mardi 26 octobre 2010

Où VA LA COTE D'IVOIRE?

Le 31 octobre prochain se tient en Côte d’Ivoire une élection présidentielle cruciale pour l’avenir de ce pays, poumon de l’Afrique de l’Ouest. Cette élection, plusieurs fois reportée, s’annonce plutôt sous de bons auspices et finit par déjouer tous les pronostics de ceux qui croyaient la Côte d’Ivoire frappée de quelque malédiction. La campagne électorale ouverte le 15 octobre dernier voit 14 candidats sur le starting block. Le représentant du secrétaire général des Nations Unies parle « d’un bon début de campagne électorale qui se déroule dans le calme et la sérénité ».

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Cette élection ivoirienne recouvre un enjeu à la fois sous régional, africain et même mondial. Et pour cause, la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial du cacao, matière première essentielle à la base de la fabrication du chocolat. « Si les élections se passent mal, vous paierez un peu plus cher votre chocolat », prévient le professeur Malick Ndiaye lors d’une conférence à Paris.

Au lendemain du 31 octobre prochain, la Côte d’Ivoire saura si oui ou non elle est définitivement sortie de la crise dans laquelle l’a plongée le coup d’Etat du 19 septembre 2002 qui a vu une tentative de partition du pays : « on verrait bientôt la fin du Western. Est-ce le jeune homme qui va triompher des bandits ou ce sont ces derniers qui vont l’emporter », s’interroge Malick Ndiaye, un rien sibyllin.

C’est vrai, aujourd’hui, le désir du peuple ivoirien de confondre ceux qui ont conduit la déstabilisation de leur pays, est plutôt grand. Ce désir, on le relève souvent dans les refrains des chansons à succès : « la guerre, on est fatigué ». Demain sans doute, la Côte d’Ivoire retrouvera une paix durable après une sortie de crise honorable. Et l’histoire retiendra qu’un homme, Laurent Koudou Gbagbo, aura pesé de tout son poids afin que cela soit.

Jeune enseignant, Laurent Gbagbo s’est longuement opposé, parfois au péril de sa vie, au « concierge » de l’immeuble Côte d’Ivoire qu’était Félix Houphouët Boigny. Mais, historien de son état et fils d’ancien combattant, Gbagbo a aussi compris qu’il doit résister au détenteur du titre foncier de cet immeuble, la France en l’occurrence. Sinon, même après avoir franchi l’obstacle Houphouët, il se trouvera confronté à un autre obstacle encore plus redoutable : la Françafrique.

En s’opposant à une certaine France de manière parfois violente, une fois aux affaires, le président Laurent Gbagbo a montré qu’il appréhende parfaitement les deux dimensions qui caractérisent le combat de tout Africain issu d’un pays anciennement colonisé : la dimension interne dirigée contre le concierge et la dimension extérieure devant conduire au démantèlement du vaste complot international conduit parfois par ce qu’on qualifie de communauté internationale. Sans l’intégration de cette double dimension, l’opposant africain n’est souvent qu’une marionnette, jouant des partitions écrites par des « maîtres » dissimulés.

En refusant de se plier au diktat de l’administration Chirac au plus fort de la crise en Côte d’ivoire, notamment en repoussant les accords dit de Marcoussis, sans que pour autant le ciel lui tombe sur la tête, le président Laurent Gbagbo a fait un apport psychologique déterminant aux autres chefs d’Etat africains qui peuvent désormais s’adresser à la France, non point comme un élève parle à son maître, mais comme représentants d’Etats souverains, en la mettant devant ses responsabilités. L’audace de Laurent Gbagbo a apporté à l’Afrique de quoi faire reculer la Françafrique et toutes les autres perversions diplomatiques.

L’intérêt supérieur de la Côte d’Ivoire

Ce que le président Gbagbo a subi en 8 ans de trouble en Côte d’Ivoire est insupportable d’un point de vue politique et même humain. Etre président de la république et se voir traiter d’égal à égal avec des rebelles qui ont pris des armes contre les institutions républicaines. Etre chef d’Etat et voir une partie de son pays lui échapper pour se retrouver entre les mains des groupes qui y organisent un pillage systématique de ses ressources. Avoir une armée nationale et se voir imposer un embargo sur les armes alors même que les rebelles sont puissamment armés. Par-dessus tout, Gbagbo a affronté un mépris parfois grossier des autorités françaises et de la communauté internationale qui n’ont même pas mis un voile sur leur volonté de leur débarquer.

Et pourtant, puisant au fonds de lui-même, cette humilité qui est aussi et surtout une valeur africaine, et certainement, mettant la paix en Côte d’Ivoire au dessus de toutes les autres considérations, Laurent Gbagbo a tout accepté, même de partager le pouvoir avec ceux qui avaient pris les armes contre lui et qui aujourd’hui, organisent le dépeçage de la Côte d’Ivoire après avoir tenté de la diviser. Pendant la crise ivoirienne, Laurent Gbagbo a posé un certain nombre d’actes politiques sur lesquels il convient de revenir pour mieux appréhender et apprécier son positionnement dans le jeu des acteurs de la scène politique ivoirienne.

