vendredi 28 décembre 2007

MEILLEURS VOEUX 2008


Monsieur, Madame,
Etienne de Tayo et le réseau "Afrique Intègre" ont le plaisir de vous présenter leurs meilleurs voeux de santé et de réussite pour l'année 2008.
Nous vous remercions pour le temps précieux que vous avez souvent consacré à parcourir notre blog : http://www.edetayo.blogspot.com/
Cette fabuleuse expérience d'échange citoyen, commencée en 2007 et qui a reçu votre soutien actif, doit continuer et se consolider en 2008 avec votre concours. Nous sollicitons plus de critiques de votre part, constructives ou non. Parce que nous sommes convaincu de ce que, c'est dans le regard de l'autre, quel qu'en fut son opinion à notre endroit, que nous réussissons à nous réaliser.
Notre devise à "Afrique Intègre" est : "Un peuple fier dans un continent prospère". Une utopie pour certaines personnes mais une conviction profonde et même une réalité proche pour nous. Dans notre ouvrage programme publié en 2006 : "Coup de gueule au G8 : Pour la Dignité de l'Afrique, laisser nous crever... Mais nous ne creverons pas", nous postulions le fait que la puissance est d'abord une affaire de croyance. Il suffit parfois d'y croire pour devenir réellement puissant. Hier, nous le disions en voyant l'Afrique maltraitée et humiliée par ceux qui s'étaient autoproclamés les plus puissants du monde. Comme dans les fables infantines, ils avaient pris la posture du père noël et certains Africains n'étaient plus que des enfants comptant sur leur générosité.
Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous le pont. Très lentement mais sûrement, l'Afrique est en train de quitter la posture détestable du clochard habillé en haillons et qui écume les trottoirs de l'occident à la demande de l'aide.
Quelque chose s'est passé à Lisbonne. Et désormais, parlant de l'Afrique et son destin, on parlera de l'avant et de l'après Lisbonne. Confronté à l'Europe dans un round de négociations sur les fameux accords de partenariats économiques (APE), l'Afrique a retrouvé sa fierté, sa dignité, sa cohésion en attendant de retrouver sa prospérité. De l'épisode Mugabe au refus de signer des accords iniques, les dirigeants africains ont montré que le vent avait désormais changé de sens. Et que l'Europe avait désormais plus besoin d'eux qu'ils n'avaient besoin de l'Europe. Bien sûr, ce n'est qu'une bataille qui est remportée. Le gros du combat reste même à venir. Mais c'est toujours bon de faire le compte de ses petites victoires. C'est bon pour le moral.
Bonne année 2008

Etienne de Tayo
Promoteur "Afrique Intègre"

mercredi 19 décembre 2007

ANDRE JULIEN MBEM : "Je pense que l’Afrique et l’Europe n’avanceront ensemble que si chacun accepte l’épreuve redoutable du miroir"

Dans un ouvrage qu'il vient de commettre aux éditions l'Harmattan, l'essayiste André Julien Mbem revient sur le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar. Bien qu'il ne soit pas toujours d'accord sur certains propos de ce discours qui aurait pu être nuancés, André Julien y trouve néanmoins les conditions de possibilité d'une alternative au face à face mémoriel entre une certaine Europe et une certaine Afrique. Nous l'avons rencontré.

Question 1 : Qu'est ce qui vous a poussé à consacrer un ouvrage au fameux discours de Dakar? Est-ce son importance selon vous ou la polémique qu'il aura finalement suscitée au sein de l'opinion publique?

André Julien Mbem : Je voudrais d’abord relever que la structuration du débat autour de ce discours se fait selon un système de vases communicants. La polémique donne de l’importance au discours et l’importance du discours (notamment celui qui le prononce) alimente la polémique. Pourquoi avoir écrit tout un essai à ce sujet ? Je précise d’emblée que cet essai porte à la fois sur le discours et le débat autour du discours. Cette précision est à mon avis très importante. D’une part il y a un discours qui comporte des thèses qui doivent être débattues, d’autre part des mouvements d’idées autour de ce discours assez révélateurs sur la nature du débat d’idées en Afrique sur l’Afrique, l’état de la diffusion des connaissances sur l’Afrique hors d’Afrique, enfin les conditions de possibilité d’une alternative au face à face mémoriel entre une certaine Europe et une certaine Afrique. Des questions que j’examine longuement dans mes précédents ouvrages[2].

Question 2 : Sans doute que le vrai débat autour de ce discours et les questions essentielles qu'il soulève par rapport aux relations franco-africaines et afro-européennes ont été occultées au profit de la polémique sur "l'homme africain" et le "paysan africain". Mais à qui la faute? Au rédacteur du discours ou à l'élite africaine qui s'est sentie offensée?

André Julien Mbem : L’appréciation du cheminement de ce discours dans le débat d’idées ne se pose pas, de mon point de vue en termes de culpabilité. C’est l’essence même de la vie des idées que de voir les ondes de choc qu’elle libère échapper à leur émetteur. Cette polémique est même salutaire car elle pourrait être le lieu de nécessaires mises au point de part et d’autre. Un critique littéraire camerounais, le Pr Thomas Melonè, disait : « le public est celui qui consacre ou massacre l’œuvre de l’auteur ». En tant que « spectateur engagé » sur la scène des idées en mouvement, je dois aussi examiner les évolutions, les impensés, les non-dits que révèle des débats, voire des polémiques de cette nature. Même si je dois confesser à mon détriment qu’il n’est pas évident de se trouver sur un balcon et de se voir passer dans la rue.

