Dans un ouvrage qu'il vient de commettre aux éditions l'Harmattan, l'essayiste André Julien Mbem revient sur le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar. Bien qu'il ne soit pas toujours d'accord sur certains propos de ce discours qui aurait pu être nuancés, André Julien y trouve néanmoins les conditions de possibilité d'une alternative au face à face mémoriel entre une certaine Europe et une certaine Afrique. Nous l'avons rencontré.
Question 1 : Qu'est ce qui vous a poussé à consacrer un ouvrage au fameux discours de Dakar? Est-ce son importance selon vous ou la polémique qu'il aura finalement suscitée au sein de l'opinion publique?
André Julien Mbem : Je voudrais d’abord relever que la structuration du débat autour de ce discours se fait selon un système de vases communicants. La polémique donne de l’importance au discours et l’importance du discours (notamment celui qui le prononce) alimente la polémique. Pourquoi avoir écrit tout un essai à ce sujet ? Je précise d’emblée que cet essai porte à la fois sur le discours et le débat autour du discours. Cette précision est à mon avis très importante. D’une part il y a un discours qui comporte des thèses qui doivent être débattues, d’autre part des mouvements d’idées autour de ce discours assez révélateurs sur la nature du débat d’idées en Afrique sur l’Afrique, l’état de la diffusion des connaissances sur l’Afrique hors d’Afrique, enfin les conditions de possibilité d’une alternative au face à face mémoriel entre une certaine Europe et une certaine Afrique. Des questions que j’examine longuement dans mes précédents ouvrages[2].
Question 2 : Sans doute que le vrai débat autour de ce discours et les questions essentielles qu'il soulève par rapport aux relations franco-africaines et afro-européennes ont été occultées au profit de la polémique sur "l'homme africain" et le "paysan africain". Mais à qui la faute? Au rédacteur du discours ou à l'élite africaine qui s'est sentie offensée?
André Julien Mbem : L’appréciation du cheminement de ce discours dans le débat d’idées ne se pose pas, de mon point de vue en termes de culpabilité. C’est l’essence même de la vie des idées que de voir les ondes de choc qu’elle libère échapper à leur émetteur. Cette polémique est même salutaire car elle pourrait être le lieu de nécessaires mises au point de part et d’autre. Un critique littéraire camerounais, le Pr Thomas Melonè, disait : « le public est celui qui consacre ou massacre l’œuvre de l’auteur ». En tant que « spectateur engagé » sur la scène des idées en mouvement, je dois aussi examiner les évolutions, les impensés, les non-dits que révèle des débats, voire des polémiques de cette nature. Même si je dois confesser à mon détriment qu’il n’est pas évident de se trouver sur un balcon et de se voir passer dans la rue.
Question 3 : Vous écrivez ceci : "en s'exprimant avec franchise et sincérité, Nicolas Sarkozy engage un débat, il émet un point de vue qui pourrait donner lieu à des désaccords et à des répliques, il exprime un argument sans douter ni redouter qu'il fasse l'objet d'une contradiction ou d'une réplique argumentée ou passionnée". Ne pensez-vous donc pas que, ce que vous déplorez comme étant la polémique, peut-être stérile, est ce qu'il visait et qu'il a eu?
André Julien Mbem : La polémique en soi n’est pas stérile. Elle le devient lorsque dans le débat d’idées, entre intellectuels ou faiseurs d’opinion, le choc des humeurs remplace la confrontation rationnelle, intransigeante et courtoise des arguments. Dans l’extrait que vous citez, je ne fais que ressortir une orientation assumée de son discours.
Question 4 : En homme avisé, le président Sarkozy n'ignorait pas que, parce qu'il y a anguille sous roche, chaque pierre qu'il soulèvera sur le terrain africain dissimule un serpent parfois très venimeux. Et pourtant, il les soulevées toutes, ces pierres. Que vous inspire ce commentaire?
