mardi 12 avril 2011

COTE D'IVOIRE : QUI GOUVERNE?


Le Boulanger et le greffon

J’étais en train de mettre la dernière main sur cette réflexion lorsque, comme je le pressentais déjà, la France et l’ONU ont aidé Alassane Ouattara et Guillaume Soro à conclure, par l’arrestation de Laurent Gbagbo et de ses proches, un coup d’Etat engagé le 19 septembre 2002. Près de 10 ans pour réussir un coup d’Etat !

Qui gouverne en Côte d’Ivoire ? La question peut paraître superflue pour ceux qui veulent aller vite en besogne en prenant des raccourcis anti-démocratiques pour imposer Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire. Et pourtant, la réponse n’est pas aussi évidente.

Qu’est ce qui s’est passé et se passe réellement en Côte d’Ivoire ? Aidés par l’armée française et l’ONU, des miliciens pro-Ouattara ont arrêté le chef de l’Etat sortant, Laurent Gbagbo et l’ont livré à Alassane Ouattara, qui s’était auto proclamé vainqueur de la présidentielle de novembre 2010.

On constate que certaines personnes dont la communauté internationale en tête veulent transformer cette victoire militaire en triomphe politique. Un amalgame qui risque nous faire passer d’un hold-up électoral dont était accusé Laurent Gbagbo à une sorte de mise entre parenthèse de la démocratie du fait de la prise du pouvoir par les armes et d’une tentative de sa légitimation par les médias.

Le greffon de Côte d’Ivoire

La Côte d’Ivoire souffrait donc depuis la dernière élection présidentielle, d’un mal de cœur, la France et l’ONU viennent de lui placer un greffon en la personne de Alassane Ouattara. Maintenant, il faut que le greffon prenne et qu’on prévienne tout problème de rejet. Car, malgré les apparences et la volonté de ses maîtres de l’imposer comme président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara souffre d’un réel problème de légitimité. Cela se voit qu’il a un problème de mobilisation de la population. La chute de son adversaire, pourtant l’événement majeur, n’a pas provoqué des liesses populaires comme cela aurait pu être le cas. La peur ne justifie pas tout.

Au lendemain du deuxième tour de la présidentielle controversée, Alassane Ouattara « s’est présenté comme président élu de la Côte d’Ivoire s’appuyant sur les résultats provisoires de la commission électorale indépendante (CEI) qui le créditait de 54,1% ». Résultats proclamés, le 02 décembre 2010 par le président de la CEI, acquis à sa cause, hors délai, dans l’enceinte du Golfe Hôtel, QG de campagne du candidat Ouattara. Résultats néanmoins certifiés par la mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire comme le prévoit les accords de Ouagadougou. Après la proclamation et la certification des résultats, Ouattara « a prêté serment au travers d’un courrier envoyé au président de la cour constitutionnelle de Côte d’Ivoire ».

Les sorties de Alassane Dramane Ouattara en Côte d’ivoire dans la TCI, une télévision privée qui lui est très proche, outre le fait qu’elles participent d’une volonté de privatisation du pouvoir, montre bien sa volonté d’enfiler la toge de président de la République. Mais suffit t-il de déclamer des discours en adoptant un ton présidentiel, le drapeau de Côte d’ivoire hissé en arrière plan, pour recevoir ipso facto l’onction du pouvoir ?

En procédant à l’arrestation de son adversaire, ou en se le faisant livrer par la France, selon les versions, Alassane Ouattara a réussi à faire main basse sur l’un des symboles du pouvoir ivoirien qu’est le président de la République. Mais pour n’avoir pas encore été déclaré vainqueur par la cour constitutionnelle et pour n’avoir pas prêté serment devant une institution ivoirienne, son pouvoir reste à construire. Sauf à penser qu’ayant pris le pouvoir par la force comme n’importe quel chef de guerre, il devra rapidement organiser une élection présidentielle pour se légitimer.

Que de questions !