Question 3 : Vous écrivez ceci : "en s'exprimant avec franchise et sincérité, Nicolas Sarkozy engage un débat, il émet un point de vue qui pourrait donner lieu à des désaccords et à des répliques, il exprime un argument sans douter ni redouter qu'il fasse l'objet d'une contradiction ou d'une réplique argumentée ou passionnée". Ne pensez-vous donc pas que, ce que vous déplorez comme étant la polémique, peut-être stérile, est ce qu'il visait et qu'il a eu?

André Julien Mbem : La polémique en soi n’est pas stérile. Elle le devient lorsque dans le débat d’idées, entre intellectuels ou faiseurs d’opinion, le choc des humeurs remplace la confrontation rationnelle, intransigeante et courtoise des arguments. Dans l’extrait que vous citez, je ne fais que ressortir une orientation assumée de son discours.

Question 4 : En homme avisé, le président Sarkozy n'ignorait pas que, parce qu'il y a anguille sous roche, chaque pierre qu'il soulèvera sur le terrain africain dissimule un serpent parfois très venimeux. Et pourtant, il les soulevées toutes, ces pierres. Que vous inspire ce commentaire?


André Julien Mbem : Nicolas Sarkozy est seul à même de vous répondre sur les raisons de son inclination pour une telle dramaturgie de son propos à Dakar. Je pense que l’Afrique et l’Europe n’avanceront ensemble que si chacun accepte l’épreuve redoutable du miroir.

Question 5 : On est d'accord avec vous lorsque vous constatez qu'en dehors du passage malheureux sur l'Afrique qui n'est pas suffisamment entrée dans l'histoire, ce discours comporte, de par la sincérité de son ton, des points positifs relevés par le Président sud africain Thabo Mbeki. Sauf que certains observateurs pensent que ces passages ne sont finalement qu'un bel emballage ayant servi à faire passer le vrai message de dénigrement. Qu'en pensez-vous?

André Julien Mbem : Le ton est moins important que les idées de fond et les pistes d’avenir. Je soutiens qu’il n’ y a pas dans ce discours volonté de dénigrer les Africains. Même si dans ce discours je ne suis pas d’accord avec certains passages qui auraient dû être nuancés, je préfère un interlocuteur qui expose le fond de sa pensée à celui-là qui ne la laissera jamais deviner. Et Dieu seul sait s’ils sont ainsi nombreux qui passent pour de soi-disant « amis de l’Afrique ». Ceux qui affirment que l’appréciation de Thabo Mbeki est anecdotique se trompent. L’Afrique est diverse et pourquoi voudrait-on que tous les Africains aient la même lecture de ce discours ? Certains le lisent comme une leçon magistrale et condescendante sur l’histoire de l’Afrique. J’y vois de mon côté un discours sur le dialogue des civilisations mais dont on peut discuter (chose somme toute légitime) certaines thèses. Thabo Mbeki est peut être de ceux qui pensent qu’en 2007, il faut certes rester vigilant sur les questions d’histoire et de mémoire, mais ces questions doivent être articulées autour d’une lecture prospective de l’avenir de l’Afrique. Sa renaissance en dépend.

Question 6 : Vous relevez dans ce discours l'utilisation du procédé rhétorique qu’est l'oxymore. Un procédé qui privilégie "une lecture dialectique, voire troublante ou dérangeante des faits". Compte tenu de cette option rhétorique délibérée choisie par le président Sarkozy dans son discours et qui peut à la fois troubler et déranger, pouvez-vous dès lors comprendre la réaction de l'élite Africaine?

André Julien Mbem : Je comprends parfaitement ces réactions. La colonisation est récente et les Africains vivent encore au quotidien ses avatars anthropologiques, économiques et structurels. Et l’ambition de ce discours, qui était justement de dépasser la polémique en l’évoquant n’est malheureusement pas atteinte. Certains propos ont déteint sur la totalité du discours et son économie générale, donnant souvent lieu à d’invraisemblables caricatures.

Question 7 : Vous vous appuyez sur le destinataire du message qui était la "jeunesse africaine" pour trouver quelque circonstance atténuante au président Sarkozy. Vous pensez que les élites se sont sentis visés à tort. Pensez-vous qu'à l'ère de l'hypercommunication – le discours était sur le Net quelques minutes après son prononcé – on puisse réellement circonscrire un message à une frange donnée de la population? Ne trouvez-vous pas cela naïf?

André Julien Mbem : C’est une réalité dans le traitement de l’information que je décris et que j’essaie de comprendre. Pour revenir au début de votre question, je n’ai pas, une fois de plus, de circonstance atténuante à trouver à qui que ce soit car il ne s’agit pas de faire à qui que ce soit un procès en responsabilité pénale ou civile mais de comprendre, de déconstruire une thèse ou de la valider, éventuellement de proposer. Je dis plutôt que ce discours ne s’adresse pas aux seules élites et je ne dis pas qu’elles se sentent visées à tort. Je considère que le destinataire d’un discours n’est pas forcément celui que je désigne nommément comme tel. C’est à chacun de dire si ce discours l’interpelle ou pas.

Question 8 : Vous écrivez que, selon les idéologues du système colonial, "la colonisation, dans ses principes, fut une conception philosophique et politique de la supériorité de la civilisation européenne dans le cadre d'une lecture hiérarchique des civilisations, une vision de la supériorité de l'Européen blanc, juché bien haut sur la pyramide de l'espèce humaine". Pensez-vous, que près d'un demi siècle après l'amorce de la décolonisation, ces préjugés aient vraiment été abandonnés? Sinon, à qui la faute?

