Le concept de commerce équitable a été lancé par certains promoteurs d’ONG soucieux de remédier à la détérioration des termes de l’échange dans le commerce international en permettant aux pays du sud de profiter du fruit réel de leur travail et limiter par le fait même, les profits parfois exorbitants engrangés par les négociants dans les pays du nord. Une idée apparemment séduisante et même généreuse.
Mais c’est lorsqu’une idée est séduisante qu’il faut le plus s’en méfier surtout dans un monde où l’homme s’est toujours caractérisé par sa cupidité et même sa méchanceté. Une telle idée peut dissimuler un gros piège ou du moins participer d’une stratégie de diversion face à un problème réel et prégnant : le problème de l’équité dans le commerce Nord-Sud. Allons-y donc voir de quoi cela retourne.
Les promoteurs du commerce équitable ont mené la même analyse que tous les ONG de bonne foi par rapport aux échanges commerciaux nord-sud et surtout par rapport à un déséquilibre et à une détérioration constante des termes de l’échange. Ce déséquilibre comme on le sait, continue de maintenir le producteur du sud dans une pauvreté parfois abjecte alors que le négociant du nord, du simple fait qu’il contrôle le circuit de distribution et fixe les prix, plastronne dans l’opulence. Le produit intérieur brut d’un pays n’étant que la somme des valeurs ajoutées des opérateurs économiques, les pays du sud sont maintenus dans la pauvreté alors que les pays du nord nagent dans la prospérité.
Pour le comprendre le caractère inique du commerce international que le commerce équitable souhaite corriger, prenons un cas d’école. Un kilogramme de café produit à Dschang dans l’ouest du Cameroun est acheté au producteur local à 800 F CFA, c’est à dire 1,21 euros. Pour produire ce kilogramme de café et, en raison d’une très faible productivité des plantations, le planteur de Dschang a besoin en moyenne de 20 kilogrammes d’engrais pour ne prendre que le cas de cet intrant parmi tant d’autres. Je bloque volontairement des variables comme les pesticides ou encore la rémunération de son propre travail en supposant que toutes choses égales par ailleurs. Un kilogramme d’engrais parvenu à Dschang et sans spéculation coûte 170 F CFA c’est à dire 0,26 euros. Pour produire un kilogramme de café, il en faut 20, cela coûte 3400 F CFA d’engrais soit 5,20 euros. A ce niveau, nous pouvons déjà relever que le kilogramme de café est vendu par le producteur de Dschang, à un prix 5 fois inférieur au coût d’un seul intrant qu’est l’engrais. Evidemment, cela ne lui permettra jamais d’étendre son exploitation et il restera à jamais un homme pauvre travaillant pour la richesse des autres.
Venons maintenant au lieu de consommation du précieux liquide noir issu du café moulu tant prisé dans les pays froids, pour voir ce que le kilogramme du café du producteur de Dschang, rapporte au négociant parisien ou même au détaillant qui se trouve en bout de chaîne. Prenons le détaillant et voyons une machine de distribution de café, bien serré, dans n’importe quelle gare ou métro de Paris. La « dosette », qui n’a reçu pour tout produit complémentaire qu’un morceau de sucre – et parfois pas d’ailleurs - est vendue à 1 euro, c’est à dire 657 F CFA. Selon les spécialistes, un kilogramme de café moulu permet d’avoir entre 60 et 70 « dosettes ». Prenons la moyenne de 65 « dosettes ». Cela veut dire qu’un kilogramme de café rapporte au détaillant 65 euros soit 42 705 F CFA, c’est à dire 53 fois le prix du kilogramme acheté au producteur de Dschang qui est de 800 F CFA. Il faut dire que si je devais prendre une dosette vendue dans un café situé sur les Champs-Elysées ou dans quelque hôtel chic de la place, le différentiel serait double voire triple. Même si nous devions prendre en compte toutes les charges occasionnées par le transport, la manutention, la torréfaction et même d’autres charges inhérentes au niveau de vie élevé en Europe, cela n’explique pas que le profit soit de l’ordre d’un multiple de 50.
Voilà donc l’analyse, parfois révoltante, que les promoteurs du commerce équitable ont dû conduire. Cela a tout l’air d’une prise de conscience tout ce qu’il y a de normal. Ils sont parvenus à la conclusion, comme tout analyste lucide, qu’il y a quelque part une exploitation éhontée du petit producteur du sud par les négociants et les détaillants du nord. Mais c’est au niveau des solutions à apporter à ce scandale que les promoteurs du commerce équitable se sont laissé enfermer dans des démarches empreintes de charité et d’assistance éternelle aux pays du sud là où il faut se battre pour rendre les règles de jeu plus justes pour tout le monde.
Tels qu’ils veulent se présenter, les promoteurs du commerce équitable arrivent pour corriger ce que les méchants négociants font aux petits producteurs des pays du sud. Mais lorsqu’on décrypte leur démarche, on constate qu’elle est bâtie à partir des mêmes théories que celles sur lesquelles sont construites les stratégies de spoliation des pays du sud. A savoir la théorie du centre et de la périphérie dévoilée par Samir Amin et qui fait du sud périphérique, la vache à lait éternelle des pays du nord situés au centre.
C’est en fait pour couvrir cette théorie d’exploitation que toute sorte d’initiatives sont lancées en vue dit-on d’assister les pays du sud et les accompagner dans leur développement. On peut citer la théorie de l’aide au développement qui masque le plus gros scandale de la coopération Nord Sud. Ces initiatives d’apparence généreuses, devant agir comme un voile qui couvre en réalité la vaste opération d’exploitation. Cette démarche, en maintenant le sud au rang d’éternel assisté, détruit la dignité de ses peuples et les condamne à vivre à la marge du monde.
L’action des promoteurs du commerce équitable vise ainsi à couvrir le bruit que font les actions des ONG et de toutes les âmes de bonne foi qui interpellent constamment les pays du nord et les organisations en charge de la régulation du commerce international afin que les règles plus justes soient édictées. Cette action vise aussi à exploiter la naïveté du consommateur du Nord qui, toujours tenu dans l’ignorance de qu’est la réalité de la coopération Nord Sud, pourrait à son niveau assister ces peuples attardés.
La stratégie du « gentil policier »
Nous avons vu que les promoteurs du commerce équitable tiennent le même discours que certains ONG de bonne foi. Ils dénoncent ceux qui les ont précédé, ont pillé et appauvrissent encore les paysans du sud, les ont soumis au travail forcé pour profiter du fruit de leur travail. Ils disent vouloir remédier à cette situation. Mais puisque à l’égard du producteur du sud ils ont la même perception que ceux qui les ont précédé, c’est à dire des hommes et femmes qui ne peuvent survivre que grâce à la générosité du consommateur du nord, laquelle remplace la générosité des Etats du Nord, j’arrive à la conclusion qu’entre les gentils promoteurs du commerce équitable et les méchants exploiteurs des paysans du sud, c’est bonnet blanc, blanc bonnet. Le promoteur du commerce équitable n’est que ce « gentil policier » que tous ceux qui ont côtoyé les commissariats connaissent très bien.
