mardi 27 décembre 2011

LE PARADIS C'EST L'AILLEURS

Lorsqu'au bout de quelques semaines de mon séjour au pays, j'ai compris enfin ce que, pris dans la spirale de la mondialisation et d’une démocratisation emballée, le Cameroun était en train d'endurer, les rêves, parfois insensés, que le peuple camerounais était en train de se construire; lorsque j'ai analysé tous ces regards admirateurs de ceux – pourtant détenteurs de situations confortables - qui, les posant sur moi, semblaient me faire comprendre que j'avais réussi ma vie tout simplement parce que je vis en Europe. Lorsque j'ai perçu le rapport que les Camerounais entretiennent désormais avec la vie, la mort, l’amour, l'argent; lorsque j'ai compris que dans leur immense majorité, les jeunes du Cameroun, « bien que frustrés mais ne parvenant pas à l’expression politique de leur mécontentement », étaient désormais confortement installés dans la sublimation de l'ailleurs, l’adoration du Dieu Argent exacerbé par le phénomène de « feymania », je me suis assigné au moins trois missions.

J'ai voulu faire comprendre, en tentant de les décourager ou du moins de leur donner suffisamment d’éléments de discernement par rapport à leur projet d’émigration, à ceux qui le croient fermement, que l'Europe n'est nullement un paradis et y élire domicile pour un immigré, surtout après un certain âge, est plus un signe d'échec de la vie que de réussite. Et pour donner du contenu à ce que je dis, je leur citai un certain nombre de métier de merde que les immigrés sont parfois obligés d’accomplir par des temps effroyables : veilleur de nuit, ouvrier de chantier, cireur de carreaux, éboueur… Je leur rappelai les images des hôtels brûlant en plein Paris emportant dans l’au-delà leur locataire, en général des immigrés qui y étaient entassés. Les images qu’ils ont d’ailleurs l’habitude de voir aussi car, malgré leur apparent dénuement, ils sont tous câblés aux chaînes de télévision étrangères.

J'ai voulu aussi faire comprendre que, malgré le semblant de bonheur qu'il semble nous combler, l’argent est un moyen et non une fin. Il sert certes à réussir une vie mais ne remplace pas la vie elle-même, ni ne favorise l’accès au bonheur. A mon sens, je pense qu’il doit exister un point d’inflexion dans l’accumulation à partir duquel l’argent devient nuisible à son détenteur. Il suffit juste de tendre l’oreille pour suivre certaines affaires qui illustrent bien cette sorte d’overdose de l’argent.

Et pour étayer mon propos, je fis accompagner mes sermons de cette pensée d'Epicure : "La pauvreté, mesurée aux besoins de notre nature est une grande richesse. La richesse pour qui ne connaît pas de bornes est une grande pauvreté". Je voulais faire comprendre à tous ceux qui se sont installés confortablement dans la posture de pauvre qu’ils étaient en réalité très riches. C’est vrai que, confronté à la réalité, mon propos n’avait au mieux que la valeur d’un prêche de prélat illuminé, au pire des entourloupes d’une personne égoïste qui ne veut pas partager le bonheur que représente pour eux l’émigration.

J'ai voulu enfin faire comprendre, au vu du faste qui entourait désormais le deuil et la banalisation qui touche finalement ce moment pénible, que dans aucune civilisation on ne peut transformer la mort, le deuil en occasion déguisée de fête, tout simplement parce que cela heurte la décence. Le deuil est d’abord une occasion de recueillement qui doit préserver l’intimité des personnes éplorées.

A mon grand étonnement, j’ai eu l’impression qu’au Cameroun des deuils étaient désormais programmés comme des anniversaires. Comme toutes ces maladies de la pauvreté ont fait beaucoup de morts-vivants, c'est-à-dire des hommes et femmes ayant déjà un pied dans l’au-delà, les gens ne s’embarrassent plus, en voyant passer une de ces personnes, d’affirmer que son enterrement aura lieu dans deux ou trois semaines. Et comme par enchantement, ces prévisions tombent souvent juste. Je pensais et je le faisais comprendre aux autres que tout cela n’est pas normal.