André Julien Mbem : Nicolas Sarkozy est seul à même de vous répondre sur les raisons de son inclination pour une telle dramaturgie de son propos à Dakar. Je pense que l’Afrique et l’Europe n’avanceront ensemble que si chacun accepte l’épreuve redoutable du miroir.
Question 5 : On est d'accord avec vous lorsque vous constatez qu'en dehors du passage malheureux sur l'Afrique qui n'est pas suffisamment entrée dans l'histoire, ce discours comporte, de par la sincérité de son ton, des points positifs relevés par le Président sud africain Thabo Mbeki. Sauf que certains observateurs pensent que ces passages ne sont finalement qu'un bel emballage ayant servi à faire passer le vrai message de dénigrement. Qu'en pensez-vous?
André Julien Mbem : Le ton est moins important que les idées de fond et les pistes d’avenir. Je soutiens qu’il n’ y a pas dans ce discours volonté de dénigrer les Africains. Même si dans ce discours je ne suis pas d’accord avec certains passages qui auraient dû être nuancés, je préfère un interlocuteur qui expose le fond de sa pensée à celui-là qui ne la laissera jamais deviner. Et Dieu seul sait s’ils sont ainsi nombreux qui passent pour de soi-disant « amis de l’Afrique ». Ceux qui affirment que l’appréciation de Thabo Mbeki est anecdotique se trompent. L’Afrique est diverse et pourquoi voudrait-on que tous les Africains aient la même lecture de ce discours ? Certains le lisent comme une leçon magistrale et condescendante sur l’histoire de l’Afrique. J’y vois de mon côté un discours sur le dialogue des civilisations mais dont on peut discuter (chose somme toute légitime) certaines thèses. Thabo Mbeki est peut être de ceux qui pensent qu’en 2007, il faut certes rester vigilant sur les questions d’histoire et de mémoire, mais ces questions doivent être articulées autour d’une lecture prospective de l’avenir de l’Afrique. Sa renaissance en dépend.
Question 6 : Vous relevez dans ce discours l'utilisation du procédé rhétorique qu’est l'oxymore. Un procédé qui privilégie "une lecture dialectique, voire troublante ou dérangeante des faits". Compte tenu de cette option rhétorique délibérée choisie par le président Sarkozy dans son discours et qui peut à la fois troubler et déranger, pouvez-vous dès lors comprendre la réaction de l'élite Africaine?
André Julien Mbem : Je comprends parfaitement ces réactions. La colonisation est récente et les Africains vivent encore au quotidien ses avatars anthropologiques, économiques et structurels. Et l’ambition de ce discours, qui était justement de dépasser la polémique en l’évoquant n’est malheureusement pas atteinte. Certains propos ont déteint sur la totalité du discours et son économie générale, donnant souvent lieu à d’invraisemblables caricatures.
Question 7 : Vous vous appuyez sur le destinataire du message qui était la "jeunesse africaine" pour trouver quelque circonstance atténuante au président Sarkozy. Vous pensez que les élites se sont sentis visés à tort. Pensez-vous qu'à l'ère de l'hypercommunication – le discours était sur le Net quelques minutes après son prononcé – on puisse réellement circonscrire un message à une frange donnée de la population? Ne trouvez-vous pas cela naïf?
André Julien Mbem : C’est une réalité dans le traitement de l’information que je décris et que j’essaie de comprendre. Pour revenir au début de votre question, je n’ai pas, une fois de plus, de circonstance atténuante à trouver à qui que ce soit car il ne s’agit pas de faire à qui que ce soit un procès en responsabilité pénale ou civile mais de comprendre, de déconstruire une thèse ou de la valider, éventuellement de proposer. Je dis plutôt que ce discours ne s’adresse pas aux seules élites et je ne dis pas qu’elles se sentent visées à tort. Je considère que le destinataire d’un discours n’est pas forcément celui que je désigne nommément comme tel. C’est à chacun de dire si ce discours l’interpelle ou pas.
