L'artiste à l'oeuvre |
Pascal Kenfack peut être présenté aujourd’hui comme l’un des portes étendards de l’Art moderne africain. Après un cursus complet à l’Ecole nationale des Beaux Arts de Paris, achevé par une thèse de doctorat à Paris8, ce peintre et sculpteur est retourné au Cameroun où il initie les jeunes dans le cadre de l’Institut des Beaux Arts de l’université de Dschang à Foumban.
Mais dès que l’occasion lui est donnée, Pascal Kenfack parcours le monde en émerveillant ses publics de son art alerte. Il a répondu à l’appel de la ville de Massy en France, pour donner de la couleur à l’évènement « AFRIC A MASSY ». Les visiteurs de cette exposition qui se tient à la médiathèque Jean Cocteau en parlent encore.
Nous avons rencontré Pascal Kenfack dans son atelier de sculpture, lieu de l’exposition. Il répond à nos questions.
Pouvez-vous nous présenter globalement cette exposition que vous faites à la médiathèque de la ville de Massy, dans l’Essonne en île de France ?
Pascal Kenfack : Je dois dire que ce n’est pas toujours aisé de présenter un travail comme celui-ci qui est vraiment multiforme et multidimensionnel. Mais qu’à cela ne tienne, nous sommes en présence de peinture de grand format et de la sculpture. En sculpture, la pièce sur laquelle je travaille actuellement mesure au moins deux mètres. Les autres, ce sont les petits formats parce que le contexte ne me donne pas la possibilité de faire vraiment des monuments comme je le fais ailleurs. Ici, j’ai présenté exclusivement des tableaux ou des sculptures de petite dimension.
Cette sculpture de deux mètres par exemple, dites-nous ce qu’elle sera quand vous l’aurez terminée ?
Pascal Kenfack : Cette sculpture est ce qui scelle symboliquement la ville de Massy et le Burkina Faso. En ce sens que le Burkina est venu voir Massy pour lui demander une coopération. Massy a accueilli l’idée ensuite en a fait tout un projet. Massy a dit au Burkina, procurez d’un bœuf et nous vous en donnerons un second qui vous permettra d’aller remuer autant que possible la terre, la fructifier pour faire vivre les millions des gens qui sont sous votre responsabilité. C’est un peu comme çà le concept. Donc il y a deux bœufs qu’il faut atteler pour pallier un peu la pénibilité du travail de la terre.
Pour déplacer votre unité de production ici sur place, transporter par exemple vos matériaux de l’Afrique, quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées ?
Pascal Kenfack : Je suis de ceux qui prêchent un artiste qui part sans rien en main. C'est-à-dire que, là où il s’installe, le peu qu’il trouve, il travaille avec. Sur le plan matériel, je vous assure que je n’en souffre pas. Là où j’arrive, je trouve le matériel. Par exemple, ce bout de bois sur lequel je suis en train de travailler, c’est le noyer comme on peut aussi trouver la même forme à travers le goyavier ou l’avocatier en Afrique centrale. Donc, ce que je vois, je prends et je le transforme.
Lorsqu’on vous regarde travailler, on peut penser que tout ce que vous touchez même vos matériaux doivent être sacré. Est-ce que c’est une vision un peu exagérée ?
Pascal Kenfack : Non, ce n’est pas exagéré. D’autant plus que la nature nous procure pratiquement tout ce qu’il y a lieu de savoir. C'est-à-dire le coté mystique, le coté ludique même à savoir que l’arbre n’est pas seulement un élément qu’on peut couper et mettre dans le feu, c’est tout une entité à travers laquelle on peut s’exprimer. On ne l’approche pas n’importe comment. Dès l’instant où on l’a connu, on peut en faire un intermédiaire et j’allais dire un collaborateur parce que l’homme va vers la nature, la découvre, y puise les substances qu’il faut. Çà peut être des substances essentiellement vitales comme çà peut être des substances relatives à la spiritualité. Et l’arbre est bien positionné pour pouvoir répondre à ces préoccupations là.
Quand vous travaillez sur un arbre coupé dans la forêt africaine et lorsque vous travaillez sur un autre coupé dans une autre forêt par exemple ici en Europe. Est-ce que votre proximité à ces deux troncs est différente ?
Pascal Kenfack : La différence d’approche est beaucoup plus à la base, c'est-à-dire au départ, le choix même de l’essence. Or, le choix de l’essence en Afrique, c’est tout un long processus à la limite rituel. Ici, lorsqu’on veut prélever une essence, c’est une tronçonneuse qui agit alors qu’en Afrique, il faut vraiment aller supplier les entités qui sont à l’intérieur de cette essence là pour être en mesure de prélever, ne serait-ce que, l’écorce. A plus forte raison, couper complètement l’arbre. Donc c’est deux démarches différentes. Quand la machine entre dans les mains de l’homme, il bafoue les règles de la nature et à partir de là, tout peut arriver. A commencer par des déséquilibres de toutes sortes.
Prenons le tableau que nous avons derrière nous. Je sais qu’un tableau est polysémique. Lorsque vous l’avez conçu, vous aviez certainement un message à transmettre qui n’est pas toujours celui que finit par percevoir celui qui décrypte votre œuvre. Pouvez-vous nous donner le message originel de ce tableau ?
