lundi 15 novembre 2010

LA LISTE DANS LA PRATIQUE POLITIQUE AU CAMEROUN

Une liste est un alignement de noms de personnes ou de choses sur une feuille de papier ou sur n’importe quel autre présentoir. Et ceci, pour diverses utilisations ultérieures. En fonction de ce qu’elle peut représenter pour des personnes y figurant, une liste peut être un lieu de réalisation de soi parce que permettant d’accéder à des strates supérieures de la société. La liste du gouvernement par exemple. Une liste peut, par contre aussi, avoir une portée tout à fait dramatique pour ceux qui y figure. Ceci parce qu’elle est la manifestation d’un drame annoncé ou d’un drame subi. Tout au long de sa vie, qu’il le veuille ou pas, avec ou contre son gré, un Homme voit son nom inscrit dans un certain nombre de listes.

Le journal « Dikalo » du 20 août 2010, a titré sur une escroquerie politique dont était accusé Mme Françoise Foning, de la part de trois journalistes : Jean Marie Tchatchouang du journal « l’Anecdote » ; Aristide Nguekam du journal « Pélican » et Emmanuel Towa de « Hit Radio ». Ils dénoncent l’inscription de leurs noms dans une liste accompagnant la motion de soutien des élites politiques, forces vives et chefs de communautés de l’Ouest vivant à Douala. Liste publiée dans le journal « Cameroon Tribune » du 06 août 2010.

Nous sommes là en plein dans un cas pratique de l’utilisation de la liste pour soutenir l’action politique. Françoise Foning est présidente de la section RDPC de Douala 5e et Maire de la même ville. Pour être totalement en phase avec la saison des motions et ne pas être accusée de tiédeur politique, elle a invité les élites politiques et les forces vives de l’Ouest dont il est originaire. Mais elle aussi invité des journalistes pour donner ensuite l’écho de la manifestation dans leurs différents médias. Comme d’habitude, une liste a circulé et tout le monde y a mis le nom, y compris les journalistes. Si l’on en croit Aristide Nguekam, les journalistes auraient signé en pensant à l’autre liste, la liste d’émargement qui ouvre droit à rétribution : « Ils exigent souvent qu’on le fasse (que nous mettions nos noms sur le liste) mais c’est exclusivement pour compenser nos frais de transport », se lamente le journaliste.

Il se trouve qu’après le départ des journalistes qui, certainement, ont été plutôt bien traités, les organisateurs ont eu envie d’allonger leur liste, question d’impressionner peut-être au niveau du pouvoir et d’assurer sa fidélité . Ils se sont alors servi les noms de tous les journalistes originaires de l’Ouest ayant pris part à la manifestation, qu’ils aient pris part en tant que participants ou journalistes. C’est ainsi que d’autres journalistes en dehors de trois protestataires ont eu leurs noms dans cette même liste et s’en sont accommodé. Tout est fonction des objectifs qu’on se fixe dans la vie.

Un voyage dans l’historiographie récente des listes au Cameroun, nous renseigne que le Cameroun a connu au moins trois listes célèbres qui ont fait des vagues au sein de la société camerounaise :

La liste des « neuf de Bépanda ». Une sombre affaire qui était partie de la plainte d’une jeune fille accusant certains jeunes du quartier Bépanda à Douala, d’avoir volé sa bouteille de gaz. D’après la presse de l’époque, qui a largement publié une liste de neuf personnes, ces dernières auraient été arrêtées à la suite de l’enquête et aurait tout simplement disparu. Selon les organisations de défense des droits de l’Homme, ces personnes auraient sans doute été exécutées par les soins du commandement opérationnel, une unité d’élite créée par le gouvernement pour combattre le grand banditisme à Douala et sa région. Une affaire qui a ensuite pris une dimension internationale et a fini paradoxalement par faire le bonheur de plus d’une personne.

Il y a eu la ou plutôt les listes des enseignants d’universités appelant à soutenir le président Paul Biya après sa réélection de 2004. C’est une liste qui a connu des vagues au sens propre du terme. A sa sortie, il y eut un petit nombre d’enseignants qui trouva la force de dénoncer la manœuvre. Pour cela, ils développaient un argumentaire tout à fait respectable, rappelant qu’un enseignant d’université est un intellectuel qui doit se tenir éloigné de la politique surtout partisane. Mais en face, d’autres enseignants pour la plupart des responsables, qui n’avaient pas été associé à la confection de la première liste, faisaient des coudes pour voir leurs noms figurer dans la seconde liste… de rattrapage. Depuis, l’affaire de la liste – qui avait quand même secoué la classe politique à l’époque – s’est tassée. Et ses principaux initiateurs, promus à des postes de responsabilité parfois juteux, cueillent tranquillement les fruits de leur « courage » politique.

