vendredi 9 mai 2008

ZIMBABWE : LE CYNISME DES NATIONS


La présence de fortes minorités blanches a marqué d'une empreinte singulière l'expression des nationalismes africains en Afrique australe.


Par Achille Mbembe *

Il n'est pas certain que l'extrême personnalisation du conflit et la diabolisation de l'un des principaux protagonistes - Robert Mugabe en l'occurrence - aient aidé en quoi que ce soit à clarifier les enjeux de la lutte sociale et politique en cours au Zimbabwe. D'une part, en faisant de cet autocrate un monstre absolu et le parangon de l'irrationalité, on se prive des moyens d'expliquer comment, pendant les quinze premières années de son règne, il est parvenu à bâtir un pays relativement moderne, doté d'infrastructures viables et d'une économie sans doute insuffisamment diversifiée, mais à plusieurs égards productive. On fait également l'impasse sur le fait qu'au cours de cette période, il a assuré à une bonne partie de ses citoyens un minimum de sécurité sociale. Au passage, le Zimbabwe a enregistré d'importants progrès en matière de scolarisation et de santé, fructifiant ainsi son capital humain et portant celui-ci à des niveaux que n'avait jamais atteint le régime colonial. D'autre part, en faisant comme si Mugabe était à lui tout seul la cause de tous les malheurs du Zimbabwe, on oublie que jusqu'à la fin des années 1990, son pouvoir reposait sur une base sociale relativement élargie. Il bénéficiait en effet du soutien actif de groupes d'intérêt et d'une caste passablement bien organisée, bien représentée au sein de l'appareil d'État, de l'armée, de la bureaucratie et dans les entreprises en particulier, et profondément enracinée dans la société. Contrôlé par le parti dominant (Zanu-Pf), l'État décidait des avantages et des exemptions, accordait des faveurs, distribuait des subsides et garantissait la transmission des avantages acquis. En contrepartie des possibilités d'ascension sociale, de mobilité professionnelle et d'accumulation des richesses, cette constellation d'intérêts toléra plus ou moins, au cours de la même période, un modèle d'assujettissement fait de répression policière, de paternalisme et d'accommodement négocié. Auréolé de la légitimité forgée au cours de la lutte contre le régime raciste et minoritaire de Ian Smith, Mugabe était parvenu par ailleurs à instiller au sein de la population zimbabwéenne une sensibilité et une fierté patriotique, nationaliste et anticolonialiste. Les affiliations partisanes nonobstant, cette sensibilité fait désormais partie intégrante de la culture politique de ce pays et contribue à en façonner l'identité sur la longue durée. Par assentiment, par peur ou par habitude, la contrainte avait été peu à peu internalisée même si la dissidence en tant que telle n'avait jamais été totalement étouffée. Dans les zones rurales, l'éthos du pouvoir était plus ou moins partagé par la population, et la répression, virtuelle, occasionnelle ou récurrente, n'explique pas à elle seule les formes d'adhésion culturelle dont bénéficia ce projet de domination. Du reste, c'est la combinaison de ces facteurs qui explique qu'après 28 ans au pouvoir et malgré la défection de certains de ses soutiens historiques (syndicats, classes moyennes désormais appauvries, jeunes sans emploi des bidonvilles et cadres frappés par la clochardisation), Mugabe commande encore aujourd'hui près de 43% des suffrages, soit un peu moins de la moitié de la population en âge de voter. Le mélange d'hystérie et d'hypocrisie qui, à l'intérieur et hors du Continent accompagne la tourmente en cours ne contribue qu'à obscurcir davantage encore ce qui, n'eut été l'ampleur des souffrances inutiles endurées par la population et notamment par les plus démunis, ne serait qu'une banale crise d'une dictature essoufflée, dont la perversité n'a d'égale que la sénilité. Après tout, la manière dont Mugabe aura colonisé la société zimbabwéenne et exercé le pouvoir depuis 1981 est loin d'être unique