samedi 31 octobre 2009

RELANCE : FALLAIT-IL ABSOLMUMENT SAUVER LES BANQUES?


Alors que, au plus fort de la crise financière, tous les Etats du monde, y compris l’Etat américain dont le socle idéologique repose sur le libéralisme intégral, prenaient, dans une relative frénésie des mesures de sauvetage de leur système bancaire, je m’étais longuement posé cette question : Faut-il absolument sauver les banques ?

Je m’interrogeais parce que la responsabilité du système financier en général et du système bancaire en particulier était plus que avérée dans les causes qui ont conduit au marasme économique que connaît le monde aujourd’hui. Je pensais qu’il faut agir par pourrissement en punissant au passage ceux par qui le malheur est entré dans la maison. A savoir, les spéculateurs de tout bord, les traders fous et bien sûr les banquiers qui ont créé des produits toxiques pour emballer les clients et provoquer des bonifications artificiels des titres à la bourse.
Dans cette affaire, la responsabilité des banques était plus que établie. Que ce soit dans le cadre des crédits toxiques dits des subprimes aux Etats-Unis, accordés juste pour gonfler artificiellement le portefeuille des banques et faire envoler les titres en bourse ou encore le scandale du jeune traders français qui, en s'amusant, a fait perdre plus de 15 milliards d'euros à sa banque et aux déposants. Le mépris des banques par rapport à l'observation de leurs propres règles de fonctionnement et leur décentrement par rapport au financement de l'économie réelle sautait aux yeux. Tous étaient désormais attirés par les profits faramineux des produits financiers spéculatifs où ils inscrivaient frauduleusement leurs clients les plus fortunés.
Et en évaluant rapidement, on pouvait constater, pour ce qui est du cas des banques, que le ver était dans le fruit. En effet, la banque était devenu, d'un point de vue professionnel, un lieu de concentration des génies pervers. Dans les grandes écoles de commerce et autres écoles de la profession bancaire, les jeunes n'étaient plus formés mais déformés pour répondre aux nouvelles exigences de l'activité bancaire plus spéculative, plus fictive et surtout plus vicieuse. A savoir flouer en priorité le client. Une récente émission sur la banque et son client le montre à profusion. Les banques étaient désormais en voie de pourrissement et je pensais qu'il fallait les y aider.
Je pensais qu’en laissant les banques pourrir, qu’en laissant la bourse péricliter, la souffrance sera sans doute plus profonde, l'issue sera peut-être plus incertaine mais, à terme, un nouveau système, plus maîtrisé, plus vertueux, finira par germer. Je ne savais pas comment cela peut se passer concrètement, ni quel danger une telle audace pouvait faire courir au monde. Mais je pensais que donner les moyens à ceux qui ont conduit l’économie mondiale au bord du gouffre était un test réussi de la soumission du monde et des Etats par le capitalisme sauvage. Je pensais que réhabiliter les banques à coup des milliards de dollars n’était rien moins qu’une prime à l’irresponsabilité, à l’incurie.
Et puis, me laissant transporter par l’unanimisme ambiant, je m’étais contenté des arguments catastrophistes de ceux qui, agitant le spectre de 1929, disaient qu’un naufrage des banques entraînerait toute l’économie mondiale dans une récession sans précédent. Ils prédisaient qu’on passerait de la crise financière à la crise monétaire avant que toute l’économie ne soit paralysée. Aujourd’hui, je suis convaincu de ce que, aussi moi que toutes les autres personnes de bonne foi, nous nous sommes laissés prendre dans une vaste manipulation conduite par le lobby capitaliste. Je suis convaincu de ce que les capitalistes sauvages se sont servis de l’appendice de leurs affaires qu’est l’Etat pour se régénérer et continuer à creuser encore plus grand le fossé les séparant des autres couches de la société.
Je suis d'autant plus convaincu que quelque mois seulement après avoir englouti l'argent des contribuables, les banquiers sont repartis dans les nouvelles folies. D'après une étude de la réserve fédérale américaine, les subprimes sont de retour et représenteraient 20% des nouveaux crédits hypothécaires. Ce qui est plus qu'inquiétant même si certains analystes préfèrent y mettre du bémol en rappelant que 95% de ces crédits sont détenus ou garantis par les organismes publics que sont Fannie Mae, Freddie Mac et Ginnie Mae. Tout compte fait, la folie est de retour dans les banques alors que par ailleurs, la crise continue de faire des victimes.
Il y a quelques jours, deux images m’ont profondément choqué. La première image montrait les traders de la place mythique de Wall Street à New York, célébrant au champagne la remontée des cours des titres à la bourse. En regardant ces images, je me suis rappelé le titre du livre de Marc Fiorentino : « un trader ne meurt jamais ». Il est en fait le héros d’un dessin animé qui est finalement l’illustration du monde que nous vivons aujourd’hui. L’autre image ou d’autres images, celles des présentateurs des journaux télévisés en France annonçant le suicide du 25eme employé de France télécoms pour cause de stress au travail, conséquence directe de la crise financière provoquée depuis plus d’un an par les spéculateur de Wall Street entre autres.
A coté, d’autres suicides moins médiatisés se consomment tranquillement dans l’intimité des ménages déstabilisés, d’autres organismes, fragilisés par le même stress se laissent gagner par des maladies opportunistes. L’autre stress, celui qu’on ressent au chômage guette ceux qui par centaine de milliers sont déversés dans la nature par des entreprises qui soit délocalisent ou tout simplement ferment boutique. Ruiné parce qu’il a mis tout l’argent pour sauver les banques, les Etats n’ont plus rien pour soutenir leur secteur agricole par exemple. Et les banques radines rechignent à accorder des crédits. Conséquences, des agriculteurs, devenus fous, arrosent les champs, en guise de protestation, du lait qu'ils ont obtenu de leurs vaches.
C'est plus qu'une crise que les banques vivent aujourd'hui avec leurs clients en particulier et la société en général. Ceci vient de ce que les deux groupes ne vivent plus dans la même planète. Les banques ont depuis quitté les sphères de l'économie réelle pour s'envoler les sphères des spéculations et des paradis fiscaux. Tant qu'il n'y aura pas une action des Etats pour obliger les banques à revenir sur terre financer l'économie réelle comme c'est inscrit dans ses attributions premières, les crises se succéderont et se ressembleront.

Etienne de Tayo
Promoteur "Afrique Intègre"
www.edetayo.blogspot.com

mardi 27 octobre 2009

MANIPULATION : QUAND LE FMI FAIT SA PUB EN AFRIQUE!

L'affaire du "cadeau monétaire" offert à Alex Segura, ancien représentant résident du Fonds Monétaire International (FMI) par le président Sénégalais Abdoulaye Wade est de celle qui irrigue la presse internationale aujourd'hui en faisant des vague. En effet, alors qu'il venait de prendre part au dîner d'adieu offert en son honneur le 25 septembre au palais président du Sénégal, Alex Segura s'est vu offrir une mallette contenant la rondelette somme de 133 000 euros, en guise de cadeau d'adieu, se défendent les autorités sénégalaises.