Mais, très vite, au bout de quelque temps, j'ai compris que si je continuais à prêcher ces idées très déconnectées de la réalité selon plusieurs personnes, je courais le risque d'un lynchage public en règle. Alors, j'ai décidé à mon corps défendant de ne plus heurter des convictions aussi ancrées. Je leur disais désormais que l'Europe est un vrai paradis sur terre et malheur à celui qui mourra sans y avoir mis les pieds. Sur la mort et sa célébration, ce que j'appelle la civilisation de la morgue et du service traiteur, je leur disais désormais que peut-être un homme qui n'a pas réussi la vie sur terre peut ainsi s'atteler à réussir sa mort.



Etienne de Tayo

Promoteur « Afrique Intègre »

mercredi 21 décembre 2011

DU MARCHE POLITIQUE A LA POLITIQUE DE MARCHE

A l’origine, le mot marché est d’essence économique à tel point qu’il serait redondant de parler de marché économique. L’évolution de la société marquée par l’adoption des modèles démocratiques nous impose aujourd’hui d’explorer un autre marché : le marché politique.

Dans un marché ordinaire, virtuel ou physique, se rencontre l’offre et la demande d’un ou de plusieurs biens. C’est aussi le lieu de rencontre de plusieurs offreurs et plusieurs demandeurs. Au marché, on rencontre d’un coté des offreurs et de l’autre les demandeurs mais on rencontre aussi ceux qui sont à la fois demandeurs et offreurs d’où le terme de Bayam Sellam bien connu au Cameroun. A la différence d’un marché ordinaire, le marché politique est beaucoup plus complexe. Ceci, en raison de son caractère essentiellement étagé. On parlerait d’ailleurs mieux des marchés politiques.

Le premier marché qui se situe au sommet de la pyramide est celui de l’offre du pouvoir politique suprême par l’Etat à travers la programmation de l’élection présidentielle par exemple. Dans ce marché monopolistique à offre unique, l’Etat offreur a en face plusieurs demandeurs que sont les entrepreneurs politiques connus sous le vocable de hommes ou femmes politiques. La monnaie utilisée dans ce marché se décline en voix d’électeurs détenues par le peuple. Lesquelles voix se fructifient au travers du suffrage électoral. Le pouvoir suprême est ainsi servi à l’entrepreneur politique qui fait le meilleur score en voix d’électeurs. Lesquelles voix il doit acquérir en accédant au second marché.

Dans ce deuxième marché, l’entrepreneur politique tente d’acquérir les voix d’électeurs en offrant des programmes politiques dans lesquels il essaye d’intégrer les promesses de réalisation dont le peuple, offreur de voix, est demandeur. Dans un marché de concurrence pure et parfaite qu’on qualifierait dans le contexte politique de cadre démocratique, les offreurs de voix que sont le peuple, doivent disposer de capacités leur permettant d’évaluer les offres de programme des entrepreneurs politiques en vue de leur accorder le juste prix le jour du marché symbolisé ici par le jour du scrutin. Lorsque cette condition de clairvoyance et de transparence n’est pas remplie, nous assistons à une sorte de marché pervers, dissimulant des sous marchés où l’entrepreneur politique est tout sauf un honnête homme et où le peuple est une sorte de dindon de la farce consentant.

L’analyse d’un marché électoral à la lumière de l’élection présidentielle passée au Cameroun peut nous permettre de confronter la théorie développée plus haut. Dans le cadre de l’élection présidentielle justement, le premier marché est une sorte de marché sélectif à l’entrée duquel s’élèvent d’énormes barrières sous forme de caution à payer et de pièces à fournir en vue de l’étude du dossier d’acceptation de candidature. Cette caution s’élève à 5 millions de F CFA (7 500 euros). Une somme suffisamment élevée pour un pays où le revenu moyen dépasse à peine les 150 000 F CFA (225 euros). En bout de chaîne se trouve une sorte d’agrément permettant aux heureux élus d’accéder au second marché, celui de l’acquisition de voix d’électeurs nécessaires à la conquête du pouvoir suprême. Cet agrément est délivré par Elecam, l’organe en charge de l’organisation des élections au Cameroun.

