vendredi 23 juillet 2010

Commerce équitable : Le nouveau masque de la spoliation des pays du Sud

Le concept de commerce équitable a été lancé par certains promoteurs d’ONG soucieux de remédier à la détérioration des termes de l’échange dans le commerce international en permettant aux pays du sud de profiter du fruit réel de leur travail et limiter par le fait même, les profits parfois exorbitants engrangés par les négociants dans les pays du nord. Une idée apparemment séduisante et même généreuse.

Mais c’est lorsqu’une idée est séduisante qu’il faut le plus s’en méfier surtout dans un monde où l’homme s’est toujours caractérisé par sa cupidité et même sa méchanceté. Une telle idée peut dissimuler un gros piège ou du moins participer d’une stratégie de diversion face à un problème réel et prégnant : le problème de l’équité dans le commerce Nord-Sud. Allons-y donc voir de quoi cela retourne.
Les promoteurs du commerce équitable ont mené la même analyse que tous les ONG de bonne foi par rapport aux échanges commerciaux nord-sud et surtout par rapport à un déséquilibre et à une détérioration constante des termes de l’échange. Ce déséquilibre comme on le sait, continue de maintenir le producteur du sud dans une pauvreté parfois abjecte alors que le négociant du nord, du simple fait qu’il contrôle le circuit de distribution et fixe les prix, plastronne dans l’opulence. Le produit intérieur brut d’un pays n’étant que la somme des valeurs ajoutées des opérateurs économiques, les pays du sud sont maintenus dans la pauvreté alors que les pays du nord nagent dans la prospérité.
Pour le comprendre le caractère inique du commerce international que le commerce équitable souhaite corriger, prenons un cas d’école. Un kilogramme de café produit à Dschang dans l’ouest du Cameroun est acheté au producteur local à 800 F CFA, c’est à dire 1,21 euros. Pour produire ce kilogramme de café et, en raison d’une très faible productivité des plantations, le planteur de Dschang a besoin en moyenne de 20 kilogrammes d’engrais pour ne prendre que le cas de cet intrant parmi tant d’autres. Je bloque volontairement des variables comme les pesticides ou encore la rémunération de son propre travail en supposant que toutes choses égales par ailleurs. Un kilogramme d’engrais parvenu à Dschang et sans spéculation coûte 170 F CFA c’est à dire 0,26 euros. Pour produire un kilogramme de café, il en faut 20, cela coûte 3400 F CFA d’engrais soit 5,20 euros. A ce niveau, nous pouvons déjà relever que le kilogramme de café est vendu par le producteur de Dschang, à un prix 5 fois inférieur au coût d’un seul intrant qu’est l’engrais. Evidemment, cela ne lui permettra jamais d’étendre son exploitation et il restera à jamais un homme pauvre travaillant pour la richesse des autres.
Venons maintenant au lieu de consommation du précieux liquide noir issu du café moulu tant prisé dans les pays froids, pour voir ce que le kilogramme du café du producteur de Dschang, rapporte au négociant parisien ou même au détaillant qui se trouve en bout de chaîne. Prenons le détaillant et voyons une machine de distribution de café, bien serré, dans n’importe quelle gare ou métro de Paris. La « dosette », qui n’a reçu pour tout produit complémentaire qu’un morceau de sucre – et parfois pas d’ailleurs - est vendue à 1 euro, c’est à dire 657 F CFA. Selon les spécialistes, un kilogramme de café moulu permet d’avoir entre 60 et 70 « dosettes ». Prenons la moyenne de 65 « dosettes ». Cela veut dire qu’un kilogramme de café rapporte au détaillant 65 euros soit 42 705 F CFA, c’est à dire 53 fois le prix du kilogramme acheté au producteur de Dschang qui est de 800 F CFA. Il faut dire que si je devais prendre une dosette vendue dans un café situé sur les Champs-Elysées ou dans quelque hôtel chic de la place, le différentiel serait double voire triple. Même si nous devions prendre en compte toutes les charges occasionnées par le transport, la manutention, la torréfaction et même d’autres charges inhérentes au niveau de vie élevé en Europe, cela n’explique pas que le profit soit de l’ordre d’un multiple de 50.
Voilà donc l’analyse, parfois révoltante, que les promoteurs du commerce équitable ont dû conduire. Cela a tout l’air d’une prise de conscience tout ce qu’il y a de normal. Ils sont parvenus à la conclusion, comme tout analyste lucide, qu’il y a quelque part une exploitation éhontée du petit producteur du sud par les négociants et les détaillants du nord. Mais c’est au niveau des solutions à apporter à ce scandale que les promoteurs du commerce équitable se sont laissé enfermer dans des démarches empreintes de charité et d’assistance éternelle aux pays du sud là où il faut se battre pour rendre les règles de jeu plus justes pour tout le monde.
Tels qu’ils veulent se présenter, les promoteurs du commerce équitable arrivent pour corriger ce que les méchants négociants font aux petits producteurs des pays du sud. Mais lorsqu’on décrypte leur démarche, on constate qu’elle est bâtie à partir des mêmes théories que celles sur lesquelles sont construites les stratégies de spoliation des pays du sud. A savoir la théorie du centre et de la périphérie dévoilée par Samir Amin et qui fait du sud périphérique, la vache à lait éternelle des pays du nord situés au centre.
C’est en fait pour couvrir cette théorie d’exploitation que toute sorte d’initiatives sont lancées en vue dit-on d’assister les pays du sud et les accompagner dans leur développement. On peut citer la théorie de l’aide au développement qui masque le plus gros scandale de la coopération Nord Sud. Ces initiatives d’apparence généreuses, devant agir comme un voile qui couvre en réalité la vaste opération d’exploitation. Cette démarche, en maintenant le sud au rang d’éternel assisté, détruit la dignité de ses peuples et les condamne à vivre à la marge du monde.
L’action des promoteurs du commerce équitable vise ainsi à couvrir le bruit que font les actions des ONG et de toutes les âmes de bonne foi qui interpellent constamment les pays du nord et les organisations en charge de la régulation du commerce international afin que les règles plus justes soient édictées. Cette action vise aussi à exploiter la naïveté du consommateur du Nord qui, toujours tenu dans l’ignorance de qu’est la réalité de la coopération Nord Sud, pourrait à son niveau assister ces peuples attardés.