Aussitôt l'affaire ébruitée, la directrice des relations extérieures du FMI, Mme Caroline Atkinson s'est fendu d’un communiqué pour faire un récit presque minuté du déroulement de cette rocambolesque affaire. Il ressort de la relation des faits, que ne conteste pas le gouvernement Sénégal - qui se contente de dire que cela rentre dans le cadre de la tradition africaine et non d’une quelconque corruption - qu’ayant reçu la mallette contenant le magot, le fonctionnaire se serait concerté avec son remplaçant et ils ont décidé, sur demande de leur hiérarchie, de restituer les fonds au gouvernement sénégalais à l’escale de Madrid et de dénoncer la pratique à travers un tapage médiatique en bonne et due forme. Mais ce qu'il faut retenir, c'est que malgré la probité morale qu'il semble mettre en avant aujourd'hui, M. Segura avait quand même violé une loi du système international qui interdit tout cadeau, pire encore, il a voyagé avec cette somme d'argent et se serait même fait interpeller selon certaines sources. A-t-il dans un premier temps décidé de garder ce cadeau et a eu peur d'une dénonciation de sa collègue qui était déjà au courant? A-t-il eu peur d'un piège des autorités sénégalaises? Que s'est-il réellement passé entre la réception de la mallette au palais présidentiel de Dakar et la décision de Segura d'appeler le bureau d'éthique du FMI? Autant de question que charrie cette ténébreuse affaire.
Face à cette affaire, la posture naïve nous pousserait à applaudir le FMI et à louer la probité morale de ses fonctionnaires à travers l'acte que vient de poser Alex Segura. Cette posture nous amènerait aussi à vouer aux gémonies les dictateurs africains qui n’ont de cesse de brader les ressources de leurs pays. Si nous adoptons une telle posture, le FMI aura atteint son objectif. A savoir, redorer son blason par rapport à sa responsabilité dans l’ensemencement de la pauvreté en Afrique et la propagation de la corruption. Et en passant, renforcer un cliché bien encré en occident qui voudrait que l’Afrique ne soit gouverné que par des dictateurs corrompus. Ce qui malheureusement dans un cas sur deux est vrai mais dont la généralisation peut relever de la manipulation. La réalité pourtant est que en Afrique, le FMI, à travers ses fonctionnaires, est parfaitement entré en collusion avec ceux qu’ils qualifient de dictateurs pour affamer leurs peuples.
C’est à la fin des années 1980 que le FMI a réellement pris le pouvoir – au sens propre du terme - en Afrique au travers de la mise en œuvre des fameux plans d’ajustement structurels, qui étaient en réalité une sorte de mise entre parenthèse des institutions normales des pays concernés. A la place des économies planifiées, il a été mis en place une sorte de navigation à vue destinée juste à assurer le fonctionnement du pays. Les ministères de l'Economie et du plan ont été soit considérablement amoindris ou tout simplement supprimés alors que les ministères des Finances, c'est-à-dire la gestion au quotidien de la caisse de la l'Etat ont été renforcés. Tous les projets de loi étaient passés à l’encre rouge des fonctionnaires du FMI pour les mettre en conformité avec la nouvelle donne néo-libérale. Il fallait dans un temps record passer du trop d'Etat à moins d'Etat ou à pas d'Etat du tout.
A la demande du FMI, tous ceux qui dans l’administration ou au sein des universités s’interrogeaient sur le bien fondé des plans d’ajustement étaient mis au placards. Malgré les échecs successifs de ces plans, et le nombre impressionnant des victimes que leur mise en œuvre causait au sein de la population, les fonctionnaires du FMI continuaient de faire la pluie et le beau temps. Ils faisaient ainsi revenir leurs fameux plans, véritables pilules, sous d’autres formes et avec d’autres noms, un peu comme un sorcier qui revient tourmenter ses victimes avec des visages empruntés.
Au Cameroun par exemple, les conseillers du président de la République qui, sentant le désastre qu'une intervention du FMI aurait sur le pays, avaient eu la lucidité et la clairvoyance d’introduire dans son discours à la Assemblée nationale en 1987, la phrase mémorable : « nous n’irons pas au FMI », avaient été balayés sans ménagement sous la pression du FMI. Toujours sur recommandation du FMI, complètement obnubilé par le capitalisme triomphant, il avait été fait la promotion des fonctionnaires collabos et pour la plupart corrompus parce que souvent moins outillés intellectuellement ou tout simplement parce que cupide naturellement. Au Cameroun, ces fonctionnaires appartiennent à ce qu’on peut appeler aujourd'hui, la « génération Epervier ». C’est avec eux que les fonctionnaires du FMI gèrent les Etats africains, depuis plus de deux décennies maintenant, en s’adonnant à de petites combines mais grosses corruptions.
Partout en Afrique, face aux régimes affaiblis par la récession économique, les représentants résident du FMI ont repris le casque d’administrateurs coloniaux, l’arrogance et le cynisme en plus et exacerbé d’ailleurs. Malgré parfois leur jeune âge et leur inexpérience, ils étaient devenus dans plusieurs pays la doublure du premier ministre et même plus puisqu’il leur incombait en premier la responsabilité de corriger la copie de ce dernier. Ils relayaient sur place les théories fumeuses de leurs patrons en poste à Washington. Et pour cela, ils se permettaient de faire réunir des ministres en comité interministérielle pour leur dispenser, doctement, des enseignements sur le néolibéralisme et leur donner des instructions fermes venues tout droit de Washington. Dans ce jeu, l’Afrique était et continue d’être le grand malade et le FMI le médecin. Et la logique selon laquelle il ne faut pas que le malade guérisse au risque d’envoyer le médecin au chômage est bien entretenue.
Lorsqu’un haut fonctionnaire du FMI – un vice président ou autre - devait faire une visite dans un pays africain, cela prenait des allures d’une visite d’Etat avec toute la mise en scène convenue. Ils achevaient leur visite toujours par une audience au palais présidentiel où ils se permettaient de partager le même canapé – privilège réservé aux chefs d’Etats - que ceux qu’ils qualifient de dictateurs. La visite était aussi parfois agrémentée – et toujours d'ailleurs - d’un dîner d’Etat au palais présidentiel. Et c’est connu de tous qu’on ne sort pas d’un palais présidentiel africain les mains vides. Ceci n’a rien à voir avec la corruption comme le FMI semble vouloir l’insinuer. Cela participe d’une tradition africaine qu’on peut dénoncer mais qui a quand même l’avantage d’être une tradition connue et codifiée. Ce n’est pas Valery Giscard d’Estaing qui me démentirait. Cela vient de ce que les chefs d’Etats africains, malgré leur relative occidentalisation, se considèrent toujours comme des Monarques au sens très africain du terme. Et le monarque, c’est celui qui met toujours un point d’honneur à recevoir ses invités et qui donne parfois sans compter. Le problème ici est seulement que la modernité a fait qu’il donne ce qui ne lui appartient pas. Dans le temps, tout appartenait au Monarque, y compris ses sujets. Et personne n'aurait eu l'outrecuidance d'avoir à redire sur un cadeau fait par le Monarque.
Le fonctionnaire du FMI, Alex Segura qui a décidé de déclencher le scandale de la "mallette d’adieu" a certainement été reçu dans quelques palais présidentiels en Afrique. Ce qui veut dire qu’il y a d’autres cadeaux qu’il avait décidé par le passé de garder par devers lui puisque aucun pays ne peut manquer à la tradition. Il faut donc qu’il ne s’arrête pas en si bon chemin et dévoile tous les autres cadeaux passés, au moins pour se soulager la conscience et permettre à l’institution qu’il représente de redorer réellement son blason. On peut aussi se demander qui a décidé de faire filtrer l'affaire dans la presse. Pour le savoir, il faut simplement se demander : à qui profite le crime?
On peut se demander pourquoi ce fonctionnaire et le FMI en tant qu'institution, décide seulement aujourd’hui de révéler les petites combines qu’ils ont toujours eues avec les dictateurs africains au détriment de leurs peuples affamés. Alex Segura n'est pas un extra terrestre récemment venu dans la planète FMI. Et l’hypothèse la plus plausible est qu’à Washington, les responsables du FMI aient décidé de faire d’une pierre deux coups au travers d’une petite publicité manipulation : d’abord se soulager la conscience face à l’opinion internationale en se présentant comme une institution où règne la rigueur et la moralisation, puisqu’il se sont doté d’un bureau éthique. Ensuite, lui régler son compte à Abdoulaye Wade, le président sénégalais qui par ses coups de gueule perturbe parfois l’extension de l’hégémonie de l’idéologie capitaliste. Au FMI certainement, on compte voir Abdoulaye Wade raser les murs au prochain sommet du G20 et ne plus faire des déclarations fracassantes qui empêchent d'étendre l'hégémonie des riches en paix.
Alors, si c’est Dominique Strauss Khan, le patron du FMI qui est à l’origine de cette publicité déguisée, nous saluons son courage et l’invitons instamment à lancer une véritable opération mains propres sur les agissements des représentants résidents du FMI depuis 20 ans en Afrique afin de récupérer tous les cadeaux reçus par ces derniers dans les palais présidentiels. Les différents Trésors publics en Afrique en ont cruellement besoin de ce magot. Une chose est vrai que ceux qu’on qualifie au FMI de « dictateurs africains » sont certes inaptes dans la conduite heureuse de leurs pays mais prennent un soin particulier à garder les preuves des petits cadeaux qu’ils offrent à leurs hôtes. Une fois de plus l’ancien président français Valery Giscard d’Estaing en sait quelque chose.
La tâche du bureau éthique du FMI sera certainement facile puisque dans presque tous les pays d’Afrique – et on peut le vérifier à l’instant où je rédige ce papier – les fonctionnaires du FMI mènent un train de vie parfois sans aucun rapport avec les revenus que leur offre leur employeur. Il y a ceux qui se sont offerts des villas avec pieds dans l’eau et autres bonheurs de la terre. Au bout de l’enquête, on comprendra très vite que c’est en fait un loup qui a crié au loup dans la bergerie. L’objectif étant de détourner l’attention du fermier et de filer en douce. Les patrons du FMI comprendront sans doute qu’on ne prend pas le risque d’ouvrir une boite à pandore sans savoir ce qu’elle contient.
Dans tous les cas de figure, ce qui est sûr, c’est que, demain peut-être, le FMI et le système qu’il charrie, seront face au tribunal de l’histoire pour répondre de leurs « crimes financiers » en Afrique, crimes qui ont poussé des centaines de millions d’Africains dans la misère la plus abjecte et qui ont précipité des millions d’autres dans l’enfer de la mort. Alors on saura de quel coté se trouve le loup et de quel autre se trouvent les brebis.

