouverneur de lui dire : "Tu lui diras qu'il est un homme". Puis, se tournant vers l'expatrié, il lui proposa la solution suivante : "Chez nous, lorsqu'un subalterne fait preuve d'une telle audace, il faut le pardonner et même en faire un ami". Voilà sous quelle forme le nationalisme camerounais peut aussi s'exprimer des fois.
C’est grâce à la lutte de l’UPC que l’apartheid qui avait pris pied dans la ville de Douala et dans d’autres localités camerounaises avait été stoppé. Le combat qui continue aujourd’hui en Afrique du Sud et au Zimbabwe avait été remporté par le Cameroun des Um Nyobe dès les années 50.
C’est donc finalement à une séance d’exorcisme que doit se soumettre le peuple Cameroun et ses dirigeants, question de s’assumer et d’assumer l’héritage de Ruben Um Nyobè et ses Camarades de lutte. Il reste à trouver la forme que prendra une telle opération. C’est peut-être ce qu’à une certaine époque, certains réclamèrent sous le nom de conférence nationale souveraine. Qui sait?

Etienne de Tayo
Promoteur “Afrique Intègre”
http://www.edetayo.blogspot.com/