IDEE
EXPOSITION :
SUR LA ROUTE DES CHEFFERIES OU SUR LA ROUTE DU QUAI BRANLY ?
De ce mardi 5
avril au 17 juillet 2022, le Musée du
Quai Branly à Paris sera paré aux couleurs du Cameroun. Ceci, à la faveur d’une
« exposition consacrée à l’art des communautés
établies sur les hauts plateaux des Grassfields, à l’Ouest du Cameroun »,
d’après une annonce du site du Musée du Quai Branly. Porté par l’Association « Routes des chefferies » et
dit-on « dans une démarche
collective de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine traditionnel », cette exposition « aborde la culture des communautés et la préservation d’un patrimoine unique,
historique et vivant » et constitue « un voyage au cœur des us et coutumes des peuples du Cameroun dans toute
leur diversité ».
Sous le thème suggestif
« Sur la routes des chefferies du
Cameroun : du visible à l’invisible », l’exposition déploie « près de 300 œuvres dont 260 trésors
conservés par plusieurs chefs et lignages familiaux ». Pour la
réussite de l’exposition, la bande d’annonce nous informe que « 24 chefs ont prêté des œuvres et une
trentaine ont participé à la conception de l’exposition ». Les œuvres exposés comprennent :
architecture monumentale, forge, créations perlées, sculpture sur bois,
production textile, masques, bijoux, statues ornementales et rituelles, totems,
coiffes chatoyantes, tenues traditionnelles, danses traditionnelles.
Toujours dans la note
de présentation sur le site du Musée du Quai Branly, nous apprenons qu’il
s’agit « d’un patrimoine unique et
historique, précieusement gardé depuis des siècles par les chefs traditionnels.
Personnages quasi-divins, ces derniers en sont les principaux dépositaires,
garants à la fois de la tradition et du lien entre le monde des ancêtres et
celui des vivants ». Un dithyrambe et une couronne d’éloges tissés en
direction de ceux qui seront les
premiers surpris. Et pour cause. Pendant les trois mois que durera
l’exposition, et d’un point de vue purement marketing, des centaines de
milliers de touristes venus du monde d’entiers prendront connaissance de la
richesse du patrimoine culturel africain et deviendront certainement des
touristes potentiels pour le berceau de l’humanité. Cela s’appellerait se
montrer pour mieux se vendre demain.
Voilà qui est donc
peut-être bien fait pour le tourisme futur en direction de l’Afrique, pour la
rencontre des civilisations et pour le dialogue des cultures compris comme « la résultante d’une articulation
positive des différences et des ressemblances entre partenaires autonomes et actifs,
partageant une même communauté de destin ». Mais personnellement,
l’exposition du Musée du Quai Branly me pose au moins deux problèmes qui
viennent heurter violemment ma fibre panafricaniste : il y a d’abord un
premier problème qui est celui du contexte de sa tenue. Un contexte maqué par
le mouvement inverse de la restitution des objets d’art pillés par les colons
négriers et les Etats esclavagistes et
colonialistes. Il y a ensuite le problème du sens du voyage des hommes et des
objets quand ont sait que pour cette exposition, certains chefs traditionnels
du Cameroun et plus précisément de la région de l’Ouest ont délaissé leurs
palais pour embarquer dans un avion, direction Paris, les objets royaux en
soute. Cela me pose un réel problème par rapport à la reconquête de la dignité
perdue de l’Afrique du fait de l’esclavage et de la colonisation.
Les
Trésors d’Abomey sont de retour
Le 27 octobre 2021, le
Président français a présidé au Musée du Quai Banly, une cérémonie de
restitution officielle par la France de 26 pièces du Trésor royal d’Abomey.
Emmanuel Macron tenait ainsi parole suite au vote par le parlement français, le
24 décembre 2020 autorisant la France à rendre ce butin de guerre. En effet,
les 26 œuvres d’art du Benin, prises de guerre du général français Dodds, issus du pillage des Trésors d’Abomey et présents
en France depuis 130 ans ont été restituées après des années de polémiques.
Parmi ces objets, il y a : « la
statue royale dite Bochio, mi homme, mi requin du roi Béhanzin, le dernier roi
d’Abomey capturé par les Français en 1894 et envoyé de force en exil en
Martinique ». Mais nous avons aussi parmi ces objets : « des trônes royaux d’Abomey, des
sculptures anthropomorphes représentant les rois Abomey ». Ces objets
rejoindront à terme le Musée d’Abomey où ils reposeront pour l’éternité et
certainement en paix. Pour Epiphane Basile Migan, Béninois résidant en France,
il s’agit « des pièces uniques au monde, d’une valeur
inestimable »
Cette restitution
découle d’une revendication faite par le gouvernement du Benin en 2016 et d’une
promesse d’Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle de 2017. Pour
Emmanuel Macron, il s’agit de « permettre
aux Africains de dire leur part du monde et aux regards français sur le
continent africain de changer ». Mais pour nous, cela n’a pas
d’importance puisque ce n’est pas dans le regard des français que l’Afrique
existe et se développe et il n’est point question de croire que les Africains
diront Merci pour la restitution des biens qui leur avaient été volés. Il est
question de remettre les choses à l’endroit, pas seulement pour la France mais
tous les pays coloniaux qui avaient pillé, et continuent malheureusement de
piller le patrimoine culturel de l’Afrique.