La stratégie du « gentil policier »
Nous avons vu que les promoteurs du commerce équitable tiennent le même discours que certains ONG de bonne foi. Ils dénoncent ceux qui les ont précédé, ont pillé et appauvrissent encore les paysans du sud, les ont soumis au travail forcé pour profiter du fruit de leur travail. Ils disent vouloir remédier à cette situation. Mais puisque à l’égard du producteur du sud ils ont la même perception que ceux qui les ont précédé, c’est à dire des hommes et femmes qui ne peuvent survivre que grâce à la générosité du consommateur du nord, laquelle remplace la générosité des Etats du Nord, j’arrive à la conclusion qu’entre les gentils promoteurs du commerce équitable et les méchants exploiteurs des paysans du sud, c’est bonnet blanc, blanc bonnet. Le promoteur du commerce équitable n’est que ce « gentil policier » que tous ceux qui ont côtoyé les commissariats connaissent très bien.
Dans un commissariat, c’est connu, le policier le plus dangereux n’est pas celui qui vient vous frapper en vociférant toute sorte d’insanités à votre endroit. Le plus dangereux, c’est celui qui vient après, alors que l’autre vous a ensanglanté le visage. Le second policier qui vient vous parle souvent d’humanisme, des droits de l’homme et dénonce même les agissements de celui qui l’a précédé. Mais tout cela ne vise qu’à vous endormir, pour vous tirer les vers du nez et obtenir ce qui servira à votre condamnation. Et si les policiers ont adopté cette stratégie du faux gentil et du vrai méchant ou du vrai gentil et du faux méchant, ils ne l’ont pourtant pas inventé. Ils l’ont adopté parce qu’elle a fait ses preuves ailleurs. Par exemple dans les stratégies d’hégémonie que tous les peuples dominateurs ont toujours mis en place pour conquérir les territoires, soumettre leurs peuples et exploiter leurs richesses sans que ceux ci parviennent à la révolte.
Prenons par exemple le cas des rapports entre l’Europe d’abord esclavagiste puis colonialiste et enfin coopérante et l’Afrique, pour mieux expliciter cette stratégie du « gentil policier ». Lorsque au milieu du 17e siècle, l’Europe décide de mettre fin à l’esclavage pratiqué depuis 4 siècles et qui a permis à une catégorie de personnes, les esclavagistes en l’occurrence, de s’enrichir en réduisant les peuples africains au rang des bêtes de traite, le masque du « gentil policier » est apparu pour casser la résistance qui s’organisait partout pour lui faire payer ses crimes à l’esclavagiste. L’esclavagiste avait créé sur le continent une industrie de production des esclaves. L’indigène était transformé en un élément d’un vaste troupeau destiné à être pourchassé dans la brousse, à être attrapé et à être conduit au bateau. Ceci rendait la vie des hommes ordinaires insupportable sur le continent.
Mais partout ailleurs, la résistance des peuples s’organisait pour s’élever contre la pratique de l’esclavage. L’esclavagiste lui-même a fait un calcul simple et a constaté que cela lui coûtait même cher de transporter les esclaves jusqu’en Amérique. Il a compris qu’il peut utiliser les mêmes personnes sur place pour des travaux similaires mais il faut qu’il change de visage en portant un autre masque. C’est ainsi que d’autres personnes sont venues sous d’autres visages, avec d’autres formes de discours et tendant à dénoncer les agissements de l’esclavagiste dont l’inhumanisme consistait à transporter des êtres humains comme des bêtes sauvages. C’est le masque du colonisateur qui est apparu. Il avait tout le loisir de dire aux peuples jadis esclavagisés : « moi au moins, je vous donne votre humanité. Pour moi, vous n’êtes plus des bêtes de somme mais des êtres humains, juste un peu inférieur que moi mais des êtres humains tout de même. Et puis, pour vous montrer que je vous considère comme des êtres humains, je vous apporte la civilisation ».
Ce discours charmeur a permis de casser la résistance des Africains et imposer la colonisation. Mais les historiens qui se sont penchés sur cette période de l’histoire africaine, affirment que le travail forcé, largement pratiqué pendant la colonisation, a été parfois plus cruel que l’esclavage. C’est justement pendant ce travail forcé que les Belges de la société Witaker ont mis sur pieds une politique consistant à leur couper le bras à tous les indigènes qui n’avaient pas atteint une certaine quantité fixée de l’hévéa récoltée. C’est pendant cette période de la colonisation censée corriger les atrocités de l’esclavage et apporter l’humanité aux indigènes, que des millions d’Africains sont morts dans des chantiers de construction de chemins de fer au Cameroun, en Afrique du Sud, au Zimbabwe… Cela se voit que le « gentil policier » colonialiste a été plus dangereux et plus cruel que l’esclavagiste, si tant est qu’une cruauté peut être moindre qu’une autre.
Par la suite, lorsque la prise de conscience a été faite et que les populations ont commencé à s’organiser contre les atrocités de la colonisation, notamment par syndicats ou même les mouvements de résistance, un autre masque du « gentil policier » est apparu. C’est le masque du coopérant. C’est un monsieur très gentil et affable. Il s’infiltre dans la population et procède par recherche participative. Ils mangent ce que les indigènes mangent, s’habille comme eux. Une fois en vacance dans mon village, j’ai constaté la présence d’une volontaire. Elle était très appréciée des villageois parce qu’elle faisait tout comme eux. Apparemment désargentée, elle se faisait transporter à moto. J’ai discuté avec elle et elle m’a dit qu’elle était une étudiante et que ce qu’elle faisait rentrait dans le cadre de son stage. Mais quelques semaines après, tout à fait par hasard, je l’ai rencontrée à Yaoundé, à l’hôtel Hilton où elle était descendue. Elle a semblé ne pas me reconnaître et ne pas se souvenir de notre rencontre. J’ai compris et je n’ai pas insisté.
Certains coopérants n’hésitent pas à porter la soutane pour faire plus anodin. Et parlant justement de la soutane, lorsque j’étais jeune au Cameroun, j’avais en face de chez moi un pasteur de l’église évangile du Cameroun. Il était d’origine allemande. Il vivait dans un couple tout ce qu’il y a d’ordinaire. Il avait des jumeaux d’à peine 6ans. Grâce aux bananes mûres que j’avais toujours à la maison, je bénéficiais de la visite constante de ces enfants qui en raffolaient. Un jour, l’un d’eux m’a dit qu’en Allemagne, son père était policier. N’approuvant pas une telle indiscrétion, son frère est allé le trahir à sa mère. Cette dernière est venue et avec une de ces rares violence a entraîné le petit dans la barrière et lui disant de ne plus jamais mettre les pieds chez moi. Sur le coup, avec le regard de l’enfant que j’étais, je ne voyais rien, je ne comprenais rien. Juste une maman courroucée par un enfant un peu trop bavard.