dans les annales des satrapies africaines. Si l'on écarte les massacres perpétrés dans le Matabeleland au début des années 1980 et qui, de l'avis de nombreux observateurs, vaudraient sans doute un passage devant le Tribunal Pénal de la Haye, il est responsable de bien moins de morts que de nombreux autres tyrans africains. Après tout, les coresponsables du génocide au Rwanda et les seigneurs des guerres d'Angola, du Mozambique, du Darfour, d'Éthiopie et d'Érythrée, du Burundi, d'Ouganda, de l'Est du Congo Démocratique, de la Sierra Leone ou de la Somalie portent bien sur leurs têtes - calcul macabre s'il en était - au minimum deux ou trois bons millions de victimes directes et indirectes. La plupart jouissent pourtant d'une totale impunité et les chances de les assigner un jour en justice sont quasi-inexistantes. Sur un autre plan, Mugabe n'est pas le seul tyran sénile à vouloir, par tous les moyens, rester au pouvoir jusqu'à sa mort. Qu'il s'agisse de Paul Biya (Cameroun), Omar Bongo (Gabon), Idriss Deby (Tchad), Eduardo dos Santos (Angola), Denis Sassou Nguesso (Congo), Lansana Conté (Guinée), Ben Ali (Tunisie), Yahya Jammeh (Gambie), Hosni Mubarak (Égypte), Muammar Gaddaffi (Lybie), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Yoweri Museveni (Ouganda), Meles Zenawi (Éthiopie), Paul Kagame (Rwanda) ou Teodoro Obiang Nguema (Guinée Équatoriale), la durée au pouvoir de nombreux autocrates africains varie entre 20 et 40 ans. La possibilité de renverser par la voie électorale les régimes établis n'existant pratiquement pas, seule la mort du despote sous sa forme naturelle (maladie) ou criminelle (meurtre, assassinat) est susceptible de mettre un terme (et encore) à la tyrannie. Finalement, en matière de " bonne gouvernance", le Zimbabwe n'est pas le seul pays africain à avoir fait l'expérience de fraudes électorales. Dans la plupart des pays francophones par exemple, la corruption électorale et la brutalité politique constituent, depuis l'époque coloniale, des rouages essentiels du maintien au pouvoir. Par ailleurs, en dépit de la confiscation de propriétés redistribuées ensuite aux hommes de main du régime, la fortune personnelle de Mugabe est de très loin inférieure au butin amassé des décennies durant par les kleptocrates du Kenya, du Nigéria, du Gabon, de Guinée ou du Cameroun où la privatisation des ressources publiques, la prédation et la vénalité constituent des modes à part entière de gouvernement. Misères du nationalisme anticolonial Comment se fait-il donc que dans un continent généralement livré au cynisme et à la perversité, cet ancien héros de l'indépendance, symbole d'une certaine idée de l'émancipation africaine, soit tombé si facilement dans la trappe du mépris et de l'opprobre et ait été si prestement désigné pour servir de bouc émissaire aux turpitudes de tous, Africains et non-Africains, alors que ses agissements relèvent de ce qui, ici, a fini par tenir lieu de norme ? Aux yeux de nombreux Africains, l'explication tient en un mot. Mugabe est mis à l'index parce qu'il aurait attenté à la propriété des fermiers blancs. Se serait-il limité à brutaliser ses congénères noirs que ses agissements n'auraient suscité aucun cri de haine de la part de ceux qui, aujourd'hui, veulent sa tête sur le plateau d'argent des droits de l'homme et de la démocratie. Mais l'on peut également faire valoir que par-delà l'hypocrisie et le cynisme des nations, la raison principale de son échec tient à la faillite politique et morale d'une certaine idée de l'émancipation africaine héritée des nationalismes anticoloniaux de l'après-guerre. La présence de fortes minorités blanches a marqué d'une empreinte singulière l'expression des nationalismes africains en Afrique australe. Dans cette sous-région caractérisée dès le XVIIIème siècle par l'implantation de colonies de peuplement, des États racistes avaient été mis en place dans la foulée de la conquête européenne. Dans la mise en œuvre de cette politique