Etienne de Tayo
Promoteur Afrique Intègre
http://www.edetayo.blogspot.com/

mercredi 21 octobre 2009

CAMEROUN, "OPERATION EPERVIER" : GARE AUX FAUX MARTYRS


L’information, plutôt soft, ressorti des colonnes d’un quotidien généralement sérieux du Cameroun. Elle révèle ceci : Au cours de deux cérémonies, le mariage officiel célébré le 25 septembre 2009 à la mairie de Yaoundé 5 "dans la stricte intimité familiale" et le mariage coutumier et islamique célébré le 11 octobre 2009, dans le village Manka, près de Foumban, Mounchipou Seidou a pris en troisième noces Mlle Kimoun Fadimatou Zaratou, âgée de 28 ans. Et la sérénité qui caractérise la relation des faits par le journaliste montre bien que nous ne sommes pas en face d’une curiosité socio-politique. D’ailleurs, dans une allocution improvisée, rapporte le journaliste, le jeune marié, qui est par ailleurs le chef supérieur du village, déclare : "J'espère qu'elle apportera un nouveau souffle à la famille et à moi-même dans mon combat pour l'honneur, la dignité et la survie".

Si vous n’avez encore rien compris sur le caractère insolite de cette information, sachez donc que le Mounchipou en question est un ancien ministre condamné en 1999, dans le cadre de l’opération Epervier, à 15 ans de prison pour détournement de deniers publics. Il purge, du moins officiellement, sa peine à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé, c’est à dire à plus de 400 kilomètres de Foumban. Le journaliste qui rapporte l’information ne nous parle pas d’une quelconque évasion de prisonnier mais plutôt d’un phénomène très récurrent. A savoir, la vadrouille de ces prisonniers d’un genre particulier, hors de leur lieu d’incarcération. Les membres de la famille Mounchipou témoignent d’ailleurs de ce que l’illustre prisonnier leur rend très souvent des visites surprises : "il a l'habitude de faire des séjours réguliers dans son village". Il a de la chance le Mounchipou, certains de ses compagnons de misère meurent en prison, certainement parce qu’ils n’acceptent pas leur nouvelle condition, alors qu’il a réussi à en faire un petit coin du paradis et à montrer qu’il peut y avoir une vie, non seulement après la prison mais surtout pendant la prison.
Cette information d’un prisonnier qui se marie, corrobore parfaitement un certain imaginaire construit au Cameroun autour du statut de certains "prisonniers de luxe" victimes de l’opération Epervier, une sorte d’opération dite mains propres menée contre les agresseurs de la fortune publique. Il s’agit pour la plupart, d’anciens dignitaires fortunés du régime. D’après cet imaginaire, certains de ces prisonniers bénéficieraient des aménagements de peine extraordinaires. Cette complaisance carcérale leur permettrait ainsi de passer du statut de prisonnier, c’est à dire une personne constamment retenue derrière les barreaux à celui de saisonnier, c’est à dire une personne à liberté surveillée bénéficiant des séjours réguliers à l'extérieur de la prison. Il y aurait même parmi ces prisonniers à statut spécial, ceux qui continuent de conduire des investissements et de gérer tranquillement leurs affaires depuis la prison. Nous sommes loin des prisons de Tcholliré ou de Mantum de tristes réputations. Et c’est peut-être tant mieux pour la civilisation des mœurs.
Cette situation de vadrouille organisée de prisonniers peut résulter de deux choses : cela peut être le fait délibéré d’un régisseur de prison qui, dans un environnement de corruption généralisée et bénéficiant de la couverture officieuse et intéressée de ses supérieurs, décide ainsi de faire payer leur liberté à ses prisonniers les plus fortunés. Cela peut aussi résulter de la volonté affirmée du régime, du fait de leur statut spécial, d’assouplir les conditions de détention de ces prisonniers.
Dans le principe, cela ne devrait poser aucun problème qu’un gouvernement puisse ainsi trouver le moyen de soulager les peines de certains de ses anciens collaborateurs qui se sont égarés sur les chemins de l’enrichissement illicite sur le dos de l’Etat. Cela va même dans le sens de la promotion des droits de l’homme. Sauf que, ainsi posé, les privilèges accordés à ces prisonniers entraînent au moins deux hiatus dans la représentation dans la société camerounaise des valeurs comme la justice et l’égalité :
Le premier hiatus serait la consécration de l’inégalité des citoyens devant la loi - ou du moins devant l’application de la loi - du fait de la croyance en le Dieu Argent : pour autant que tu seras riche ou pauvre, ta peine sera lourde ou légère. Il n’est pas sûr que, même s’il justifiait d’une très bonne tenue en prison, un autre condamné moins fortuné puisse bénéficier des mêmes aménagements de peine.
Le second hiatus vient de ce que le gouvernement camerounais qui est engagé dans cette opération dite Epervier, court le risque de fabriquer au travers des personnalités embastillées, de faux martyrs et de faux héros mais de vraies victimes du système. Le risque est grand demain d’assister au Cameroun à une sorte d’encombrement du marché politique par le fait de toutes ces personnalités ayant pour seule offre politique, leurs années de prison et qui tenteront de capitaliser leur mésaventure en sollicitant les suffrages des électeurs.
En effet, dans un contexte où être ancien prisonnier peut tout à fait devenir un programme politique, une telle manœuvre a toutes les chances de fleurir. C’est à dire qu’en se posant comme des victimes du régime, les victimes de l’Epervier se positionnent comme les premiers combattants pour le changement tant réclamé par une bonne partie du peuple camerounais. Cela s’était déjà vu au cours des années 1990, lorsque dans les meetings de l’opposition, les meilleures places étaient réservées et les meilleurs étaient rendus à ceux qui justifiaient des stigmates de leur souffrance dans quelque prison du pays. Au cours du meeting, il leur suffisait juste de se lever, de montrer leur doigt coupé ou leur œil crevé en prison et la sympathie ou même l’adhésion du peuple leur était garantie.
C’est vrai que dans la plupart des cas, il s’agissait des prisonniers politiques et d’opinion. Ce qui n’est pas le cas des prisonniers de l’Epervier qui eux, sont des prisonniers de droit commun, au même titre que les voleurs de poules et autres braqueurs qui encombrent les prisons camerounaises. Mais, comme on le sait, le bon peuple – surtout lorsqu’il se laisse corrompre comme c’est généralement le cas au Cameroun – se montre souvent très compassionnel vis à vis des victimes. Et n’est pas toujours capables de faire la distinction entre un prisonnier d’opinion et un prisonnier de droit commun. Cette confusion sera d’autant plus opérante que dans l’imaginaire camerounais, l’opération Epervier est plus appréhendée comme un simple règlement de comptes entre rivaux politiques que comme une quelconque opération mains propres visant l’assainissement du système.
La prison étant le lieu par excellence de la capitalisation de la souffrance et finalement un bon tremplin pour le pouvoir, il est donc possible que demain, à la suite d’élections régulières, les portes de l’Assemblée nationale, du Sénat et pourquoi pas du palais de l’unité, s’ouvrent devant ces « héros », ces « martyrs » de la République. Une opération certainement légitime pour eux. Sauf que, le marché politique camerounais a besoin aujourd’hui de plus de visibilité. Il est impérieux dans ce marché, de séparer la bonne graine de l’ivraie pour permettre aux acteurs politiques de construire une offre politique plus attrayante et au peuple de choisir en toute connaissance.