En repoussant les accords dit de Marcoussis, Laurent Gbagbo a offert une chance à une solution africano-africaine au conflit ivoirien. Ce faisant, il a donné un contenu et un sens à la quête et à la conquête de la vraie souveraineté qui devrait habiter tout dirigeant africain. Il a rendu concrète, la volonté selon laquelle, les problèmes africains doivent être résolus par des Africains. Depuis, le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, a pris en main le dossier ivoirien qui pourrait, avec les élections du 31 octobre, connaître une fin heureuse.

En refusant d’engager les troupes de son pays et de se prêter au jeu de la France en participant au défilé des troupes africaines sur les Champs Elysées le 14 juillet 2010, le président Gbagbo s’est une fois de plus mis du bon coté de l’histoire. Il eût été d’ailleurs assez surprenant et regrettable qu’un pays qui se voit aujourd’hui privé d’un des éléments majeurs de la protection de la souveraineté nationale, à savoir l’armée, du fait de la France et de la communauté internationale, accepte de participer à l’exposition des Champs Elysées. Laurent Gbagbo a invité le France à réparer le différend qui les oppose.

Au plan de la politique intérieure, le président Gbagbo est devenu le plus modéré de son camp et finalement le modérateur de la scène politique en général. Il n’y a qu’à relever ses visites de travail à ses principaux rivaux que sont Alassane Dramane Ouattara et Henri Konan Bedié, pour comprendre la volonté du président sortant de se mettre au dessus du lot pour sauver la maison Côte d’ivoire.

En confiant l’organisation des élections au premier ministre Guillaume Soro, l’ancien secrétaire général des forces nouvelles et en nommant à la commission électorale indépendante (CEI), Youssouf Bakayoko, un militant du parti démocratique de côte d’ivoire de Henri Konan Bedié, le président Gbagbo montre aux yeux des observateurs, un certain détachement par rapport à une certaine volonté des dirigeants africains à la conservation du pouvoir par tous les moyens.

Le 31 octobre, le scrutin opposera en fait 3 candidats avec 11 autres candidats animant le décor. Au bout du compte on pourrait d’ailleurs parler de deux camps : le Front patriotique ivoirien de Laurent Gbagbo et ses patriotes contre le Front houphouëtistes formé par le parti démocratique de Côte d’Ivoire et le Rassemblement des républicains d’Allasane Dramane Ouattara. Il sera surtout question, soit de consolider la libération de la Côte d’ivoire qui a été amorcée par Laurent Gbagbo ou alors remettre les compteurs à zéro par rapport à la souveraineté de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général. On espère que les électeurs, au-delà de toutes les contingences électorales, verront bien le sens du vent qui souffle et doit souffler sur l’Afrique.



Etienne de Tayo

Promoteur « Afrique Intègre »

www.edetayo.blogspot.com



ENTRETIEN

Pour décrypter la situation en Côte d’Ivoire et envisager l’avenir de l’Eléphant d’Afrique, nous avons rencontré le professeur Malick Ndiaye, sociologue, enseignant à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Suivons son éclairage.

« Ce vote ne peut être morale, acceptable pour la morale universelle que s’il revêt un coté référendaire »


En tant qu’observateur, comment envisagez-vous la sortie de crise en Côte d’Ivoire à travers l’élection présidentielle du 31 octobre ?

Pr Malick Ndiaye : La trame de la crise ivoirienne est constituée par l’émergence en face de l’Etat légal et légitime, d’une force armée qui par le jeu de la communauté internationale est devenu un Etat dans la pure tradition sociologique édictée par Max Weber. A savoir que l’Etat constitue le monopole de la violence légitime à partir du moment où on lève les impôts, qu’on crée une administration avec des comzone ou des gouverneurs, à partir du moment où on érige une économie plus ou moins informelle et qu’il y a des transactions sur les produits vivriers ou de rente. A partir de cet instant, il s’érige, quelqu’en soit la définition, un pouvoir de fait qui est devenu un pouvoir de droit.

Dès ce moment là, le pronostic concernant la Côte d’Ivoire a un caractère alternatif : ou bien l’Etat légal et légitime dirigé par Gbagbo, au-delà des élections calamiteuses – qui n’en a pas en Afrique – soit rétabli dans ses fonctions avec l’aide morale, matérielle de la communauté internationale ou bien, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les forces qui ont aidé le second Etat à se mettre en place, vont cristalliser à l’issue de ces élections et instrumentaliser les enjeux véritables qui ne sont pas le choix des ivoiriens entre 14 candidats. Pour moi, les élections ce n’est pas une affaires des 14 candidats mais c’est la réponse à la question suivante : est ce que c’est la guerre qui a amené la crise ou bien c’est la crise qui a amené la guerre ?

N’avez-vous pas l’impression que la communauté internationale accompagne plutôt la partition de la Côte d’Ivoire, et même l’utilise comme chantage à l’endroit du pouvoir en place ?

