lundi 23 février 2009

GUADELOUPE : PROBLEME POLITIQUE, SOLUTION ALIMENTAIRE


Depuis près de cinq semaines maintenant, la Guadeloupe, mais aussi la Martinique, deux départements français d'outre mer, font face à une vague de manifestation de rue cordonnées par le collectif Liyannaj Kont Pwofitasyon (mouvement contre l'exploitation outrancière) regroupant une quarantaine de syndicats et d'associations. Officiellement, les manifestants protestent contre la vie chère un peu comme ce qui s'est passé dans certains pays du tiers monde. Ils réclament une prime de 200 euros au patronat. Mais à y regarder de près, le mal serait plus profond.

En recevant les élus ultra-marins, après qu'un homme a été tué lors des manifestations, le président de la République Nicolas Sarkozy a annoncé le déblocage d'une somme de 580 millions d'euros pour satisfaire les revendications des manifestants. Cette réponse alimentaire montre bien qu'au niveau de l'Elysée, la perception du problème est simple et même simpliste : c'est la famine, consécutive à la vie chère, qui a poussé les Guadeloupéens dans les rues. Au sortir de l'Elysée, les élus n'ont pas manqué de se prêter au traditionnelles déclarations à la presse et tenter de faire passer un message d'apaisement.
Nous avons assisté là à une mise en scène politique et une mise en sens médiatique parfaitement orchestrées. Sauf que cela risque ne pas être suffisant pour éteindre les feux de la Guadeloupe. D'abord parce que, comme l'a observé le chef de l'Etat lui-même, "la crise actuelle n'est que le révélateur des problèmes très anciens auxquels on n'a jamais apporté de solutions". Ensuite parce que aux problèmes sociaux, sont venus se greffer d'autres relatives à l'absence de reconnaissance au sein de la nation française et à la soif de liberté tout simplement. Et enfin parce que les porteurs du message d'apaisement que sont les politiques de la Guadeloupe ont été tout simplement éclipsé voire même disqualifiés depuis le début des manifestations. C'est pourquoi, la manœuvre consistant pour le président de la République à recevoir les élus ultra-marins, qui n'ont malheureusement aucune prise sur les manifestations, peut être contre productif à plus d'un titre.
En fait, la nation française fait face en Guadeloupe à un problème éminemment politique qui, parce qu'il avance masqué ou parce qu'il n'est pas porté directement par les politiques, prend les apparences d'un problème alimentaire qui n'en ai en fait que le prétexte. On n'en veut pour preuve ces morceaux choisis des prises de parole de Elie Domota, parte parole de LKP qui se défend pourtant d'être un politique mais dont la portée politique crève l'œil : "il y a plein de problèmes qui ne concernent pas directement au pouvoir d'achat" (…) "nous avons la démonstration aujourd'hui que nous devons prendre notre destin en main car la politique publique de l'Etat français ne répond pas à nos exigences" (…) "la Guadeloupe est une colonie…" (…) "je crois que tout le monde aura compris que les Guadeloupéens sont traités avec le plus grand mépris" (…) "lorsqu'un problème survient en métropole, le président de la République se déplace, nous n'avons jamais eu droit à ces égards là". On citerait aussi ces récriminations des manifestants anonymes diffusées par TF1 : "les Békès sont tous pareils. Ils ne se mélangent pas aux nègres".
Tout est presque dit dans ces fragments de harangue du leader guadeloupéen. Et Elie Domota est certainement loin d'en mesurer la portée non seulement politique mais aussi rebelle et révolutionnaire. On peut penser qu'il s'agit des enchères lancées pour tenter de tenir une meilleure position de négociation. De par sa posture intellectuelle – il a un troisième cycle en urbanisme – Elie Domota parvient ainsi à la politisation subtile des problèmes sociaux mais en passant par une dépolitisation du discours politique et même à une désacralisation du politique en ce sens que le discours politique n'est plus l'apanage des seuls acteurs politiques et qu'on n'a plus besoin d'être un politique pour le tenir et le faire passer. Elie Domota peut balancer des choses aussi graves avec d'autant plus d'aisance qu'il n'est pas un politique et ne s'en revendique d'ailleurs pas. Il n'a donc pas besoin de tourner sa langue mille fois avant de parler. Cela participe de la banalisation à la fois de la politique et du politique. Cela est la conséquence de la vacuité des discours politiques, vacuité consécutive à la peopolisation de l'activité politique qui fait que le peuple prenne de moins en moins les hommes politiques au sérieux et préfère se trouver de nouveaux leaders qui ne se réclament pas du champ politique mais dont le discours se politise au fil des harangues. Dans ce cas, comme le souligne Patrick Charaudeau, "ce n'est pas le discours qui est politique mais la situation de communication qui le rend politique".