Les coopérants ont été des agents propagateurs des théories dominantes telles l’évolutionnisme ou encore le diffusionnisme. Ils dénoncent le colonisateur avec une virulence qui rassure. Prenant le masque du chercheur, ils étudient les modes d’organisation des peuples colonisés en cherchant des failles par lesquelles on fera passer des tubes d’exploitation. C’est le travail qui a été celui des anthropologues de la colonisation par exemple. Ils contribuent à construire ce que les autres appelleront plus tard les acquis positifs de la colonisation et tenteront de les utiliser pour faire passer la pilule de la colonisation et préparer l’arrivée d’autres têtes portant d’autres masques. Par toutes ces actions parfois séduisantes, ils réussissent à casser de l’intérieur la résistance des peuples opprimés.
C’est le coopérant qui élabore, en tant que conseiller technique dans la plupart des ministères des pays nouvellement indépendants, les politiques de développement en y introduisant parfois des variables destinées à fausser à jamais l’équation du développement. C’est ce qui a conduit dans plusieurs pays à ce qu’on appelle des éléphants blancs représentés par un ensemble de projets foireux qui n’ont servi qu’à engloutir d’énormes sommes d’argent et à enrichir la kyrielle d’experts qui s’y sont penchés. Et ce n’est pas tout. C’est sur la base de ses recherches que les pays colonisateurs concoctent et signent avec les pays anciennement colonisés et nouvellement indépendants, des accords de coopération parfois léonins à leur propre profit. On parlerait pour citer un cas pratique du mécanisme du compte d’opération bien connu entre les pays de la zone CFA et la France. Ce sont ces accords qui ont tout simplement réorganisé des formes d’exploitation qui continuent aujourd’hui à maintenir les pays d’Afrique dans ce qu’on appelle le sous développement.
Lorsque la coopération nord sud est de plus en plus dénoncée et que la domination des pays du nord s’essouffle face à l’offensive des pays émergents, mais surtout grâce au harcèlement des ONG qui perturbent systématiquement les sommets des pays dits riches, une autre figure du « gentil policier » apparaît. Elle est portée par les promoteurs du développement solidaire. Ce concept trompeur voudrait tout simplement suggérer la communauté des destins entre l’Europe et l’Afrique. Et la matérialisation a commencé par la tentative de mise sur pieds de UPM (union pour la méditerranée). Historiquement, on n’a jamais vu un pays ou un groupe de pays puissants invités les autres considérés comme faibles ou affaiblis à leur table au nom d’une quelconque solidarité.
C’est à dire que bientôt la méditerranée, une partie de l’Afrique, en attendant de l’élargir à toute l’Afrique, et l’Europe se retrouveront dans un même forum pour penser ensemble leur développement. Et dire qu’il y a seulement quelques années, lorsque le Maroc de Hassan II avait émis le désir de se joindre à l’Union Européenne en raison de la proximité de son territoire avec l’Europe, il avait essuyé un rire moqueur de la part des tenants de l’Europe toute puissante. Croyez moi que cela est très gentil et contribuera à calmer plus d’un Africain que de savoir que l’Europe n’est plus le maître assis à l’étage supérieur essuyant ses pieds sur l’Afrique, mais que l’Afrique et l’Europe partagent désormais la même cabine dans le bateau monde. Cela le calmera, l’endormira et permettra à l’Europe de trouver la meilleure position pour continuer l’œuvre entamée il y a plusieurs siècles.
Et même lorsque les pays colonisateurs ont constaté que la coopération bilatérale est de plus en plus dénoncée par les ONG et par une résistance organisé dans les pays africains par des mouvements d’opposition, et que tôt ou tard, les accords iniques finiront par être mis à nu, ils ont tout simplement rétrocédé le rôle qu’ils détenaient jusque là à un troisième larron. Le « gentil policier » est apparu sous la figure des institutions de Brettons Wood et principalement la Banque mondiale qui est venue avec le discours du bon samaritain distribuant les aides, pansant les plaies causées par l’irresponsabilité des pays colonisateurs et surtout par le méchant confrère appelé Fond Monétaire International fort opportunément rebaptisé Fond de misère instantané par feu le professeur Tchuidjang Pouémi, parce que plus prompte à empoisonner constamment le malade pour justifier sa présence.
Dans la stratégie du « gentil policier », nous constatons qu’il s’agit juste de substituer un procédé démasqué par un autre plus subtil en poursuivant le même objectif. Le but étant de perdre l’autre pour mieux l’exploiter parfois avec son propre concours.

Une double escroquerie
Aujourd’hui, les produits estampillé « commerce équitable » prennent de plus en plus de place dans les supermarchés des pays du nord : « On trouve les produits équitables dans 55 000 supermarchés et plus de 2800 boutiques spécialisés ». D’après le site « actualités solidaires », « avec 60 à 70% des volumes commercialisés, l’Europe offre ses principaux débouchés au commerce équitable. Les ventes ont progressés de 20% par an depuis 2000. Ce qui fait du commerce équitable l’un des secteurs économiques les plus dynamiques d’Europe ». Le promoteur initial de l’idée, le Suisse Max Avelar, qui avait édité un livre sur le concept, fait face aujourd’hui à une très forte concurrence. Dans ces pays, les consommateurs de très bonne foi parfois, parce que croyant agir pour mettre fin à l’exploitation du petit producteur du sud se ruent sur ces produits et acceptent de payer un peu plus cher. L’acte qu’ils posent en payant quelques centimes d’euros supplémentaire est comparable à l’acte de charité qu’ils poseraient dans n’importe quel métro de Paris en donnant quelques piécettes à un mendiant venu leur conter son histoire. Mais, comme s’interroge si opportunément Bernard Conté « ne s’agit-il pas pour eux de se donner (ou de s’acheter) bonne conscience à moindre coût ? »
Ce qui est vrai aussi c’est que quelques paysans du sud, une partie infinitésimale de ces paysans exploités par les méchants négociants, arrivent à bénéficier effectivement du surplus payé par le consommateur d’Argenteuil en Banlieue parisienne par exemple. Ainsi, « 59 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine seraient bénéficiaires du commerce équitable en 2009. Au moins 200 organisations importent les produits équitables en Europe et l’ensemble de ces filières bénéficient à plus de 5 millions de producteurs dans les pays en voie de développement ». Mais le nombre de bénéficiaire est souvent tellement infime qu’on se demande parfois si le bruit fait autour de cette affaire en vaut vraiment la peine. Ces bruits, minutieusement organisés autour des campagnes médiatiques, ont quelque chose de soupçonneux. On parle de 5 millions su près de 2 à 3 milliards de paysans exploités dans le monde. Et les promoteurs du commerce équitable restent très discrets pour ce qui est du chiffre des retombées financières pour les producteurs du Sud. On a souvent vu construire une école, un dispensaire qui parfois ne fonctionnent réellement que le jour de leur inauguration et sombrent dès que les caméras s’éloignent.