Au Cameroun, l’ouverture du premier marché s’est faite par la convocation du corps électoral. Aussitôt, plusieurs entrepreneurs politiques, cinquante deux au total, se sont bousculé aux portes du marché. La sélection faite aussi bien au niveau de « Elections cameroon » que de la cour suprême a finalement ouvert les portes du marché à 23 entrepreneurs politiques seuls habileté à solliciter les voix d’électeurs. Pendant la campagne électorale qui s’est étalée du 24 septembre au 8 octobre 2011, les médias ont rendu compte des véritables parties de chasse qu’organisent les différents états major de partis politiques engagés dans la compétition. Chacun des hommes et femmes politiques y allait de son génie propre.

Mais, la nature du champ politique camerounais, les logiques et les jeux des acteurs, les stratégies qu’ils déploient donnent à voir un marché particulier qui découle de la spécificité du Cameroun. C’est la présence de ce marché souterrain qui offre à l’élection présidentielle l’allure d’une affaire économique au sens le plus mercantile du terme. Il s’agit d’un marché de placement et de fructification des fonds. A l’origine, la décision de l’Etat d’offrir gracieusement et sans condition de rentabilité électorale, la somme de 30 millions de F cfa (50 mille euros) à chaque candidat sélectionné qui aura conduit sa campagne électorale jusqu’au bout. Nous avons vu que pour accéder au statut de candidat, il faut disposer d’un peu de courage, payer une caution de 5 millions de F cfa et justifier d’un certain nombre de pièces attestant de la nationalité camerounaise et de la qualité de citoyen et justifier d’une résidence permanente depuis au moins un an.

Face à une telle offre, l’entrepreneur politique rationnel pense à un investissement de départ de 5 millions qu’il peut obtenir auprès d’une banque ou d’une tontine. Après quoi, il s’arrange pour être présent sur le terrain pendant la campagne électorale. S’appuyant sur la pauvreté ambiante, il lui suffit de donner la somme de 1000 F cfa ou l’équivalent d’une bière aux personnes qui viendront chaque fois meubler ses meetings, de payer 2000 F cfa à chacun de la dizaine des motos taxi qui l’accompagneront dans ses tournées urbaines en faisant le plus de bruits possible. Comme tout entrepreneur rationnel, il a une gestion rigoureuse de ses fonds avec le souci de la réalisation du plus grand profit. Après l’élection présidentielle, s’il a pu dépenser 10 millions, il s’en tirera avec un bénéfice net de 20 millions qu’il investira dans un vrai marché économique. Ainsi va la politique au Cameroun.



Par Etienne de Tayo

Promoteur « Afrique intègre »

jeudi 15 décembre 2011

LES SYMBOLES DE POUVOIR

L’image avait été furtive voire subliminale à la télévision mais assez significative du rapport que le président Paul Biya a au pouvoir politique. Nous sommes le 03 novembre 2004, jour de sa prestation de serment à l’Assemblée nationale ouvrant ainsi l’ère du Cameroun des « grandes ambitions ». Après avoir apposé sa signature sur le document de prestation de serment, le président de la République se lève et se saisi de la serviette contenant le précieux sésame. Machinalement, son aide de camp s’avance pour le soulager de cette charge. Mais l’homme du 6 novembre refuse ostensiblement de lui donner le document. Mieux il le serre fortement sous son aisselle et l’emporte avec lui jusque dans sa limousine.

