En fait, les technologies de l'information sont toutes ces technologies créées au confluent de l'informatique et des télécommunications – les plus savants parleront de télématique – et qui servent à l'homme dit moderne d'atteindre les prédictions de Marshall Mc Luan d'un "village planétaire" où les distances auront été vaincues. Chaque Homme verra ainsi le monde à sa porte.
A la suite de Mc Luan, une flopé de théoriciens pour la plupart "technocentrés", voient en la société de l'information, un monde de rêve. Dans sa théorie de l'intelligence collective, Pierre Levy y voit "une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel et qui aboutit à une mobilisation effective des compétences individuelles". Ce discours centré sur le déterminisme technologique, tend à soutenir que la société de demain ne sera que ce que voudra la technologie. En fait, comme le souligne Bernard Miège, "une idéologie néotechnicienne, la technique apparaissant comme moteur du développement social". Cette idéologie toujours selon Bernard Miège qui n'y croit évidemment pas, "promeut une société propre, la fin du travail pénible, l'immatériel comme source de richesse et de valeur". D'autres théoriciens, pour la plupart des sociologues se chargeront de démystifier le concept de société de l'information en n'y voyant qu'une vulgaire utopie. Ils le font non sans difficulté à cause de cette charge séduisante que transportent toujours les discours utopistes.
Mais la fine fleur des discours incantatoires sur la société de l'information a été développée par le système des Nations Unies. Le "grand machin" comme disait De gaulle, en a trouvé une véritable aubaine pour soutenir son combat pour la paix. Mais auparavant, comme l'institue désormais la tradition, le concept a été validée par les Nations dites les plus puissantes du monde réunies au sein du G8. En effet, "la charte sur la société mondiale de l'information a été adoptée au sommet de G8 à Kyushu Okinawa au Japon en 2000".
Il faut seulement rappeler que le concept de société de l'information venait ainsi enterrer ou le ressusciter sous une autre forme le concept de nouvel ordre mondial de l'information et de la communication (NOMIC) revendiqué par les Etats du Sud et combattu jusqu'à épuisement total du débat par les pays industrialisés et principalement les Etats-Unis qui lui opposèrent le concept du "free flow of information". Ils soutenaient que rien mais alors rien ne devait arrêter ou même tenter de juguler le cours du fleuve informationnel qui malheureusement, coule toujours du Nord vers le Sud, transportant avec lui des alluvions et autres déchets, en réalité des schèmes de l'impérialisme sous forme des modes de vie et modes de penser.
Au sein du système des Nations Unies, on ne parle plus seulement de la société de l'information mais de société des savoirs, de société des connaissances et même de société de partage de connaissances. Ce sont des vastes chantiers sur lesquels se penche l'Unesco. Tout ce discours ferme bien sûr les yeux sur la fracture numérique qui est un obstacle objectif à la promotion d'une société de partage des connaissances. L'Afrique par exemple représente 12% de la population mondiale mais compte moins de 1% d'internaute alors que les Etats-Unis qui représentent 4,9% de la population mondiale compte 43% d'internautes.
L'INCANTATION
Mais là où l'incantation devient presque escroquerie, c'est lorsque le concept de la société de l'information rencontre le concept de l'identité. On pense alors que la communication totale entre les hommes aplanira les différences identitaires et débouchera sur une société dotée d'une nouvelle identité issue des identités diverses. Une société totalement pacifiée dans laquelle, parce qu'ils se comprendront désormais, les Hommes ne se feront plus jamais la guerre. Emmanuel Juste Duits dans son ouvrage "l'Homme réseau" parle tout simplement de "civilisation planétaire". Il s'interroge : "Au niveau collectif, la rencontre des multiples mondes ne débouchera t-elle pas sur une civilisation de toutes les cultures et de toutes les saveurs, métissage sans précédent?" C'est le concept de civilisation de l'universel développé par Léopold Sédar Senghor qui se trouve ici récupéré et recyclé.
Les tenants de cette thèse montrent que cette société là sera celle de paix et de concorde entre les hommes. Ils présupposent ainsi que si les hommes se sont toujours battus, si les Etats, aussi bien antiques que modernes, se sont toujours fait des guerres, c'est à cause des différences identitaires. Une thèse que je me permets de réfuter en attirant l'attention des uns et des autres sur le caractère dissimulatoire des vraies causes des conflits qu'elle peut constituer.
