Une question indécente est celle qui est susceptible de plonger un interlocuteur dans l'embarras de la réponse. Et ceci, pour de multiples raisons : le caractère tabou du sujet évoqué; la nature de l'environnement dans lequel le sujet est évoqué; un certain nombre de faits précédents qui peuvent prêter à connotation… C'est justement pour préserver la décence que le Français dit qu'on "ne parle de la corde dans la maison d'un pendu". C'est tout simplement indécent.
Mais il faut aussi remarquer que l'indécence n'est nullement une donnée immuable. Une question donnée pour anodine dans un environnement précis peut devenir très indécente dans un autre. Ainsi en est-il de cette manœuvre qui consiste au cours des réunions amicales, familiales ou communautaires à demander aux participants de se présenter en déclinant le métier qu'ils exercent. C'est vrai que c'est déjà un exercice pas toujours facile pour la simple et bonne raison qu'en général, dans des pays où l'orientation scolaire et plus tard professionnel n'est pas la chose la mieux partagée, au moins une personne sur deux n'exerce pas forcément le métier de ses rêves et n'est donc pas à l'aise pour en parler. Les uns et les autres s'envient parfois mutuellement et certains pensent même qu'ils ont tout simplement raté leur vie. Dès lors, leur demander de parler de leur métier, c'est un peu comme si on demandait à quelqu'un de lire sa propre oraison funèbre.
Cette question prend une tournure parfois dramatique dans les milieux des immigrés africains en France et certainement dans d'autres pays du monde qui les accueillent. Ici, un pourcentage très élevé de gens ne sont pas toujours fiers du métier qu'ils exercent pour gagner leur vie. On pourrait même dire qu'ils en ont constamment honte. Et on peut les comprendre. Ce n'est pas toujours gai de se représenter en train de faire un métier de vigile ou d'éboueur après avoir soutenu une thèse de doctorat. En général, lorsque deux immigrés se rencontrent, ils peuvent tout se dire mais évitent soigneusement la question de savoir ce que l'autre fait comme travail. On préfère souvent s'arrêter à une rengaine tout ce qu'il y a d'ennuyeux : "çà fait très longtemps". Et l'autre de répondre : "çà fait vraiment très longtemps". Tout çà, pour ne pas évoquer la question de ce que l'autre devient. Et lorsque, par inadvertance ou par ignorance des règles du milieu, on s'y hasarde, cela produit souvent des étincelles.
C'est ce qui s'est produit au cours d'une réunion communautaire à Paris. Un des responsables de la réunion a eu l'outrecuidance de demander aux participants de se présenter et dire ce qu'ils exercent comme métier. A priori, son intention, comme il l'expliquera plus tard, n'était nullement malveillante. Il ne s'agissait pas du tout d'un voyeurisme professionnel comme l'ont interprété plusieurs personnes. Dans une optique d'entraide qui est souvent le but poursuivi par ces associations, il voulait, a-t-il précisé, que les gens se passent, si possible, des informations utiles sur leurs métiers et sur l'environnement du travail en France. Ainsi, a-t-il soutenu, ceux qui sont les mieux placés peuvent aider les autres dans la recherche du travail ou dans la promotion dans leur travail.
Mais plusieurs personnes dans l'assemblée n'ont pas compris la démarche de cette façon là et l'ont très mal prise. Sans passer par quatre chemins, ils ont accusé l'énonciateur de la proposition de voyeurisme professionnel. Surtout que la personne qui a fait la proposition était ce qu'on peut qualifier de mauvaise personne. Pas mauvaise personne au sens où on l'entend régulièrement, mais en raison des connotations qui peuvent être faites à la suite de son énonciation, compte tenu de son statut. Médecin de son état, beaucoup de personnes ont vu dans sa démarche une mauvaise curiosité, une façon pour lui de rassembler suffisamment d'informations sur leurs vies pour mieux les regarder en surplomb et créer une sorte d'apartheid au sein de la réunion.