André Julien Mbem : Einstein disait à juste titre qu’il est plus facile de désagréger un atome que de détruire un préjugé. Il faut préciser que les hommes ne se défont pas forcément de leurs préjugés parce que les instituions décrètent une pédagogie nouvelle des rapports sociaux. Deux mille ans après la mort du Christ, il y a toujours des chrétiens qui en veulent aux Juifs d’avoir tué Jésus.
Question 9 : Pour répondre aux tenants d'une certaine "ethnologie coloniale", promoteur d'une certaine "mentalité primitive" chez le Nègre, les intellectuels noirs font généralement recours à l'histoire de l'Afrique précoloniale pour tenter d'apporter le démenti. Ce que vous n'appréciez pas toujours. Pensez-vous qu'on puisse vraiment faire l'économie de ce que vous appelez "détour dialectique historique" lorsqu'il s'agit de traiter des problèmes de l'Afrique?

André Julien Mbem : Les conditions dans lesquelles l’histoire de l’Afrique précoloniale est écrite et vulgarisée dès le milieu du siècle dernier par les Africains, pour les Africains et contre une certaine « ethnologie coloniale » ne sont plus les même aujourd’hui. Il fallait faire à la fois de la science et de l’idéologie parce qu’il fallait redonner confiance à des femmes et des hommes dont on avait nié jusqu’au statut d’homo sapiens. L’histoire de l’Afrique précoloniale écrite dans ce contexte là était essentiellement laudative et taisait souvent les points qui auraient pu démobiliser les peuples. En 2007, il s’agit plus de faire de la prospective à partir du passé, que de faire uniquement reculer la « paupérisation anthropologique » de l’Afrique comme le disait Engelbert Mveng. Malheureusement, une bonne partie des Africains, et de nombreux intellectuels parlent encore de l’histoire de l’Afrique précoloniale comme d’un âge d’or où tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. La réalité est plutôt contrastée. La renaissance africaine ne sera fera pas sans une tradition critique à l’intérieur de l’Afrique qui passera au crible, sans concession, l’histoire de l’Afrique précoloniale. Il n’ y a pas de Renaissance possible sans, entre autres, un retour réflexif, critique, voire déchirant sur nous-mêmes.

Question 10 : Entre le discours de la Baule prononcé en 1990 par l'ancien président français François Mitterrand et celui de Dakar, trouvez-vous une continuité ou plutôt une rupture? Pourquoi et comment?

André Julien Mbem : Il y a rupture dans la forme des deux discours comme dans le fond. Le discours de François Mitterrand semblait plutôt encourager les efforts des sociétés civiles africaines dans leurs combats d’émancipation politique et restait extrêmement courtois envers les Chefs d’Etat et de gouvernement africains de l’époque. Il est tout en rondeur et truffé de nuances et d’euphémismes, de litotes. Le discours de Nicolas Sarkozy est un questionnement radical dans le fond et souvent rude dans la forme, il n’élude aucune question, ni aucun acteur de l’histoire en Afrique ou en Europe. La rupture de mon point de vue c’est plutôt Nicolas Sarkozy qui la fait par rapport au discours de la Baule lorsqu’il reconnaît que c’est l’Afrique le moteur de son développement et que la France ne fera rien à sa place. En revanche, le fait de dire, comme le faisait Mitterrand, « si vous démocratisez vous aurez un peu plus d’aide », c’est exactement comme un parent qui lierait l’argent de poche de son fiston aux preuves de bonne conduite de ce dernier. C’est du paternalisme. Et je me souviens qu’après le discours de la Baule, certains opposants se mirent à croire que leur salut viendrait de Paris et firent l’économie des nécessaires luttes internes et de la pédagogie de la transformation sociale auprès du peuple. On connaît la suite.

Question 11 : Je constate que le concept Eurafrique vous passionne. Et pourtant, ce n'est pas un concept nouveau. Il avait tout simplement été mis en veilleuse. Quelles sont selon vous les chances de sa mise en œuvre effective aujourd'hui?

André Julien Mbem : La déferlante chinoise en Afrique aujourd’hui donne du crédit, dans certains milieux en Afrique ou en Europe, à la thèse, sans doute partiellement vraie, d’un recul de l’Europe en Afrique. C’est une réalité que nul ne conteste. En revanche, sur le moyen terme, pour des raisons liées à l’histoire et à la géographie, dans l’intérêt vital des deux ensembles, Africains et Européens doivent profondément réfléchir à la définition d’un nouveau projet de civilisation commun. Avec la Chine l’Afrique partage des valeurs financières, avec l’Europe l’Afrique partage (au-delà des drames du passé) de plus en plus des valeurs de civilisation et des frontières naturelles. Or, c’est dans le cadre d’un projet de civilisation que doivent repensées aujourd’hui les notions de croissance économique, de progrès et de développement et de droits humains. Les sociétés civiles en Afrique et en Europe, certains intellectuels et politiques sont en train de le faire. La Chine se réjouit plutôt que ce genre de débat ne soit pas à l’ordre du jour des sommets sino-africains. Il faut bien sûr épurer le terme Eurafrique de ses relents néocolonialistes du siècle dernier, il faut lui donner un contenu nouveau ou en trouver un autre si sa charge historique et symbolique pourrait alimenter d’interminables querelles.