Dans un commissariat, c’est connu, le policier le plus dangereux n’est pas celui qui vient vous frapper en vociférant toute sorte d’insanités à votre endroit. Le plus dangereux, c’est celui qui vient après, alors que l’autre vous a ensanglanté le visage. Le second policier qui vient vous parle souvent d’humanisme, des droits de l’homme et dénonce même les agissements de celui qui l’a précédé. Mais tout cela ne vise qu’à vous endormir, pour vous tirer les vers du nez et obtenir ce qui servira à votre condamnation. Et si les policiers ont adopté cette stratégie du faux gentil et du vrai méchant ou du vrai gentil et du faux méchant, ils ne l’ont pourtant pas inventé. Ils l’ont adopté parce qu’elle a fait ses preuves ailleurs. Par exemple dans les stratégies d’hégémonie que tous les peuples dominateurs ont toujours mis en place pour conquérir les territoires, soumettre leurs peuples et exploiter leurs richesses sans que ceux ci parviennent à la révolte.
Prenons par exemple le cas des rapports entre l’Europe d’abord esclavagiste puis colonialiste et enfin coopérante et l’Afrique, pour mieux expliciter cette stratégie du « gentil policier ». Lorsque au milieu du 17e siècle, l’Europe décide de mettre fin à l’esclavage pratiqué depuis 4 siècles et qui a permis à une catégorie de personnes, les esclavagistes en l’occurrence, de s’enrichir en réduisant les peuples africains au rang des bêtes de traite, le masque du « gentil policier » est apparu pour casser la résistance qui s’organisait partout pour lui faire payer ses crimes à l’esclavagiste. L’esclavagiste avait créé sur le continent une industrie de production des esclaves. L’indigène était transformé en un élément d’un vaste troupeau destiné à être pourchassé dans la brousse, à être attrapé et à être conduit au bateau. Ceci rendait la vie des hommes ordinaires insupportable sur le continent.
Mais partout ailleurs, la résistance des peuples s’organisait pour s’élever contre la pratique de l’esclavage. L’esclavagiste lui-même a fait un calcul simple et a constaté que cela lui coûtait même cher de transporter les esclaves jusqu’en Amérique. Il a compris qu’il peut utiliser les mêmes personnes sur place pour des travaux similaires mais il faut qu’il change de visage en portant un autre masque. C’est ainsi que d’autres personnes sont venues sous d’autres visages, avec d’autres formes de discours et tendant à dénoncer les agissements de l’esclavagiste dont l’inhumanisme consistait à transporter des êtres humains comme des bêtes sauvages. C’est le masque du colonisateur qui est apparu. Il avait tout le loisir de dire aux peuples jadis esclavagisés : « moi au moins, je vous donne votre humanité. Pour moi, vous n’êtes plus des bêtes de somme mais des êtres humains, juste un peu inférieur que moi mais des êtres humains tout de même. Et puis, pour vous montrer que je vous considère comme des êtres humains, je vous apporte la civilisation ».
Ce discours charmeur a permis de casser la résistance des Africains et imposer la colonisation. Mais les historiens qui se sont penchés sur cette période de l’histoire africaine, affirment que le travail forcé, largement pratiqué pendant la colonisation, a été parfois plus cruel que l’esclavage. C’est justement pendant ce travail forcé que les Belges de la société Witaker ont mis sur pieds une politique consistant à leur couper le bras à tous les indigènes qui n’avaient pas atteint une certaine quantité fixée de l’hévéa récoltée. C’est pendant cette période de la colonisation censée corriger les atrocités de l’esclavage et apporter l’humanité aux indigènes, que des millions d’Africains sont morts dans des chantiers de construction de chemins de fer au Cameroun, en Afrique du Sud, au Zimbabwe… Cela se voit que le « gentil policier » colonialiste a été plus dangereux et plus cruel que l’esclavagiste, si tant est qu’une cruauté peut être moindre qu’une autre.
Par la suite, lorsque la prise de conscience a été faite et que les populations ont commencé à s’organiser contre les atrocités de la colonisation, notamment par syndicats ou même les mouvements de résistance, un autre masque du « gentil policier » est apparu. C’est le masque du coopérant. C’est un monsieur très gentil et affable. Il s’infiltre dans la population et procède par recherche participative. Ils mangent ce que les indigènes mangent, s’habille comme eux. Une fois en vacance dans mon village, j’ai constaté la présence d’une volontaire. Elle était très appréciée des villageois parce qu’elle faisait tout comme eux. Apparemment désargentée, elle se faisait transporter à moto. J’ai discuté avec elle et elle m’a dit qu’elle était une étudiante et que ce qu’elle faisait rentrait dans le cadre de son stage. Mais quelques semaines après, tout à fait par hasard, je l’ai rencontrée à Yaoundé, à l’hôtel Hilton où elle était descendue. Elle a semblé ne pas me reconnaître et ne pas se souvenir de notre rencontre. J’ai compris et je n’ai pas insisté.
Certains coopérants n’hésitent pas à porter la soutane pour faire plus anodin. Et parlant justement de la soutane, lorsque j’étais jeune au Cameroun, j’avais en face de chez moi un pasteur de l’église évangile du Cameroun. Il était d’origine allemande. Il vivait dans un couple tout ce qu’il y a d’ordinaire. Il avait des jumeaux d’à peine 6ans. Grâce aux bananes mûres que j’avais toujours à la maison, je bénéficiais de la visite constante de ces enfants qui en raffolaient. Un jour, l’un d’eux m’a dit qu’en Allemagne, son père était policier. N’approuvant pas une telle indiscrétion, son frère est allé le trahir à sa mère. Cette dernière est venue et avec une de ces rares violence a entraîné le petit dans la barrière et lui disant de ne plus jamais mettre les pieds chez moi. Sur le coup, avec le regard de l’enfant que j’étais, je ne voyais rien, je ne comprenais rien. Juste une maman courroucée par un enfant un peu trop bavard.
Les coopérants ont été des agents propagateurs des théories dominantes telles l’évolutionnisme ou encore le diffusionnisme. Ils dénoncent le colonisateur avec une virulence qui rassure. Prenant le masque du chercheur, ils étudient les modes d’organisation des peuples colonisés en cherchant des failles par lesquelles on fera passer des tubes d’exploitation. C’est le travail qui a été celui des anthropologues de la colonisation par exemple. Ils contribuent à construire ce que les autres appelleront plus tard les acquis positifs de la colonisation et tenteront de les utiliser pour faire passer la pilule de la colonisation et préparer l’arrivée d’autres têtes portant d’autres masques. Par toutes ces actions parfois séduisantes, ils réussissent à casser de l’intérieur la résistance des peuples opprimés.