des races, ces États avaient érigé la ségrégation, la cruauté et l'expropriation économique des Africains en autant d'éléments décisifs de leurs modes de gouvernement. Pendant longtemps, l'Afrique du Sud constitua l'emblème paroxystique de cette perversité. Or, de l'idéologie coloniale et raciste, les nationalismes africains ont repris, sur un mode mimétique, deux éléments centraux. D'une part, ils ont adhéré à l'idée alors répandue au long du XIXème siècle selon laquelle la colonisation fut un processus de conquête, d'asservissement et de " civilisation " d'une race par une autre. Au demeurant, la plupart des mouvements armés luttant pour l'indépendance de l'Afrique ont internalisé la fable selon laquelle l'histoire elle-même se ramènerait à un affrontement des races. Dans cette lutte pour la vie, les conflits de race ne se superposeraient pas seulement aux conflits de classe. La race serait la matrice des rapports de classe et, à ce titre, le moteur de la guerre sociale. L'idéologie de la suprématie blanche (dont les nationalismes africains étaient la réponse) partait exactement du même postulat. Au sein des États racistes de l'Afrique australe, les indigènes n'étaient pas des citoyens. Ils étaient des sujets raciaux considérés comme des ennemis tant qu'ils ne se soumettaient pas sans conditions à un ordre politique gouverné par la violence. Politique et violence formaient, dans tous les cas, un seul et même faisceau, une distinction étant cependant établie entre la violence supposée pure des mouvements de résistance et la violence jugée immorale des colonisateurs. Dans le même esprit, les mouvements armés anticoloniaux considéraient que l'ennemi était toujours, par principe, d'une autre race. L'émancipation consistait, quant à elle, à purifier constamment la société de cette autre race, de préférence en inversant radicalement les rapports de propriété et en restituant aux Africains tout ce qu'ils perdirent au moment de l'affrontement initial (terres, traditions, dignité). Déracialisation de la propriété Le deuxième élément que les nationalismes africains empruntèrent à l'idéologie coloniale avait trait à l'identification de la politique et de la guerre. Là où cette conflation de la politique et de la guerre fut poussée jusqu'au bout comme ce fut le cas en Angola et dans une moindre mesure au Mozambique, la conséquence fut la défaite militaire des colons blancs, leur départ massif et l'accaparement de leurs biens par les nouveaux régimes, l'instauration d'États nègres, l'avènement d'une nouvelle classe dominante suivi d'une guerre civile prolongée et opposant cette fois-ci les Noirs entre eux. Dans les cas où en dépit de la lutte armée, les conditions d'une victoire militaire nette ne furent jamais réunies, les mouvements de libération utilisèrent la violence en tant qu'élément complémentaire d'une stratégie de négociation et de compromis foncièrement politique. Au terme de tels compromis, ces États se sont retrouvés avec de substantielles minorités blanches. Défaites sur le plan politique, ces minorités ont néanmoins conservé l'essentiel de leurs biens après la décolonisation. Dans nombre de cas, ces minorités raciales continuent d'exercer une hégémonie culturelle sur la société. Il en est ainsi de l'Afrique du Sud et, dans une bien moindre mesure, de la Namibie et du Zimbabwe. Déracialiser le pouvoir et la propriété au bénéfice des Africains, tel a donc toujours été le moteur des nationalismes anticoloniaux en Afrique australe. En dépit des compromis passés au moment de la transition des " pouvoir pâles " aux " pouvoirs nègres", l'idée d'un renversement radical des rapports coloniaux de pouvoir et des rapports de propriété a continué de hanter l'imaginaire politique de ces pays longtemps après les indépendances. C'est ce qui est arrivé au Zimbabwe lorsque, sur fonds de crise économique au début du XXIème siècle, l'ancien mouvement de libération a été obligé de faire face à une opposition interne