Il y a eu en 2006 les listes des présumés homosexuels qui ont créées de l’émoi dans l’opinion et ont fait les choux gras de la presse à sensation. Le drame venait de ce que la société camerounaise tient encore en horreur les pratiques homosexuelles d’ailleurs réprimées par le code pénal, mais surtout parce que, ce qu’ils considèrent comme une déviance serait devenu paradoxalement un des éléments majeurs de la reproduction politique. Et le fait que ces listes aient été truffées des noms des membres de gouvernement en fonction venait presque corroborer l’imaginaire construit d’une connivence dangereuse entre les pratiques homosexuelles et l’ascension sociale et politique. En tout cas, ce marqueur sexuel, qui consacrait du même coup la sexualisation du politique et la politisation du sexe au Cameroun, aura été pour beaucoup dans la distance qui s’est créée entre les populations et la classe politique et spécifiquement le pouvoir. Ce que confirme d’ailleurs Pommerolle lorsqu’elle affirme que les listes ainsi que la rumeur qui les accompagnait « conférait au personnel politique des pratiques contraires aux bonnes mœurs sociales, le mettait à distance et marquait ainsi le refus populaire de côtoyer ce pouvoir ».

La démocrature des listes
Mais Il y a deux types listes qui nous intéresseront particulièrement dans cette réflexion. Ceci, en raison de l’importance croissante dans la pratique politique au Cameroun. En effet, sans en donner l’air, la conception d’un certain nombre de listes, est devenue un élément presque structurant du champ politique et social camerounais. Au point qu’on parlerait facilement de la démocratie des listes. Il s’agit de la liste des contributions et de la liste accompagnant la motion de soutien et de déférence au président de la République ou au président nationale du parti RDPC.

Nous chercherons à comprendre pourquoi ces deux types de listes particulières sont devenus des ressorts majeurs qui structurent les logiques politiques des acteurs et comment ils les intègrent dans leurs stratégies politiques au quotidien en essayant de les capitaliser au maximum. Nous verrons enfin quel impact, ces comportements politiques plutôt originaux, ont dans la marche de la démocratie camerounaise.

La liste des contributions est celle qu’on rédige après une réunion politique et qui récapitule les contributions des membres du parti en vue d’une action future. Ces listes sont tenues aussi par le Trésorier du parti chez qui les âmes généreuses viennent subvenir au besoin financier de la formation politique. Il peut aussi s’agir d’une liste de contributions au niveau communautaire. Ainsi, un chef supérieur – pour des régions où cela signifie encore quelque chose – peut lancer des appels à contribution à l’attention de ses sujets en vue de la construction d’un ouvrage communautaire par exemple.

Dans le landerneau politique camerounais, cette liste est un élément capital pour qui veut entreprendre avec succès une carrière politique. Pour cela, il faut régulièrement y faire figurer son nom et avec des montants d’argent conséquents. Au siège du parti, la prise en compte de ces listes de contribution est souvent déterminante dans le positionnement politique des récipiendaires. C’est l’épaisseur de la contribution qui oblige souvent les hiérarques du parti à s’intéresser à une personne et à l’adouber ensuite. C’est vrai que dans toutes les démocraties, les partis politiques ont des contributeurs parfois occultes. Le problème au Cameroun vient de ce que le lien trop étroit entre la contribution et la volonté du contributeur de rentabiliser personnellement son investissement introduit une sorte de hiatus qui fait de la contribution l’unique à valoir du contributeur.

Bien se comporter dans la liste
Ailleurs, on entre en politique et on réussit en politique en faisant jouer d’autres arguments que l’argument financier qui peut parfois n’être qu’un adjuvent. Par exemple en se faisant remarquer de façon positive par une participation lumineuse aux débats citoyens. Ce qui contribue à l’animation de l’espace public et peut-être à la civilisation des mœurs politiques. On peut le faire aussi par une participation éclatante à un meeting politique comme ce fut le cas de Barack Obama en juillet 2004 lors de la convention du parti démocrate de Boston où le jeune afro-américain encore inconnu, avait marqué d’une pierre, disons noire, sa progression vers la Maison Blanche. On se souvient aussi du cas de Nicolas Sarkozy lorsque, jeune militant de l’UDR aux cheveux encore longs, il participa au grand congrès de ce parti tenu en juin 1975 à Nice. C’est au cours de ce congrès et surtout grâce à un discours dans lequel il affirma « qu’être jeune gaulliste c’est être révolutionnaire », qu’il se fit remarquer d’abord par Charles Pasqua et ensuite par Jacques Chirac. Une fois de plus c’est son éloquence au cours de ce meeting, comme celle d’Obama à Boston, presque 30 ans après qui a permis de faire son entrée en politique. Aujourd’hui, ces deux jeunes d’hier sont respectivement président des Etats-Unis et de la France.