Selon certains
spécialistes, « près de 90% du patrimoine
africain se trouverait encore aujourd’hui en dehors du continent ». Et
je suis convaincu que l’Afrique ne retrouvera son équilibre cosmogonique et son
émergence politico-économique qu’à partir du moment où ce Trésor patrimonial, dans
son entièreté, reposera paisiblement sur le continent et dans les lieux d’où il
avait été arraché. L’Union africaine devrait inscrire dans son agenda et comme
priorité, la restitution du patrimoine pillé de l’Afrique et déployer une
véritable diplomatie culturelle pour que notre continent retrouve son âme. Il
s’agit à mon sens d’une condition sine qua non de son développement.
Maintenant que le
contexte est décrit, revenons à
l’exposition de la route des chefferies du Musée du Quai Branly pour mesurer
son anachronisme par rapport au sens de l’histoire ou tout simplement par
rapport à la marche des choses dans le monde aujourd’hui. Le sens de l’histoire
c’est celui de la restitution et non d’une collaboration contre nature. Il faut
savoir qu’à coté du Benin, plusieurs autres pays africains ont déjà engagé des
démarches en vue de la restitution des objets volés et certains avaient
d’ailleurs trouvé un début de satisfaction. Il en est ainsi du Sénégal qui
s’est vu restituer « le sabre et le
fourreau d’El Hadj Omar Tall ». De même, selon Stéphane Renault du
journal « The Art paper », « des
échanges sont en cours avec la Côte
d’Ivoire en vue d’une future restitution du « Tambour parleur »
Djidji Ayokwe des Ebrié, confisqué en 1916 par les colons français ».
« Au
moment où on attend que d’autres pays qui détiennent des pièces africaines
emboitent le pas à la France pour les restituer »,
comme le dit si bien Calixte Biah, conservateur du Musée d’histoire de Ouidah,
l’exposition de la route des chefferies peut sonner comme un soutien apporté « aux tenants du marché des arts
premiers qui en France, voient en la restitution une épée de Damoclès et
redoutent l’ouverture de la boite à pandore ». Il faut d’ailleurs
rappeler que Jacques Chirac, créateur du Musée du Quai Branly avait toujours
freiné de mille fers et on lui prête cette boutade qu’il utilisait pour
répondre à ceux qui lui demandaient de tenir ses promesses de restitution. Il
disait : « Les promesses n’engagent
que ceux qui les reçoivent ». C’est dire si en France le courant des
anti-restitution doit être fort. Et c’est cela aussi le contexte.
Le
sens de l’histoire
Il se passe qu’au 21e
siècle, c’est à dire plusieurs siècles après que les colons avaient pillé nos
objets d’art au besoin en tuant le légitime propriétaire et en emportant le
butin dans les cales de leurs bateaux et au moment où les démarches sont faites
par plusieurs pays pour les faire rentrer au bercail, des chefs traditionnels,
invités par le projet « route des
chefferies » et les organisateurs de l’exposition de Paris, sans
contrainte aucune, ont embarqué dans un avion avec des objets d’art en soute
pour aller s’exposer là où les autres objets pillés sont confisqués. En France,
ils ont confié ces objets aux responsables du Musée du Quai Branly qui les
mettront en vitrine pendant 4 mois. C'est-à-dire qu’au lieu de voir les
touristes demain sur les routes des chefferies avec les retombées financières
conséquentes pour nos économies, ont voit plutôt les chefs traditionnels sur la
route du Quai Branly avec des risques de perte de prestige certains. Ce qui a
inspiré ce titre au site kpjevents.com : « Patrimoine : les chefs sur la route du Musée du Quai
Branly ».
Vu au premier degré et certainement pour les
promoteurs du projet de la route des chefferies et pour les organisateurs de
l’exposition de Paris, il s’agit d’une action marketing destinée à vendre
l’image de l’Afrique à travers son riche patrimoine culturel et rituel. Et ils
pensent que la place de Paris offre une plus grande visibilité que l’arrière
pays africain. Le faisant, ils sont en retard au moins d’un palier par rapport
à l’évolution de l’Afrique et à la place qu’elle occupe désormais dans le jeu
des puissances. En effet, depuis quelques années, les bouleversements
géopolitiques et les luttes de puissance ont placé l’Afrique au centre de tous
les enjeux. Ce n’est plus un slogan, il faut reconnaître que l’Afrique est le
continent de l’avenir et sera bientôt le pôle touristique majeur du monde.