Finalement, le problème politique qui n'apparaît ici qu'en filigrane, parce que noyé dans une sorte d'hypocrisie à la française, se décline en deux accusations majeures : le presque apartheid dans les îles où les Békès, descendants de colons blancs, ont de la peine à se mélanger aux autres communautés d'origines africaines et indiennes et la presque certitude des ultra marins d'être des Français entièrement à part. Et c'est un orateur de la manifestation de Paris qui le traduit bien lorsqu'il a parlé de "la souffrance des Antillais, lesquels sont confinés dans une sorte de sous-France, c'est-à-dire une France au rabais". Mais il aura fallu du temps à ce peuple pour parvenir à cette prise de conscience. Nous pouvons constater que pour satisfaire ces deux revendications politiques qui relèvent plutôt d'un besoin de reconnaissance, l'argent n'entre pas directement en jeu. Et pourtant l'homme politique, qui perçoit bien le message, préfère opter pour des solutions alimentaires certes plus spectaculaires et plus facile à mettre en récit par les journalistes, mais complètement inefficaces à terme.
Dans le présent article, nous allons analyser le contexte de ces manifestations et les éléments objectifs qui ont conduit à son émergence. Nous verrons ensuite comment est-ce que les ultra marins notamment au travers du mouvement LKP, ont construit la visibilité sociale en déconstruisant les mythologies politiques et un certain imaginaire anthropologique, préalable à toute politisation des problèmes sociaux. Nous verrons enfin pourquoi certaines recettes du passé tendant à la prévention des manifestations s'avèrent aujourd'hui inopérantes.
D'abord, nous postulons le fait qu'à problème politique, pour être efficace, il faut apporter une réponse politique. Et qu'à chaque fois qu'une solution alimentaire a été apportée à un problème politique, ce dernier est souvent revenu quelques années après avec parfois plus d'ampleur. En médecine, on appelle cela des rechutes dans le cadre des maladies mal soignées.

Le politique à la remorque
Partout dans le monde et plus particulièrement dans les régions délaissées, les peuples sont parvenus à la conclusion que les politiques, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition mentent impunément et se jouent d'eux. Ils préfèrent donc placer leur destin entre les mains de personnes qui ne se réclame pas de la politique.
Les mouvements des Antilles françaises surviennent donc dans un contexte marqué par une sorte d'autonomisation des mouvements sociaux et surtout leur politisation. Non pas parce qu'ils tombent dans l'escarcelle des politiques mais parce que, sans nécessairement adopter des postures politiques ou politisantes, les leaders sociaux réussissent à insuffler un substrat politique à leurs revendications. Cette situation, on l'a observé dans la plus part des pays où les émeutes de la faim ont eu lieu : au Cameroun, au Sénégal, au Mali… Partout les hommes politiques, victimes de la disqualification du peuple en tant que porteurs du message politique, étaient obligés de courir après les leaders sociaux pour espérer une récupération des manifestations. C'est ce qui s'observe aujourd'hui avec les leaders politiques français. Segolène Royal, José Bové, Olivier Besansnot, sillonnent actuellement les Antilles et chacun d'eux s'arrange pour s'afficher avec Elie Domota, le leader de la contestation antillaise. Après avoir fait la tournée des Antilles, Christiane Taubira a tenu à prendre la parole à l'issue de la manifestation de Paris. Manifestation à laquelle tous les partis de gauche ainsi que les syndicats étaient représentés.