C’est le coopérant qui élabore, en tant que conseiller technique dans la plupart des ministères des pays nouvellement indépendants, les politiques de développement en y introduisant parfois des variables destinées à fausser à jamais l’équation du développement. C’est ce qui a conduit dans plusieurs pays à ce qu’on appelle des éléphants blancs représentés par un ensemble de projets foireux qui n’ont servi qu’à engloutir d’énormes sommes d’argent et à enrichir la kyrielle d’experts qui s’y sont penchés. Et ce n’est pas tout. C’est sur la base de ses recherches que les pays colonisateurs concoctent et signent avec les pays anciennement colonisés et nouvellement indépendants, des accords de coopération parfois léonins à leur propre profit. On parlerait pour citer un cas pratique du mécanisme du compte d’opération bien connu entre les pays de la zone CFA et la France. Ce sont ces accords qui ont tout simplement réorganisé des formes d’exploitation qui continuent aujourd’hui à maintenir les pays d’Afrique dans ce qu’on appelle le sous développement.
Lorsque la coopération nord sud est de plus en plus dénoncée et que la domination des pays du nord s’essouffle face à l’offensive des pays émergents, mais surtout grâce au harcèlement des ONG qui perturbent systématiquement les sommets des pays dits riches, une autre figure du « gentil policier » apparaît. Elle est portée par les promoteurs du développement solidaire. Ce concept trompeur voudrait tout simplement suggérer la communauté des destins entre l’Europe et l’Afrique. Et la matérialisation a commencé par la tentative de mise sur pieds de UPM (union pour la méditerranée). Historiquement, on n’a jamais vu un pays ou un groupe de pays puissants invités les autres considérés comme faibles ou affaiblis à leur table au nom d’une quelconque solidarité.
C’est à dire que bientôt la méditerranée, une partie de l’Afrique, en attendant de l’élargir à toute l’Afrique, et l’Europe se retrouveront dans un même forum pour penser ensemble leur développement. Et dire qu’il y a seulement quelques années, lorsque le Maroc de Hassan II avait émis le désir de se joindre à l’Union Européenne en raison de la proximité de son territoire avec l’Europe, il avait essuyé un rire moqueur de la part des tenants de l’Europe toute puissante. Croyez moi que cela est très gentil et contribuera à calmer plus d’un Africain que de savoir que l’Europe n’est plus le maître assis à l’étage supérieur essuyant ses pieds sur l’Afrique, mais que l’Afrique et l’Europe partagent désormais la même cabine dans le bateau monde. Cela le calmera, l’endormira et permettra à l’Europe de trouver la meilleure position pour continuer l’œuvre entamée il y a plusieurs siècles.
Et même lorsque les pays colonisateurs ont constaté que la coopération bilatérale est de plus en plus dénoncée par les ONG et par une résistance organisé dans les pays africains par des mouvements d’opposition, et que tôt ou tard, les accords iniques finiront par être mis à nu, ils ont tout simplement rétrocédé le rôle qu’ils détenaient jusque là à un troisième larron. Le « gentil policier » est apparu sous la figure des institutions de Brettons Wood et principalement la Banque mondiale qui est venue avec le discours du bon samaritain distribuant les aides, pansant les plaies causées par l’irresponsabilité des pays colonisateurs et surtout par le méchant confrère appelé Fond Monétaire International fort opportunément rebaptisé Fond de misère instantané par feu le professeur Tchuidjang Pouémi, parce que plus prompte à empoisonner constamment le malade pour justifier sa présence.
Dans la stratégie du « gentil policier », nous constatons qu’il s’agit juste de substituer un procédé démasqué par un autre plus subtil en poursuivant le même objectif. Le but étant de perdre l’autre pour mieux l’exploiter parfois avec son propre concours.
Une double escroquerie
Aujourd’hui, les produits estampillé « commerce équitable » prennent de plus en plus de place dans les supermarchés des pays du nord : « On trouve les produits équitables dans 55 000 supermarchés et plus de 2800 boutiques spécialisés ». D’après le site « actualités solidaires », « avec 60 à 70% des volumes commercialisés, l’Europe offre ses principaux débouchés au commerce équitable. Les ventes ont progressés de 20% par an depuis 2000. Ce qui fait du commerce équitable l’un des secteurs économiques les plus dynamiques d’Europe ». Le promoteur initial de l’idée, le Suisse Max Avelar, qui avait édité un livre sur le concept, fait face aujourd’hui à une très forte concurrence. Dans ces pays, les consommateurs de très bonne foi parfois, parce que croyant agir pour mettre fin à l’exploitation du petit producteur du sud se ruent sur ces produits et acceptent de payer un peu plus cher. L’acte qu’ils posent en payant quelques centimes d’euros supplémentaire est comparable à l’acte de charité qu’ils poseraient dans n’importe quel métro de Paris en donnant quelques piécettes à un mendiant venu leur conter son histoire. Mais, comme s’interroge si opportunément Bernard Conté « ne s’agit-il pas pour eux de se donner (ou de s’acheter) bonne conscience à moindre coût ? »
Ce qui est vrai aussi c’est que quelques paysans du sud, une partie infinitésimale de ces paysans exploités par les méchants négociants, arrivent à bénéficier effectivement du surplus payé par le consommateur d’Argenteuil en Banlieue parisienne par exemple. Ainsi, « 59 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine seraient bénéficiaires du commerce équitable en 2009. Au moins 200 organisations importent les produits équitables en Europe et l’ensemble de ces filières bénéficient à plus de 5 millions de producteurs dans les pays en voie de développement ». Mais le nombre de bénéficiaire est souvent tellement infime qu’on se demande parfois si le bruit fait autour de cette affaire en vaut vraiment la peine. Ces bruits, minutieusement organisés autour des campagnes médiatiques, ont quelque chose de soupçonneux. On parle de 5 millions su près de 2 à 3 milliards de paysans exploités dans le monde. Et les promoteurs du commerce équitable restent très discrets pour ce qui est du chiffre des retombées financières pour les producteurs du Sud. On a souvent vu construire une école, un dispensaire qui parfois ne fonctionnent réellement que le jour de leur inauguration et sombrent dès que les caméras s’éloignent.