Au Cameroun et
principalement à l’Ouest, le programme « Route des chefferies » a permis à certaines chefferies pillées
et brûlées par le passé par les colons de reconstituer une partie de leur
patrimoine culturel et ancestral. A l’Ouest et grâce à ce programme, plusieurs
chefferies ont érigé des cases patrimoniales et même des Musées dont les plus
emblématiques sont à Bapa, Bana, Batoufam ou encore Foto. Elles viennent
compléter le majestueux Musée de Foumban. Dans la ville de Dschang et toujours
dans le cadre de la « Route des
chefferies », il a été érigé un Musée de civilisations qui se mire
chaque jour dans les eaux du lac municipal de la ville. Plusieurs objets d’art de la région et même
d’ailleurs y sont exposés et sauvegardés. L’idéal serait qu’à terme, chaque
chefferie du Cameroun puisse disposer d’un Musée où les touristes mais les
enfants du terroir viendront se ressourcer.
Après avoir exposé ces
réalisations louables, nous pouvons relever qu’il y a dans la démarche des
promoteurs du projet de la « Route des chefferies » au moins deux
écueils : Il y a en effet une erreur d’appréciation d’un point de vue de
la géopolitique et même de la
géostratégie par rapport au destin de l’Afrique. Il y a ensuite une grande
contradiction dans la démarche des organisateurs de l’exposition qui, en
exposant l’Afrique à Paris alors qu’ils
sont à la base de la renaissance des
chefferies traditionnelles à l’Ouest par exemple, foulent aux pieds le principe
aristotélicien du tiers exclu. En effet, on ne peut pas être en train de
travailler à la restauration, à la consolidation et à la promotion des
chefferies traditionnelles sur place
pour en faire des lieux touristiques rayonnant sur le monde entier et
valider aussi la proposition contraire visant à transporter ces chefferies et
leurs contenus sur la place de Paris parce que c’est uniquement là bas qu’elles
peuvent être visibles et valorisées. Alors, pendant qu’on y est, pourquoi ne
pas délocaliser en France ou aux Etats-Unis, pour plus de visibilité, les sites
touristiques ou tout simplement cette nature qui fait la beauté du continent.
En guise de synthèse à
cette réflexion, nous dirons que nous validons totalement la rencontre des
civilisations et le dialogue des cultures. Mais il ne faut pas y aller en simple touriste affichant
un angélisme déroutant. Il faut être capable de comprendre tous les paramètres
du jeu, de même que les enjeux et agir en conséquence. Ce que nous, pauvre
Africain, ignorons souvent c’est que l’homme occidental, à savoir le promoteur
de l’esclavage et de la colonisation, est constamment dans un jeu conflictogène
à somme nul. C'est-à-dire que ce que
nous gagnons, l’autre perd forcément. C'est-à-dire aussi que si je n’ai pas
quelque chose et que mon voisin a, je peux le tuer pour lui arracher cette
chose. C’est ce qui donne sa dimension
assez cruelle à leur combat. Et y aller avec naïveté est impardonnable.
Déjà, il faut que les
pièces que les chefs traditionnels ont amené à l’exposition de Paris retournent
au pays et retrouvent les palais. Pour cela, le Ministère des Arts et de la
Culture peut déjà mettre sur pied une
commission chargée de réceptionner et convoyer ces objets à leur retour. Il
faut aussi que le Cameroun revendique et obtienne le retour objets d’art de ns
chefferies comme ce fut le cas pour la sculpture en bois sacré « Afo
Akom » qui avait été repris aux trafiquants d’objets d’art et qui trône
aujourd’hui au palais royal de Laikom. Une autre question est celle de la santé
spirituelle et du magnétisme sacré de ces objets qui ont voyagé dans les soutes
d’avion car, dans ma tradition, il est dit « qu’une panthère qui traverse
le fleuve devient une antilope une fois sur l’autre rive ».
Pour être là où ils
sont aujourd’hui, les chinois n’ont pas hésité à aller au marché des
civilisations. Mais ils ont su rester eux même, entourer leur démarche
d’humanisme et surtout protéger jalousement leur immense et multimillénaire
patrimoine culturel qui a pourtant été aussi pillé. Ils ont su prendre chez les
autres, juste ce qu’il leur faut pour construire le logiciel indétectable qui
sert à bâtir leur puissance dans le monde aujourd’hui. C’est dire si nous avons
à apprendre de la Chine.
Dr Etienne Tayo Demanou
Délégué régional de
communication de l’Ouest
Président du comité de
Développement du village Toula-Ndizong (CODEVINDI)
Mail : tayoe2004@yahoo.fr