Une première escroquerie vise la naïveté des consommateurs des pays du nord dont la générosité est utilisée à d’autres fins. Ils croient payer plus juste pour nourrir une bouche supplémentaire dans les pays du sud, mais leur action vient plutôt soutenir l’idéologie de la domination du sud conçu et mis en œuvre par les puissances d’argent. En effet, par leur action, les promoteurs du commerce équitable exploitent la générosité des consommateurs des pays du nord mais cherche en définitive à inscrire dans leur subconscient, le fait que leur générosité est nécessaire à la subsistance des peuples du sud. Mais une telle action apparemment anodine va plus loin et cherche à agir à la consolidation d’un axe toujours entretenu entre les peuples du nord et ceux du sud. Il s’agit de l’axe peuples dominants, peuples dominés ; peuples riches, peuples pauvres, peuples supérieurs, peuples inférieurs. Et cela se voit chaque jour dans le regard qu’un ressortissant d’un pays du nord pose sur un ressortissant d’un pays du sud. Un regard dévalorisé agrémenté par un discours misérabiliste. C’est sur ce terreau que fleurissent toutes les discriminations dont les peuples du sud sont l’objet de la part de leurs congénères du nord qui peinent parfois à leur reconnaître le statut d’être humain à part entière. Ils sont considérés comme des squatters du monde à qui il faut toujours venir en aide. Par leur manœuvre, les promoteurs du commerce dit équitable, sapent les bases de la coexistence pacifique des peuples dans le monde et contribuent malgré eux à rendre toujours plus fort, l’exploiteur des producteurs du sud.
La deuxième escroquerie vise l’autre naïveté : celle de quelques petits producteurs du sud bénéficiaires des miettes, et qui, parce que trompés par les campagnes médiatiques pensent que c’est le destin de tous les petits producteurs comme lui qui a changé en mieux, accepte sa condition, permettant ainsi à l’exploiteur de s’enrichir éternellement sur son dos. Les promoteurs du commerce équitable ont souvent poussé le cynisme au point de se faire accueillir en héros et se faire décorer dans plusieurs pays du sud où malheureusement des millions de paysans continuent de souffrir de la détérioration des termes de l’échange et de ne pas pouvoir vivre des fruits de leur exploitation. Pour le peuple du sud, l’action des promoteurs du commerce équitable, parce qu’elle fait reposer sa stratégie sur la générosité du consommateur du nord devant déboucher sur l’assistance au producteur du sud, est une opération prédatrice de dignité. Car, un peuple qui est présenté comme vivant essentiellement de la générosité des autres ne peut jamais être un peuple fier et digne.
Nous avons vu plus haut au l’action des promoteurs du commerce équitable s’inscrit parfaitement dans la théorie du « gentil policier ». Et que cette théorie n’est qu’un paravent déployé par l’exploiteur pour endormir l’adversaire trouver une meilleure position d’exploitation. Dès lors, il devient facile d’affirmer que le commerce équitable n’est en réalité qu’une opération de communication destiné à étouffer dans l’œuf l’action des ONG qui posent le même problème de l’exploitation du petit producteur du sud par les négociants du nord. L’objectif ultime étant de soigner l’image de l’exploiteur du nord et casser dans le sud toute tentative de résistance face à la spoliation.

Et pourtant des solutions nobles existent
Le vrai combat à mener pour permettre aux producteurs du sud de bénéficier de l’intégralité du fruit de leur labeur et remédier ainsi à la détérioration des termes de l’échange, tout le monde le connaît. Ce sont des combats à mener au sein de l’OMC, par exemple dans le cadre de la signature des fameux accords de partenariat économique (APE) qui opposent actuellement les pays du sud à ceux du nord. C’est ce combat que mènent tous les ONG dignes de ce nom. Malheureusement, dans ce combat, les promoteurs du commerce équitable se font moins visibles. Et cela se comprend, c’est un combat qui se situe aux antipodes des objectifs qu’ils poursuivent. On peut constater aussi que malheureusement, par mauvaise foi ou par simple cynisme, l’OMC n’est pas capable d’édicter des règles justes devant présider à la marche du commerce mondial.
On sait aussi par exemple que pour des produits cultivés simultanément au nord comme au sud, les pays du nord doivent sinon supprimer, du moins baisser substantiellement les subventions accordées à leurs agriculteurs pour permettre aux produits venus du sud d’être compétitifs sur les marchés du nord. Il faut dire que ceci est un combat perdu d’avance pour les pays du sud parce que, supprimer ces subventions, revient à remettre en cause l’un des fondements du modernisme qui fonde la société occidentale. Pour les produits cultivés uniquement dans les pays du sud, on sait que l’OMC, si elle voudrait vraiment servir à quelque chose, dispose de tous les moyens de droit pour permettre au négociant de payer le juste prix.
Si les règles de jeu en matière du commerce international sont révisées en vu d’y introduire plus de justesse, le petit producteur du sud gagnera plus d’argent en vendant la même quantité de produit. Il aura plus de moyens pour acheter les intrants et ayant plus de moyens il sera tenté par l’agrandissement de son exploitation. Du simple paysan, il deviendra un agriculteur autosuffisant aussi bien au niveau alimentaire qu’au niveau financier. La multiplication des agriculteurs permettra au pays de multiplier par deux voire par cinq son produit intérieur brut. Les revenus engrangés dans le secteur primaire, qui est d’ailleurs le secteur par lequel tout développement durable s’enclenche, viendront booster la consommation et permettre aux deux autres secteurs, secondaires et tertiaires de prendre de l’envol.