Au Cameroun on entre en politique par la liste et surtout par sa bonne tenue au sein des listes de contribution. C’est dans la liste que tout se joue. Celui qui n’a pas compris cela et tente d’utiliser d’autres moyens pour y accéder l’apprend souvent à ses dépens. C’est parfois un gros piège dans lequel ceux des politiciens qui viennent de la diaspora et qui ont l’habitude des joutes politiques et de la grandiloquence du propos se trouvent souvent pris .

Il y a au Cameroun même le cas du jeune Charles Atéba Eyéné, écrivain prolixe, homme politique courageux et grand débatteur. On peut l’aimer ou ne pas l’aimer, mais apprécier la façon par laquelle il s’inscrit dans l’espace public camerounais et tente de faire bouger ses frontières. Sauf que ce dynamisme là puisqu’il ne s’inscrit pas dans la logique des listes, gène particulièrement certaines personnes au sein même de son parti le RDPC. Il avoue avoir été obligé de déserter le siège du parti au pouvoir où il occupe quand même le poste de délégué à la presse et à la communication de l’organe des jeunes du RDPC parce que justement il y était isolé, pris, qu’il est aussi, dans la lutte des hiérarques qui jouent des listes pour exister.

Au niveau des communautés, les listes de contribution constituent plutôt un élément déstructurant de la cohésion sociale. Et pourtant, copiant les travers des politiques, les tenants de cet ordre, à savoir les chefs traditionnels, ont eux aussi pris l’habitude de structurer leur société uniquement à partir des listes de contribution. C’est sa bonne tenue dans ces listes qui permet à une élite d’engranger les titres de notabilité qui sont l’équivalent traditionnel de tous les titres administratifs pour lesquels courent ces mêmes élites. Lorsqu’un chef traditionnel scrute une liste, son attention est en général attirée par le nom devant lequel s’affiche le plus grand montant de contribution. Tout de suite il cherche le rapprochement avec cet individu et lui propose des titres sans se préoccuper de sa capacité à avoir un comportement éthique, sa capacité à rassembler la communauté, la dimension de sa générosité.

La conséquence de cette situation est que le chef, qui s’est laissé ainsi entraîné dans la politique des listes, se trouve ipso facto coupé de son peuple qui, tant bien que mal, continue quand même à s’arc bouter sur des valeurs sur lesquelles la société a toujours fondé la promotion sociale. Conséquence aussi, des titres de notabilité, distribués à la pelle ont perdu toute valeur aux yeux de la communauté et leurs détenteurs peinent à se faire accepter comme faisant partie de la noblesse.

La liste et la corruption
Lorsqu’on scrute leur mécanisme de plus près, on peut constater que les listes de contribution sont aussi pour beaucoup dans la prolifération de la corruption au Cameroun. Une des innovations que le régime du renouveau aura apportées à la pratique politique au Cameroun, est son ouverture aux fonctionnaires, aux hommes d’affaires et à toutes les personnes qui se sentent la capacité d’inscrire un gros montant devant leur nom dans une liste de contribution.

La corruption vient de ce que le fonctionnaire qui veut faire de la politique se retrouve en concurrence dans la liste des contributions avec des hommes d’affaires, généralement des feymen, une espèce d’escrocs des temps modernes. Les feymen ont l’habitude de mettre la barre très haute dans l’échelle des contributions, c’est le seul argument dont ils disposent. Du coup, la concurrence politique qui devrait avoir lieu dans les échanges au sein de l’espace public, a été ramené au sein des listes où, sans mot dire, on peut tout à fait damer le pion à ses adversaires. Dans ce contexte marqué par la prédominance des gens sans foi ni loi, et où le langage, à la limite de la trivialité vole parfois très bas, on entend souvent dire : « si tu n’as pas ton nom dans la bonne liste, tu es un homme mort ».