Etienne de Tayo
Promoteur « Afrique Intègre »
www.edetayo.blogspot.com

vendredi 16 octobre 2009

JEAN PING : PRESIDENT DE LA COMMISSION DE L'UNION AFRICAINE : "Nos relations avec l'Europe sont à privilégier mais ne peuvent être exclusives"

Le président de la commission de l'union africaine était à Paris pour présenter son dernier ouvrage qui est une véritable ode à l'afro-optimisme. Nous l'avons rencontré et il a accepter d'expliciter pour nous les idées contenues dans cet opuscule afin que demain, l'Afrique brille de mille feux.


Monsieur le Président, vous venez de publier un ouvrage au titre évocateur : "Et l'Afrique brillera de mille feux". Est-ce une réponse à l'afropessimisme?

Jean Ping : Absolument. Les afro-pessismistes regardaient l'Afrique comme un problème. Aujourd'hui, nous disons clairement avec d'autres que l'Afrique n'est pas un problème mais une opportunité. Ceci parce que l'Afrique compte aujourd'hui un milliard d'habitants. Ce chiffre sera porté en 2020 à 1 milliard et demi, c'est-à-dire la population de la Chine. L'Afrique est donc la troisième puissance démographique du monde, un vaste marché en gestation, une puissance qui est assimilable à la Chine et à l'Inde. Autre atout : l'Afrique est un immense réservoir des matières premières, le plus grand du monde aujourd'hui, ce qui explique le fait que tous les pays accourent vers l'Afrique. D'un point de vue de la superficie, l'Afrique, c'est 10 fois l'Europe, c'est 10 fois l'Inde, c'est 4 fois la Chine, c'est 4 fois les Etats-Unis.

Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu un point d'exclamation à la fin du titre de votre ouvrage?

Jean Ping : Tout à fait. Je disais tout à l'heure qu'il ne faut pas croire qu'il y a des peuples qui sont condamnés à vivre éternellement dans la misère et les autres qui sont destinés à vivre dans l'opulence. Il n'y a pas si longtemps, la misère était assimilée à l'Inde, la famine était assimilée à la Chine. Aujourd'hui, ces pays ont réduit leur pauvreté au point de devenir des pays émergents. Donc, il n'y a pas de raison que ce qui est arrivé à ces pays là ne puisse pas aussi nous arriver, à nous autres Africains. Il suffit que nous puissions prendre notre propre destin en main et qu'on nous laisse une marge de manœuvre pour travailler et non pas toujours nous dicter ce que nous devons faire comme on le dicterait aux enfants.

Est-ce qu'il vous a fallu un courage particulier pour écrire un livre de cette trame?

Jean Ping : Un courage particulier, non. Je pense qu'il ne plaira pas à tout le monde, c'est tout à fait normal. Mais à ceux là, je dis qu'il faut qu'ils lisent sérieusement et qu'ils se demandent s'il n'y a pas quand même des éléments de vérité dans ce que je dis.

Aujourd'hui, pour l'Afrique, on a la chance d'avoir le ministère de la parole et le ministère de l'action réunis en une seule personne qui se trouve être le président de la commission de l'Union africaine. Est-ce que vous en prenez conscience?

Jean Ping : Vous-même avez noté que j'ai une longue expérience et je relate dans ce livre beaucoup d'anecdotes. Ce sont des choses que je connais, que j'ai vécues et je le dis. Mais je pense aussi que nous devons bénéficier de la réflexion des autres pour engager la nôtre, les expériences des autres pour s'en inspirer, pas pour copier.

Est-ce qu'on peut, parlant de votre ouvrage, dire qu'il s'agit d'un discours de rupture?

Jean Ping : Dans une certaine mesure, oui, parce que vous voyez vous-même que dans la première partie de l'ouvrage, j'ai relaté des phases : il y a un temps où notre souveraineté était limitée. L'accent était mis sur la sécurité. Et puis, dans une deuxième phase nous avons observé une rupture, les pays s'émancipaient, voulaient prendre en main leur propre destin et ont commencé à s'ouvrir au reste du monde. Puis la mondialisation nous a ramené en arrière. Il faut aujourd'hui nous laisser une marge de manœuvre afin de nous permettre de nous insérer de façon optimale dans la mondialisation.

En quatrième de couverture de votre ouvrage, vous posez cette question fondamentale : "N'y a-t-il pas d'autres stratégies fondées sur des avantages réciproques, sans grossières ingérences extérieures, sans conditionnalités impossibles, sans préalables et sans menaces de sanctions : la carottes sans le bâton?". Pouvez-vous mieux expliciter cette phrase?

Jean Ping :
çà veut dire tout simplement qu'on nous a pris comme à l'époque coloniale où on disait que les Africains étaient des primitifs qu'il faut conduire vers la civilisation. On a le sentiment qu'on veut continuer dans cette lancée. Jusqu'à quand cela doit-il continuer? Il faut que les "parents", si parents il y a, qui ont guidé nos pas puissent nous considérer maintenant comme des gens majeurs capables de prendre leur destin en main. C'est ce que le président Obama a dit à Accra lorsqu'il a demandé à l'Afrique de prendre en main son destin.

L'Afrique a toujours évolué sous le modèle occidental du développement. On a l'impression que ce modèle est sérieusement concurrencé par les modèles des pays émergents notamment la Chine. Il y a un discours qui tend à mettre l'Afrique en garde contre la Chine parce que dit ce discours, la Chine s'offre l'Afrique. Quelle est votre opinion sur ce débat là?