Une première escroquerie vise la naïveté des consommateurs des pays du nord dont la générosité est utilisée à d’autres fins. Ils croient payer plus juste pour nourrir une bouche supplémentaire dans les pays du sud, mais leur action vient plutôt soutenir l’idéologie de la domination du sud conçu et mis en œuvre par les puissances d’argent. En effet, par leur action, les promoteurs du commerce équitable exploitent la générosité des consommateurs des pays du nord mais cherche en définitive à inscrire dans leur subconscient, le fait que leur générosité est nécessaire à la subsistance des peuples du sud. Mais une telle action apparemment anodine va plus loin et cherche à agir à la consolidation d’un axe toujours entretenu entre les peuples du nord et ceux du sud. Il s’agit de l’axe peuples dominants, peuples dominés ; peuples riches, peuples pauvres, peuples supérieurs, peuples inférieurs. Et cela se voit chaque jour dans le regard qu’un ressortissant d’un pays du nord pose sur un ressortissant d’un pays du sud. Un regard dévalorisé agrémenté par un discours misérabiliste. C’est sur ce terreau que fleurissent toutes les discriminations dont les peuples du sud sont l’objet de la part de leurs congénères du nord qui peinent parfois à leur reconnaître le statut d’être humain à part entière. Ils sont considérés comme des squatters du monde à qui il faut toujours venir en aide. Par leur manœuvre, les promoteurs du commerce dit équitable, sapent les bases de la coexistence pacifique des peuples dans le monde et contribuent malgré eux à rendre toujours plus fort, l’exploiteur des producteurs du sud.
La deuxième escroquerie vise l’autre naïveté : celle de quelques petits producteurs du sud bénéficiaires des miettes, et qui, parce que trompés par les campagnes médiatiques pensent que c’est le destin de tous les petits producteurs comme lui qui a changé en mieux, accepte sa condition, permettant ainsi à l’exploiteur de s’enrichir éternellement sur son dos. Les promoteurs du commerce équitable ont souvent poussé le cynisme au point de se faire accueillir en héros et se faire décorer dans plusieurs pays du sud où malheureusement des millions de paysans continuent de souffrir de la détérioration des termes de l’échange et de ne pas pouvoir vivre des fruits de leur exploitation. Pour le peuple du sud, l’action des promoteurs du commerce équitable, parce qu’elle fait reposer sa stratégie sur la générosité du consommateur du nord devant déboucher sur l’assistance au producteur du sud, est une opération prédatrice de dignité. Car, un peuple qui est présenté comme vivant essentiellement de la générosité des autres ne peut jamais être un peuple fier et digne.
Nous avons vu plus haut au l’action des promoteurs du commerce équitable s’inscrit parfaitement dans la théorie du « gentil policier ». Et que cette théorie n’est qu’un paravent déployé par l’exploiteur pour endormir l’adversaire trouver une meilleure position d’exploitation. Dès lors, il devient facile d’affirmer que le commerce équitable n’est en réalité qu’une opération de communication destiné à étouffer dans l’œuf l’action des ONG qui posent le même problème de l’exploitation du petit producteur du sud par les négociants du nord. L’objectif ultime étant de soigner l’image de l’exploiteur du nord et casser dans le sud toute tentative de résistance face à la spoliation.
Et pourtant des solutions nobles existent
Le vrai combat à mener pour permettre aux producteurs du sud de bénéficier de l’intégralité du fruit de leur labeur et remédier ainsi à la détérioration des termes de l’échange, tout le monde le connaît. Ce sont des combats à mener au sein de l’OMC, par exemple dans le cadre de la signature des fameux accords de partenariat économique (APE) qui opposent actuellement les pays du sud à ceux du nord. C’est ce combat que mènent tous les ONG dignes de ce nom. Malheureusement, dans ce combat, les promoteurs du commerce équitable se font moins visibles. Et cela se comprend, c’est un combat qui se situe aux antipodes des objectifs qu’ils poursuivent. On peut constater aussi que malheureusement, par mauvaise foi ou par simple cynisme, l’OMC n’est pas capable d’édicter des règles justes devant présider à la marche du commerce mondial.
On sait aussi par exemple que pour des produits cultivés simultanément au nord comme au sud, les pays du nord doivent sinon supprimer, du moins baisser substantiellement les subventions accordées à leurs agriculteurs pour permettre aux produits venus du sud d’être compétitifs sur les marchés du nord. Il faut dire que ceci est un combat perdu d’avance pour les pays du sud parce que, supprimer ces subventions, revient à remettre en cause l’un des fondements du modernisme qui fonde la société occidentale. Pour les produits cultivés uniquement dans les pays du sud, on sait que l’OMC, si elle voudrait vraiment servir à quelque chose, dispose de tous les moyens de droit pour permettre au négociant de payer le juste prix.
Si les règles de jeu en matière du commerce international sont révisées en vu d’y introduire plus de justesse, le petit producteur du sud gagnera plus d’argent en vendant la même quantité de produit. Il aura plus de moyens pour acheter les intrants et ayant plus de moyens il sera tenté par l’agrandissement de son exploitation. Du simple paysan, il deviendra un agriculteur autosuffisant aussi bien au niveau alimentaire qu’au niveau financier. La multiplication des agriculteurs permettra au pays de multiplier par deux voire par cinq son produit intérieur brut. Les revenus engrangés dans le secteur primaire, qui est d’ailleurs le secteur par lequel tout développement durable s’enclenche, viendront booster la consommation et permettre aux deux autres secteurs, secondaires et tertiaires de prendre de l’envol.
Ce schéma certes simplifié est connu de tous les économistes, y compris le moins qualifié d’entre eux. Sauf que dans le projet hégémonique des pays du nord, cela agira comme un grain de sable dans la machine. Ce projet hégémonique intègre le sud comme un fonds de commerce humanitaire, une région peuplée de populations auxquelles l’occident, dans sa générosité infinie, doit toujours venir en aide.
Cette manœuvre de l’aide permet aux dirigeants de se donner bonne conscience devant leur peuple, lui aussi constamment grugé. Et afficher ainsi un visage humain aux yeux du monde. Donc, si le sud se développe, il mettra fin ipso facto à toutes les opérations de charme en trompe l’œil qui ont si souvent marqué la coopération nord sud. Ces actions concerne la dette qui permet de maintenir les autres toujours obligés vis à vis du « bienfaiteur » ; de l’aide publique au développement qui fait triompher constamment l’adage qui dit que la main qui reçoit est toujours placée en dessous de celle qui donne et anéanti de ce fait la dignité des peuples du sud ; de toutes les autres initiatives qui rentrent dans ce qu’on appelle pompeusement, développement solidaire. Dans cette stratégie d’endormissement du sud, les promoteurs du commerce équitable occupent une place de choix et il était nécessaire de le dénoncer.