Question 8 : Vous écrivez que, selon les idéologues du système colonial, "la colonisation, dans ses principes, fut une conception philosophique et politique de la supériorité de la civilisation européenne dans le cadre d'une lecture hiérarchique des civilisations, une vision de la supériorité de l'Européen blanc, juché bien haut sur la pyramide de l'espèce humaine". Pensez-vous, que près d'un demi siècle après l'amorce de la décolonisation, ces préjugés aient vraiment été abandonnés? Sinon, à qui la faute?
André Julien Mbem : Einstein disait à juste titre qu’il est plus facile de désagréger un atome que de détruire un préjugé. Il faut préciser que les hommes ne se défont pas forcément de leurs préjugés parce que les instituions décrètent une pédagogie nouvelle des rapports sociaux. Deux mille ans après la mort du Christ, il y a toujours des chrétiens qui en veulent aux Juifs d’avoir tué Jésus.
Question 1 : Qu'est ce qui vous a poussé à consacrer un ouvrage au fameux discours de Dakar? Est-ce son importance selon vous ou la polémique qu'il aura finalement suscitée au sein de l'opinion publique?
André Julien Mbem : Je voudrais d’abord relever que la structuration du débat autour de ce discours se fait selon un système de vases communicants. La polémique donne de l’importance au discours et l’importance du discours (notamment celui qui le prononce) alimente la polémique. Pourquoi avoir écrit tout un essai à ce sujet ? Je précise d’emblée que cet essai porte à la fois sur le discours et le débat autour du discours. Cette précision est à mon avis très importante. D’une part il y a un discours qui comporte des thèses qui doivent être débattues, d’autre part des mouvements d’idées autour de ce discours assez révélateurs sur la nature du débat d’idées en Afrique sur l’Afrique, l’état de la diffusion des connaissances sur l’Afrique hors d’Afrique, enfin les conditions de possibilité d’une alternative au face à face mémoriel entre une certaine Europe et une certaine Afrique. Des questions que j’examine longuement dans mes précédents ouvrages[2].
Question 2 : Sans doute que le vrai débat autour de ce discours et les questions essentielles qu'il soulève par rapport aux relations franco-africaines et afro-européennes ont été occultées au profit de la polémique sur "l'homme africain" et le "paysan africain". Mais à qui la faute? Au rédacteur du discours ou à l'élite africaine qui s'est sentie offensée?
André Julien Mbem : L’appréciation du cheminement de ce discours dans le débat d’idées ne se pose pas, de mon point de vue en termes de culpabilité. C’est l’essence même de la vie des idées que de voir les ondes de choc qu’elle libère échapper à leur émetteur. Cette polémique est même salutaire car elle pourrait être le lieu de nécessaires mises au point de part et d’autre. Un critique littéraire camerounais, le Pr Thomas Melonè, disait : « le public est celui qui consacre ou massacre l’œuvre de l’auteur ». En tant que « spectateur engagé » sur la scène des idées en mouvement, je dois aussi examiner les évolutions, les impensés, les non-dits que révèle des débats, voire des polémiques de cette nature. Même si je dois confesser à mon détriment qu’il n’est pas évident de se trouver sur un balcon et de se voir passer dans la rue.
Question 3 : Vous écrivez ceci : "en s'exprimant avec franchise et sincérité, Nicolas Sarkozy engage un débat, il émet un point de vue qui pourrait donner lieu à des désaccords et à des répliques, il exprime un argument sans douter ni redouter qu'il fasse l'objet d'une contradiction ou d'une réplique argumentée ou passionnée". Ne pensez-vous donc pas que, ce que vous déplorez comme étant la polémique, peut-être stérile, est ce qu'il visait et qu'il a eu?