Alors, l'un des participants, sans doute le plus courageux, mais le plus remonté aussi a pris la parole : "mon frère, est-ce que c'est vraiment important le fait de savoir ce que nous faisons ici comme travail. Nous sommes en famille. Je crois que le plus important c'est de savoir que chacun cotise régulièrement sa tontine et qu'il est assuré de telle sorte que, s'il meurt, son corps ne cale pas en France. Quant à savoir d'où vient l'argent qu'il paie ici, je crois que ce n'est pas le plus important. Si quelqu'un vend ses prunes à château rouge et qu'il a la volonté de venir cotiser, pourquoi vouloir l'amener à dire que c'est l'argent des prunes qu'il nous donne? L'argent n'a pas de couleur, ni d'odeur". Aussitôt, son intervention est appuyé par d'autres allant dans le même sens et même un peu plus polémistes : "il est médecin et peut dire ce qu'il fait avec aisance. Il croit que c'est aussi facile pour tout le monde. Je crois que si on vient ici pour que ceux qui ont réussi se moquent des autres, qu'on nous le dise hein. Si c'est comme çà, je crois que ce serait mieux alors qu'on se réunisse selon le travail qu'on exerce. Comme çà, les laveurs de cadavres vont se retrouver entre eux. Les médecins et autres ingénieurs vont se retrouver entre eux".
Et puis la polémique a continué dans une sorte de métacomunication, c'est-à-dire un jeu qui consiste à broder des communications secondaires autour d'une communication principale et ceci dans un ballet de sous entendu. Il aura fallu l'intervention déridée d'un aîné pour mettre fin aux empoignades : "Dis donc, il ne veut quand même pas que quelqu'un lui dise que pendant la première partie de la journée, il vide les poubelles de 2 immeubles et que pendant la seconde, il accompagne deux chiens se dégourdir les jambes et faire pipi!", s'est-il exclamé. Cela a eu pour effet de détendre un peu l'atmosphère. Mais on était passé à coté d'un drame à cause d'une proposition indécente.
Etienne de Tayo
Promoteur "Afrique Intègre"
http://www.edetayo.blogspot.com/
Mais il faut aussi remarquer que l'indécence n'est nullement une donnée immuable. Une question donnée pour anodine dans un environnement précis peut devenir très indécente dans un autre. Ainsi en est-il de cette manœuvre qui consiste au cours des réunions amicales, familiales ou communautaires à demander aux participants de se présenter en déclinant le métier qu'ils exercent. C'est vrai que c'est déjà un exercice pas toujours facile pour la simple et bonne raison qu'en général, dans des pays où l'orientation scolaire et plus tard professionnel n'est pas la chose la mieux partagée, au moins une personne sur deux n'exerce pas forcément le métier de ses rêves et n'est donc pas à l'aise pour en parler. Les uns et les autres s'envient parfois mutuellement et certains pensent même qu'ils ont tout simplement raté leur vie. Dès lors, leur demander de parler de leur métier, c'est un peu comme si on demandait à quelqu'un de lire sa propre oraison funèbre.
Cette question prend une tournure parfois dramatique dans les milieux des immigrés africains en France et certainement dans d'autres pays du monde qui les accueillent. Ici, un pourcentage très élevé de gens ne sont pas toujours fiers du métier qu'ils exercent pour gagner leur vie. On pourrait même dire qu'ils en ont constamment honte. Et on peut les comprendre. Ce n'est pas toujours gai de se représenter en train de faire un métier de vigile ou d'éboueur après avoir soutenu une thèse de doctorat. En général, lorsque deux immigrés se rencontrent, ils peuvent tout se dire mais évitent soigneusement la question de savoir ce que l'autre fait comme travail. On préfère souvent s'arrêter à une rengaine tout ce qu'il y a d'ennuyeux : "çà fait très longtemps". Et l'autre de répondre : "çà fait vraiment très longtemps". Tout çà, pour ne pas évoquer la question de ce que l'autre devient. Et lorsque, par inadvertance ou par ignorance des règles du milieu, on s'y hasarde, cela produit souvent des étincelles.