Etienne de Tayo
Journaliste
Promoteur Afrique Intègre
Auteur de l’ouvrage : « Pour la Dignité de l’Afrique, laissez-nous crever » aux Editions Menaibuc
Mais c’est lorsqu’une idée est séduisante qu’il faut le plus s’en méfier surtout dans un monde où l’homme s’est toujours caractérisé par sa cupidité et même sa méchanceté. Une telle idée peut dissimuler un gros piège ou du moins participer d’une stratégie de diversion face à un problème réel et prégnant : le problème de l’équité dans le commerce Nord-Sud. Allons-y donc voir de quoi cela retourne.
Les promoteurs du commerce équitable ont mené la même analyse que tous les ONG de bonne foi par rapport aux échanges commerciaux nord-sud et surtout par rapport à un déséquilibre et à une détérioration constante des termes de l’échange. Ce déséquilibre comme on le sait, continue de maintenir le producteur du sud dans une pauvreté parfois abjecte alors que le négociant du nord, du simple fait qu’il contrôle le circuit de distribution et fixe les prix, plastronne dans l’opulence. Le produit intérieur brut d’un pays n’étant que la somme des valeurs ajoutées des opérateurs économiques, les pays du sud sont maintenus dans la pauvreté alors que les pays du nord nagent dans la prospérité.
Pour le comprendre le caractère inique du commerce international que le commerce équitable souhaite corriger, prenons un cas d’école. Un kilogramme de café produit à Dschang dans l’ouest du Cameroun est acheté au producteur local à 800 F CFA, c’est à dire 1,21 euros. Pour produire ce kilogramme de café et, en raison d’une très faible productivité des plantations, le planteur de Dschang a besoin en moyenne de 20 kilogrammes d’engrais pour ne prendre que le cas de cet intrant parmi tant d’autres. Je bloque volontairement des variables comme les pesticides ou encore la rémunération de son propre travail en supposant que toutes choses égales par ailleurs. Un kilogramme d’engrais parvenu à Dschang et sans spéculation coûte 170 F CFA c’est à dire 0,26 euros. Pour produire un kilogramme de café, il en faut 20, cela coûte 3400 F CFA d’engrais soit 5,20 euros. A ce niveau, nous pouvons déjà relever que le kilogramme de café est vendu par le producteur de Dschang, à un prix 5 fois inférieur au coût d’un seul intrant qu’est l’engrais. Evidemment, cela ne lui permettra jamais d’étendre son exploitation et il restera à jamais un homme pauvre travaillant pour la richesse des autres.
Venons maintenant au lieu de consommation du précieux liquide noir issu du café moulu tant prisé dans les pays froids, pour voir ce que le kilogramme du café du producteur de Dschang, rapporte au négociant parisien ou même au détaillant qui se trouve en bout de chaîne. Prenons le détaillant et voyons une machine de distribution de café, bien serré, dans n’importe quelle gare ou métro de Paris. La « dosette », qui n’a reçu pour tout produit complémentaire qu’un morceau de sucre – et parfois pas d’ailleurs - est vendue à 1 euro, c’est à dire 657 F CFA. Selon les spécialistes, un kilogramme de café moulu permet d’avoir entre 60 et 70 « dosettes ». Prenons la moyenne de 65 « dosettes ». Cela veut dire qu’un kilogramme de café rapporte au détaillant 65 euros soit 42 705 F CFA, c’est à dire 53 fois le prix du kilogramme acheté au producteur de Dschang qui est de 800 F CFA. Il faut dire que si je devais prendre une dosette vendue dans un café situé sur les Champs-Elysées ou dans quelque hôtel chic de la place, le différentiel serait double voire triple. Même si nous devions prendre en compte toutes les charges occasionnées par le transport, la manutention, la torréfaction et même d’autres charges inhérentes au niveau de vie élevé en Europe, cela n’explique pas que le profit soit de l’ordre d’un multiple de 50.
Voilà donc l’analyse, parfois révoltante, que les promoteurs du commerce équitable ont dû conduire. Cela a tout l’air d’une prise de conscience tout ce qu’il y a de normal. Ils sont parvenus à la conclusion, comme tout analyste lucide, qu’il y a quelque part une exploitation éhontée du petit producteur du sud par les négociants et les détaillants du nord. Mais c’est au niveau des solutions à apporter à ce scandale que les promoteurs du commerce équitable se sont laissé enfermer dans des démarches empreintes de charité et d’assistance éternelle aux pays du sud là où il faut se battre pour rendre les règles de jeu plus justes pour tout le monde.
Tels qu’ils veulent se présenter, les promoteurs du commerce équitable arrivent pour corriger ce que les méchants négociants font aux petits producteurs des pays du sud. Mais lorsqu’on décrypte leur démarche, on constate qu’elle est bâtie à partir des mêmes théories que celles sur lesquelles sont construites les stratégies de spoliation des pays du sud. A savoir la théorie du centre et de la périphérie dévoilée par Samir Amin et qui fait du sud périphérique, la vache à lait éternelle des pays du nord situés au centre.
C’est en fait pour couvrir cette théorie d’exploitation que toute sorte d’initiatives sont lancées en vue dit-on d’assister les pays du sud et les accompagner dans leur développement. On peut citer la théorie de l’aide au développement qui masque le plus gros scandale de la coopération Nord Sud. Ces initiatives d’apparence généreuses, devant agir comme un voile qui couvre en réalité la vaste opération d’exploitation. Cette démarche, en maintenant le sud au rang d’éternel assisté, détruit la dignité de ses peuples et les condamne à vivre à la marge du monde.
L’action des promoteurs du commerce équitable vise ainsi à couvrir le bruit que font les actions des ONG et de toutes les âmes de bonne foi qui interpellent constamment les pays du nord et les organisations en charge de la régulation du commerce international afin que les règles plus justes soient édictées. Cette action vise aussi à exploiter la naïveté du consommateur du Nord qui, toujours tenu dans l’ignorance de qu’est la réalité de la coopération Nord Sud, pourrait à son niveau assister ces peuples attardés.
La stratégie du « gentil policier »
Nous avons vu que les promoteurs du commerce équitable tiennent le même discours que certains ONG de bonne foi. Ils dénoncent ceux qui les ont précédé, ont pillé et appauvrissent encore les paysans du sud, les ont soumis au travail forcé pour profiter du fruit de leur travail. Ils disent vouloir remédier à cette situation. Mais puisque à l’égard du producteur du sud ils ont la même perception que ceux qui les ont précédé, c’est à dire des hommes et femmes qui ne peuvent survivre que grâce à la générosité du consommateur du nord, laquelle remplace la générosité des Etats du Nord, j’arrive à la conclusion qu’entre les gentils promoteurs du commerce équitable et les méchants exploiteurs des paysans du sud, c’est bonnet blanc, blanc bonnet. Le promoteur du commerce équitable n’est que ce « gentil policier » que tous ceux qui ont côtoyé les commissariats connaissent très bien.