Pascal Kenfack : S’il faut décliner le message originel comme vous dites, je vous dirai qu’il s’agit de l’initiation. Il y a un père qui tient en main ses deux enfants. En même temps, il tient son bâton de commandement. Il est assis sur son trône en quelque sorte. Derrière lui il y a la nature qui est très proche et rentre dans le contexte même du sujet qui est évoqué. Il est en train de dire à ses enfants : voilà ce sur quoi vous allez vous appuyer quand vous deviendrez grand. Et ainsi, on est vraiment à l’intérieur de nos traditions. Les enfants doivent savoir qu’il y a des obédiences chez nous qui forment un peu notre école traditionnelle, lesquelles obédiences ont leur façon de faire, leur philosophie laquelle consiste à dire que : voilà nous serons toujours dans la nature, en tirer des éléments constitutifs pour en faire des puissances. On est ici comme on était dans la formation des neuf notables. Or, un neuf notable dans le village est une personne qui détient une connaissance. Et la somme des connaissances détenues par les neuf constitue alors la puissance. Une puissance qui devient parfois incontrôlable. J’ai essayé de mettre en exergue deux initiations : celle de l’école et puis celle du village. Nous avons deux grands baobabs qui, au lieu de se terminer par des branches, se terminent plutôt par les écrans du net qui sont comme des antennes et communique avec le monde entier. Voilà ce qu’on peut percevoir à travers ce tableau.
Donc, selon vous et d’après ce tableau, il ne peut pas y avoir d’opposition entre les deux mondes que sont, celui de l’initiation traditionnelle et celui de l’école moderne ?
Pascal Kenfack : Il y a complémentarité d’autant plus que, tout ce qu’on peut utiliser pour former l’enfant se retrouve là dedans. Or, on forme l’enfant traditionnellement. L’école ouvre de grandes perspectives alors que nos traditions tournent sur elles mêmes. Il faudra vraiment à un moment donné choisir. En tout cas on peut partir maintenant du traditionnel vers le moderne et s’y retrouver parfaitement sans que çà gêne l’homme.
Est-ce qu’on peut véritablement peindre et émerveiller comme vous le faites, en restant dans la posture traditionnelle africaine sans avoir atteint une certaine dimension d’initiation. Autrement dit est ce qu’un peintre peut tout à fait être assimilé à un initié ou sorcier comme disent certains ?
Pascal Kenfack : On le dit très souvent chez nous : ceux qui créent des formes sont quelque part des sorciers. Par contre, je me dis qu’il y a sorcier et sorcier. Si on appelle sorcellerie les connaissances qu’on apprend à l’école, auxquelles les autres n’ont pas accès, si c’est çà la sorcellerie, je dis ben ok. Mais je dis plutôt que c’est le savoir. Ce sont là autant de pistes de savoir qui permettent aux uns et aux autres de partir d’un point pour en arriver à un autre et se sentir le mérite d’avoir au moins fait quelque chose. Ce qui est sûr, c’est que, qu’on soit traditionnel ou pas, on a quelque chose à dire et si on peut le dire, tant mieux. Par la suite, est ce qu’on l’a bien dit, parce qu’il y a des canons pré définis pour le dire et se faire comprendre. Alors, si on n’a pas ces canons là, il y a de fortes chances qu’on le dit mais qu’on ne le dise pas bien. Et quelque part, il y ait une entorse.
Voulez-vous nous dire que la peinture ou la sculpture c’est un métier comme un autre : médecin, avocat. Et qu’on peut l’acquérir à l’école. Voulez-vous soutenir que chacun arrive au sommet de son art parce qu’on a bien suivi ses cours et bien appris sa leçon ? Est-ce que c’est la même chose ?
Pascal Kenfack : C’est tout à fait la même chose puisque qui dit école dit savoir. Donc on doit pouvoir accéder à ce savoir là. Or, celui qui y va et qui y va avec tous les moyens dont il dispose, peut atteindre le savoir sans que çà gêne qui que ce soit. Donc, on peut devenir peintre et sculpteur comme on peut devenir médecin comme on peut devenir avocat.
Est-ce qu’on peut parler d’une peinture profane, d’une peinture non chargée et d’une autre chargée ?
Pascal Kenfack : Là, nous entrons dans les méandres même du métier. Est-ce qu’il faut vraiment peindre comme un oiseau qui chante ? L’oiseau qui chante, répète ce qu’il dit de façon sempiternelle. Mais il ne dit rien puisque c’est ce qu’il fait toute la journée. Maintenant, si on ne doit pas faire comme un oiseau, c'est-à-dire s’exprimer parce que nous sommes des humains, cela veut dire qu’il y a des signes qu’on doit apprendre et maîtriser, il y a donc la capacité de pouvoir traduire ce qu’on a appris en formes en signes et en couleurs. A partir de là, on peut s’exprimer. On n’est donc plus un oiseau. Vous faites en sorte que les autres vous comprennent. Et parce que les autres vous comprennent, vous pouvez donc exposer partout où vous voulez, vous évoluerez sous toutes les formes sans que çà gêne qui que ce soit.
Propos recueillis à Massy par Etienne de Tayo