Le contexte est aussi celui du lendemain de l'élection de Barack Obama à la tête des Etats-Unis. L'onde de choc qui a traversé le monde entier n'a donc pas épargné les Antilles française où, bien que le rêve ayant fané depuis des lustres, la fierté de voir un nègre élu à la tête de l'une des nations la plus puissante du monde est encore fraîche. Comme je le soulignais déjà dans une précédente réflexion, cela est d'un apport symbolique majeur pour toutes les populations noires de la planète. Le "Yes We Can" de Barack Obama n'est pas seulement une parole lancée en l'air comme çà juste pour gagner une élection. Il s'agit d'une parole inspirée portée par un Messie. Et même s'ils ne le rendent pas toujours intelligible pour eux-mêmes, c'est comme cela que les populations des Antilles ont compris et assimilé le message lancé par Barack Obama à travers "Yes We Can" qui veut dire en Français : "Oui, nous pouvons". C'est certainement en pensant à Barack Obama que les Antillais ont trouvé en Elie Domota leur propre Messie. Selon le journal "l'Express", "les évangélistes de l'île disent qu'il porte le prénom de l'élu (Elie) et que son père était charpentier comme Joseph". C'est dire s'ils ont décidé de placer leur leader très haut dans la hiérarchie des symboles.
Voyons maintenant comment la prise de conscience s'est opérée dans les îles. Elle s'est essentiellement construite au travers de deux tableaux majeurs : D'abord le contact avec l'Afrique qui est une sorte de retour symbolique à la Terre promise pour les noirs de la diaspora en général et ceux des Antilles françaises en particulier. Ensuite, l'ouverture au monde des ultra-marins, ce qui leur a permis de sortir d'une sorte de bulle séculaire dans laquelle ils étaient enfermés et dans laquelle malheureusement, beaucoup d'entre eux restent enfermés.

La rencontre avec l'Afrique
Les contacts fructueux des ultra-marins avec l'Afrique et les Africains n'ont été possible qu'après que le contentieux historique né d'un mensonge séculaire consistant à dire que ce sont les Africains qui avaient vendus leurs frères Antillais en esclavage, ait été aplani grâce aux travaux de plusieurs intellectuels africains et Antillais réunis au sein de l'institut africamaat et autres structures de même acabit. C'est donc au travers des conférences organisées aussi bien en métropole que dans les îles que ces intellectuels ont réussi non sans peine à démonter le mensonge. Il faut dire que la tâche n'était pas du tout facile puisque, s'étant mué en haine avec le temps, le mensonge était presque gardé en héritage par les Antillais. Et pour cause, c'est dès la descente des bateaux négriers que les esclaves capturés en Afrique recevaient en même temps qu'ils recevaient le baptême du prêtre, ce bout de phrase : "sache que si tu es devenu esclave, c'est parce que ton frère qui est en Afrique a décidé de te vendre".
Le mensonge éloigné et le contentieux vidé, le rapprochement et les échanges entre les deux frères Antillais et Africains, éloignés par l'histoire et par la tragédie, ont petit à petit pris corps. Un concours de circonstance a fait que les Africains ayant étudié en Métropole et victimes des discriminations ont pensé à aller servir dans les Antilles. Les premiers contacts n'ont pas été faciles en raison du contentieux sus évoqué. Les Antillais trouvant que, non content de les avoir vendu en esclavage, les Africains ont encore l'outrecuidance de venir les narguer sur leur lieu d'exil. Ils se regardaient presque en chiens de faïence mais très vite, ils compris qu'ils avaient quelque chose qui leur était commun. Et cette chose là s'appelait l'Afrique : "Cela a d'abord commencé par des petites curiosités des Antillais qui sollicitaient les Africains afin qu'ils leur parlent de l'Afrique. Mais ils ont constaté que les Africains n'avaient pas cette profondeur de l'amour de l'Afrique qui était la leur. Ce qui était tout à fait compréhensible : lorsqu'on croit posséder quelque chose, on ne lui accorde pas toujours la même valeur que celui qui y aspire", commente Jean Philippe Omotundé.
De leur coté, les Africains se sont montrés impressionnés par cette expertise dont font preuve les Antillais par rapport à l'Afrique. Mais ils ont remarqué aussi chez les Antillais, une certaine révolte sourde dont ces derniers ne savaient pas toujours comment l'exprimer et même la canaliser. Ayant vécu sous des régimes dictatoriaux, les Africains ont appris à exprimer et à canaliser leur révolte. C'est cette dépendance mutuelle qui a poussé les Antillais et les Africains vivant dans les Antilles françaises à se mettre ensemble et à lier leurs destins : "Il ont commencé à organiser des conférences ensemble et je peux vous assurer que ce sont les Antillais qui se sont mis à apprendre aux Africains comment ils doivent afficher leur africanité. Ils ne comprenaient pas pourquoi les Africains qui pourtant devaient leur aider à faire un retour aux sources du moins au plan vestimentaire, aimaient tant se mettre en costume. Désormais, lorsqu'on organisait des conférences, tous les Africains qui n'étaient pas habillés en tenue africaine étaient priés d'aller en trouver une", se souvient Omotundé.