Dans un commissariat, c’est connu, le policier le plus dangereux n’est pas celui qui vient vous frapper en vociférant toute sorte d’insanités à votre endroit. Le plus dangereux, c’est celui qui vient après, alors que l’autre vous a ensanglanté le visage. Le second policier qui vient vous parle souvent d’humanisme, des droits de l’homme et dénonce même les agissements de celui qui l’a précédé. Mais tout cela ne vise qu’à vous endormir, pour vous tirer les vers du nez et obtenir ce qui servira à votre condamnation. Et si les policiers ont adopté cette stratégie du faux gentil et du vrai méchant ou du vrai gentil et du faux méchant, ils ne l’ont pourtant pas inventé. Ils l’ont adopté parce qu’elle a fait ses preuves ailleurs. Par exemple dans les stratégies d’hégémonie que tous les peuples dominateurs ont toujours mis en place pour conquérir les territoires, soumettre leurs peuples et exploiter leurs richesses sans que ceux ci parviennent à la révolte.
Prenons par exemple le cas des rapports entre l’Europe d’abord esclavagiste puis colonialiste et enfin coopérante et l’Afrique, pour mieux expliciter cette stratégie du « gentil policier ». Lorsque au milieu du 17e siècle, l’Europe décide de mettre fin à l’esclavage pratiqué depuis 4 siècles et qui a permis à une catégorie de personnes, les esclavagistes en l’occurrence, de s’enrichir en réduisant les peuples africains au rang des bêtes de traite, le masque du « gentil policier » est apparu pour casser la résistance qui s’organisait partout pour lui faire payer ses crimes à l’esclavagiste. L’esclavagiste avait créé sur le continent une industrie de production des esclaves. L’indigène était transformé en un élément d’un vaste troupeau destiné à être pourchassé dans la brousse, à être attrapé et à être conduit au bateau. Ceci rendait la vie des hommes ordinaires insupportable sur le continent.
Mais partout ailleurs, la résistance des peuples s’organisait pour s’élever contre la pratique de l’esclavage. L’esclavagiste lui-même a fait un calcul simple et a constaté que cela lui coûtait même cher de transporter les esclaves jusqu’en Amérique. Il a compris qu’il peut utiliser les mêmes personnes sur place pour des travaux similaires mais il faut qu’il change de visage en portant un autre masque. C’est ainsi que d’autres personnes sont venues sous d’autres visages, avec d’autres formes de discours et tendant à dénoncer les agissements de l’esclavagiste dont l’inhumanisme consistait à transporter des êtres humains comme des bêtes sauvages. C’est le masque du colonisateur qui est apparu. Il avait tout le loisir de dire aux peuples jadis esclavagisés : « moi au moins, je vous donne votre humanité. Pour moi, vous n’êtes plus des bêtes de somme mais des êtres humains, juste un peu inférieur que moi mais des êtres humains tout de même. Et puis, pour vous montrer que je vous considère comme des êtres humains, je vous apporte la civilisation ».
Ce discours charmeur a permis de casser la résistance des Africains et imposer la colonisation. Mais les historiens qui se sont penchés sur cette période de l’histoire africaine, affirment que le travail forcé, largement pratiqué pendant la colonisation, a été parfois plus cruel que l’esclavage. C’est justement pendant ce travail forcé que les Belges de la société Witaker ont mis sur pieds une politique consistant à leur couper le bras à tous les indigènes qui n’avaient pas atteint une certaine quantité fixée de l’hévéa récoltée. C’est pendant cette période de la colonisation censée corriger les atrocités de l’esclavage et apporter l’humanité aux indigènes, que des millions d’Africains sont morts dans des chantiers de construction de chemins de fer au Cameroun, en Afrique du Sud, au Zimbabwe… Cela se voit que le « gentil policier » colonialiste a été plus dangereux et plus cruel que l’esclavagiste, si tant est qu’une cruauté peut être moindre qu’une autre.
Par la suite, lorsque la prise de conscience a été faite et que les populations ont commencé à s’organiser contre les atrocités de la colonisation, notamment par syndicats ou même les mouvements de résistance, un autre masque du « gentil policier » est apparu. C’est le masque du coopérant. C’est un monsieur très gentil et affable. Il s’infiltre dans la population et procède par recherche participative. Ils mangent ce que les indigènes mangent, s’habille comme eux. Une fois en vacance dans mon village, j’ai constaté la présence d’une volontaire. Elle était très appréciée des villageois parce qu’elle faisait tout comme eux. Apparemment désargentée, elle se faisait transporter à moto. J’ai discuté avec elle et elle m’a dit qu’elle était une étudiante et que ce qu’elle faisait rentrait dans le cadre de son stage. Mais quelques semaines après, tout à fait par hasard, je l’ai rencontrée à Yaoundé, à l’hôtel Hilton où elle était descendue. Elle a semblé ne pas me reconnaître et ne pas se souvenir de notre rencontre. J’ai compris et je n’ai pas insisté.
Certains coopérants n’hésitent pas à porter la soutane pour faire plus anodin. Et parlant justement de la soutane, lorsque j’étais jeune au Cameroun, j’avais en face de chez moi un pasteur de l’église évangile du Cameroun. Il était d’origine allemande. Il vivait dans un couple tout ce qu’il y a d’ordinaire. Il avait des jumeaux d’à peine 6ans. Grâce aux bananes mûres que j’avais toujours à la maison, je bénéficiais de la visite constante de ces enfants qui en raffolaient. Un jour, l’un d’eux m’a dit qu’en Allemagne, son père était policier. N’approuvant pas une telle indiscrétion, son frère est allé le trahir à sa mère. Cette dernière est venue et avec une de ces rares violence a entraîné le petit dans la barrière et lui disant de ne plus jamais mettre les pieds chez moi. Sur le coup, avec le regard de l’enfant que j’étais, je ne voyais rien, je ne comprenais rien. Juste une maman courroucée par un enfant un peu trop bavard.
Les coopérants ont été des agents propagateurs des théories dominantes telles l’évolutionnisme ou encore le diffusionnisme. Ils dénoncent le colonisateur avec une virulence qui rassure. Prenant le masque du chercheur, ils étudient les modes d’organisation des peuples colonisés en cherchant des failles par lesquelles on fera passer des tubes d’exploitation. C’est le travail qui a été celui des anthropologues de la colonisation par exemple. Ils contribuent à construire ce que les autres appelleront plus tard les acquis positifs de la colonisation et tenteront de les utiliser pour faire passer la pilule de la colonisation et préparer l’arrivée d’autres têtes portant d’autres masques. Par toutes ces actions parfois séduisantes, ils réussissent à casser de l’intérieur la résistance des peuples opprimés.