André Julien Mbem : La polémique en soi n’est pas stérile. Elle le devient lorsque dans le débat d’idées, entre intellectuels ou faiseurs d’opinion, le choc des humeurs remplace la confrontation rationnelle, intransigeante et courtoise des arguments. Dans l’extrait que vous citez, je ne fais que ressortir une orientation assumée de son discours.
Question 4 : En homme avisé, le président Sarkozy n'ignorait pas que, parce qu'il y a anguille sous roche, chaque pierre qu'il soulèvera sur le terrain africain dissimule un serpent parfois très venimeux. Et pourtant, il les soulevées toutes, ces pierres. Que vous inspire ce commentaire?
André Julien Mbem : Nicolas Sarkozy est seul à même de vous répondre sur les raisons de son inclination pour une telle dramaturgie de son propos à Dakar. Je pense que l’Afrique et l’Europe n’avanceront ensemble que si chacun accepte l’épreuve redoutable du miroir.
Question 5 : On est d'accord avec vous lorsque vous constatez qu'en dehors du passage malheureux sur l'Afrique qui n'est pas suffisamment entrée dans l'histoire, ce discours comporte, de par la sincérité de son ton, des points positifs relevés par le Président sud africain Thabo Mbeki. Sauf que certains observateurs pensent que ces passages ne sont finalement qu'un bel emballage ayant servi à faire passer le vrai message de dénigrement. Qu'en pensez-vous?
André Julien Mbem : Le ton est moins important que les idées de fond et les pistes d’avenir. Je soutiens qu’il n’ y a pas dans ce discours volonté de dénigrer les Africains. Même si dans ce discours je ne suis pas d’accord avec certains passages qui auraient dû être nuancés, je préfère un interlocuteur qui expose le fond de sa pensée à celui-là qui ne la laissera jamais deviner. Et Dieu seul sait s’ils sont ainsi nombreux qui passent pour de soi-disant « amis de l’Afrique ». Ceux qui affirment que l’appréciation de Thabo Mbeki est anecdotique se trompent. L’Afrique est diverse et pourquoi voudrait-on que tous les Africains aient la même lecture de ce discours ? Certains le lisent comme une leçon magistrale et condescendante sur l’histoire de l’Afrique. J’y vois de mon côté un discours sur le dialogue des civilisations mais dont on peut discuter (chose somme toute légitime) certaines thèses. Thabo Mbeki est peut être de ceux qui pensent qu’en 2007, il faut certes rester vigilant sur les questions d’histoire et de mémoire, mais ces questions doivent être articulées autour d’une lecture prospective de l’avenir de l’Afrique. Sa renaissance en dépend.
Question 6 : Vous relevez dans ce discours l'utilisation du procédé rhétorique qu’est l'oxymore. Un procédé qui privilégie "une lecture dialectique, voire troublante ou dérangeante des faits". Compte tenu de cette option rhétorique délibérée choisie par le président Sarkozy dans son discours et qui peut à la fois troubler et déranger, pouvez-vous dès lors comprendre la réaction de l'élite Africaine?
André Julien Mbem : Je comprends parfaitement ces réactions. La colonisation est récente et les Africains vivent encore au quotidien ses avatars anthropologiques, économiques et structurels. Et l’ambition de ce discours, qui était justement de dépasser la polémique en l’évoquant n’est malheureusement pas atteinte. Certains propos ont déteint sur la totalité du discours et son économie générale, donnant souvent lieu à d’invraisemblables caricatures.
Question 7 : Vous vous appuyez sur le destinataire du message qui était la "jeunesse africaine" pour trouver quelque circonstance atténuante au président Sarkozy. Vous pensez que les élites se sont sentis visés à tort. Pensez-vous qu'à l'ère de l'hypercommunication – le discours était sur le Net quelques minutes après son prononcé – on puisse réellement circonscrire un message à une frange donnée de la population? Ne trouvez-vous pas cela naïf?