Par la suite, la destination africaine a été ouverte pour les Antillais. Désormais, les Antillais vont en Afrique non plus en tant que colon comme ce fut le cas dans l'histoire mais comme fils du continent mère à la recherche de leurs racines. C'est ainsi que des structures se sont créer pour faciliter cette dynamique. On peut citer le cas de la famille Njah qui a créé un village au Benin où les Antillais viennent se ressourcer. Les mariages entre Antillais et Africains se sont multipliés et aujourd'hui le nombre d'Antillais investissant en Afrique est très élevé.
Il y a eu un autre rapprochement entre l'Afrique et les Antilles favorisé au début des années 1980 par la tournée du groupe Kassav en Afrique. Dans tous les pays où ils sont passés, Jacob Desvarieux et ses camarades ont provoqué des liesses populaires. Leur musique a été adoptée en Afrique autant que eux –mêmes. Ces tournées africaines et l'écho que cela a eu auprès des Antillais a contribué à faire reculer le mensonge et à renforcer la communauté de destins entre les Africains et les Antillais.
Aujourd'hui, plus que par le passé, les jeunes Antillais vont plus facilement en Afrique. Là bas, ils voient comment les hommes et les femmes qui leur sont proches, du moins morphologiquement, se battent pour leur liberté et résistent à l'oppression. Cela les a éloigné d'un autre mensonge selon lequel, les Africains étaient incapables d'une quelconque résistance. Et que pendant l'esclavage, ils se laissaient attraper comme des criquets. Les jeunes Antillais reviennent désormais d'Afrique avec des DVD, non pas de musique, ce nectar qui les a souvent enivré au point de les endormir, mais des DVD de manifestations socio politiques. C'est dire si ces jeunes qui érigent des barricades en Guadeloupe aujourd'hui, font désormais reposer leurs revendications sur un socle politique plutôt solide. Ils se posent désormais des questions que leurs aînés et leurs parents ne s'étaient jamais posées. C'est vrai que lorsqu'on sort de 4 siècles d'esclavage, on prend au moins un siècle pour admirer les mains débarrassées de chaînes, on prend un autre siècle pour jouir de la vie au sens orgasmique du terme. Et au final, cela peut prendre beaucoup de temps.

L'ouverture au monde
Comme certains jeunes dans les banlieues françaises échaudés par les discriminations, des jeunes des Antilles ont eux aussi pris le chemin de la métropole ou même des pays d'Europe et l'Amérique pour y entreprendre des études afin d'échapper au destin qu'ils croient que la République leur a concocté. Là bas, ils entreprennent des études supérieures et parviennent grâce à la science acquise à questionner leur propre condition ainsi que celle de leurs congénères qu'ils ont laissé dans les îles. Revenus justement dans les îles, quelque soit le poste qu'ils occupent, ils se lancent généralement dans des entreprises de conscientisation visant à faire comprendre aux jeunes qu'ils ont plus de droits que ce que la République leur offre aujourd'hui ou encore à dénoncer les capitalistes dans leur recherche effrénée de profits.
Le cas le plus palpable aujourd'hui est celui de Elie Domota qui, après avoir soutenu un troisième cycle en urbanisme à l'université de Limoges, a préféré retourner travailler dans l'île et parfaire cette conscientisation. Ce qui est sûr c'est que, s'il n'avait pas quitté son île natale pour la métropole, s'il n'avait pas engrangé le bagage intellectuel qui lui offre aujourd'hui une respectabilité singulière auprès des jeunes, s'il n'était pas un haut responsable au sein de l'ANPE, il aurait certes eu le charisme du leader qu'il est mais il lui aurait manqué des éléments objectifs, que les Grecs appelaient "l'éthos", pour avoir de l'ascendance sur les jeunes et même les vieux comme c'est le cas aujourd'hui.