C’est le coopérant qui élabore, en tant que conseiller technique dans la plupart des ministères des pays nouvellement indépendants, les politiques de développement en y introduisant parfois des variables destinées à fausser à jamais l’équation du développement. C’est ce qui a conduit dans plusieurs pays à ce qu’on appelle des éléphants blancs représentés par un ensemble de projets foireux qui n’ont servi qu’à engloutir d’énormes sommes d’argent et à enrichir la kyrielle d’experts qui s’y sont penchés. Et ce n’est pas tout. C’est sur la base de ses recherches que les pays colonisateurs concoctent et signent avec les pays anciennement colonisés et nouvellement indépendants, des accords de coopération parfois léonins à leur propre profit. On parlerait pour citer un cas pratique du mécanisme du compte d’opération bien connu entre les pays de la zone CFA et la France. Ce sont ces accords qui ont tout simplement réorganisé des formes d’exploitation qui continuent aujourd’hui à maintenir les pays d’Afrique dans ce qu’on appelle le sous développement.
Lorsque la coopération nord sud est de plus en plus dénoncée et que la domination des pays du nord s’essouffle face à l’offensive des pays émergents, mais surtout grâce au harcèlement des ONG qui perturbent systématiquement les sommets des pays dits riches, une autre figure du « gentil policier » apparaît. Elle est portée par les promoteurs du développement solidaire. Ce concept trompeur voudrait tout simplement suggérer la communauté des destins entre l’Europe et l’Afrique. Et la matérialisation a commencé par la tentative de mise sur pieds de UPM (union pour la méditerranée). Historiquement, on n’a jamais vu un pays ou un groupe de pays puissants invités les autres considérés comme faibles ou affaiblis à leur table au nom d’une quelconque solidarité.
C’est à dire que bientôt la méditerranée, une partie de l’Afrique, en attendant de l’élargir à toute l’Afrique, et l’Europe se retrouveront dans un même forum pour penser ensemble leur développement. Et dire qu’il y a seulement quelques années, lorsque le Maroc de Hassan II avait émis le désir de se joindre à l’Union Européenne en raison de la proximité de son territoire avec l’Europe, il avait essuyé un rire moqueur de la part des tenants de l’Europe toute puissante. Croyez moi que cela est très gentil et contribuera à calmer plus d’un Africain que de savoir que l’Europe n’est plus le maître assis à l’étage supérieur essuyant ses pieds sur l’Afrique, mais que l’Afrique et l’Europe partagent désormais la même cabine dans le bateau monde. Cela le calmera, l’endormira et permettra à l’Europe de trouver la meilleure position pour continuer l’œuvre entamée il y a plusieurs siècles.
Et même lorsque les pays colonisateurs ont constaté que la coopération bilatérale est de plus en plus dénoncée par les ONG et par une résistance organisé dans les pays africains par des mouvements d’opposition, et que tôt ou tard, les accords iniques finiront par être mis à nu, ils ont tout simplement rétrocédé le rôle qu’ils détenaient jusque là à un troisième larron. Le « gentil policier » est apparu sous la figure des institutions de Brettons Wood et principalement la Banque mondiale qui est venue avec le discours du bon samaritain distribuant les aides, pansant les plaies causées par l’irresponsabilité des pays colonisateurs et surtout par le méchant confrère appelé Fond Monétaire International fort opportunément rebaptisé Fond de misère instantané par feu le professeur Tchuidjang Pouémi, parce que plus prompte à empoisonner constamment le malade pour justifier sa présence.
Dans la stratégie du « gentil policier », nous constatons qu’il s’agit juste de substituer un procédé démasqué par un autre plus subtil en poursuivant le même objectif. Le but étant de perdre l’autre pour mieux l’exploiter parfois avec son propre concours.
Une double escroquerie
Aujourd’hui, les produits estampillé « commerce équitable » prennent de plus en plus de place dans les supermarchés des pays du nord : « On trouve les produits équitables dans 55 000 supermarchés et plus de 2800 boutiques spécialisés ». D’après le site « actualités solidaires », « avec 60 à 70% des volumes commercialisés, l’Europe offre ses principaux débouchés au commerce équitable. Les ventes ont progressés de 20% par an depuis 2000. Ce qui fait du commerce équitable l’un des secteurs économiques les plus dynamiques d’Europe ». Le promoteur initial de l’idée, le Suisse Max Avelar, qui avait édité un livre sur le concept, fait face aujourd’hui à une très forte concurrence. Dans ces pays, les consommateurs de très bonne foi parfois, parce que croyant agir pour mettre fin à l’exploitation du petit producteur du sud se ruent sur ces produits et acceptent de payer un peu plus cher. L’acte qu’ils posent en payant quelques centimes d’euros supplémentaire est comparable à l’acte de charité qu’ils poseraient dans n’importe quel métro de Paris en donnant quelques piécettes à un mendiant venu leur conter son histoire. Mais, comme s’interroge si opportunément Bernard Conté « ne s’agit-il pas pour eux de se donner (ou de s’acheter) bonne conscience à moindre coût ? »
Ce qui est vrai aussi c’est que quelques paysans du sud, une partie infinitésimale de ces paysans exploités par les méchants négociants, arrivent à bénéficier effectivement du surplus payé par le consommateur d’Argenteuil en Banlieue parisienne par exemple. Ainsi, « 59 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine seraient bénéficiaires du commerce équitable en 2009. Au moins 200 organisations importent les produits équitables en Europe et l’ensemble de ces filières bénéficient à plus de 5 millions de producteurs dans les pays en voie de développement ». Mais le nombre de bénéficiaire est souvent tellement infime qu’on se demande parfois si le bruit fait autour de cette affaire en vaut vraiment la peine. Ces bruits, minutieusement organisés autour des campagnes médiatiques, ont quelque chose de soupçonneux. On parle de 5 millions su près de 2 à 3 milliards de paysans exploités dans le monde. Et les promoteurs du commerce équitable restent très discrets pour ce qui est du chiffre des retombées financières pour les producteurs du Sud. On a souvent vu construire une école, un dispensaire qui parfois ne fonctionnent réellement que le jour de leur inauguration et sombrent dès que les caméras s’éloignent.