Ce schéma certes simplifié est connu de tous les économistes, y compris le moins qualifié d’entre eux. Sauf que dans le projet hégémonique des pays du nord, cela agira comme un grain de sable dans la machine. Ce projet hégémonique intègre le sud comme un fonds de commerce humanitaire, une région peuplée de populations auxquelles l’occident, dans sa générosité infinie, doit toujours venir en aide.
Cette manœuvre de l’aide permet aux dirigeants de se donner bonne conscience devant leur peuple, lui aussi constamment grugé. Et afficher ainsi un visage humain aux yeux du monde. Donc, si le sud se développe, il mettra fin ipso facto à toutes les opérations de charme en trompe l’œil qui ont si souvent marqué la coopération nord sud. Ces actions concerne la dette qui permet de maintenir les autres toujours obligés vis à vis du « bienfaiteur » ; de l’aide publique au développement qui fait triompher constamment l’adage qui dit que la main qui reçoit est toujours placée en dessous de celle qui donne et anéanti de ce fait la dignité des peuples du sud ; de toutes les autres initiatives qui rentrent dans ce qu’on appelle pompeusement, développement solidaire. Dans cette stratégie d’endormissement du sud, les promoteurs du commerce équitable occupent une place de choix et il était nécessaire de le dénoncer.

Etienne de Tayo
Journaliste
Promoteur Afrique Intègre
Auteur de l’ouvrage : « Pour la Dignité de l’Afrique, laissez-nous crever » aux Editions Menaibuc

jeudi 15 juillet 2010

14 JUILLET : EXPOSITION COLONIALE ET RISQUE DE RETROCESSION DES INDEPENDANCES AFRICAINES

Les armées de 13 pays africains[1] viennent de prendre part, en tant qu'invités d'honneur, au défilé du 14 juillet sur les champs Elysées en France. Un acte hautement symbolique qui pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la dignité et la souveraineté des Etats concernés.

Depuis quelques mois, je suis avec attention et intérêt la polémique autour de la participation des troupes africaines au défilé du 14 juillet sur les Champs Elysées à Paris. Jusque là, je n'avais pas pris part à ce débat, de peur d'édifier des procès d'intention là où il faut laisser l'acte se consumer jusqu'à la fin pour après l'analyser. Je ne suis même pas allé battre le pavé à Paris en signe de protestation comme l’ont fait plusieurs Africains à l’appelle de la plateforme panafricaine et d’autres associations. Je ne l’ai pas fait parce que, comme je l’expliquais à l’un des organisateurs qui me sollicitait, les marches, pour ce qui est des questions africaines, ne sont plus un moyen efficace de protestation. Du fait peut-être de leur utilisation abusive, elles ont tout simplement perdu en originalité. Il faut promouvoir d’autres formes peut-être plus intellectuelles de protestation.
Maintenant que j'ai regardé de bout en bout ce défilé spécial du 14 juillet 2010, agrémenté effectivement par le passage et la mise en l’honneur des troupes de 13 Etats, anciennes colonies françaises, je peux me prononcer. Comme en 1931 à la porte dorée au bois de Vincennes à Paris, il s'est agit en ce 14 juillet 2010 sur les Champs Elysées, pour les Etats africains ayant accepté de jouer le jeu, toute proportion gardée bien sûr, d'une exposition coloniale doublée d'une opération historique d'allégeance et de rétrocession de leurs indépendances à la métropole française. Le dire ainsi ne participe aucunement, comme on peut le penser, d'une simple volonté de faire prospérer la formule, mais relève d'une observation minutieuse de la marche commune de la France et de ses colonies depuis au moins un siècle. Cela pousse à douter de la qualité même de ces indépendances acquises. Comme on sait, les mots servent à désigner des réalités. Les mots ne transforment pas la réalité. Et les mots différents peuvent servir à désigner une réalité qui elle est restée immuable. Par exemple, les mots esclavage, colonisation, coopération, partenariat peuvent tout à fait désigner une et même réalité qui est la soumission d’une personne ou d’une nation à une autre.
Dans la présente analyse, nous verrons comment la cérémonie du juillet sur les Champs Elysées, à l’observation, se rapproche plus de l’exposition coloniale que de ce que les organisateurs ont en voulu en faire, à savoir, une fête de la fraternité d’arme. Nous verrons ensuite comment une erreur de jugement a poussé les chefs d’Etat, ayant accepté de participer à la cérémonie des Champs Elysées, à faire courir à leurs pays le risque d’une hypothèque de leurs indépendances.

L’exposition coloniale
La nostalgie coloniale était bel et bien présente sur les champs Elysées ce 14 juillet 2010. Elle était portée en premier par les commentateurs qui ont rivalisé de formules pour décrire leur émotion et celle des Français présents, à la vue de ces soldats basanés parfois vêtus de tenus excentriques. Ainsi, lorsqu'elles entrent en scène, tous les commentateurs, de façon presque concertée décrivent les troupes africaines au travers de cette formule : "Voici l'une des plus grandes attractions de ce défilé : les troupes africaines". On retrouvera d'ailleurs la même formule à l'ouverture des journaux télévisés de 13 heures.
Pour le commentateur de TF1, Jean Claude Narcy, "ce défilé s'annonce comme un grand cru (…) c'est un défilé rare, exceptionnel que nous a concocté le général Dari avec la participation des armées africaines (…) voici l'honneur qui est faite à l'Afrique, leurs chefs d'Etat sont dans la tribune d'honneur". Jean Claude Narcy est l'un des meilleurs commentateurs du défilé militaire en France. Sauf qu'aujourd'hui, il s'embrouille un peu dans ses notes. Il ne les connaît pas et est par conséquent incapable de coller des noms aux visages des chefs d'Etat africains qui arrivent à la place du défilé. Il leur distribue pèle mêle les noms qu'il lit dans ses fiches. Lorsqu'arrive le président congolais Denis Sassou Nguessou, ne pouvant pas attribuer un nom à ce personnage qu'il reconnaît, tout de même, comme un chef d'Etat africain, Narcy dit : "Voilà un autre président africain qui arrive".