Mais la conscientisation a surtout été facilitée par le déblayage que les médias étrangers, désormais reçus abondamment par câble sur l'île, ont fait en terme d'invite en terme de plus d'aspirations à la liberté. Ils ont aussi regardé les émeutes des banlieues françaises et vu comment les jeunes comme eux revendiquent leurs droits et obtiennent réparation. Ce n'est donc plus la peine de croire qu'on peut les enfermer dans les programmes de la seule "France O", une chaîne de télévision dédiée aux DOM TOM dans laquelle on danse à longueur de journée et ri aux éclats comme si le ré-enchantement du monde avait des résultats spectaculaires dans les îles.

Et demain les Antilles
Ceux qui dans la République échafaudent déjà des théories éculées de division doivent tenir du contexte de la survenance de ces manifestations. Un contexte qui comme nous l'avons vu est marqué par une prise de conscience substantielle. On voit déjà cette tentative de division à travers un certain groupe dénommé "la majorité silencieuse" qui balancent des spams en déversant leur venin sur Elie Domota, des nègres contre des nègres comme l'avait prédit Frantz Fanon.
Une constante se dégage du cri des Antillais aujourd'hui au-delà des invectives : la volonté de s'affirmer en faisant partie intégrante de la République. Cela revient constamment dans les discours des leaders et c'est d'ailleurs l'une des questions qui avaient longtemps taraudé Aimé Césaire et qu'il n'a d'ailleurs pas réussi à trancher jusqu'à la fin de ses jours. Frantz Fanon s'y était penché lui aussi avec l'approche ironique qu'on lui connaît. La question, la voici : après avoir posé le diagnostic de la souffrance des peuples jadis esclavagisé, que faire ensuite?
Moïse, trouvant son peuple esclavagisé en Egypte l'avait fait traverser pour la Terre promise. Aujourd'hui, certaines invectives des leaders antillais posent un diagnostic semblable mais se gardent bien de tracer les chemins de l'exil. Tous veulent imposer à la République, une société aux couleurs de l'arc en ciel. Suivons par exemple cette courbe tracée en phrases détachées par Christiane Taubira lors de sa prise de parole à l'issue de la manifestation de Paris : "La résistance à l'oppression est un droit naturel. L'égalité que nous exigeons, nous l'avons arraché. Nous voulons une société multiculturelle. Nous allons traquer les injustices, poursuivre les inégalités. Tout ce qui nous conduit à l'exil intérieur".
Un autre intervenant a préféré proposer la lecture des poèmes de Martin Luther King, apôtre de la non violence s'il en fut. Il proclamera d'abord : "ma colère ne peut plus tenir en cage", avant de conseiller à l'assistance : "ne te laisse pas envahir par la colère". Et enfin il donnera sa vision du conflit en cours : "ce n'est pas une histoire de blancs contre les noirs mais une histoire de blancs et de noirs qui ont décidé de se mettre ensemble pour donner un nouveau visage à l'humanité".
Les risques d'une dérive indépendantiste sont donc maigres pour ne pas dire nuls. Ceci une fois de plus en raison de l'histoire et de la trajectoire personnelle du peuple antillais. Lorsqu'ils parlent de la Guadeloupe ou de la Martinique, ils parlent de leur pays et se définissent comme "pep de Gwadloup". Mais ce n'est qu'une façon de s'exprimer, une forme de style propre à ce peuple, mais ne peut être renvoyé à aucune connotation.
Cette bonne tenue des Antillais tient au fait que, contrairement aux peuples aborigènes de la Nouvelle Calédonie par exemple, qui revendiquent une identité forte liée à leur terroir, les Antillais ne sont finalement que des immigrés dans ces îles où l'esclavage avait disséminé leurs ancêtres. Ils sont des immigrés sans base arrière puisque la métropole qui devrait être selon eux leur base arrière leur est subtilement contestée et l'Afrique qui est leur Terre promise est encore si éloignée, si floue.
Ils sont des immigrés d'un genre particulier parce que le négrier avait pris soin, en les amenant de détruire leur identité en commençant par la substitution de leur nom dans une démarche d'assimilation totale. Mais force est de reconnaître qu'un bout de cette identité reste enfouie quelque part en Afrique. Et ce quelque part leur est totalement inconnu. Même s'ils ne parviennent pas toujours à le rendre intelligible, la passion – qui se décline même parfois en devoir – de l'Antillais et même au-delà de tous les peuples de la diaspora africaine consiste en cette recherche de ce bout de l'identité enfouie quelque part en Afrique. Et cette recherche qui prend chaque jour forme pour plusieurs sera légué en héritage à la progéniture.