Une première escroquerie vise la naïveté des consommateurs des pays du nord dont la générosité est utilisée à d’autres fins. Ils croient payer plus juste pour nourrir une bouche supplémentaire dans les pays du sud, mais leur action vient plutôt soutenir l’idéologie de la domination du sud conçu et mis en œuvre par les puissances d’argent. En effet, par leur action, les promoteurs du commerce équitable exploitent la générosité des consommateurs des pays du nord mais cherche en définitive à inscrire dans leur subconscient, le fait que leur générosité est nécessaire à la subsistance des peuples du sud. Mais une telle action apparemment anodine va plus loin et cherche à agir à la consolidation d’un axe toujours entretenu entre les peuples du nord et ceux du sud. Il s’agit de l’axe peuples dominants, peuples dominés ; peuples riches, peuples pauvres, peuples supérieurs, peuples inférieurs. Et cela se voit chaque jour dans le regard qu’un ressortissant d’un pays du nord pose sur un ressortissant d’un pays du sud. Un regard dévalorisé agrémenté par un discours misérabiliste. C’est sur ce terreau que fleurissent toutes les discriminations dont les peuples du sud sont l’objet de la part de leurs congénères du nord qui peinent parfois à leur reconnaître le statut d’être humain à part entière. Ils sont considérés comme des squatters du monde à qui il faut toujours venir en aide. Par leur manœuvre, les promoteurs du commerce dit équitable, sapent les bases de la coexistence pacifique des peuples dans le monde et contribuent malgré eux à rendre toujours plus fort, l’exploiteur des producteurs du sud.
La deuxième escroquerie vise l’autre naïveté : celle de quelques petits producteurs du sud bénéficiaires des miettes, et qui, parce que trompés par les campagnes médiatiques pensent que c’est le destin de tous les petits producteurs comme lui qui a changé en mieux, accepte sa condition, permettant ainsi à l’exploiteur de s’enrichir éternellement sur son dos. Les promoteurs du commerce équitable ont souvent poussé le cynisme au point de se faire accueillir en héros et se faire décorer dans plusieurs pays du sud où malheureusement des millions de paysans continuent de souffrir de la détérioration des termes de l’échange et de ne pas pouvoir vivre des fruits de leur exploitation. Pour le peuple du sud, l’action des promoteurs du commerce équitable, parce qu’elle fait reposer sa stratégie sur la générosité du consommateur du nord devant déboucher sur l’assistance au producteur du sud, est une opération prédatrice de dignité. Car, un peuple qui est présenté comme vivant essentiellement de la générosité des autres ne peut jamais être un peuple fier et digne.
Nous avons vu plus haut au l’action des promoteurs du commerce équitable s’inscrit parfaitement dans la théorie du « gentil policier ». Et que cette théorie n’est qu’un paravent déployé par l’exploiteur pour endormir l’adversaire trouver une meilleure position d’exploitation. Dès lors, il devient facile d’affirmer que le commerce équitable n’est en réalité qu’une opération de communication destiné à étouffer dans l’œuf l’action des ONG qui posent le même problème de l’exploitation du petit producteur du sud par les négociants du nord. L’objectif ultime étant de soigner l’image de l’exploiteur du nord et casser dans le sud toute tentative de résistance face à la spoliation.
Et pourtant des solutions nobles existent
Le vrai combat à mener pour permettre aux producteurs du sud de bénéficier de l’intégralité du fruit de leur labeur et remédier ainsi à la détérioration des termes de l’échange, tout le monde le connaît. Ce sont des combats à mener au sein de l’OMC, par exemple dans le cadre de la signature des fameux accords de partenariat économique (APE) qui opposent actuellement les pays du sud à ceux du nord. C’est ce combat que mènent tous les ONG dignes de ce nom. Malheureusement, dans ce combat, les promoteurs du commerce équitable se font moins visibles. Et cela se comprend, c’est un combat qui se situe aux antipodes des objectifs qu’ils poursuivent. On peut constater aussi que malheureusement, par mauvaise foi ou par simple cynisme, l’OMC n’est pas capable d’édicter des règles justes devant présider à la marche du commerce mondial.
On sait aussi par exemple que pour des produits cultivés simultanément au nord comme au sud, les pays du nord doivent sinon supprimer, du moins baisser substantiellement les subventions accordées à leurs agriculteurs pour permettre aux produits venus du sud d’être compétitifs sur les marchés du nord. Il faut dire que ceci est un combat perdu d’avance pour les pays du sud parce que, supprimer ces subventions, revient à remettre en cause l’un des fondements du modernisme qui fonde la société occidentale. Pour les produits cultivés uniquement dans les pays du sud, on sait que l’OMC, si elle voudrait vraiment servir à quelque chose, dispose de tous les moyens de droit pour permettre au négociant de payer le juste prix.
Si les règles de jeu en matière du commerce international sont révisées en vu d’y introduire plus de justesse, le petit producteur du sud gagnera plus d’argent en vendant la même quantité de produit. Il aura plus de moyens pour acheter les intrants et ayant plus de moyens il sera tenté par l’agrandissement de son exploitation. Du simple paysan, il deviendra un agriculteur autosuffisant aussi bien au niveau alimentaire qu’au niveau financier. La multiplication des agriculteurs permettra au pays de multiplier par deux voire par cinq son produit intérieur brut. Les revenus engrangés dans le secteur primaire, qui est d’ailleurs le secteur par lequel tout développement durable s’enclenche, viendront booster la consommation et permettre aux deux autres secteurs, secondaires et tertiaires de prendre de l’envol.
Ce schéma certes simplifié est connu de tous les économistes, y compris le moins qualifié d’entre eux. Sauf que dans le projet hégémonique des pays du nord, cela agira comme un grain de sable dans la machine. Ce projet hégémonique intègre le sud comme un fonds de commerce humanitaire, une région peuplée de populations auxquelles l’occident, dans sa générosité infinie, doit toujours venir en aide.
Cette manœuvre de l’aide permet aux dirigeants de se donner bonne conscience devant leur peuple, lui aussi constamment grugé. Et afficher ainsi un visage humain aux yeux du monde. Donc, si le sud se développe, il mettra fin ipso facto à toutes les opérations de charme en trompe l’œil qui ont si souvent marqué la coopération nord sud. Ces actions concerne la dette qui permet de maintenir les autres toujours obligés vis à vis du « bienfaiteur » ; de l’aide publique au développement qui fait triompher constamment l’adage qui dit que la main qui reçoit est toujours placée en dessous de celle qui donne et anéanti de ce fait la dignité des peuples du sud ; de toutes les autres initiatives qui rentrent dans ce qu’on appelle pompeusement, développement solidaire. Dans cette stratégie d’endormissement du sud, les promoteurs du commerce équitable occupent une place de choix et il était nécessaire de le dénoncer.
Etienne de Tayo
Journaliste
Promoteur Afrique Intègre
Auteur de l’ouvrage : « Pour la Dignité de l’Afrique, laissez-nous crever » aux Editions Menaibuc
1 commentaire:
Merci de cet article destructeur pour le commerce équitable !
En bon journaliste, vérifiez vos sources "Le promoteur initial de l’idée, le Suisse Max Avelar, qui avait édité un livre sur le concept" ! Apparement, je vois que cela se passe bien pour vous, alors pensez aussi au 5 millions de petits producteurs que l'on aide quand même à vivre ! Ne faisons pas que "Maudire les ténèbres ..." ! Soyons contructif ! Merci !
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