et structurée. Afin d'étouffer cette opposition, le régime au pouvoir a alors fait main basse sur l'extraordinaire gisement symbolique qu'a toujours représenté, dans la société et la culture, le rêve de déracialisation de la propriété. En même temps, il a réactivé la ressource imaginaire que fut, au moment de la mobilisation anticoloniale, la lutte des races. Mais cette fois-ci, la race en question est composée à la fois des fermiers blancs et de l'opposition noire. Dans un bouillonnement brouillon qui n'avait rien de révolutionnaire, la lutte pour le maintien au pouvoir a été assimilée à la lutte anticoloniale. Sous le couvert d'une réforme foncière menée dans une brutale improvisation, il a confisqué des fermes appartenant à des zimbabwéens blancs avant de les transférer à ses affidés, à la manière d'un butin de guerre. Puis, faute d'armer purement et simplement tous ses partisans, il s'en est pris aux structures de l'économie dans le but d'instrumentaliser le désordre et le chaos. Il en a résulté une dégradation dramatique des conditions matérielles des populations et une paupérisation généralisée que les problèmes de ravitaillement, la dévaluation vertigineuse de la monnaie, le recours aux réquisitions et au contrôle des prix et des salaires n'ont fait qu'accélérer. La quasi-confiscation des élections ne constitue qu'un épisode de plus de ce long processus. Sortir de l'indigénisme Qu'il s'agisse de la colonisation ou de l'apartheid, l'expérience des " pouvoirs blancs " en Afrique a été désastreuse. Qu'il en ait été ainsi s'explique largement par le fait que ces pouvoirs étaient mus par la logique des races et l'esprit de violence qui en était le corollaire. Dans leur forme comme dans leur contenu, les nationalismes africains se sont malheureusement contentés de récupérer à leur profit et dans un geste purement mimétique et cette politique des races, et son esprit de violence. Au lieu d'embrasser la démocratie, ils ont mis cette logique et cet esprit au service d'un projet de perpétuation de leur propre pouvoir. C'est ce projet d'un pouvoir sans autre justification que lui-même qui, aujourd'hui, rencontre ses limites au Zimbabwe et ailleurs sur le Continent. Dans la crise au Zimbabwe se jouent par conséquent deux ou trois questions décisives pour l'avenir de l'Afrique. D'une part, si le rêve d'émancipation africaine n'a été que l'envers mimétique de la politique et de la violence de la race mise en branle par la colonisation, alors il est temps d'imaginer une sortie du nationalisme qui ouvre la voie à une conception afropolitaine et post-raciale de la citoyenneté, faute de quoi les Africains d'origine européenne n'ont aucun avenir en Afrique. D'autre part, les Africains d'origine européenne n'auront d'avenir en Afrique que si l'on procède effectivement à une déracialisation et une mutualisation de la propriété. Déracialiser la propriété ne signifie pas expropriation pure et simple des blancs, mais investissements multiformes en vue de la fructification de l'ensemble du capital humain disponible. Or, cette fructification de l'ensemble du capital humain disponible n'est guère possible dans un contexte de tyrannie. D'où l'inconditionnelle nécessité d'un véritable passage à la démocratie. Tel étant le cas, Mugabe - et tous les autres - doivent partir. Mais qui peut jurer aujourd'hui que leurs successeurs feront nécessairement mieux ?

Source : Quotidien Mutations
* Historien, politologue, Enseignant à l'Université de Wittwatersrand en Afrique du Sud

mercredi 7 mai 2008

L'éclairage de Shanda TONME : L'AFFAIRE DE LA FLAMME OLYMPIQUE, UNE LECTURE AFRICAINE

Nous reproduisons ici une réflexion ô combien éclairante de l'éditorialiste camerounais Shanda Tonme qui corrobore parfaitement ce que nous avons toujours dit par rapport à la campagne de désinformation, les droits de l'homme à géométrie variable et surtout le "china Bashing" qui est devenu le sport le plus pratiqué en l'occident. Lisez plutôt.