Pour expliciter cette part de l'Afrique qu'on retrouve chez tous les descendants d'esclaves, je déclinerai ici une anecdote vécue aux Etats-Unis. Au cours d'un voyage d'étude au pays de l'Oncle Sam auquel je prenais part, nous avons fait escale à Dalla sen partance pour Austin, la capitale du Texas. A l'aéroport de Dallas, quelques minutes avant notre atterrissage, l'information a circulé, je ne sais pas comment et pourquoi, annonçant le transit d'un groupe de journalistes originaires d'Afrique. Aussitôt, un groupe de femmes noires bien dodues - qui se perdraient facilement dans une foule de femmes d'un village du Ndé ou du Noun au Cameroun – s'est retrouvé spontanément au bas de l'escalier menant à la salle d'attente. J'ai encore frais en mémoire la conversation que j'eue avec l'une d'elle, remplie de joie devant l'Africain que j'étais. Non pas certainement pour ce que je suis de façon intrinsèque mais pour d'où je viens et surtout pour cette part de l'Afrique que je porte inconsciencieusement et qui la captive, la séduit, la dompte. Me regardant profondément et manquant de me prendre dans ses bras pour humer cette odeur sauvage et authentique de l'Afrique, elle m'a lancé avec un débit emphatique, sans que cela soit vraiment une question puisqu'elle en était convaincue : "So, you come from Africa!". Je lui réponds par l'affirmative et elle continue sur la même lancée : "How are you feel!". Je lui réponds que je me sens très bien. Alors, elle me souhaite bon séjour aux Etats-Unis et m'accompagne du regard alors que je disparais dans l'espace d'attente. J'ai compris qu'on n'échappe pas facilement à l'Afrique.
Il n'y a donc pas risque de rupture avec la République pour les Antillais. Par contre, du fait que la part de l'Afrique continuera à grandir dans le cœur et même dans l'âme de ces peuples, on ne peut envisager avec exactitude ce qui se produira un à deux siècles à venir lorsque l'Afrique, après avoir pansé ses blessures esclavagistes et coloniales ne sera plus appréhendée comme l'enfer sur terre mais plutôt comme la Terre promise prête à accueillir sa diaspora, lorsque de l'autre coté, les Antillais et tous les peuples de la diaspora, après s'être soigné de leur névrose dont parlait Frantz Fanon, auront porté à maturation leur rêve de retour.
Il y a aussi que si au sein de la République, on continue à traiter les DOM TOM comme une sorte de sous France, cela ne pourra que aggraver les souffrances des peuples des îles et les poussera à construire avec plus de rapidité et de détermination leur rêve de retour vers cet ailleurs qui les appelle.

Etienne de Tayo
Promoteur "Afrique Intègre"
www.edetayo.blogspot.com

dimanche 1 février 2009

LA GUERRE PREVENTIVE OU LE RETOUR A L'ERE PRIMITIVE


La théorie de la guerre préventive popularisée par l'administration Bush, repose sur une logique simple contenue dans cette phrase : "massacrer mon ennemi avant qu'il n'envisage de me tuer". Par un glissement sémantique astucieux, ses promoteurs cherchent souvent à l'assimiler à de la légitime défense.

Par sa brutalité, la guerre préventive renvoie à un état de guerre permanente entre les individus et les groupes d'individus. Une époque que les historiens situent très loin dans le temps lorsque les communautés humaines étaient encore commandées par des rois, véritables seigneurs de la guerre et impérialistes forcenés, dont la grandeur reposait dans leur capacité à défendre leur territoire comme les animaux, à l'agrandir en faisant la guerre à d'autres communautés. Ces rois belliqueux passaient le clair de leur temps à échafauder des théories guerrières. Et pour cela, ils pouvaient toujours compter sur ces conseils de Machiavel quand ils font main basse sur un nouveau territoire : "quand l'Etat conquis se trouve dans une autre contrée que l'Etat héréditaire, le prince conquérant doit se faire chef et protecteur des princes voisins les moins puissants de la contrée, travailler à affaiblir ceux d'entre eux qui sont les plus forts et empêcher que, sous un prétexte quelconque, un étranger aussi puissant que lui ne s'y introduise".