André Julien Mbem : C’est une réalité dans le traitement de l’information que je décris et que j’essaie de comprendre. Pour revenir au début de votre question, je n’ai pas, une fois de plus, de circonstance atténuante à trouver à qui que ce soit car il ne s’agit pas de faire à qui que ce soit un procès en responsabilité pénale ou civile mais de comprendre, de déconstruire une thèse ou de la valider, éventuellement de proposer. Je dis plutôt que ce discours ne s’adresse pas aux seules élites et je ne dis pas qu’elles se sentent visées à tort. Je considère que le destinataire d’un discours n’est pas forcément celui que je désigne nommément comme tel. C’est à chacun de dire si ce discours l’interpelle ou pas.
Question 8 : Vous écrivez que, selon les idéologues du système colonial, "la colonisation, dans ses principes, fut une conception philosophique et politique de la supériorité de la civilisation européenne dans le cadre d'une lecture hiérarchique des civilisations, une vision de la supériorité de l'Européen blanc, juché bien haut sur la pyramide de l'espèce humaine". Pensez-vous, que près d'un demi siècle après l'amorce de la décolonisation, ces préjugés aient vraiment été abandonnés? Sinon, à qui la faute?
André Julien Mbem : Einstein disait à juste titre qu’il est plus facile de désagréger un atome que de détruire un préjugé. Il faut préciser que les hommes ne se défont pas forcément de leurs préjugés parce que les instituions décrètent une pédagogie nouvelle des rapports sociaux. Deux mille ans après la mort du Christ, il y a toujours des chrétiens qui en veulent aux Juifs d’avoir tué Jésus.
Question 9 : Pour répondre aux tenants d'une certaine "ethnologie coloniale", promoteur d'une certaine "mentalité primitive" chez le Nègre, les intellectuels noirs font généralement recours à l'histoire de l'Afrique précoloniale pour tenter d'apporter le démenti. Ce que vous n'appréciez pas toujours. Pensez-vous qu'on puisse vraiment faire l'économie de ce que vous appelez "détour dialectique historique" lorsqu'il s'agit de traiter des problèmes de l'Afrique?
André Julien Mbem : Les conditions dans lesquelles l’histoire de l’Afrique précoloniale est écrite et vulgarisée dès le milieu du siècle dernier par les Africains, pour les Africains et contre une certaine « ethnologie coloniale » ne sont plus les même aujourd’hui. Il fallait faire à la fois de la science et de l’idéologie parce qu’il fallait redonner confiance à des femmes et des hommes dont on avait nié jusqu’au statut d’homo sapiens. L’histoire de l’Afrique précoloniale écrite dans ce contexte là était essentiellement laudative et taisait souvent les points qui auraient pu démobiliser les peuples. En 2007, il s’agit plus de faire de la prospective à partir du passé, que de faire uniquement reculer la « paupérisation anthropologique » de l’Afrique comme le disait Engelbert Mveng. Malheureusement, une bonne partie des Africains, et de nombreux intellectuels parlent encore de l’histoire de l’Afrique précoloniale comme d’un âge d’or où tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. La réalité est plutôt contrastée. La renaissance africaine ne sera fera pas sans une tradition critique à l’intérieur de l’Afrique qui passera au crible, sans concession, l’histoire de l’Afrique précoloniale. Il n’ y a pas de Renaissance possible sans, entre autres, un retour réflexif, critique, voire déchirant sur nous-mêmes.
Question 10 : Entre le discours de la Baule prononcé en 1990 par l'ancien président français François Mitterrand et celui de Dakar, trouvez-vous une continuité ou plutôt une rupture? Pourquoi et comment?