C'est ce qui s'est produit au cours d'une réunion communautaire à Paris. Un des responsables de la réunion a eu l'outrecuidance de demander aux participants de se présenter et dire ce qu'ils exercent comme métier. A priori, son intention, comme il l'expliquera plus tard, n'était nullement malveillante. Il ne s'agissait pas du tout d'un voyeurisme professionnel comme l'ont interprété plusieurs personnes. Dans une optique d'entraide qui est souvent le but poursuivi par ces associations, il voulait, a-t-il précisé, que les gens se passent, si possible, des informations utiles sur leurs métiers et sur l'environnement du travail en France. Ainsi, a-t-il soutenu, ceux qui sont les mieux placés peuvent aider les autres dans la recherche du travail ou dans la promotion dans leur travail.
Mais plusieurs personnes dans l'assemblée n'ont pas compris la démarche de cette façon là et l'ont très mal prise. Sans passer par quatre chemins, ils ont accusé l'énonciateur de la proposition de voyeurisme professionnel. Surtout que la personne qui a fait la proposition était ce qu'on peut qualifier de mauvaise personne. Pas mauvaise personne au sens où on l'entend régulièrement, mais en raison des connotations qui peuvent être faites à la suite de son énonciation, compte tenu de son statut. Médecin de son état, beaucoup de personnes ont vu dans sa démarche une mauvaise curiosité, une façon pour lui de rassembler suffisamment d'informations sur leurs vies pour mieux les regarder en surplomb et créer une sorte d'apartheid au sein de la réunion.
Alors, l'un des participants, sans doute le plus courageux, mais le plus remonté aussi a pris la parole : "mon frère, est-ce que c'est vraiment important le fait de savoir ce que nous faisons ici comme travail. Nous sommes en famille. Je crois que le plus important c'est de savoir que chacun cotise régulièrement sa tontine et qu'il est assuré de telle sorte que, s'il meurt, son corps ne cale pas en France. Quant à savoir d'où vient l'argent qu'il paie ici, je crois que ce n'est pas le plus important. Si quelqu'un vend ses prunes à château rouge et qu'il a la volonté de venir cotiser, pourquoi vouloir l'amener à dire que c'est l'argent des prunes qu'il nous donne? L'argent n'a pas de couleur, ni d'odeur". Aussitôt, son intervention est appuyé par d'autres allant dans le même sens et même un peu plus polémistes : "il est médecin et peut dire ce qu'il fait avec aisance. Il croit que c'est aussi facile pour tout le monde. Je crois que si on vient ici pour que ceux qui ont réussi se moquent des autres, qu'on nous le dise hein. Si c'est comme çà, je crois que ce serait mieux alors qu'on se réunisse selon le travail qu'on exerce. Comme çà, les laveurs de cadavres vont se retrouver entre eux. Les médecins et autres ingénieurs vont se retrouver entre eux".
Et puis la polémique a continué dans une sorte de métacomunication, c'est-à-dire un jeu qui consiste à broder des communications secondaires autour d'une communication principale et ceci dans un ballet de sous entendu. Il aura fallu l'intervention déridée d'un aîné pour mettre fin aux empoignades : "Dis donc, il ne veut quand même pas que quelqu'un lui dise que pendant la première partie de la journée, il vide les poubelles de 2 immeubles et que pendant la seconde, il accompagne deux chiens se dégourdir les jambes et faire pipi!", s'est-il exclamé. Cela a eu pour effet de détendre un peu l'atmosphère. Mais on était passé à coté d'un drame à cause d'une proposition indécente.
Etienne de Tayo
Promoteur "Afrique Intègre"
http://www.edetayo.blogspot.com/