Propos recueillis par Etienne de Tayo


[i][i] Mythes et réalités de l’identité culturelle africaine, L’Harmattan, 2005.
2La quête de l’Universel dans la littérature africaine de Léopold Sédar Senghor à Ben Okri, L’harmattan,2006
3L’Afrique au cœur de l’Europe. Quel projet pour le Nouveau Monde qui vient , L’Harmattan, 2007?




André Julien Mbem


Essayiste, chercheur à l’EHESS,Directeur de collection Aux Editions L’Harmattan

mardi 11 décembre 2007

FRONT ANTI-KADHAFI : UNE HYPOCRISIE INSUPPORTABLE



La frénésie anti-Kadhafi qui agite aujourd'hui la France à l'occasion de la visite de cinq jours de Mouammar El Kadhafi, constitue le dernier soubresaut d'une diabolisation en règle menée contre le guide de la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste depuis près de deux décennie par les médias en occident. Aujourd'hui, la plupart de ces médias remettent çà, mais dans un monde qui a beaucoup évolué du fait de l'émergence des autres canaux d'information et de la prise de conscience tous azimuts en Afrique et dans sa diaspora.

Il y a une quinzaine d'années, je vécus une scène dans un pays africain. A l'époque, la diabolisation de Kadhafi avait atteint des sommets : Deux hommes discutaient dans un chantier et l'un d'eux a dit à l'autre : "Désormais, je vais t'appeler Kadhafi". Et l'autre d'entrer dans une colère noire : "Pourquoi tu me traites de criminel. Qu'est ce que je t'ai fait? Non, surtout pas Kadhafi", avait-il presque supplié. Cela se comprenait. A l'époque, les médias présentaient Kadhafi comme un "tueur d'innocents", un "impérialiste" qui a envahi le Tchad et qui s'apprête à envahir toute l'Afrique noire pour imposer la religion islamique. Aujourd'hui, heureusement, beaucoup d'Africains, à l'exception de ceux qui sont encore culturellement pollué, ont compris où se trouvaient leurs intérêts et que Kadhafi n'était pas toujours le diable incarné pour lequel on voulait le faire passer.
L'une des flèches les plus empoisonnée contre Kadhafi a été décochée par sa jeune "sœur", la secrétaire d'Etat aux affaires étrangères Rama Yade. Dans une interview au journal le Parisien, elle a dit exactement ceci : "Il doit comprendre que notre pays n'est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits. La France ne doit pas recevoir ce baiser de la mort". Des propos certes virulents mais qui doivent être ramenés à leur juste proportion. Comme l'a souligné l'ancien ministre des affaires étrangères de François Mitterrand, Roland Dumas, la jeune Rama Yada a "besoin d'exister en tant que secrétaire d'Etat aux droits de l'homme". Elle a besoin de donner de la voix dans ce gouvernement de la France qui n'a toujours pas su prendre sa vraie couleur au niveau des institutions. Elle a aussi besoin, en cognant très fort sur Kadhafi, de flatter l'ego de certains xénophobes afro-paternalistes qui vivent toujours mal sa présence dans ce gouvernement. Dans une démarche tout en communication, on peut dire que Rama Yade a voulu aussi profiter de l'événement Kadhafi pour se construire médiatiquement avec l'aval du Président Sarkozy qui ne lui a jamais ménagé son soutien et son encadrement. Ceci est d'autant est plus plausible que le président Sarkozy lui a renouvelé sa confiance après l'avoir reçue à l'Elysée. Il faut d'ailleurs dire que la portée des flèches de Rama Yade est bien relative s'agissant d'atteindre un mastodonte de la trempe de Kadhafi. C'est comme si on donnait des cailloux à un enfant de deux ans en lui demandant de lapider un éléphant.
Bien sûr Kadhafi n'est pas un saint – d'ailleurs en connaîtrez-vous un? Ce fils de paysan Bédouin est arrivé au pouvoir très jeune, à 27 ans. Il avait pour idole un certain Abdel Gamal Nasser, panafricaniste de la première heure rendu célèbre par la nationalisation du canal de Suez. Kadhafi pensait et son âge militait pour lui, qu'il pouvait refaire le monde, déplacer les montagnes. Il a tenté l'union magrébin sans succès. Il a alors pensé l'union africaine sur laquelle il est planché depuis des années et pour laquelle il dépense sans compter. Dans sa démarche parfois très folklorique, il a fait certainement des bêtises. De ces bêtises, il s'est depuis longtemps repenti, il a même accordé des réparations aux victimes de ses bêtises, à la différence des pays colonialistes qui sans doute ont fait pire que lui et qui ne veulent pas entendre parler de repenti encore moins des réparations.