Jean Ping : Nous sommes les voisins de l'Europe. Nous ne sommes séparés de ce continent que par une quinzaine de kilomètres au niveau du détroit de Gibraltar. Nous avons donc avec l'Europe des liens géographiques. Nous avons aussi avec l'Europe des liens historiques. L'Europe nous a colonisé et nous avons cet héritage commun avec des choses bonnes et des moins bonnes. Nous avons aussi un lien culturel puisque nous parlons des langues européennes. Nos relations avec l'Europe sont des relations naturelles. Ces relations doivent être privilégiées mais ces relations ne peuvent pas être exclusives. Ce n'est pas possible puisque l'Europe traite avec ces pays là : l'Union européenne a établi avec la Chine un partenariat stratégique, les Etats-Unis viennent de le dire par la voix de Barack Obama. Ce qui est bon pour les autres ne peut pas être mauvais pour nous. Il faut donc que nous puissions aussi avoir des relations de partenariat avec ces pays là basées sur les intérêts réciproques.

Que doit faire l'Afrique pour tirer profit de ce partenariat gagnant gagnant que propose la Chine?

Jean Ping : C'est à nous de déterminer ce partenariat. La Chine n'est pas un pays qui peut nous imposer ses vues, ni les conditionnalités. Nous devons accepter ce qui est bon pour nous et refuser ce qui n'est pas bon pour nous. Et je crois que nous sommes assez grand pour faire ce discernement.


Propos recueillis à Paris par Etienne de Tayo

samedi 10 octobre 2009

L'AFRIQUE DE JEAN PING : COMME UN PAPILLON EN DEVENIR!


S’il n’avait pas été écrit par le diplomate chevronné qu’il est, doublé de la casquette de président de la commission de l’union africaine, le dernier livre de Jean Ping aurait bien pu s’intituler : « Pour l’Afrique, j’accuse ! », et s'inscrirait ainsi dans la lignée des coups de gueule et autres lettres ouvertes qui jonchent les chemins du combat pour l'Afrique. Non, l'ouvrage s'intitule tout simplement : "Et l'Afrique brillera de mille feux". Un message d'espoir et même d'espérance. Et pourtant, l’ouvrage de près de 300 pages, publié aux éditions l’Harmattan est bel est bien une accusation en règle contre ceux que l’auteur qualifie de « maîtres » du monde. Il s’agit aussi d’une réponse aux discours afropessimistes, « ces concerts de lamentation permanente » qui ont contribué à construire de l’Afrique, l’image d’un « continent en déperdition, d’un continent perdu ou d’un continent maudit dont le passé ne passe pas ».

Le contexte de la publication de l’ouvrage de Jean Ping est celui du nouvel ordre international né de l'effondrement de l'union soviétique et marqué par la « globalisation effrénée, privatisation exacerbée, ingérence institutionnalisée, déconstruction généralisée des Etats et destruction de toute autorité ». Celui qui correspond parfaitement à ce que les tenants du réalisme tels Edward H. Carr et Henry Kissinger décrivent : "les Etats ne sont contraints par aucune loi, le droit est une fable qui n'a aucune portée à l'extérieur des amphithéâtres des facultés".
Au plan humain, ce contexte est celui de la « régression et de la paupérisation qui résultent de la création des fortunes et des misères extrêmes par l’exacerbation des forces du marché, sous la vive impulsion des plans d’ajustements structurels et des dix commandements des tables de la loi décrétés par le consensus de Washington ». Avec la mondialisation, note Jean Ping, « les maîtres sont de retour. Ils disent le droit pour nous sans se l’appliquer à eux-mêmes. Ils jugent l’Afrique avec leurs seuls repères, donnent des ordres et des leçons, condamnent et décrètent des sanctions fatales, convaincus qu’ils sont d’agir ainsi pour le bien de l’humanité ». Prise dans cette spirale, « l’Afrique a enregistré sur les questions de l’indépendance, de sécurité et du développement un véritable bond en arrière et s’est mis à évoluer à front renversé », constate l'auteur.
De façon très méthodique, Jean Ping relate dans son ouvrage comment le piège de la mondialisation s’est refermé sur l’Afrique à la fin des années 80, au moment même où le continent était en passe d'amorcer son décollage. Il se trouve qu’après l’effondrement du mur de Berlin et la dislocation de l’Union soviétique, des experts aux Etats-Unis ont sérieusement imaginé le scénario d’une unipolarité du monde dans lequel la nation américaine devait s’octroyer le leadership : "Grâce à Dieu, l'Amérique a gagné la guerre froide. Un monde jadis divisé en deux camps armés reconnaît aujourd'hui la supériorité d'une seule puissance : les Etats-Unis", triomphait Georges H. Bush dans l'état de l'union en 1992. Ainsi se sont forgé les « nouveaux maîtres du monde » dont le discours devait, telle une vague sur une plage, effacer toutes les inscriptions antérieures et inscrire le "consensus de Washington" comme seule norme s’imposant à tout le monde sans exception.
Ainsi, « les dirigeants européens et leurs experts vont s’abriter derrière des recommandations d’inspiration néo-idéalistes et ultra-libérales conçues par l’économiste Milton Friedman à travers l’école de Chicago et propagées par le couple Reagan-Thatcher ». Comme le révèle Jean Ping, personne ne pouvait résister à la toute puissance américaine et ses experts logés au sein des « deux sœurs jumelles de Washington », le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. Ainsi, « les experts européens, bruxellois d’alors, appuyés notamment par certains technocrates français, ne feront que reprendre à leur compte ces mots d’ordre, au nom du postulat des valeurs communes, en les rediffusant telle une caisse de résonance et en les imposant à leur tour à l’Afrique. Privatisation, libéralisation, déréglementation, moins d’Etat, accountability, régionalisation, ajustements structurels, stabilité macroéconomiques, sanctions… deviennent le credo des négociations ACP-UE ».
Le monde que décrit et dénonce ici Jean Ping est celui qu'avait déjà repéré le sociologue Régis Debray lorsqu'il déclarait : "le monde d'aujourd'hui est divisé enter les humiliants et les humiliés, mais la difficulté vient de ce que les humiliants ne se voient pas en train d'humilier. Ils aiment croiser le fer, rarement le regard des humiliés".