LE "GÂTEAU" AVANT L'IDENTITEDe tout temps, en dehors de quelques actes paranoïaques, les hommes se sont battus pour deux c
hoses : le contrôle de l'espace vital (géographique, temporel, liberté); le contrôle ou le partage des richesses. Les problématiques identitaires ne viennent se greffer à la dynamique conflictuelle que pour servir de prétexte et justifier l'acte. Le xénophobe réagit toujours parce qu'il sent son espace vital menacé. Mais comme il ne peut pas mettre en avant ce combat alimentaire sans paraître ridicule, il convoque l'identité pour faire écran. Il dit par exemple que la présence de l'étranger menace son identité. Ce qui est évidemment faux. Ce qui est vrai, c'est que la présence de l'étranger menace son "gâteau".
Dans les plus grands drames mondiaux, l'argument identitaire a toujours été utilisé comme prétexte. Par endroits, la subtilité des acteurs a parfois amené à douter sur les causes réelles des conflits. Et pourtant, des exemples foisonnent qui permettent d'étayer cette présentation.
On sait par exemple que le fascisme hitlérien a d'abord germé sur la volonté des Allemands de se soustraire du paiement des réparations à eux imposées par le traité de Versailles. C'est donc pour ne plus rien payer à la France et à l'Angleterre que Hitler décide d'envahir ces pays et au besoin les vassaliser. Par la suite, il joue l'opportunisme en fédérant la haine du juif déjà très présente en Europe à cette époque là. C'est alors qu'il utilisera l'argument identitaire aryen pour mieux emballer ses compatriotes et assouvir ses désirs fous. Mais tout cela n'aura été que le prétexte lui permettant de contrôler les richesses du monde afin de mieux le dominer.
Au Rwanda en 1994, les protagonistes se sont coupés à la machette, non pas parce qu'il y avait d'un coté les Hutus qui en voulaient à mort aux Tutsis sur la simple base d'un conflit identitaire. On s'est massacré au Rwanda parce qu'on se disputait le "gâteau national", parce que la majorité Hutu détentrice du pouvoir sentait ce dernier lui échapper avec l'avancée des forces du FPR de Paul Kagame. C'est pourquoi les Hutus extrémistes s'en sont pris aussi aux Hutus modérés qui prônaient le partage du pouvoir. De même, les Tutsis qui servaient de caution ethnique dans le gouvernement Hutu de Juvenal Habiarimana ont eux aussi péri sous les balles de leurs propres frères Tutsis venus de l'extérieur et qui les accusaient de haute trahison à l'ethnie. Tout ceci montre à suffisance la suprématie de l'argument matériel sur l'argument identitaire.
Lorsqu'e
lle a voulu embarquer le monde occidental dans sa guerre pétrolière contre l'Irak, l'administration Bush n'a pas hésité à mettre en avant de façon à peine voilée une guerre de civilisation. Et pourtant la raison de cette guerre est très simple. Il s'agit pour les Etats-Unis de s'assurer le contrôle du pétrole du moyen Orient. Avec l'émergence de la Chine, un tel contrôle est devenu presque vital pour le pays de l'Oncle Sam qui craint un jour de succomber sous l'arme pétrolière.
Je soupçonne aujourd'hui ceux qui ont enfourché le cheval de la société de l'information en la présentant comme le paradis de demain, de vouloir détourner l'attention des acteurs sur les vrais problèmes de l'humanité et la façon de s'y prendre pour les régler. Ils ont ainsi créé un écran de fumée de lequel ils maintiendront une partie de l'humanité en les entretenant sur l'accessoire alors que l'essentiel est soigneusement laissé de coté. A défaut d'offrir au monde en développement les moyens d'atteindre les objectifs du millénaires comme ils le promettent toujours, les pays développés se permettent de vendre du rêve sous la forme d'une société dans laquelle les savoirs, les connaissances et peut-être même les richesses seront partagées.
L'Europe et l'Afrique viennent de se rencontrer à Lisbonne pour penser ensemble l'avènement d'un partenariat plus juste et plus équitable. Il suffit pour cela que les uns et les autres jouent franc jeu. Mais les réflexes néocoloniaux sont encore là qui font croire à l'Europe que l'Afrique est venu lui demander l'aumône. Comme l'a dit le président de la commission de l'Union Africaine Alpha Oumar Konaré, "l'Afrique ne demande pas la charité". Elle veut des règles justes qui lui permettront d'être compétitif.
Si jamais l'Europe refuse de jouer franc jeu et que les systèmes d'exploitation restent maintenus en Afrique, les "gâteau nationaux" en Afrique seront partout encore plus maigres. Les combats pour leur contrôle seront encore plus rudes. Ils se manifesteront par l'ouverture des fronts de combat partout sur le continent. Ceux qui veulent noyer le poisson parleront alors de conflits identitaires. Mais nous savons qu'il s'agit de combat pour le contrôle du "gâteau". Et la société de l'information n'y pourra rien.
Etienne de Tayo
Promoteur "Afrique Intègre"