Lorsque commence le défilé et que passent les troupes africaines, Jean Claude Narcy embrouille totalement le téléspectateur qui connaît un tant soit peu les drapeaux des pays africains. Il attribue ainsi à certains pays, les armées des autres. Et il trouve une excuse : « La difficulté, c’est qu’ils sont les uns à coté des autres », se défend t-il. La vraie difficulté, c’est qu’il n’a jamais trouvé dans son parcours scolaire et même professionnel, la nécessité d’apprendre et mémoriser les couleurs des drapeaux africains. Au président Sénégalais qui se prête à l'interview, l'autre commentateur de TF1, Denis Brogniart lui pose cette question qui renferme déjà une partie de la réponse attendue et qui en fait n'aura servi qu'à lui permettre de montrer sa tronche coloniale. Il lui dit : "J'espère que c'est une grande fierté pour vous que l'Afrique se retrouve ici". La réponse du président Wade, qui pourtant a souvent le sens de la repartie, va au-delà de ses espérances : « Il s’agit de partager des moments passés avec la France. Nous sommes dans une continuité malgré les indépendances ». Pas moins !
Que Jean Claude Narcy ne connaisse pas les noms des chefs d'Etat africains, qu’il ne pige rien à la couleur des drapeaux des pays africains francophones, ce n'est pas le plus désolant. En tout cas, il ne peut pas rougir ou se voir blâmer pour une telle peccadille. L'important, c’est la couleur, c'est la saveur exotique que les chefs d'Etats africains présents apportent à la place des fêtes. Qu'ils soient dans leurs costumes taillés sur mesure comme le sont la majorité d'entre eux ou qu'ils soient comme le chef d'Etat Malien, Amadou Toumani Touré, drapé dans des boubous aux couleurs chatoyantes, chaque chef de l’Etat ainsi que les membres de sa délégation, apportent du sien à ce cocktail des nations et des peuples qu’a décidé de concocter le président Sarkozy pour les 50 ans des indépendances africaines. La couleur aussi, on la retrouve du coté des épouses des chefs d'Etat africains qui se sont mises sur leur dimanche pour encadrer Mme Bruni Sarkozy. Un parterre de premières dames que le président Sarkozy justement a tenu à aller personnellement passer en revue. Le relief, c’est aussi les anciens combattants octogénaires dont les multiples visages émaciés et les yeux rougis par les intempéries, finissent par sculpter un tableau bien pittoresque.
L'exotisme se trouvait aussi du coté des soldats de certains pays qui ont voulu adapter leurs tenues à l'environnement qui est le leur. Avec leur mise vestimentaire, ils reproduisaient jusqu’à la caricature l’accoutrement des armées coloniales. Il en est ainsi des troupes du Tchad, de la Mauritanie mais surtout du Mali qui ont arraché ce commentaire ému à Jean Claude Narcy : "Les soldats maliens qui d'ordinaire sont montés sur les chameaux. Mais il n'y a pas de chameaux ce matin sur les Champs Elysées à notre grand regret. Ma voisine l'a sérieusement regretté et en était au bord des larmes", révèle t-il. Il ya aussi les amazones du Benin, commandée par le colonel Aminatou. Une troupe uniquement constituée de femmes, montée à l’image de ce qu’était dans l’Afrique précoloniale l’armée des puissants empires de l’Afrique de l’Ouest. Parlant justement des Amazone, un général Français, tout ému, a pu dire qu'elles ne lui refuseraient rien.
Après s'être remis de leurs propres émotions, les commentateurs des télévisions françaises ont tenu à donner la parole aux officiels français afin qu'ils laissent eux aussi éclater leur émotion face à tant de couleurs africaines sur les champs Elysées. Roselyne Bachelot qui souhaite vite oublier l'expédition désastreuse de l'équipe de France en Afrique du Sud, trouve du réconfort dans l'exposition coloniale des Champs Elysées : "C'est une grande émotion que de voir défiler nos frères d'arme africains. Leurs présidents sont aussi là", se réjouit-elle. Laurent Wauquiez pense à son arrière grand père qui avait côtoyé des soldats africains : "çà me dit quelque chose de très profond qui est personnel. Mon arrière grand père avait fait la guerre de 14-18 avec des soldats africains", révèle t-il. Bertrand Delanoë, le Maire de Paris, en bon élu de gauche, pense au bon vieux temps du rayonnement de la colonisation : "Lorsque nous accueillons des peuples que nous avons autrefois dominé, à tort bien sûr, c'est un moment de célébration", dit-il. Parlant de ces mêmes soldats africains, le général Dary dit : « Je les ai vu défiler avec un immense plaisir et une grande émotion ». Même le président Sarkozy se perd en émotion : « J’étais très ému de voir les anciens combattants. On était tous émus » La première dame de France, Carla Bruni Sarkozy y va de sa petite partition d’émotion et on découvre en elle, une grande « africaine ». Complétant une réponse que le commentateur a mise dans sa bouche en disant qu’elle connaît bien l’Afrique qui lui tient à cœur, elle affirme : « C’est un continent que je connais bien. Il a une grande histoire et un grand futur avec la France ». Et, renforçant un clichés, elle continue : « Lorsque je suis allée en Afrique pour des missions humanitaires, j’ai trouvé de la souffrance mais aussi un grand dynamisme ». Pour avoir côtoyé, le temps du défilé, la première dame du Burkina Faso, Chantal Compaoré, Mme Sarkozy a gagné en sagesse africaine : « La première dame du Burkina Faso qui était à coté de moi, m’a dit que lorsqu’il pleuvait pendant une cérémonie, c’était un signe de chance », révèle t-elle. Pour rester dans le registre des clichés, voici ce que dit un officier commentant le défilé aérien : « Voici un avion très connu des Africains parce que c’est un avion qui participe aux opérations humanitaires ».