Comme un papillon en devenir
S’il est quelque peu d’accord avec les afropessimistes le constat d’une Afrique qui « est retournée plusieurs années en arrière et qui s’est enfoncée dans l’océan de la misère, du désordre et de la barbarie », sur la conclusion donc d’une certaine régression de l’Afrique, ce qu’il qualifie avec Umberto Ecco de « marche de l’écrevisse », l’auteur se refuse toutefois à valider les causes portées par le cliché de « tous corrompus et tous des dictateurs », lesquelles imputent la responsabilité exclusivement à l’Afrique et aux Africains. Jean Ping pense qu’avant le retour des « maîtres », l’Afrique était sur le chemin, certes lent mais déterminé, de la prospérité. Et pour le dire, il convoque la métaphore de la chrysalide ou du papillon en devenir pour éclairer la source du discours afropessimiste : «il s’agit d’une chenille qui avait entreprit un processus pour devenir papillon. Mais lorsque les "maîtres" sont arrivés, ils ont considéré que le processus était trop lent et qu’ils pouvaient l’accélérer. Ce qu’ils ont effectivement fait en sortant prématurément la chenille de sa coquille. Mais lorsqu’elle n’a pas pu voler, parce que n’ayant pas conduit son processus à maturité, les maîtres se sont mis à se moquer d’elle et à la dénigrer », soutient-il.
Mais, pour ne pas tomber dans le piège de la fatalité d’une Afrique maudite et d’un monde figé dans une division avec d’un coté des peuples condamnés à la misère et de l’autre des peuples destinés à l’opulence éternelle, Jean Ping soutient que les ordres internationaux sont les produits de l’histoire : « le temps les accouchent, les façonne et enfin les anéantit ». Ce postulat étant posé, il pouvait alors révéler la question centrale de son ouvrage : « face à une telle configuration du système international, les Etats africains vont-ils finalement parvenir, l’instar des autres Etats, à réagir et à préserver un tant soi peu, leur indépendance nationale, leur dignité humaine, leur identité culturelle et leur sécurité nationale tout en répondant aux impératifs majeurs de changement, de développement, de modernité, d’universalité et d’unité du genre humain ? ». Une question à laquelle l’auteur oppose le proverbe peul qui dit que : "si la terre tourne, tourne avec qu’elle". En effet, pour surmonter ses difficultés selon Jean Ping, « l’Afrique doit assumer avec courage et parfois abnégation la mise en pratique du proverbe peul : se reformer, s’adapter au monde nouveau et avancer vers la modernité ». Et l’espoir est tout à fait permise : « quelque longue que soit la nuit noire dans laquelle le continent africain est plongé, le jour finira bien par se lever et ce jour sera, croyez-le, lumineux », promet l’auteur.
Pour autant, Jean Ping est loin de vouloir enfermer l'Afrique dans quelque recherche d'un quelconque passé glorieux sur lequel il fera fleuri sa prospérité. Il pense plutôt que le continent doit pouvoir fructifier le fruit de ses rencontres avec d'autres civilisations : "juste un peu de patience, de savoir faire et de tolérance suffiraient car le modernisme à l'occidentale a tant transformé l'Afrique qu'il est difficile d'imaginer autre chose". Mais encore une fois, pas d'exclusivité occidentale.
Tout le monde va en Chine
L’une des prises de positions majeures de l’ouvrage de l’actuel président de la commission africaine, c’est l’hypothèse qu’il avance d’un « monde non exclusivement occidental ». Se faisant, il remet au goût du jour le débat très actuel d’une concurrence que se font en Afrique les nouvelles puissances asiatiques et les anciens pays colonisateurs du continent. Et de rappeler pour fixer à la fois les esprits et les contours de ce débat un rapport de la CIA selon lequel « l’Asie sera le continent emblématique de la plupart des tendances lourdes susceptibles de façonner le monde des 15 prochaines années ». L’auteur constate tout simplement que face à l’Asie, « certains s'en inquiètent, d’autres n’hésitent plus à agiter le vieux chiffon rouge du péril jaune ». Et, corroborant ce rapport de la CIA, Jean Ping affirme qu’on « assiste à un basculement du monde vers l’Asie pacifique et les pays qu’il faudrait imiter en raison de leur extraordinaire success story ». D’où l’intérêt qu’il porte pour la coopération afro-asiatique : « c’est qu’elle se fait apparemment sans diktats, sans grossières ingérences, sans conditionnalités impossibles, sans préalables, et surtout sans menaces systématiques de sanctions : c’est la carotte sans bâton », révèle Jean Ping. Pédagogue, le président de la commission de l’union africaine rappelle aux occidentaux que « punir est une science et non un réflexe ».
Et s’agissant spécifiquement de la coopération sino africaine, Jean Ping se demande au nom de quoi, les pays occidentaux qui entretiennent des relations avec la Chine, trouveraient-ils à redire : « Ce qui est bon pour eux n’est-il pas bon pour l’Afrique ? » S’interroge t-il. Et pour appuyer sa position par rapport à ce débat, l’auteur convoque les propos dénonciateurs de Louis Michel, le commissaire européen au commerce : « je ne veux pas rester complice silencieux de tous les pays européens qui cherchent à approfondir leurs relations économiques avec la Chine et tenir en même temps le discours culpabilisant à l’égard des Etats africains qui nouent de telles relations avec la Chine. Je suis favorable à la mondialisation pour tous, pas seulement pour les européens ».
Au delà de sa dimension rhétorique par rapport au développement de l’Afrique, l’œuvre de Jean Ping est d’abord une sorte de récit de vie dans lequel l’auteur décline avec force anecdotes et met en récit justement sa riche carrière de diplomate qui, à l’ombre du président Omar Bongo Ondimba, a participé à la résolution de plus d’un conflit en Afrique. Et nous pensons d’ailleurs que c’est l'image du pacificateur qu’il souhaite voir garder de lui aussi bien à la tête de la commission de l’union africaine qu’à quelque position que ce soit dans son pays natal le Gabon. Il reste que pour la première fois, grâce à Jean Ping et cet ouvrage majeur, « les idées africaines rencontrent la réalité, c’est à dire portent en elles mêmes leur propre faisabilité ». L’ouvrage de Jean Ping se lit d’un trait, grâce à la relation des faits et surtout grâce aux images qui maintiennent éveillés.

Par Etienne de Tayo

« Et l’Afrique brillera de mille feux »
Editions l’Harmattan, Paris, 2009-08-03
Collection : Grandes figures d’Afrique

mercredi 7 octobre 2009

LE CENTRALIEN ET LE SYSTEME


Ainsi, Célestin Ndonga, directeur général de Electricité du Cameroun (EDC) a finalement été viré de son poste à l'issue du conseil d'administration extraordinaire du 24 juillet dernier. Il a perdu la partie de bras de fer qui l’opposait au conseil d’administration, certainement du fait du démantèlement de son réseau suite au remaniement ministériel de juillet dernier. Certaines informations au Cameroun le disait proche de l’ancien Premier ministre Inoni Ephraim, lui même viré lors de ce remaniement. Ainsi va le pays : « lorsque le quelqu’un de quelqu’un n’est plus quelqu’un, le premier quelqu’un se retrouve généralement dans des sales draps ».