Pr Malick Ndiaye : Dans un livre à paraître que je rédige avec d’autres confrères africains depuis plus de deux ans, nous avons défini un corpus et élaboré des textes qui vont paraître. Nous ne voulions pas gêner le processus électoral mais ces textes là précisent bien une dualité du pouvoir en Côte d’Ivoire vis-à-vis de laquelle la communauté internationale n’a pas répondu aux attentes : comment peut-on mettre sur le même pied d’égalité un Etat envahi par des corps expéditionnaires bien identifiés et ceux qui ont organisé cette déstabilisation sont reçus partout avec des honneurs dus à des chefs d’Etat.

A ce moment là c’est la morale universelle qui a été bafouée. Dès lors, il est indécent de considérer que cette élection ivoirienne a pour but de désigner le président de la République. Pour moi, l’enjeu réel de l’élection c’est de savoir si oui ou non la légalité ivoirienne va être confirmée ou dénigrée.

Sans tomber dans les travers de la théorie du complot, plusieurs personnes font observer le cas de la déstabilisation de la République démocratique du Congo dans l’unique but de piller ses ressources du sous sol. Avez-vous l’impression que c’est le même schéma qui se met en place en Côte d’Ivoire. Si oui, à qui profite le crime ?

Pr Malick Ndiaye : La grande innovation stratégique du Congo qui est passée dans les annales depuis l’intervention des différentes forces des Nations Unies dans la crise des années 61, 62, c’est que aujourd’hui, c’est que nous sommes tenté de faire la comparaison entre les deux situations. C’est facile de parler de Lumumba parce que la haute figure de Lumumba dominait l’Afrique nouvelle.

Il y a une relation avec une crise qui continue de perdurer au Congo, notamment à l’Est du Congo. Nous avons vu comment des pays comme le Rwanda sont devenus exportateurs d’un certain nombre de ressources dont ils ne sont pas producteurs. Au nord de la Côte d’Ivoire, nous avons un certain pays qui, par le jeu de l’informel qui s’est installé dans la région, est devenu un exportateur de cacao.

Dans ces conditions là, il y a une analogie vers laquelle, la pensée pousse tout élément qui réfléchi à aller. C’est vrai, comparaison n’est pas raison mais pouvons-nous refuser l’hypothèse à vérifier que la communauté internationale ou une partie de celle-ci est en train d’accompagner le processus de partition de la Côte d’ivoire en utilisant les élections comme faire valoir pour qu’on voit au grand jour que ce que la rébellion armée n’a pas pu faire, que les circonstances électorales vont enfin permettre.

Alors, à qui profite le crime ?

Pr Malick Ndiaye : En tout cas, il ne profitera pas à l’Afrique. Parce que les pays qui dépendent de la Côte d’Ivoire pour l’approvisionnement, ces pays là attendent de la Côte d’Ivoire nouvelle que la croissance y continue et que les circonstance apaisée s’y installe afin que l’Eléphant d’Afrique puisse donner le message de paix que nous attendons de cette Côte d’ivoire fraternelle, cosmopolite qui est en train de surmonter les écueils du racisme, du régionalisme, des différences d’ethnies et autres au profit de la construction de l’identité nouvelle que tout le monde attend, c'est-à-dire, une Côte d’ivoire ivoirienne dans une Afrique nouvelle.

Si vous aviez des pronostics par rapport à l’élection qui arrive, le profil de celui qui peut gagner et dont la victoire ferait du bien à la Côte d’ivoire ?

Pr Malick Ndiaye : Ce vote ne peut être morale, acceptable pour la morale universelle que s’il revêt un coté référendaire. A savoir qOùue la mémoire historique de la Côte d’Ivoire, battue en brèche par des corps expéditionnaires, faut-il oui ou non rétablir cette mémoire, cette légalité, au quel cas, la force restera à la loi et à la République ou alors, va-t-on favoriser l’émergence en Côte d’ivoire des contre modèle et des contre valeurs, signifiant que finalement en Afrique, on peut parfaitement chercher à prendre le pouvoir par tous les moyens y compris les armes avec l’aval d’une communauté internationale qui aujourd’hui a de la peine à expliquer pourquoi l’Etat légal a été désarmé face à l’envahissement de son territoire par des corps expéditionnaires dont on sait d’où ils viennent.

Propos recueillis à paris par : Etienne de Tayo

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Mais il me semble que le prof est un tout petit peu très alarmiste. je suis d'accord avec lui lorsqu'il dit que le vote devait avoir valeur reférendaire, mais quitte à conclure que la situation est très loin de "se normaliser" je ne partage pas son avis. Vous le savez très bien, le président Laurent Gbagbo affiche une politique qui va progressivement inspirer de nombreux chefs d'Etat africain, même si nous pensons que le prix à payer pour rompre le sale cordon tutélaire coloniale est lourd; je pense pour ma part que le pari actuel de la Côte d'Ivoire c'est de pouvoir organiser cette éléction sans trop trop d'enseignements occidentaux. Et que chaque Ivoirien soit, y compris GBAGBO soit prêt à accepter le verdict des urnes. Evidemment, s'il perdait, je n'imagine pas le prix que la Côte d'Ivoire aurait à payer à ceux qu'elle a tancer depuis l'accession de Gbagbo au pouvoir.