Sans qu’ils puissent véritablement comprendre le pourquoi ni le comment, les africains, déjà soumis au dictat de l’Occident pour l’information, se retrouvent depuis quelques semaines obligés de se nourrir des images et des reportages des manifestations de rue à travers le monde contre la Chine. En effet depuis l’allumage de la flamme Olympique, un débat dur et orienté a été installé au forceps pour promouvoir le boycott des jeux dont l’ouverture est prévue en Août 2008 à Pékin.
Certes, la Chine connaît un problème de revendication autonomiste dans sa région du Tibet et une répression sanglante contre des manifestants y a récemment occasionné la mort de nombreuses personnes aux mains nues face à des forces de maintien de l’ordre plutôt impitoyables. Il existe donc et il a toujours existé ce qu’il est convenu d’appeler une cause tibétaine, laquelle est d’ailleurs mieux exprimée et mieux représentée par son très charismatique leader spirituel, le Dalaï-lama. En réalité le problème n’est pas simplement celui d’une revendication autonomiste ou indépendantiste, c’est aussi et fondamentalement un problème religieux que le pouvoir communiste régnant de la Chine ne veut pas entendre.
Pourquoi donc sortir du bois juste en ce moment, pour faire tant de bruit autour de ce problème, au point de reléguer au second rang toutes les autres préoccupations majeures qui encombrent le tableau géopolitique des conflits et des tensions planétaires ?
En quoi la situation au Tibet menace t’elle de façon directe, immédiate, urgente, impérieuse, et insoutenable la paix et la sécurité internationales ?
En quoi le boycott des jeux olympiques de Pékin contribuera-t-il à résoudre l’équation inextricable qui résulte de l’incompatibilité structurelle, doctrinale et idéologique entre la philosophie communiste et le bouddhisme ?
Nos interrogations ne se situent point au niveau de la justesse des revendications d’un peuple - fut-il minoritaire - pour sa dignité, sa liberté de culte et le bénéfice d’une quelconque autonomie. Nous ne sommes donc ni négationniste du droit du peuple tibétain à l’autodétermination, ni de celui plus large et plus général des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce sont des principes consacrés et sacrés, institutionnalisés et codifiés par un ensemble d’instruments juridiques internationaux dont les plus connus sont la déclaration universelle des droits de l’Homme et les protocoles additifs relatifs aux droits civils et politiques d’une part et aux droits sociaux et économiques d’autres part, la Convention des Nations Unies pour l’élimination de toutes les formes de discrimination, de même que de nombreuses conventions spécifiques.
Notre étonnement prend corps dans le regard discriminatoire de l’Occident, dès lors que notre propre vécu, ici en Afrique, est parsemé au même moment de situations les plus graves de répression et de violation des droits élémentaires des peuples sans que des émotions fortes s’en suivent de l’autre côté. La majorité des citoyens africains demeurent brimés en permanence dans leur plus intime et simple dignité. Les manifestations de rue au passage de la flamme olympique, les commentaires incendiaires des média occidentaux, les déclarations belliqueuses, tapageuses ou insidieuses des gouvernants et des politiciens occidentaux nous laissent un arrière goût de préméditation et de règlement de comptes.
Nous en Afrique, ne comprenons point l’agitation subite de l’Occident, ni pourquoi les mêmes pourfendeurs des violations des droits des tibétains ne descendent pas dans la rue pour crier leur colère contre les massacres perpétrés par les dictatures du Kenya, du Zimbabwe, du Tchad et d’ailleurs. Nous ne comprenons vraiment pas si ce qui se passe au Tibet est autrement plus grave et plus porteur de menaces contre la paix et la sécurité internationales que la modification de la constitution pour orchestrer des présidences à vie au Cameroun, au Tchad, au Gabon, au Burkina Faso…
L’affaire de la flamme olympique, intervient dans un contexte où l’on tentait déjà de nous convaincre du danger que représente la nouvelle Chine, la Chine devenue impériale, plus souveraine, mieux conquérante aux plans commercial et technologique, et menaçante pour les positions de domination coloniale des occidentaux.