La dimension exposition coloniale de la parade des Champs Elysées, c’est lorsque le réalisateur fait des plans serrés sur les soldats africains et insiste sur leurs gueules du désert ou de la forêt équatoriale, sur leur regard vide et sur leur mine parfois hilare. Lorsqu’on revoit les photos de 1931, on n’en est pas très loin. En 1931, « les spectacles différents et plus exotiques les uns que les autres accueillaient jusqu’à 300 000 visiteurs par jour (…) De mai à novembre, l’exposition reçoit jusqu’à 8 millions de visiteurs et affiche 33 millions de tickets vendus ». Aujourd’hui, avec l’effet démultiplicateur de la télévision, par cérémonie des Champs Elysées peut être vue par au moins 100 à 150 millions de téléspectateur. Ainsi, l’impact sur le monde est garanti. . Les images de la parade des Champs Elysées feront le tour du monde. Et la France pourra y coller le commentaire qui l’arrange. Par exemple, dire que incapables de s’assumer, ses anciennes colonies sont revenues faire allégeance et mettre leur indépendance entre parenthèse. Ce qui veut théoriquement que l’empire colonial français renaît de ses cendres. A l’heure où le nouvel ordre mondial se met en place et où on appelle à la refonte de l’ONU, cela est une véritable aubaine pour une France qui, étranglée par la crise, risquait de voir son influence diminuer dans le monde.

Souveraineté rétrocédée
Faire défiler les armées africaines sur les Champs Elysées et faire poser les drapeaux de ces pays devant le président français, est, pour les chefs d'Etat qui l'ont accepté, une erreur historique de jugement qui risque remettre le compteur à zéro par rapport au décompte de l'indépendance africaine. En fait, l’indépendance n’est pas acquise le jour de sa proclamation. C’est plutôt le point de départ d’une longue conquête qui peut connaître des freins, des reculades et même des dégringolades. Ce qu’on vient de vivre sur les Champs Elysées est une dégringolade. Il faudra pour l’Afrique encore au moins un siècle et des centaines de Laurent Gbagbo – le seul chef d’Etat africain qui a eu la lucidité de repousser l’offre française – pour remonter la pente. Dans les manifestations marquant les 50 ans de leurs indépendances, les pays africaines pouvaient accepter – et encore ! – que la France les assiste dans la reconstitution de certains lieux de mémoire qui les valorise, notamment en ouvrant les archives, que la France finance les colloques, les publications des ouvrages mais ils ne devaient jamais accepter de venir défiler sur les Champs Elysées.
Nous étions sur les Champs Elysées dans l'ordre de la manipulation des symboles. La sémiologie et la sémiotique nous apprennent que « le symbole peut être un objet, une image, un mot écrit, un son ou une marque particulière qui représente quelque chose d’autre par association, ressemblance ou convention ». Sur les Champs Elysées, nous avons vu des militaires africains mêlés aux soldats français, faire des figures et autres démonstrations, bien malin celui qui dira à quoi cela renvoie. Et c'est Bernard Kouchner, le ministre français des affaires étrangères qui, sans le dévoiler, lève un pan de voile sur le mystère : "C'était un défilé de l'amitié, de l'histoire et de ses complications. Nous avions une dette envers nos anciennes colonies, il fallait la réparer. C'est fait aujourd'hui. Ces drapeaux qui se sont posés ensemble. Çà voulait dire quelque chose. Rien n'est simple", commente t-il. Allons donc savoir ce que cela veut dire, ces drapeaux qui se posent ensemble. Sachons déjà avec Bernard Kouchner que ce n’est pas simple.
Officiellement, le défilé du 14 juillet voulait faire honneur à 13 nations africaines, anciennes colonies françaises devenues indépendantes il y a 50 ans : « C’est le lien de sang que nous célébrons. Le lien né de la contribution des troupes africaines à la défense et à la libération de la France », souligne le président Sarkozy dans l’invitation qu’il a adressée à ses homologues( ?) africains. D’autres voix françaises viendront souligner le caractère généreux de cette invitation. Ainsi, pour le chef d’Etat major des armées françaises, « c’est la fraternité d’arme entre les nations qui nous ont fourni des hommes pour nos combats tout au long du 20e siècle et qui y ont laissé leurs vies ». Il se pourrait que les autorités françaises aient tout simplement voulu réparer une injustice dont avaient été victimes les soldats de la coloniale en 1944 lorsqu'ils avaient été écartés des rangs lors de la célébration de la libération de Paris sur les Champs Elysées.
Des arguments qui ne résistent pas à l’analyse dès qu’on s’intéresse de près à ce qui s’est réellement passé lors de la dernière guerre 39-45. Tout le monde sait que cette phase de l’histoire commune entre la France et ses anciennes colonies, parce qu’elle est faite de mensonges, d’ingratitude et d’humiliation, est un point noir que la France s’est toujours refusée à éclairer arguant de ce qu’il n’est pas question de tomber dans le repentance. Pendant cette guerre, l’armée française comprenait 65% de soldats venus des colonies. Et pourtant, à la libération, ils ont été tout simplement marginalisés.
En 1944, alors que la guerre tirait à sa fin et la victoire de la France assurée, le Général de Gaulle a éprouvé de la honte à se faire accompagner à Paris par les soldats coloniaux qu’il était allé chercher en Afrique et ailleurs. Alors, il a souhaité que la libération de Paris soit le fait des soldats français exclusivement. « Les alliés accèdent à sa demande et lui concoctent une deuxième division blindée 100% blanche, alors qu’à l’époque les 2/3 des troupes françaises sont composés des soldats originaires des colonies, notamment d’Afrique de l’Ouest ». En 1945 donc, c’est avec une troupe sans aucune teinture noire que le Général de Gaulle avait descendu les Champs Elysées, inaugurant ainsi le plus gros mensonge de l’histoire de la seconde guerre mondiale.
D’après les forumistes du site Rue89, « en faisant disparaître de la photo finale de la libération de paris 65% des acteurs de cette libération, De Gaulle voulait donner l’illusion à la population française qu’elle a été résistante et qu’elle ne doit sa libération qu’à elle-même. Un mythe résistancialiste qui devait lui servir pour le reste de sa carrière politique ». Mais c’était aussi pour cacher à la population française de souche les réalités du front et minimiser ainsi dans leurs têtes à l’avenir la dette que l’Afrique pourrait revendiquer vis-à-vis de a France. Il fallait garder l’image de la colonie à laquelle on donne tout et qui en retour ne nous apporte rien. Aujourd’hui encore, l’écrasante majorité de Français continuent d’avoir une interprétation totalement erronée de la coopération entre la France et ses anciennes colonies. Ils croient que la France va en Afrique pour se ruiner à assister ces peuples tarés qui refusent le développement. D’où le succès qu’a rencontré le livre de Axel Kabou (Et si l’Afrique refusait le développement) auprès des couches populaires françaises. Ils ne se doutent pas un seul instant que l’Afrique puisse tirer un quelconque profit de sa coopération avec l’Afrique.