Officiellement, il était reproché à Célestin Ndonga "la signature d'une convention avec les coréens au sujet de la construction d'une centrale à gaz à Douala dans le cadre du programme d'urgence du développement du secteur de l'énergie au Cameroun". Mais d'après les observateurs, il ne s'agit que de la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.
Déjà dans un article titré : « un centralien électrocuté », le journal « Mutations » du 26 juin dernier relatait les déboires de Célestin Ndonga à la tête de la société d’Etat où le conseil d’administration l’a presque étalé. Célestin Ndonga, l’homme aux dreadlocks n’est certainement pas le plus célèbre des centraliens du Cameroun. Les plus célèbres dont les noms ressortent des archives de l’école Centrale de Paris sont : Justin Ndioro et Thomas Dakayi Kamga, tous deux anciens membres du gouvernement. L’histoire ne dit pas s’ils sont célèbres parce qu’ils ont réussi dans l’administration de leur pays ou célèbres parce qu’ils étaient parmi les plus brillants de leur promotion. Le premier, Justin Ndioro, a eu un parcours professionnel sans faute et s’est presque tué à la tâche au service du Prince. Quant à Thomas Dakayi Kamga, lui aussi décline un parcours professionnel époustouflant. Mais, il doit désormais se faire petit pour ne pas être repéré par le fameux « Epervier », pour passage à la tête de la défunte Camair. Non pas qu’il se reproche quelque chose ou qu’il soit déjà dans l’œil du cyclone, mais parce ce que comme on a l’habitude de dire au Cameroun, « on ne sait jamais ».
Mais le malheur qui arrive à Célestin Ndonga - qui n’est d’ailleurs qu’un épiphénomène, une virgule dans l’immense pièce mélodramatique que jouent et chantent désormais les anciens gestionnaires de la fortune publique au Cameroun - nous permet plutôt de nous interroger sur le sort qui est souvent celui des diplômés de certaines grandes écoles, en France ou ailleurs en occident, une fois revenus servir le pays. Ceci, parce que, tout compte fait, le fait de présenter quelqu’un comme polytechnicien, HEC, centralien ou Saint Cyrien a toujours été appréhendé par l’assistance comme une marque de prestige et les concernés en tirent très souvent une singulière respectabilité. Avec une pointe d’admiration pour ceux qui ont réussi à faire un parcours prestigieux et avec des regrets pour ceux qui n’ont pas pu tirer leur épingle du jeu. On entend souvent dire : « Et pourtant il avait tout pour réussir ! ».
Nous prendrons juste un échantillon, certainement pas représentatif, des diplômés de quelques grandes écoles réputées dans les pays occidentaux et voir comment ils ont eu des fortunes diverses et nous interroger sur le pourquoi de ces fortunes diverses :
- Les Polytechniciens : le général de corps d’armée Nganso Sunji Jean, actuel inspecteur général des armées; l’honorable Jean Jacques Ekindi, entrepreneur infortuné, homme politique et actuellement député à l’Assemblée nationale ; André Siaka, directeur général des Brasseries du Cameroun et ancien patron des patrons du Cameroun ; Christian Penda Ekoka, consultant; Alphonse Siyam Siwe, ancien ministre récemment condamné à la prison à vie pour détournement de fonds publics.
- Les HEC : Elisabeth Tankeu, ancien ministre et actuellement commissaire à l’union africaine ; Jean Pascal Zoleko, ancien entrepreneur infortuné à la retraite ; Célestin Bedzigui, ancien dirigeant infortuné de sociétés et homme politique à la tourmente, actuellement exilé aux Etats Unis.
- Les Saint Cyriens : le général d’armée Pierre Sémengue, contrôleur général des armées, longtemps, l’unique général de l’armée camerounaise ; le colonel Edouard Etonde Ekoto, très redouté sous Ahidjo et mis à la retraite anticipée, démystifié sous Biya et actuellement pensionnaire à la prison centrale de Douala pour détournement de fonds publics ; le général de division Meka René Claude, actuel chef d’état major des armées ; les généraux de division Jean René Youmba, et Philippe Mpay ; le général de brigade Tchemo Hector Marie ; le capitaine Waffo Robert, bloqué au grade de capitaine jusqu’à son décès, pour insolence notoire.
- Les centraliens : Jean David Bilé, ancien patron de Aes Sonel ; Emmanuel Bityéki, ancien pensionnaire de la prison politique de Tcholliré pour distribution de tracts sous Ahidjo et néanmoins inventeur des fondements mathématiques du football ; l’honorable Christophe Eken, député à l’Assemblée nationale et actuel président de la chambre de commerce.
Qu’ils aient été dans la fonction publique, le secteur privé ou qu’il aient voulu tout simplement se mettre à leur propre compte, certains de ceux que nous nommerons sous le vocable générique de centraliens ont eu très peu de fortune lorsqu’ils ont voulu se déployer dans le secteur privé notamment en créant des sociétés. Le cas de Jean Jacques Ekindi est à ce titre édifiant. D’autres, intégrés aussi bien dans l’administration publique que dans les entreprises privées ont eu maille à partir avec le système qui souvent n’a pas manqué de les broyer. C’est justement le cas de Célestin Ndonga contre qui les récriminations du conseil d’administration sont édifiantes.

Péchés mignons
Dans une de ses résolutions, le conseil d’administration, qui a certainement été fatal à Célestin Ndonga, relevait ce qu’elle considérait alors comme des manquements de la direction générale et décide de la « suspension de certains pouvoirs du Directeur Général par la limitation de sa capacité à engager financièrement la société, notamment à travers l’instauration d’une double signature de tous les actes à caractère financier ». Et pour parer à toute éventualité, le conseil d’administration « a désigné l’administrateur représentant la tutelle financière comme co-signataire ». Pour justifier ce désaveu doublé de suspicion, le conseil d’administration soutient que « la Direction Générale fait preuve de dispersion dans l’exécution des missions de la société ; que l’action de la Direction Générale est caractérisée par de graves lacunes dans la compréhension et la mise en œuvre des procédures prévues par la réglementation en vigueur dans les entreprises du secteur public et para-public au Cameroun ; que la gestion financière de la société par la Direction Générale est peu conforme aux règles, normes et procédures généralement admises et prévues par la réglementation en vigueur ».Un tel coup de semonce porté à un gestionnaire de la fortune publique serait passé totalement inaperçu si le mis en cause ne se présentait pas sous le vocable prestigieux de centralien. Comment donc comprendre que des gens qui ont été formé pour gérer aussi bien les hommes que les biens se voit sanctionné pour des fautes aussi élémentaires ? Où donc trouver le ver ? Dans le fruit ou sous la langue de celui qui consomme le fruit ? Autrement dit, les produits sortis des grandes et prestigieuses écoles des pays occidentaux sont-ils inadaptés pour les pays en voie de développement comme les nôtres ?
Le cas de Célestin Ndonga nous permet plutôt de nous interroger sur l’apport des centraliens mais aussi de tous ceux sortis d’autres écoles prestigieuses telles Polytechnique, Saint-Cyr et autres, à la promotion du développement du développement en Afrique. Autrement dit, l’environnement et le système en cours dans les pays africains sont-ils propices à l’appropriation du savoir dont sont détenteurs les centraliens ? Faut-il au centralien, une sorte de tropicalisation de son savoir pour mieux le mettre au service de son pays ? Au regard de ce qui arrive à Célestin Ndonga et à tous les autres « centraliens » qui ont échoué, nous pouvons nous interroger sur l’utilité des réseaux presque sectaires mis sur pieds par ces écoles et auxquels appartiennent les anciens lauréats.
Au Cameroun et dans la plupart des pays africains, « centralien » renvoie aux lauréats de la prestigieuse école de la rue Grande Voie Vignes à Châtenay Malabry au sud de Paris. Mais parfois, tous ceux qui ont décroché un diplôme d’ingénieur dans quelque école de France ou d’ailleurs en occident, peuvent aussi se présenter sous ce vocable pour profiter du prestige y afférent. Créée en 1829 par 4 personnalités ouvertes au développement de la science industrielle, l’Ecole centrale de Paris qui a ouvert une annexe à Pékin en 2005, a formé des ingénieurs de renom tels : Eiffel, Peugeot, Schlumberger, Blériot… La devise de cette école est : « sens de l’innovation, esprit d’entreprise, compétence de gestionnaire ». C’est dire si en lisant l’article du journal Mutations, les dirigeants de l’Ecole Centrale serait très gênés de voir un de leur produit pris dans les filets de la gestion d’entreprise, ce pourquoi ils sont d’ailleurs formés.

Et pourtant
Célestin Ndonga dont il est question ici a eu un parcours professionnel plutôt brillant jusqu’à ce qu’il se prenne le pied dans cette affaire de mal gouvernance présumée à la tête d’une société d’Etat. Pendant 15 ans, il a été directeur de l’industrie avant d’être nommé conseiller technique du ministre de l’industrie des mines et du développement technologique. Finalement, ce qui devait être pour lui un couronnement d’une carrière bien conduite, à savoir sa nomination à la tête de Electricité du Cameroun, s’avère être le révélateur des tares peut-être dissimulées.
Lorsqu’ils reviennent au pays auréolé de leur parchemin de centralien, les produits de l’école de Châtenay Malabry, et d’autres écoles de même calibre, intègrent un système et c’est à ce niveau que tout se joue. Ils retrouvent parfois leurs anciens camarades de classe qui n’ont pas pu aller aussi loin qu’eux mais qui du fait de l’ancienneté dans le système occupent déjà des positions parfois stratégiques. Ils retrouvent aussi les lauréats de ces grandes écoles qui les ont précédé au pays. Dans tous les deux cas, ceux qu’ils retrouvent ont de l’avantage sur eux du fait de la connaissance du système tel qu’il fonctionne. Soit il cherche à s’imposer au système en voulant le changer et il sera broyé par ce dernier avec l’aide des deux catégories de personnes citées plus haut, soit il obéit au système et alors, il pourra tirer son épingle du jeu. Toute la problématique de la réussite ou de l’échec des centraliens repose sur ce choix initial. Il lui revient de mettre son intelligence à profit pour explorer le système et apprendre à lui obéir.