Nous, en Afrique, craignons qu’il ne s’agisse pour l’Occident d’utiliser une juste cause - celle du peuple tibétain - pour contester de façon feutrée, malhonnête et maladroite, les succès commerciaux et financiers de Pékin à un moment où toutes les citadelles capitalistes et leurs excroissances périphériques sont violemment secouées par les émeutes de la faim.
Les cris entendus en Afrique, en Amérique latine et dans quelques banlieues misérables de Londres, Paris et Amsterdam, ne sont-ils pas des accusations sans détours contre une idéologie du marché qui a construit depuis des siècles son triomphe par la liberté des prix et une spéculation boursière encourageant le vol et toutes sortes d’égoïsmes voire d’exploitation éhontée ?
Nous en Afrique, craignons que l’Occident ne soit en fait à la recherche des voies et moyens pour bloquer la Chine, lui donner mauvaise conscience, freiner ses ardeurs d’expansion géopolitique et l’investissement de ses colossaux excédants commerciaux.
Faut-il rappeler à tous ceux qui l’ignoreraient encore, que la Chine a un excédent commercial vis-à-vis des Etats Unis de l’ordre de trois cent (300) milliards de dollars pour la seule année 2007. La Chine est excédentaire par rapport à presque tous ses partenaires et dispose à elle seule de deux fois plus de réserves en devises que tous les pays de l’Union Européenne réunis.
Pour mieux comprendre tous les enjeux géostratégiques, le Président sénégalais Abdoulaye Wade n’a pas craint de déclarer que la Chine a investi en vingt ans en Afrique plus que l’Occident en quatre siècles. Il convient certes de relativiser ces propos, car pour aussi révélateurs qu’ils soient, ils peuvent s’avérer vexatoires et excessifs dans la mesure où la dimension de la formation dans laquelle cet Occident prédomine, n’est pas prise en considération. Il n’en demeure pas moins que l’illustre sénégalais et militant africain se veut réaliste et représentatif d’une opinion dorénavant partagée par une très grande majorité des africains qui jugent positivement la coopération avec la Chine et en attendent plus de retombées positives.
Compte tenu de tout ce qui précède, nous ne sommes pas disposés à suivre l’Occident dans cette nouvelle guerre médiatique contre la Chine qu’elle veut imposer au monde en se servant des prochains jeux olympiques. Personne de sensé ne soutiendra que la Chine est un modèle de démocratie ou d’expression des libertés individuelles, mais comment avaliser les thèses de ces défenseurs des droits de l’Homme qui ne se lèvent jamais assez pour des causes plus choquantes en Afrique ?
Ces pourfendeurs de la Chine sont en réalité les mêmes qui implicitement n’ont jamais abandonné l’esprit colonialiste qui renvoie les noirs et les arabes à des épithètes de sous êtres humains sauvages et barbares dont les régimes autocratiques sont les meilleurs genres de gouvernance?
Les mêmes journalistes, qui se voulaient tranchants sur la question du Tibet lors de la conférence de presse avec le Président français récemment, n’ont pas manifesté une égale préoccupation pour la situation dans les anciennes colonies françaises où sa politique constitue un grossier scandale et où il est dorénavant clair qu’il a renié tous ses engagements de campagne.
L’Afrique, celle qui compte réellement et qui réfléchit, ne suivra pas l’Occident dans cette cabale contre la Chine. L’affaire de la flamme olympique n’est ainsi qu’un autre épisode d’une autre guerre, que l’on pourrait dire commerciale, que l’on pourrait dire sale aussi. Pour une fois, l’Occident qui se glorifie d’avoir tout gagné au cours de la longue histoire de l’humanité, a peur de perdre la guerre commerciale, après avoir proclamé la suprématie du système capitaliste sur tous les autres./.
Rédigé par : Shanda Tonme, éditorialiste
Source : 20mai.net