André Julien Mbem : Il y a rupture dans la forme des deux discours comme dans le fond. Le discours de François Mitterrand semblait plutôt encourager les efforts des sociétés civiles africaines dans leurs combats d’émancipation politique et restait extrêmement courtois envers les Chefs d’Etat et de gouvernement africains de l’époque. Il est tout en rondeur et truffé de nuances et d’euphémismes, de litotes. Le discours de Nicolas Sarkozy est un questionnement radical dans le fond et souvent rude dans la forme, il n’élude aucune question, ni aucun acteur de l’histoire en Afrique ou en Europe. La rupture de mon point de vue c’est plutôt Nicolas Sarkozy qui la fait par rapport au discours de la Baule lorsqu’il reconnaît que c’est l’Afrique le moteur de son développement et que la France ne fera rien à sa place. En revanche, le fait de dire, comme le faisait Mitterrand, « si vous démocratisez vous aurez un peu plus d’aide », c’est exactement comme un parent qui lierait l’argent de poche de son fiston aux preuves de bonne conduite de ce dernier. C’est du paternalisme. Et je me souviens qu’après le discours de la Baule, certains opposants se mirent à croire que leur salut viendrait de Paris et firent l’économie des nécessaires luttes internes et de la pédagogie de la transformation sociale auprès du peuple. On connaît la suite.
Question 11 : Je constate que le concept Eurafrique vous passionne. Et pourtant, ce n'est pas un concept nouveau. Il avait tout simplement été mis en veilleuse. Quelles sont selon vous les chances de sa mise en œuvre effective aujourd'hui?
André Julien Mbem : La déferlante chinoise en Afrique aujourd’hui donne du crédit, dans certains milieux en Afrique ou en Europe, à la thèse, sans doute partiellement vraie, d’un recul de l’Europe en Afrique. C’est une réalité que nul ne conteste. En revanche, sur le moyen terme, pour des raisons liées à l’histoire et à la géographie, dans l’intérêt vital des deux ensembles, Africains et Européens doivent profondément réfléchir à la définition d’un nouveau projet de civilisation commun. Avec la Chine l’Afrique partage des valeurs financières, avec l’Europe l’Afrique partage (au-delà des drames du passé) de plus en plus des valeurs de civilisation et des frontières naturelles. Or, c’est dans le cadre d’un projet de civilisation que doivent repensées aujourd’hui les notions de croissance économique, de progrès et de développement et de droits humains. Les sociétés civiles en Afrique et en Europe, certains intellectuels et politiques sont en train de le faire. La Chine se réjouit plutôt que ce genre de débat ne soit pas à l’ordre du jour des sommets sino-africains. Il faut bien sûr épurer le terme Eurafrique de ses relents néocolonialistes du siècle dernier, il faut lui donner un contenu nouveau ou en trouver un autre si sa charge historique et symbolique pourrait alimenter d’interminables querelles.
Propos recueillis par Etienne de Tayo
[i][i] Mythes et réalités de l’identité culturelle africaine, L’Harmattan, 2005.
2La quête de l’Universel dans la littérature africaine de Léopold Sédar Senghor à Ben Okri, L’harmattan,2006
3L’Afrique au cœur de l’Europe. Quel projet pour le Nouveau Monde qui vient , L’Harmattan, 2007?
André Julien Mbem : Les conditions dans lesquelles l’histoire de l’Afrique précoloniale est écrite et vulgarisée dès le milieu du siècle dernier par les Africains, pour les Africains et contre une certaine « ethnologie coloniale » ne sont plus les même aujourd’hui. Il fallait faire à la fois de la science et de l’idéologie parce qu’il fallait redonner confiance à des femmes et des hommes dont on avait nié jusqu’au statut d’homo sapiens. L’histoire de l’Afrique précoloniale écrite dans ce contexte là était essentiellement laudative et taisait souvent les points qui auraient pu démobiliser les peuples. En 2007, il s’agit plus de faire de la prospective à partir du passé, que de faire uniquement reculer la « paupérisation anthropologique » de l’Afrique comme le disait Engelbert Mveng. Malheureusement, une bonne partie des Africains, et de nombreux intellectuels parlent encore de l’histoire de l’Afrique précoloniale comme d’un âge d’or où tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. La réalité est plutôt contrastée. La renaissance africaine ne sera fera pas sans une tradition critique à l’intérieur de l’Afrique qui passera au crible, sans concession, l’histoire de l’Afrique précoloniale. Il n’ y a pas de Renaissance possible sans, entre autres, un retour réflexif, critique, voire déchirant sur nous-mêmes.