Pour faire face à la concurrence, le fonctionnaire, dont les seuls revenus ne lui permettront jamais de renverser la vapeur, se voit obligé de plonger la main dans les caisses de l’Etat. Et puisqu’il le fait pour la bonne cause, celle qui contribue à maintenir le parti au pouvoir en place, dans un premier temps, il n’avait jamais été inquiété. Il s’était même trouvé en train de faire équipe avec le feyman pour se servir les deniers publics. En quelque temps, des fonctionnaires, qui étaient tenus en dehors de la pratique politique sous le régime d’Ahidjo, sont devenus des entrepreneurs politiques parfaitement rationnels. On a ainsi vu des fonctionnaires, gagnant à peine 200 000 F CFA (300 euros), miser jusqu’à deux millions de francs CFA (3000 euros) dans une liste de contribution, question de se faire remarquer au sommet du parti. Sauf que pour le faire, il doit accéder à une autre planète : celle des corrupteurs et des corrompus.

La liste accompagnant la motion de soutien et de déférence au président de la République et au président national du RDPC est l’une des plus cotée au Cameroun aujourd’hui. Il s’agit pour les populations, de se réunir par affinité tribale, confessionnelle, professionnelle, amicale, confraternelle et autres, pour adresser une motion de soutien au président de la République ou au président national du parti au pouvoir qui sont pour le cas du Cameroun une et même personne. Ces motions viennent souvent lorsque le chef de l’Etat est l’objet des attaques. Elles ont alors d’après leurs initiateurs, pour but de lui marquer leur soutien et lui signifier qu’il n’est pas seul dans l’adversité. Elles émanent aussi très souvent des militants du RDPC qui ont institué une motion de soutien au président national en conclusion de tous leurs meetings. Parfois aussi, les étudiants qui ont bénéficié de la magnanimité du chef de l’Etat à travers l’attribution de bourses spéciales sont aussi à l’origine des motions de soutien.

Paul Biya n’est pas dupe !
Le phénomène des motions de soutien est élément si massif au Cameroun aujourd’hui que le pouvoir, pourtant principal bénéficiaire peine à le canaliser et à lui donner sens pour se campagnes futures. Sur inspiration du secrétariat général de la Présidence de la République du Cameroun, la société d’édition et de presse du Cameroun, SOPECAM, qui édite le quotidien national « Cameroon Tribune », a déjà édité deux volumes des motions de soutien au chef de l’Etat sous le titre de « l’appel du peuple ». Mais au rythme où les motions de soutien pleuvent en cette veille de l’élection présidentielle de 2011, on a l’impression qu’au sein du pouvoir, on paierait cher pour voir mettre de l’ordre dans tout çà. Et si le pouvoir a cette attitude là au lieu de s’en contenter, c’est parce qu’il n’est pas dupe.

Au sein du pouvoir, et d’ailleurs Paul Biya lui-même sait que ceux qui inondent le quotidien gouvernemental de motion de soutien, soutiennent plutôt la réalisation d’un pronostic de leur réussite personnelle qu’il ont fait, des paris qu’ils ont misé sur la réélection de Paul Biya, laquelle réélection leur permettra de conserver les privilèges ou d’accéder à la mangeoire. Ils agissent en faisant triompher cette magnifique formule de Félix Cyriaque Ebole bola : « près de l’Eglise, loin de Dieu ».

Mais ce qui est intéressant, c’est la liste qui accompagne la motion de soutien elle-même et qui est publiée en même temps qu’elle dans le quotidien gouvernemental « Cameroon tribune ». Pour ses concepteurs, cette liste doit impressionner par sa longueur et ensuite par la qualité des personnes qui y figurent. Pour des besoins de la conception de la liste, certaines élites, pourtant en guerre ouverte pour le positionnement, arrivent parfois à taire leurs querelles. Dans la liste, il y a d’abord les initiateurs qui sont parfois seuls à connaître des objectifs bien précis qu’ils assignent à la liste. Ce sont des élites agissant en entrepreneurs politiques rationnels qui ont foi de devoir rentabiliser l’investissement politique engagé. Et comme la politique, à la différence des affaires au sens pur du terme, nécessite la participation populaire, ils cooptent, parfois à coups de corruption ou de chantage, d’autres personnes, en général des cadres qui aspirent à des nominations, pour allonger la liste. Et si la chose n’est pas bien conduite, cela peut aboutir à des éclats de voix.

Ainsi va donc la démocratie des listes. Tout se joue dans les listes. Si jamais votre nom apparaît dans une liste accompagnant un mémorandum hostile au gouvernement alors que vous êtes pro gouvernemental, fendez-vous d’un communiqué dans le quotidien gouvernemental faisant savoir que vous n’appartenez ni de près ni de loin à ce groupe, ni ne partagez les idées des promoteurs. Si par contre, votre nom est absent de la liste accompagnant la motion de soutien des élites de votre localité. Sachez que c’est un coup monté par vos adversaires et faites un communiqué pour vous faire rétablir dans vos droits.



Etienne de Tayo


Promoteur « Afrique Intègre »


www.edetayo.blogspot.com