Pour un monsieur, adepte de la représentation politique, qui n’a que tant côtoyé le pouvoir dans sa vie avant d’en faire finalement son objet de compagnie, cela n’a rien d’anodin. Paul Biya sait plus que quiconque, que cette serviette dans laquelle est logé la preuve de sa prestation de serment est un symbole de pouvoir autant que sa limousine, son palais, son bureau, son avion… Il sait qu’en laissant cette serviette à son aide de camp, même seulement pour quelques minutes, il lui concède ainsi, symboliquement, la jouissance d’une partie du pouvoir. L’appétit venant en mangeant, celui-ci peut se faire des idées par rapport à la possession du pouvoir.

Il sait surtout qu’au-delà des définitions savantes présentant le pouvoir à la fois comme contenant et contenu, le pouvoir n’est finalement qu’une somme de prérogatives disséminées dans les actes de la vie quotidienne. Il sait par ailleurs que ces prorogatives, symboliques ou réelles, sont susceptibles d’une appropriation frauduleuse de la part des personnes plus futées que le détenteur officiel du pouvoir. Il sait aussi que le pouvoir ne se partage pas, qu’il n’y a pas de canapé mais de fauteuil présidentiel dans lequel il faut se visser pleinement pour ne pas donner l’occasion à un autre de tenter de le partager. Il sait enfin que, plus que tous les autres biens précieux, le pouvoir ne saurait être laissé à la garde de quelqu’un d’autre.

En 1982, Ahidjo cède le pouvoir à son successeur constitutionnel Paul Biya dans les conditions que tout le monde sait. Une transmission plutôt élégante du pouvoir saluée à l’époque par tous les observateurs. La démission du premier et le discours chargé d’émotion qui l’accompagne, la prestation de serment du second et le vœu de fidélité qui la caractérise laisse penser qu’entre les deux protagonistes le ciel est sans nuage. Et pourtant un soupçon de tentative de subtilisation de pouvoir de l’un par l’autre va tout faire basculer.

En effet, quelques temps après sa démission, l’ancien président Ahmadou Ahidjo doit aller en Europe pour son contrôle de santé. C’est tout naturellement qu’il sollicite du nouveau président Paul Biya l’avion présidentiel pour l’accompagner dans son voyage. Après avoir cogité pendant longtemps, le président Paul Biya ou son entourage décide de lui envoyer un lot de billet d’avion de la Camair. Ahidjo pique une colère noire et le fait savoir à son successeur. Le feu qui finira par embraser leur relation vient ainsi d’être allumé.

Dans ce conflit, l’ancien président Ahidjo avait été un peu court. Malgré la connaissance qu’il avait du pouvoir du fait de ses origines peuls, le « grand camarade » n’était pas parvenu à la compréhension de cette vérité presque sacré qui voudrait qu’un pouvoir ne valle que par ses symboles. Il n’a pas compris qu’en sollicitant l’avion, il se comportait comme s’il avait juste gardé le pouvoir chez son dauphin et qu’il reviendra de temps à autre faire un emprunt de pouvoir. Il n’a pas compris qu’en embarquant à Yaoundé et en débarquant à Paris de l’avion présidentiel, il risquait de créer une certaine confusion diplomatique et de fragiliser le pouvoir de son successeur. Dans l’entourage du nouveau président, cette tentative de subtilisation, peut-être involontaire et inconsciente, de pouvoir avait été très vite repérée et interprétée.

La prise de conscience du fait que le pouvoir est un objet susceptible de vol intégral ou de vol partiel oblige malheureusement ses détenteurs à développer toutes sortes de technologies pour le protéger et le conserver. La plupart des critiques portée au système du président Paul Biya portent sur sa propension à la protection et à la conservation du pouvoir au point de sacrifier plusieurs autres missions attachées à sa fonction de président de la République. Dans l’entourage du président, on ne se gène pas pour faire observer que : moins il y aura des voleurs de pouvoir, moins de temps sera consacré à sa protection et plus consistant sera le temps mis pour la réalisation de la vision du président de la République. Argument valable ou simple pirouette de politique ?



Etienne de Tayo


Promoteur « Afrique Intègre »