Question 10 : Entre le discours de la Baule prononcé en 1990 par l'ancien président français François Mitterrand et celui de Dakar, trouvez-vous une continuité ou plutôt une rupture? Pourquoi et comment?
André Julien Mbem : Il y a rupture dans la forme des deux discours comme dans le fond. Le discours de François Mitterrand semblait plutôt encourager les efforts des sociétés civiles africaines dans leurs combats d’émancipation politique et restait extrêmement courtois envers les Chefs d’Etat et de gouvernement africains de l’époque. Il est tout en rondeur et truffé de nuances et d’euphémismes, de litotes. Le discours de Nicolas Sarkozy est un questionnement radical dans le fond et souvent rude dans la forme, il n’élude aucune question, ni aucun acteur de l’histoire en Afrique ou en Europe. La rupture de mon point de vue c’est plutôt Nicolas Sarkozy qui la fait par rapport au discours de la Baule lorsqu’il reconnaît que c’est l’Afrique le moteur de son développement et que la France ne fera rien à sa place. En revanche, le fait de dire, comme le faisait Mitterrand, « si vous démocratisez vous aurez un peu plus d’aide », c’est exactement comme un parent qui lierait l’argent de poche de son fiston aux preuves de bonne conduite de ce dernier. C’est du paternalisme. Et je me souviens qu’après le discours de la Baule, certains opposants se mirent à croire que leur salut viendrait de Paris et firent l’économie des nécessaires luttes internes et de la pédagogie de la transformation sociale auprès du peuple. On connaît la suite.
Question 11 : Je constate que le concept Eurafrique vous passionne. Et pourtant, ce n'est pas un concept nouveau. Il avait tout simplement été mis en veilleuse. Quelles sont selon vous les chances de sa mise en œuvre effective aujourd'hui?
André Julien Mbem : La déferlante chinoise en Afrique aujourd’hui donne du crédit, dans certains milieux en Afrique ou en Europe, à la thèse, sans doute partiellement vraie, d’un recul de l’Europe en Afrique. C’est une réalité que nul ne conteste. En revanche, sur le moyen terme, pour des raisons liées à l’histoire et à la géographie, dans l’intérêt vital des deux ensembles, Africains et Européens doivent profondément réfléchir à la définition d’un nouveau projet de civilisation commun. Avec la Chine l’Afrique partage des valeurs financières, avec l’Europe l’Afrique partage (au-delà des drames du passé) de plus en plus des valeurs de civilisation et des frontières naturelles. Or, c’est dans le cadre d’un projet de civilisation que doivent repensées aujourd’hui les notions de croissance économique, de progrès et de développement et de droits humains. Les sociétés civiles en Afrique et en Europe, certains intellectuels et politiques sont en train de le faire. La Chine se réjouit plutôt que ce genre de débat ne soit pas à l’ordre du jour des sommets sino-africains. Il faut bien sûr épurer le terme Eurafrique de ses relents néocolonialistes du siècle dernier, il faut lui donner un contenu nouveau ou en trouver un autre si sa charge historique et symbolique pourrait alimenter d’interminables querelles.
Propos recueillis par Etienne de Tayo
[i][i] Mythes et réalités de l’identité culturelle africaine, L’Harmattan, 2005.
2La quête de l’Universel dans la littérature africaine de Léopold Sédar Senghor à Ben Okri, L’harmattan,2006
3L’Afrique au cœur de l’Europe. Quel projet pour le Nouveau Monde qui vient , L’Harmattan, 2007?