Le système en questions
Le système est cet agencement de toutes les pratiques individuelles qui dans une société permet aux diverses parties d’un tout de s’imbriquer harmonieusement. Ceci est bien sûr une définition du système tel que nous le rêvons. Un système des comportements vertueux tel qu’il doit fonctionner pour produire la société idéale. Le système, peut aussi être une sorte de monstre généré par les conduites perverses des hommes. Cet autre système, imbibé généralement de ce que Paul Biya a l’habitude de qualifier d’inertie, contribue plutôt à bloquer le vrai système de promotion du développement et de l’épanouissement de l’espèce humaine. Ce système pervers est très souvent le paravent derrière lequel certains dirigeants se cachent dans les sociétés modernes pour régler leurs comptes à leurs adversaires. Ainsi dira t-on d’une personne prise dans les filets de la justice et embastillée par exemple qu’elle est victime du système. Ce système est par essence complexe, inextricable, parfois incontrôlable, toujours insaisissable. Le système ne saurait être réduit à une personne ou à un groupe de personne. Même si parfois, il a des personnes plus ou moins zélées à son service. Toute personne qui prétend contrôler le système de bout en bout est dans l’illusion. Comme l’affirme Roland Cayrol à propos du système politique et médiatique, « le fonctionnement du système politique ou médiatique dépasse les individus et fait souvent d’eux les acteurs d’une pièce qu’ils n’ont pas souhaité écrire de cette manière ».
Le système est l'un des supports sur lequel repose le politique. C'est un peu la fondation sur laquelle il est bâti. Or, comme on le sait, la pratique politique n'est jamais un long fleuve tranquille. "Elle n'est pas seulement un constant procès où les sentences tranchées se succèdent, c'est une lutte, un jeu de forces concurrentes et souvent opposées". Au-delà du fait qu'il est institué par les hommes dans leur volonté d'administrer la cité, un système finit par devenir une entité vivante presque autonome. Ainsi, comme l'affirme Alain Lancelot, "chaque système a ses conceptions de l'avenir de la société. Il propose certaines fins à l'action publique et précise par quels moyens elles doivent être recherchées".
Dans un pays comme la France, le système est déjà très complexe. Il l’est davantage dans les pays de la post colonie où le système néo-colonial subsistant, forme avec le système local un cocktail parfois explosif. Ces systèmes s'alimentent le plus souvent des savoirs de croyances : "chaque système propose une explication des faits du présent mais par un curieux aveuglement, il retient seulement de la réalité, ce qui confirme ses thèses. Il paraît choisir les victimes qu'il faut secourir et les événements dont il faut s'indigner. Ces croyances sont nourries d'expériences et on ne peut pas avoir raison contre l'histoire".
Selon les cas, le système peut privilégier l’excellence ou la médiocrité. Mais en général, les systèmes, aussi bien en Afrique que dans les pays comme la France, se méfient des grandes intelligences et ont tendance à les briser pour les faire rentrer dans les rangs. Pour s’en rendre compte, il suffit de recenser sur une période donnée les majors des promotions des écoles de formation les plus prestigieuses et les suivre le long de leur carrière. La même expérience peut être menée par rapport aux derniers des promotions. En prenant uniquement le cas de la France, on peut constater comment Alain Juppé dont Jacques Chirac disait que « c’est le meilleur de nous tous », mène plutôt une carrière en dent de scie. Ou encore Laurent Fabius sur lequel Mitterrand avait tant misé. Au Cameroun, nous pouvons citer le cas de Frédéric Godwe, jeune polytechnicien diplômé de l’école de Yaoundé à 20 ans et présenté comme "le meilleur parmi les meilleurs de cette école". Nommé directeur général de la Sotuc au début des années 1980, à 23 ans, il a eu une fin de vie dramatique.

Dompter le système ou lui obéir
Le jeune cadre qui intègre la vie professionnelle ou bien le cadre issu de la diaspora qui arrive au pays, doit prendre le temps de savoir quelles sont les options du système mis en place : l'action ou l'inaction. Car, comme le souligne Alain Lancelot, "la portée politique de l'inaction peut être considérable et certains gouvernements ne sont connus que pour leur immobilisme : ils ont choisi le statu quo contre les sollicitations opposées de l'action et de la réaction". C'est seulement lorsqu'il aura analysé la nature du système que le cadre réellement intelligent doit définir sa propre stratégie de collaboration avec ce système. Face au système, il peut choisir d'adopter la sagesse du proverbe peul : "si la terre tourne, tourne avec elle". Il peut aussi choisir de ne pas tourner avec la terre, de se poser des questions sur cette terre qui tourne ou même tenter de l'arrêter de tourner.
Dans une société très politisée comme c’est le cas dans la plupart des pays francophones, le système est très hostile à l’intelligence pétillante. Ceci parce que c'est le profil politique du postulant qui est privilégié et mis en avant. Or, la pratique politique est le métier qui requiert le moins d’intelligence possible. Comme le disait Churchill, « faire la politique, c’est plus facile que faire cuire une omelette ». Au Cameroun sous Ahidjo, pour disqualifier ces genres d’intelligences, le régime les qualifiait de marxisants. Ainsi me disait Moussa yaya à propos de Victor Kanga : « il était intelligent mais un peu marxisant ». Une façon de les mettre au banc de la société et de les livrer au système dans ce qu’il a de plus meurtrier. Pour assurer la reproduction du système, il est procédé à la promotion, si ce n’est de la médiocrité, mais des intelligences très moyennes. Celles qui ne poseront pas trop de questions, qui n’auront pas une approche trop intelligible de la gestion des affaires mais se contenteront de reproduire à l’identique des faits et gestes de leurs devanciers et à se laisser conduire par le système. Dans un tel système, comme le dit si joliment Charly Gabriel Mbock, "on ne se soutient pas, on se tient".
Mais cette prudence a son revers. Dans la majorité de ces pays fonctionne aujourd’hui un système fou que plus personne n’arrive à dompter, à contrôler. Ceci parce que, comme des virus, les travers du système ont tellement muté au point de devenir résistant à tout traitement. Dans sa phase la plus achevée, tout système qui se referme sur lui même, est comparable à une révolution trahie. C’est à dire celle qui se nourrit de ses fils. Il commence d’abord par broyer ceux qui lui sont réfractaires. Pendant ce temps, ceux qui croient le contrôler exultent, jusqu’au jour où eux-mêmes sont atteints et broyés. Ce système là génère aussi un pouvoir fragmenté. En fait, on parlerait mieux des pouvoirs lorsque chaque responsable croit détenir ou détient effectivement une parcelle de ce pouvoir et le gère à sa guise en se prenant pour le chef suprême. C’est ce qui fait dire que le Cameroun est un pays de 15 millions de présidents de la République. Regardez autour de vous et vous constaterez que chaque Camerounais d’un certain âge est au moins président de quelque chose : une association familiale ou amicale par exemple.
Au moment où on parle de plus en plus d’une ouverture du pays aux cadres de la diaspora. Au moment où au sein de la diaspora, l’impatience se fait ressentir chez les potentiels candidats au retour, un effort d’adéquation entre les pratiques propres du pays et la norme internationale est absolument nécessaire. Si le pays veut réellement acquérir la plus value dont se prévalent les cadres de la diaspora, c’est à dire ceux qui ont acquis d’autres attitudes et se sont laissés mouler dans d’autres systèmes, il est impérieux de mener une profonde réflexion pour voir dans quelle mesure il faudra parvenir à une intégration optimale des ressources humaines de la diaspora dans le système sans que ceux ci se fassent broyer mais plutôt qu’il se laisse renouveler. Là est peut-être toute la problématique de la contribution de la diaspora au développement du Cameroun.

Etienne de Tayo
Promoteur « Afrique Intègre »
http://www.edetayo.blogspot.com/