UNE FAUTE AVOUEE…

Ceux qui trouvent que Kadhafi souille la terre du pays des droits de l'homme par sa visite mettent en avant la fait qu'il des un "criminel" ayant financé le terrorisme. Ils ont peut-être leurs raisons, sauf que la posture de "donneur de leçons" qu'ils adoptent a quelque chose de désuet, d'anachronique et de démodé même. Une posture que Romain Gubert et Emmanuel Saint Martin analysent dans leur ouvrage : "L'arrogance française" en ces termes : "C'est une maladie à laquelle les Français sont très attachés : croire que la France doit offrir au monde les lumières, le Droit, la liberté. Que leurs dirigeants sont porteurs de message universel. Forcément universel. Qu'eux-mêmes, à l'étranger, ne sont pas de simples touristes mais surtout d'ambassadeurs du talent, du goût, du charme français…" Ce qui a été peut-être vrai jusqu'à une certaine époque mais qui ne l'est plus. Et les deux auteurs de faire la recommandation suivante : "Pour retrouver son lustre d'antan, pour redevenir le modèle qu'elle fut et pourrait être encore, la France doit réapprendre la modestie".
Il y a autre chose de plus humaniste à faire comprendre à ceux qui décochent leurs flèches contre Kadhafi. ils doivent retenir ceci : Ne pas vouloir saisir la main tendue par un prétendu criminel, de surcroît repenti, relève de l'apologie de la rancune et constitue une tentative d'humiliation qui, comme on sait, conduit très souvent au second crime. Et c'est ici que réside réellement l'hypocrisie de tous ceux qui s'agitent dans l'arrière cour. L'hypocrisie est surtout celle de l'élite politique française qui, alors que la France perd de son influence dans le monde comme un arbre desséché perd ses feuilles, continue grossièrement à flatter son ego et à se perdre des batailles politicienne feignant d'ignorer la réalité qui est celle de "l'impuissance française" d'après le titre de l'ouvrage d'Isabelle Lassère. Posant un diagnostic sans complaisance de l'influence de la France dans le monde, cette journaliste du Figaro arrive à la conclusion selon laquelle la France est devenue rien moins qu'une "puissance moyenne". Elle révèle que le "siège onusien de la France au conseil de sécurité est de plus en plus contesté et qu'il sera un jour celui de l'Europe". Pour les causes ayant conduit à cette reculade de la France, elle pointe certains "travers diplomatiques : le jacobinisme, le réflexe impérial et le maintien de tropismes historiques d'un autre temps". Pour finir, l'auteur de "l'impuissance française" "somme les nouveaux dirigeants de la France de redéfinir une nouvelle politique étrangère de la France en adéquation avec la réalité".
Cette réalité, c'est celle que le premier ministre François Fillon a eu le courage de reconnaître. A savoir que "la France est en faillite". Une sentence un peu trop brutale sur laquelle le président Sarkozy est revenue pour en atténuer le choc mais sans réellement démentir. Ce n'est pas encore la banqueroute mais le pays a des problèmes dans ses performances économiques. Ce qui a des répercutions sur son modèle socio-économique et créé les désordres qu'on constate aujourd'hui. Par exemple, la désillusion de la gauche dont certains dirigeants, au lieu d'élaborer des stratégies pour se relever et montrer le chemin à leurs militants perdus, continuent curieusement de tenir le discours vieillot de l'arrogance. Il y a pourtant un certain nombre d'ouvrages de référence, écrits par des Français et qui posent des diagnostics pour certains ou tirent même une sonnette d'alarme pour d'autres.
Il y a par exemple Nicolas Bavarez qui a écrit plusieurs ouvrages dont "La France qui tombe". Dans ce dernier, il dénonce "un modèle culturel fondé sur un encrage archaïque des mentalités et une absence de volonté d'envisager à chaque niveau un destin collectif". Il n'hésite pas à parler "d'une chronique annoncée du déclin de la France dû au fait que chaque gouvernement depuis l'après guerre se trouve comme paralysé par l'idée d'une réforme". Nicolas Bavarez se penche lui aussi sur l'influence de la France dans le monde pour constater que : "l'écart se creuse entre la rhétorique de la puissance et les moyens de son exercice". Romain Gubert et Emmanuel Saint Martin font le même constat lorsqu'ils écrivent que "nos prêches, nos coups de menton et autres péroraisons ont fini par lasser la planète (…) Et la France paie cher cette morgue dominatrice". Les spécialistes de la diplomatie savent par exemple que le discours de Dominique de Villepin aux Nations Unies contre la guerre irakienne de Georges Bush a certes contenté les damnés de la terre de par le monde mais n'a rien apporté à l'influence française parce qu'il ne dévoilait aucun moyen de l'exercice de cette puissance proclamée.