On croyait avoir tiré un trait sur ces dirigeants belliqueux avec la fin de la seconde guerre mondiale et la destruction du nazisme allemand et du fascisme italien. On pensait que désormais on aura à faire à des dirigeants travaillant pour le bonheur de leurs peuples et au ré enchantement du monde. Que non!
La théorie de la guerre préventive et son application sont des réalités bien vivantes aujourd'hui. L'administration Bush a été la première à évoquer le concept pour justifier sa guerre contre le terrorisme islamiste après les attentats du 11 septembre 2001. Elle a ainsi promis aux Américains d'aller tuer les membres d'Al quaïda, à qui elle fait porter la responsabilité des attentats, dans leurs grottes de Tora Bora en Afghanistan et partout où ils pouvaient se cacher, avant qu'ils n'envisagent de porter la guerre sur le territoire américain. On se souvient du mémorable stand up du président Américain, George W. Bush sur les décombre du World Trade Centre comme le symbole d'une Amérique qui veut rester debout et qui veut combattre pour venger ses victimes. A ce jour, la guerre d'Afghanistan, lancée en prévention des attentats sur le sol américain a déjà fait près d'un million de morts directs et indirects, pour la plupart des civils et autant de blessés.
On sait aussi que la guerre en Afghanistan et le combat contre le terrorisme en général a généré des lieux de torture comme la prison de Guantanamo et d'autres prisons sécrètes en Europe. Ce qui a fait reculer les Etats-Unis de près de trois siècles dans la promotion des droits de l'homme : des présumés terroristes sont maintenus enchaînés la tête dans une cagoule. Et pourtant l'objectif principal et promis qui était la mise hors d'état de nuire les présumés commanditaires des attentats du 11 septembre, est loin d'être atteint. On se souvient que le Mollah Omar, l'un des lieutenants de Ossama Ben Laden, avait réussi à échapper à ses poursuivants américains en prenant la fuite sur une… moto. Une vraie humiliation pour la plus puissante armée du monde disposant des missiles capables de repérer et de détruire n'importe quel engin. Quand à Ossama Ben Laden, il continue huit ans après à narguer l'Amérique à travers les communiqués radio télévisés. Communiqués dont les menaces y contenues obligent les passagers à se "déshabiller" dans les aéroports du monde pour cause d'attentats potentiels.
C'est toujours dans une optique préventive que l'administration Bush a justifié la destruction du régime de Saddam Hussein en utilisant au passage, le plus gros mensonge de l'histoire. A savoir que le régime irakien dispose des armes de destruction massive. Une tâche ingrate confiée au Général Collin Powell alors secrétaire d'Etat américain. La justification de la guerre préventive dans ce cas consistait à dire que Saddam Hussein, dont on avait déjà mesuré la paranoïa dans sa tentative d'annexion du Koweit, pourrait utiliser ses armes contre l'allié américain du proche Orient qu'est Israël. Cette hypothèse était d'autant plus plausible et le scénario d'autant plus bien monté que pendant la première guerre du Golfe, les forces de Saddam Hussein n'avaient de cesse de viser Israël à l'aide des missiles Scuds.
Aujourd'hui, la guerre d'Irak présente un bilan macabre de près d'un demi million de morts essentiellement civils. Le pays est détruit au tiers et le niveau de vie de la population a reculé de près de 50 ans. Comme en Afghanistan, la guerre préventive a permis à certains éléments des forces américaines à s'adonner à de la pure bestialité humaine au travers les images des principales prisons en Irak. Elle a imposé aux téléspectateurs du monde l'exécution en direct de Saddam Hussein qui, au-delà de tout ce qu'on peut dire sur l'homme et sur le régime qu'il a imposé sur l'Irak, n'aura été qu'un dévoilement de la barbarie humaine qui habite malheureusement encore la plupart des peuples dits civilisés. Surtout que dans le cas précis de Saddam Hussein, l'administration Bush, agissant pour le compte de leurs protégés au pouvoir à Bagdad, n'a pas manqué d'appliquer un autre conseil de Machiavel. A savoir : "éteindre la race de l'ancien prince". Ils l'ont fait en tuant ses deux fils pour écarter tout risque de vengeance future.