André Julien Mbem
Essayiste, chercheur à l’EHESS,Directeur de collection Aux Editions L’Harmattan
5 commentaires:
Nous donnons de l'importance à un discours qui prolongeait une campagne présidentielle.
Pourtant, quelques remarques aux propos de Julien Mbem.
L'écriture de l'histoire est complexe. Elle est laudative quand les faits l'impose.Parlant de renaissance dans l'histoire européenne, notons qu'elle met en exergue les bienfaits de l'histoire, qu'elle ressort des tenebres de l'histoire européenne ce qui est susceptible d'éclairer les européens. Les européens ne posent nullement un regard critique sur leur passé. Pour quoi ce processus ne pourra pas se faire en ce qui concerne l'histoire de l'Afrique précoloniale?
Dans le fond, faire un essai sur le discours de Dakar est une contribution appréciable, mais peut-on donner autant d'importance aux emphases des hommes politiques français? Ils posent un regard biaisé sur la situation de l'Afrique. Ils ne peuvent se départir de leur paternalisme. Que l'on prenne le discours de la Baule ou de Dakar, les Africains ont-ils besoin des ces mots là pour comprendre leur détresse?
Un dernière inquiétude: "L'Afrique partage des valeurs de civilisation avec l'Europe" Affirme l'auteur, ceci pour exclure la Chine. Samuel Huntington disait que les Africains n'ont pas de civilisation, alors les Africains sont des parasites?
Nabali Mitsere.
c'est un vendu a l'europe ce con
un vendu qui n'a rien en plus rien compris
Mr Mbem aussi bien dans cette interview que dans une très récente contribution au journal français le Monde, se veut un Africain lucide et acceptant ses propres responsabilités dans la situation de l'Afrique. Cette attitude, qui ne peut qu'être approuvée, ne devrait pas toutefois se traduire en un refus de prendre en compte toutes les dimensions du problème, notamment celle du poids des contraintes extérieures passées et présentes dans les difficultés que connaît l'Afrique. On ne prend pas mieux en compte ses responsabilités en minimisant celles des autres, surtout dans le cadre d'un examen "froid" des faits.
En outre, les Africains dans leur immense majorité, en Afrique et ailleurs, sont tout à fait conscients de leurs propres responsabilités ou plutôt celles de leur classe dirigeante, dans la faillite de l'Afrique. En attestent les manifestations en Afrique, qui visent avant tout les responsables africains; les occidentaux n'étant souvent pointés du doigt que pour leur soutien à des dirigeants incompétents. La France particulièrement excelle dans cet art.
La question de la responsabilité des Africains du discours de Sarkozy qu'admire Mr Mbem, revient donc à enfoncer des portes ouvertes. Les intéressés une fois de plus sachant parfaitement à quoi s'en tenir sur le sujet.
Par contre les propos parfaitement racistes sur l'infériorité de l'Homme africain ne peuvent être ignorés, sous prétexte d'une partie du discours supposée juste. On ne peut demander au Africains d'accepter l'insulte, parcequ'elle viendrait de personnes supposées bien intentionnées (ce qui est d'ailleurs à prouver).
Il s'agit d'ailleurs ici d'une double insulte. La première étant que les Africains ne sont pas en mesure de se regarder en face et notamment d'accepter et de prendre leurs responsabilités en toute chose. Ce qui justifie donc que tout le monde en Occident s'attribue le droit de donner des leçons aux Africains. Or les Africains ne se sont jamais résignés à l'injustice, la pauvreté, la corruption, la mal gouvernance, etc. Il n'y a qu'à observer avec quelle régularité les armées en Afrique descendent dans la rue pour mater les manifestants.
La deuxième insulte étant évidemment l'infériorité de l'Homme africain par rapport aux autres, et avant tout l'Homme occidental. Mais sur ce point heureusement, beaucoup se sont levés et on fait part de leur indignation. Ce qui est juste. et, Mr Mbem devrait plutôt s'en féliciter.
Ray Semako
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