LE "REALISMOLOGIE" SARKOZIENNE



Conscient de l'état réel du pays qu'il a reçu en héritage à l'issue du scrutin d'avril-mai dernier, Nicolas Sarkozy n'a pas hésité à enfiler la toge du super président du Medef pour parcourir le monde en compagnie d'un nombre toujours plus impressionnant d'opérateurs économique français. Il est à la recherche des contrats nécessaires à la relance de son économie. Sarkozy le fait dans un certain folklore en phase avec son tempérament comme il a lui-même aussi remarqué chez Kadhafi. Il le fait en posant des frasques comme il l'a fait dans le fameux discours de Dakar qui reste à ce jour un chef d'œuvre de l'arrogance stupide, ou encore lors de la gestion des prisonniers du Tchad. Mais il ne se laisse jamais distraire par sa volonté presque obsédante d'atteindre un résultat. Son périple, tout de business vêtu, l'a conduit en Libye, au Maroc, en Chine, en Algérie, en Chine avec à la clé des contrats estimés à près de 40 milliards de dollars. Il dit vouloir relancer la croissance française, réduire le chômage et revaloriser le pouvoir d'achat.
La main qui reçoit étant théoriquement toujours placé en dessous de celle qui donne, le président français, dans une démarche empreinte de réal politik, décide d'abandonner la posture de donneur de leçons. Il préfère s'adapter au tempérament de ses interlocuteurs et respecter leur modèle de conduite des affaires. Question de ne pas les effaroucher car, il sait qu'ils sont libres de se tourner vers d'autres pays européens demandeurs des mêmes contrats. Il faut dire d'ailleurs que beaucoup de dirigeants européens avaient fait avant Sarkozy le voyage de Tripoli où ils avaient aussi signé des contrats. Et qu'à la suite, Kadhafi avait été invité à Bruxelles par les états membres de l'union européenne. Sarkozy croyait donc en invitant Kadhafi, poursuivre un processus normal de réhabilitation d'un dirigeant repenti. Et qu'est ce qui se produit?
Des Français, pourtant bien au fait des difficultés de leur pays aujourd'hui, font de la surenchère du moralement correct en accusant Sarkozy de brader la fierté française. Une fierté qui, comme dit l'adage, dans un état de dénuement, n'est plus qu'une maladie. Les plus malins de cette ligne de démarcation anti-Kadhafi ne crachent pas sur les contrats mais disent qu'il ne fallait pas s'afficher avec Kadhafi. Autrement dit : on méprise le colonel libyen sans avoir le courage de mépriser son argent. Et c'est cette duplicité qui me fait croire que le problème peut être ailleurs.
La problématique est finalement celle des personnes qui, en France ou dans beaucoup d'autres pays européens pensent encore qu'ils sont les seuls capables à indiquer aux autres peuples et surtout aux Africains le profil du dirigeant qui est bon pour eux. C'est ce que la chancelière allemande Angela Merkel a tenté de faire à Lisbonne l'autre jour avant de recevoir une volée de bois vert de la part d'un Robert Mugabè conquérant et fier. Il lui a demandé si elle et sa clique se croyaient capables de connaître le Zimbabwe plus que ses pairs africains qui l'ont soutenu contre le premier ministre Britannique Gordon Brown. Le problème est que, les intérêts de l'Afrique étant diamétralement opposés aux intérêts de l'occident, les Africains ne se retrouvent plus – se sont-ils jamais retrouvés? - sur le profil des dirigeants que tentent de leur proposer ou imposer l'occident et ont désormais le courage de le faire savoir.
Dans un sondage, certainement non conventionnel mais hautement significatif, mené par un site Internet, il était demandé aux internautes d'attribuer des notes aux dirigeants africains en fonction de leurs capacités à défendre les intérêts de l'Afrique. Les trois dirigeants qui sont venus en tête sont respectivement : Robert Mugabe, Mouammar Kadhafi et Laurent Gbagbo. Exactement les trois qui auraient fermé la queue si le sondage était proposé à l'élite occidentale.

DICTATEUR ECLAIRE?


Comme tout dictateur qui finit par se laisser griser par le pouvoir, Kadhafi gère un peu son pays comme une échoppe, mêlant de façon parfois grossière sa famille à la gestion des affaires de l'Etat. Il doit se prendre parfois pour un roi et c'est pourquoi il ne tolère pas l'opposition et contrôle la presse. C'est vrai, la Libye n'est pas une démocratie au sens où l'entendent les occidentaux, partisans de la démocratie comme modèle universel de gestion de la Cité. Mais la Libye n'est pas non plus l'enfer pour lequel les détracteurs de Kadhafi veulent la faire passer. Très peu de Libyens sont dénombrés parmi les migrants qui, chassés de leur pays par la misère, parcourent le monde à la recherche d'une pitance. Il y a aussi que vouloir enfermer tout le monde dans un jacobinisme de mauvais aloi comme veulent le faire les occidentaux est aussi une façon d'imposer la dictature du plus fort. Cette contrainte est encore plus insupportable lorsqu'elle est à tête chercheuse.
Il y a des pays en Afrique où les dirigeants ont transformé toute la superficie du territoire en vaste prison grâce à la pauvreté et à la misère qu'ils y font régner. Les populations n'ont plus qu'un seul choix : s'échapper pour rejoindre l'Europe par tous les moyens. Ils se font très souvent tuer en traversant la mer. C'est le lieu ici de recommander aux observateurs des droits de l'homme de changer de paradigmes d'observation puisque que beaucoup de dictateurs n'emprisonnent plus, ne torturent plus. Ils asphyxient économiquement leur peuple et parviennent ainsi à pousser les jeunes hors des frontières et à museler les opposants. Et pourtant, aucune critique des pourfendeurs de Kadhafi ne s'élève jamais en France contre ces chefs d'Etat lorsqu'ils y sont reçus parfois en grande pompe ou lorsque le président français leur rend visite. Tout ceci parce que ces dirigeants, qui par ailleurs ferment les yeux sur le pillage des ressources de leur pays, n'ont jamais daigné contrarier leur maître. Ceci nous fait comprendre que le problème de Kadhafi n'est pas tant qu'il soit dictateur ou terroriste comme on veut le présenter, c'est parce qu'il ose donner du répondant à ce qu'il appelle lui-même "l'impérialisme occidental", c'est parce qu'il œuvre pour les Etats-Unis d'Afrique, c'est parce qu'il ose se présenter en Africain fier, refusant de raser les murs et courber l'échine.
Pour l'Afrique et les Africains, Kadhafi est une icône importante au-delà de l'image controversée qu'il peut projeter. Dans un monde où le fait de n'être pas connu est de plus en plus synonyme de mort virtuelle mieux vaut se hisser même sur un diable si ce dernier peut t'amener à la lumière. Il faut être Africain et de préférence noir. Il faut avoir affronté parfois injustement le paternalisme, la condescendance et même le mépris des autres peuples pour savoir apprécier à sa juste valeur le fait pour un dirigeant du rang de Mouammar Kadhafi de porter fièrement et de façon ostentatoire, le macaron du continent africain dans tous les fora internationaux.
Les médias occidentaux devraient, avant de mener leurs campagnes de dénigrement à tête chercheuse, tenir compte désormais de la prise de conscience qui celle des Africains aujourd'hui aussi bien au niveau des peuples que celui des dirigeants. Une rpise de conscience bâtie à l'aide de divers réseaux créés grâce à la toile Internet. L'union sacré formé autour de Robert Mugabè par les autres dirigeants africains lors de son bras avec le premier ministre britannique Gordon Brown est un signal fort qui montre que, pour reprendre Rama Yade qui répondait aux envolées colonialiste du député Arnaud Montebourg à propos de l'affaire de l'Arche de Zoé, que "l'Afrique de papa c'est terminée".