Il fallait aussi corroborer même de façon inconsciente, l’idée de Hitler qui s’était montré très remonté contre la France, non pas parce qu’elle lui résiste mais parce qu’elle a décidé de mêler les indigènes à une guerre de civilisés. Pour lui, le mythe de la supériorité éternelle du Blanc sur le Noir pouvant en prendre un sacré coup. Et cela a d’ailleurs été le cas puisque c’est à partir de ce qu’ils avaient vu lors des deux guerres que les Africains ont pu revendiquer et obtenir leurs indépendances.
Alors, entre 1945 lorsqu’il avait été interdit aux troupes africaines de descendre les Champs Elysées et aujourd’hui où ils y deviennent l’attraction principale d’un défilé, qu’est ce qui a réellement changé ? On m’objectera qu’un 1994, les troupes allemandes ont défilé sur les Champs Elysées devant le président François Mitterrand et le Chancelier allemand Helmut Kohl. Mais les deux situations ne sont pas, du tout, comparables. Bien que l’Allemagne ait occupé la France pendant quelques années et est parvenue à soumettre le régime de Vichy, il n’y a jamais eu de relations de soumission et de colonisation consentantes et durables telles que celles qui ont unies la France à leurs colonies. L’Allemagne pouvait donc faire défiler ses troupes sur les Champs Elysées et repartir dans l’entièreté de sa souveraineté. Tel n’est pas le cas pour les pays africains dont le passé colonial avec la France constitue une sorte d’anguille sous roche. Et toute transaction entre les deux partenaires d’apparence sincère peut dissimuler un vrai marché de dupes.
Dans le marché qui s’est conclu sur les Champs Elysées, la France a gagné gros. Sans rien débourser, juste en jouant sur les formules, le président Nicolas Sarkozy a réussi à reconstituer une partie de l’empire colonial français, du moins symboliquement. Mais encore une fois, tout est dans le symbole. Comme en 1945, lorsqu’elle avait user de l’astuce de son empire colonial pour se hisser au rang de la puissance mondiale en obtenant un siège permanent au conseil de sécurité, de même aujourd’hui, au moment où se prépare une reconfiguration des puissances dans le monde avec l’émergence de certains pays, la France peut bien utiliser le symbole de la parade des Champs Elysées pour se maintenir dans le cercle restreint des puissances mondiales
Quant à l’Afrique, elle a perdu de long en large. Les chefs d’Etat africains ayant accepté de participer au marché de la place des Champs Elysées peuvent être fiers d’eux. D’un simple clic d’ordinateur et pour des broutilles, ils ont tiré un trait sur 50 ans de souveraineté déjà chancelante. En venant faire allégeance à la France, ils ont renoncé à jamais à couper le cordon ombilical pour conduire leurs pays vers les chemins du développement autonome et de la puissance multiforme. Dans la vie des nations et même des hommes, s’il y a quelque chose qu’on souhaite voir effacer des mémoires, c’est bien le moment où on a été dominé et opprimé par l’autre. C’est pour cela que le parricide existe. C’est pour çà aussi que vous ne verrez jamais les Etats-Unis, pourtant constitué des peuples qui avaient juste traversé l’atlantique, revenir en tant qu’Etat faire allégeance à la Reine d’Angleterre. C’est parce qu’ils ont coupé ce cordon ombilical là, notamment en coulant les bateau de la puissance colonisatrice anglaise, que les Etats-Unis sont devenus une puissance planétaire.
En acceptant de venir et faire parader leurs troupes sur les Champs Elysées, les chefs d’Etat africains ont cédé au sentimentalisme. C’est pour çà qu’on entend des mots comme fraternité d’arme, réparation. Des mots qui n’ont aucun sens dans les relations entre nations qui, comme on sait n’ont que des intérêts. Le Roi Abdallah d’Arabie Saoudite qui avait accepté l’invitation du président Sarkozy à participer à ce défilé s’est ravisé à la dernière minute lorsqu’il s’est rendu compte qu’en fait en France, on fête le 14 juillet, la chute de la monarchie. Il a alors compris qu’un tel symbole, décrypté par ses sujets aurait pu être fatal pour lui. Au contraire de la France qui avait tout à gagner dans la présence de la plus grande monarchie du golfe. Le Roi Abdallah a lu dans les symboles et a évité le piège. Ce que n’ont pas pu faire les chefs d’Etat africains. J’attends de voir dans deux ans, quel sera l’attitude du président de l’Algérie lorsque ce sera à son tour de fêter les 50 ans de son indépendance. Je doute fort qu’il viendra ainsi s’incliner devant le président français.
En Afrique subsaharienne pourtant, les experts qui écument les palais présidentiels et conseillent les princes devraient le savoir, et ils le savent d’ailleurs, que chaque Etat aspire à la puissance à l’intérieur et à l’influence à l’extérieur. C’est la conjonction des deux qui confère la puissance planétaire. Et on ne peut le faire qu’en affirmant à chaque minute son indépendance et sa suffisance, vis-à-vis de toutes les autres forces, de toutes les autres puissances. Lorsqu’elles sont frappées de catastrophe aujourd’hui, les nations émergentes comme la Chine ou le Brésil repoussent systématiquement les offres d’aide que veulent leur apporter les nations dites puissantes. Elles le font parce qu’elles savent que c’est par là qu’on perd son indépendance et qu’on se voit barrer la voie à la puissance. On a créé un imaginaire mondial d’une Afrique réceptacle de toutes les aides, de tous les convois humanitaires. Et c’est comme çà que sa souveraineté et sa dignité sont vampirisées. Et pourtant l’Afrique n’est pas que des clichés conçus pour la maintenir au stade d’infériorité. L’Afrique du Sud vient d’organiser une coupe du monde qui a fait un pied de nez à tous les clichés sur l’insécurité et la séropositivité. Les médias ont eu le courage de dire qu’aucun touriste n’a été sérieusement agressé en Afrique du sud. J’attends qu’ils nous produisent le bilan de ceux qui se sont contaminés ou non au virus du Sida.

Par Etienne de Tayo
Promoteur « Afrique Intègre »
Auteur de l’ouvrage : « Pour la dignité de l’Afrique, laissez-nous crever »
www.edetayo.blogspot.com
[1] Benin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad, Togo