La guerre préventive est aussi faite par Israël dans les territoires occupés et au Liban. Ici, elle prend le nom monstrueux d'assassinats ciblés. Entendez, retrait volontaire et prémédité de la vie aux dirigeants du Hamas et du Hezballah. La même explication revient pour soutenir la conscience des promoteurs de tels actes : "il faut tuer les dirigeants du Hamas et du Hezbollah avant qu'ils ne procèdent à la destruction de l'Etat d'Israël comme cela est contenu dans leurs statuts". Ainsi présenté, d'aucuns n'hésitent pas à convoquer la légitime défense.
C'est encore la guerre préventive qui endeuille la région des Grands Lacs depuis bientôt une quinzaine d'années. Son promoteur s'appelle Paul Kagame, un très bon élève des Etats-Unis et qui probablement a aussi bien lu Le Prince de Machiavel. Après le génocide rwandais de 1994 dont l'explication caricaturale nous fait comprendre que les Hutus extrémistes qui ne voulaient pas céder le pouvoir, avaient exterminés les Tutsi et les Hutus modérés. Après ce génocide donc, ceux qu'on appelle aujourd'hui les interamwé, c'est-à-dire une milice hutue soutenue par les ex-soldats de Juvénal Habyarimana avait fui avec leurs familles dans les forêts du Congo voisin. Depuis lors, ils tentent de se réorganiser en vue de la reconquête du pouvoir tenu depuis 1994 par Paul Kagamé.
La théorie de la guerre préventive a poussé le régime rwandais à dire ceci : "il faut combattre et tuer les interamwé dans les forêts congolaise avant qu'ils n'envisagent à porter la guerre sur le territoire rwandais". C'est cette logique qui a poussé Paul Kagamé à soutenir les forces de Laurent Désiré Kabila dans la prise du pouvoir à Kinshasa. L'idée étant de satelliser le pouvoir congolais en vue de contenir les Interamwé. Aujourd'hui, la manœuvre consiste à faire chanter le régime congolais en soutenant quelque rébellion armée contre lui comme c'était le cas avec Laurent Nkunda. Mais la préoccupation majeure du régime rwandais c'est la prévention contre les attaques des interamwé et les ex Far. A ce jour, la guerre préventive des Grands Lacs a déjà fait près de 8 millions de morts aussi bien les interamwé que des populations civiles congolaises et surtout des images insoutenables de la barbarie humaine. Cette guerre s'illustre ainsi comme l'une des guerres les plus meurtrières depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Dans les forêts congolaises, c'est une extermination de l'espèce humaine qui se déroule curieusement sous le regard détourné de la communauté internationale.
Comme nous pouvons le voir, le nombre de morts et le retour à la barbarie que la guerre préventive nous oblige à faire sont inversement proportionnels à l'efficacité de cette forme de résolution de conflit peut apporter. Elle ne contribue finalement qu'à installer un cycle de guerre permanente, des rancoeurs éternelles et un cycle de meurtre/vengeance. Les promoteurs de la guerre préventive et principalement ceux qui misent sur les assassinats des leaders des mouvements pensent qu'on peut tuer les idées d'un homme en tuant cet homme. Ceux qui, en 1968 avaient organisé l'assassinat de Martin Luther King en croyant mettre un terme aux idées du mouvement des droits civiques dont il était le leader doivent bien se mordre les doigts aujourd'hui en voyant le triomphe de Barack Obama qui, s'il ne peut pas être considéré comme un successeurs de Martin Luther King, n'en bénéficie pas moins des avantages collatéraux. La mise à mort des porteurs d'idées peut à la limite retarder l'atteinte de l'objectif mais en aucun cas cela ne peut arrêter le cours de l'histoire. Les idées, surtout les idées révolutionnaires sont comme ces héros des dessins animés qui réussissent toujours à se tirer des situations même les plus désastreuses. Même écrasé par un camion, ils se redressent et reprennent leur forme initiale.
La guerre préventive est enfin un défi lancé au droit. Ainsi, la présomption est transformé en fait et punie comme tel. Au demeurant, nous pensons que la guerre préventive n'est finalement qu'un artifice utilisé par des régimes brouillons et frileux, pour détourner l'attention de leur propre peuple et celle de la communauté internationale et surtout pour se donner cet ennemi intérieur ou extérieur, indispensable pour la restriction ou la suppression des libertés individuelles.

Etienne de Tayo
Promoteur Afrique Intègre
www.edetayo.blogspot.com.