Par Etienne de Tayo
Promoteur de "Afrique Intègre"

Ouvrages :
Romain Gubert et Emmanuel Saint Martin : L'arrogance française : Pourquoi ils nous détestent, éditions Balland, 2003;
Lassère, Isabelle : L'impuissance française : Une diplomatie qui a fait son temps, Flammarion, 2007
Bavarez, Nicolas : La France qui tombe, Librairie académique Perrin, 2004

samedi 8 décembre 2007

C'EST QUOI LA SOCIETE DE L'INFORMATION?







L'encyclopédie du web wikipédia nous décrit la société de l'information comme "une société dans laquelle les technologies de l'information jouent un rôle central". Un définition bien chique et finalement bien vague puisqu'elle dévie la problématique sur les technologies de l'information.



En fait, les technologies de l'information sont toutes ces technologies créées au confluent de l'informatique et des télécommunications – les plus savants parleront de télématique – et qui servent à l'homme dit moderne d'atteindre les prédictions de Marshall Mc Luan d'un "village planétaire" où les distances auront été vaincues. Chaque Homme verra ainsi le monde à sa porte.
A la suite de Mc Luan, une flopé de théoriciens pour la plupart "technocentrés", voient en la société de l'information, un monde de rêve. Dans sa théorie de l'intelligence collective, Pierre Levy y voit "une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel et qui aboutit à une mobilisation effective des compétences individuelles". Ce discours centré sur le déterminisme technologique, tend à soutenir que la société de demain ne sera que ce que voudra la technologie. En fait, comme le souligne Bernard Miège, "une idéologie néotechnicienne, la technique apparaissant comme moteur du développement social". Cette idéologie toujours selon Bernard Miège qui n'y croit évidemment pas, "promeut une société propre, la fin du travail pénible, l'immatériel comme source de richesse et de valeur". D'autres théoriciens, pour la plupart des sociologues se chargeront de démystifier le concept de société de l'information en n'y voyant qu'une vulgaire utopie. Ils le font non sans difficulté à cause de cette charge séduisante que transportent toujours les discours utopistes.
Mais la fine fleur des discours incantatoires sur la société de l'information a été développée par le système des Nations Unies. Le "grand machin" comme disait De gaulle, en a trouvé une véritable aubaine pour soutenir son combat pour la paix. Mais auparavant, comme l'institue désormais la tradition, le concept a été validée par les Nations dites les plus puissantes du monde réunies au sein du G8. En effet, "la charte sur la société mondiale de l'information a été adoptée au sommet de G8 à Kyushu Okinawa au Japon en 2000".
Il faut seulement rappeler que le concept de société de l'information venait ainsi enterrer ou le ressusciter sous une autre forme le concept de nouvel ordre mondial de l'information et de la communication (NOMIC) revendiqué par les Etats du Sud et combattu jusqu'à épuisement total du débat par les pays industrialisés et principalement les Etats-Unis qui lui opposèrent le concept du "free flow of information". Ils soutenaient que rien mais alors rien ne devait arrêter ou même tenter de juguler le cours du fleuve informationnel qui malheureusement, coule toujours du Nord vers le Sud, transportant avec lui des alluvions et autres déchets, en réalité des schèmes de l'impérialisme sous forme des modes de vie et modes de penser.
Au sein du système des Nations Unies, on ne parle plus seulement de la société de l'information mais de société des savoirs, de société des connaissances et même de société de partage de connaissances. Ce sont des vastes chantiers sur lesquels se penche l'Unesco. Tout ce discours ferme bien sûr les yeux sur la fracture numérique qui est un obstacle objectif à la promotion d'une société de partage des connaissances. L'Afrique par exemple représente 12% de la population mondiale mais compte moins de 1% d'internaute alors que les Etats-Unis qui représentent 4,9% de la population mondiale compte 43% d'internautes.

L'INCANTATION

Mais là où l'incantation devient presque escroquerie, c'est lorsque le concept de la société de l'information rencontre le concept de l'identité. On pense alors que la communication totale entre les hommes aplanira les différences identitaires et débouchera sur une société dotée d'une nouvelle identité issue des identités diverses. Une société totalement pacifiée dans laquelle, parce qu'ils se comprendront désormais, les Hommes ne se feront plus jamais la guerre. Emmanuel Juste Duits dans son ouvrage "l'Homme réseau" parle tout simplement de "civilisation planétaire". Il s'interroge : "Au niveau collectif, la rencontre des multiples mondes ne débouchera t-elle pas sur une civilisation de toutes les cultures et de toutes les saveurs, métissage sans précédent?" C'est le concept de civilisation de l'universel développé par Léopold Sédar Senghor qui se trouve ici récupéré et recyclé.
Les tenants de cette thèse montrent que cette société là sera celle de paix et de concorde entre les hommes. Ils présupposent ainsi que si les hommes se sont toujours battus, si les Etats, aussi bien antiques que modernes, se sont toujours fait des guerres, c'est à cause des différences identitaires. Une thèse que je me permets de réfuter en attirant l'attention des uns et des autres sur le caractère dissimulatoire des vraies causes des conflits qu'elle peut constituer.

LE "GÂTEAU" AVANT L'IDENTITE

De tout temps, en dehors de quelques actes paranoïaques, les hommes se sont battus pour deux choses : le contrôle de l'espace vital (géographique, temporel, liberté); le contrôle ou le partage des richesses. Les problématiques identitaires ne viennent se greffer à la dynamique conflictuelle que pour servir de prétexte et justifier l'acte. Le xénophobe réagit toujours parce qu'il sent son espace vital menacé. Mais comme il ne peut pas mettre en avant ce combat alimentaire sans paraître ridicule, il convoque l'identité pour faire écran. Il dit par exemple que la présence de l'étranger menace son identité. Ce qui est évidemment faux. Ce qui est vrai, c'est que la présence de l'étranger menace son "gâteau".
Dans les plus grands drames mondiaux, l'argument identitaire a toujours été utilisé comme prétexte. Par endroits, la subtilité des acteurs a parfois amené à douter sur les causes réelles des conflits. Et pourtant, des exemples foisonnent qui permettent d'étayer cette présentation.
On sait par exemple que le fascisme hitlérien a d'abord germé sur la volonté des Allemands de se soustraire du paiement des réparations à eux imposées par le traité de Versailles. C'est donc pour ne plus rien payer à la France et à l'Angleterre que Hitler décide d'envahir ces pays et au besoin les vassaliser. Par la suite, il joue l'opportunisme en fédérant la haine du juif déjà très présente en Europe à cette époque là. C'est alors qu'il utilisera l'argument identitaire aryen pour mieux emballer ses compatriotes et assouvir ses désirs fous. Mais tout cela n'aura été que le prétexte lui permettant de contrôler les richesses du monde afin de mieux le dominer.
Au Rwanda en 1994, les protagonistes se sont coupés à la machette, non pas parce qu'il y avait d'un coté les Hutus qui en voulaient à mort aux Tutsis sur la simple base d'un conflit identitaire. On s'est massacré au Rwanda parce qu'on se disputait le "gâteau national", parce que la majorité Hutu détentrice du pouvoir sentait ce dernier lui échapper avec l'avancée des forces du FPR de Paul Kagame. C'est pourquoi les Hutus extrémistes s'en sont pris aussi aux Hutus modérés qui prônaient le partage du pouvoir. De même, les Tutsis qui servaient de caution ethnique dans le gouvernement Hutu de Juvenal Habiarimana ont eux aussi péri sous les balles de leurs propres frères Tutsis venus de l'extérieur et qui les accusaient de haute trahison à l'ethnie. Tout ceci montre à suffisance la suprématie de l'argument matériel sur l'argument identitaire.
Lorsqu'elle a voulu embarquer le monde occidental dans sa guerre pétrolière contre l'Irak, l'administration Bush n'a pas hésité à mettre en avant de façon à peine voilée une guerre de civilisation. Et pourtant la raison de cette guerre est très simple. Il s'agit pour les Etats-Unis de s'assurer le contrôle du pétrole du moyen Orient. Avec l'émergence de la Chine, un tel contrôle est devenu presque vital pour le pays de l'Oncle Sam qui craint un jour de succomber sous l'arme pétrolière.
Je soupçonne aujourd'hui ceux qui ont enfourché le cheval de la société de l'information en la présentant comme le paradis de demain, de vouloir détourner l'attention des acteurs sur les vrais problèmes de l'humanité et la façon de s'y prendre pour les régler. Ils ont ainsi créé un écran de fumée de lequel ils maintiendront une partie de l'humanité en les entretenant sur l'accessoire alors que l'essentiel est soigneusement laissé de coté. A défaut d'offrir au monde en développement les moyens d'atteindre les objectifs du millénaires comme ils le promettent toujours, les pays développés se permettent de vendre du rêve sous la forme d'une société dans laquelle les savoirs, les connaissances et peut-être même les richesses seront partagées.
L'Europe et l'Afrique viennent de se rencontrer à Lisbonne pour penser ensemble l'avènement d'un partenariat plus juste et plus équitable. Il suffit pour cela que les uns et les autres jouent franc jeu. Mais les réflexes néocoloniaux sont encore là qui font croire à l'Europe que l'Afrique est venu lui demander l'aumône. Comme l'a dit le président de la commission de l'Union Africaine Alpha Oumar Konaré, "l'Afrique ne demande pas la charité". Elle veut des règles justes qui lui permettront d'être compétitif.
Si jamais l'Europe refuse de jouer franc jeu et que les systèmes d'exploitation restent maintenus en Afrique, les "gâteau nationaux" en Afrique seront partout encore plus maigres. Les combats pour leur contrôle seront encore plus rudes. Ils se manifesteront par l'ouverture des fronts de combat partout sur le continent. Ceux qui veulent noyer le poisson parleront alors de conflits identitaires. Mais nous savons qu'il s'agit de combat pour le contrôle du "gâteau". Et la société de l'information n'y pourra rien.

Etienne de Tayo
Promoteur "Afrique Intègre"