Finalement, au lieu d’une sortie de crise, l’arrestation de Laurent Gbagbo malheureusement entachée d’une volonté d’humiliation par ses adversaires et, le revirement stratégique de Alassane Ouattara visant à faire à son tour une sorte de hold-up électoral, en rajoute à la panoplie de questions en même temps qu’ils donneront du grain à moudre aux juristes et autres politologues : c’est quoi le pouvoir ? Comment se présente t-il physiquement et symboliquement ? Comment se matérialise t-il ? Peut-on le dissocier des symboles qui le caractérisent ? Peut-on s’octroyer un pouvoir sans faire main basse sur ses symboles ? En renonçant à donner une dimension symbolique à son du pouvoir, notamment par une prestation de serment en bonne et due forme, Alassane Ouattara ne renonce t-il pas tout simplement à la réalité de ce pouvoir ? Suffit-il de prononcer un discours dans un ton à la fois martial, emphatique et émotionnel en érigeant le drapeau de la Côte d’ivoire derrière soi et en adoptant l’attitude d’un homme d’Etat, pour recevoir le pouvoir comme d’autres reçoivent le Saint Esprit ? Le faisant, en quoi diffère t-on du comédien qui joue la représentation du président de la République ? Faut-il comme pensent certains faire du président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, Mamadou Koulibaly, le président de la République par intérim qui organisera la transition jusqu’à éventuellement l’investiture de Alassane Ouattara s’il est démontré que ce dernier a été effectivement élu ou à une reprise des élections si les parties n’arrivent pas à se départager ? Comme on le voit, le chemin est encore long pour répondre sereinement à la question de la légitimité du pouvoir actuel en Côte d’Ivoire.

Le pouvoir et ses symboles

Dans la perspective du traitement de cette problématique, nous pouvons émettre l’hypothèse selon la quelle, un pouvoir ne vaut que par ses symboles. Et en décryptant le cours de la crise post électorale depuis le lendemain de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010, nous pourrons répondre à la question que certains semblent ne plus vouloir entendre : qui gouverne en Côte d’ivoire ?
Le pouvoir politique est celui qu’on reconnaît à une personne ou à un groupe de fixer les règles qui s’appliquent à la population sur un territoire donné. « Traditionnellement, d’après le site wikipédia, le pouvoir politique se fonde et se maintient au moyen de la puissance militaire, en accumulant les richesses et en acquérant la connaissance ». Mais le pouvoir vaut aussi et surtout par ses symboles qui, pour le cas d’un pays, sont les institutions dont le président de la République en est, l’armée, les médias d’Etat, les monuments et bien d’autres.

D’après notre hypothèse, les symboles sont le révélateur du pouvoir. C’est uniquement à leur contact que celui-ci se révèle et prend réellement corps. Or, on constate que depuis l’éclatement de crise post électorale, jusqu’à ce qu’il se présente, dans son adresse à la nation comme le président de tous les ivoiriens, Alassane Dramane Ouattara a toujours évolué en dehors des symboles du pouvoir ivoirien. C’est vrai qu’il peut arguer le fait qu’il en était tenu hors par le président sortant qui refusait de lui céder le pouvoir. Alors, ne fallait-il pas attendre de se saisir de l’entièreté de ces symboles et se faire investir pour se proclamer président de tous les ivoiriens ?

Les voies de traverse

Il faut relever ici le fait que le Golf Hôtel où Ouattara a construit son pouvoir, malgré sa stature majestueuse, n’a rien d’un symbole du pouvoir. C’est vrai que Ouattara peut se prévaloir des circonstances atténuantes en présentant le fait pour le Golf Hôtel d’être sous blocus des forces de son rival Laurent Gbagbo comme une entorse à sa liberté de circulation et à sa capacité à accéder aux lieux du pouvoir. Mais ces circonstances atténuantes ne transforment pas un lieu privé en symbole du pouvoir. De même son discours de président a été prononcé et diffusé par une télévision privée qui elle aussi est loin d’être un symbole du pouvoir.

Comme on le voit, la France et l’ONU se sont donné pour mission d’hisser Ouattara au trône de Côte d’ivoire par tous les moyens. Ils y sont parvenus parce que cela devenait un problème d’orgueil. Néanmoins, on constate qu’une certaine précipitation, qui ne s’explique pas uniquement par le souci de sauver des vies humaines, risque entacher cette mission d’énormes irrégularités de même que cela créera un précédent grave pour le droit international.

Et demain la Côte d'Ivoire

De même, de son coté, Ouattara doit se retrouver dans une position très ambigüe et très inconfortable. Jusqu’à bout, Ouattara a voulu éviter au moins deux choses : ne pas apparaître comme un chef de guerre, tâche confiée à Guillaume Soro depuis 2002. Ne pas apparaître comme l’homme de la France et des puissances étrangères qui tentent la recolonisation de la Côte d’Ivoire à travers lui.

Et pourtant, c’est l’image qui lui va aujourd’hui comme un gant. Ouattara voulait, comme le lui recommandent ses maîtres, être le modèle de démocrate arrivant au pouvoir au travers des élections, l’histoire risque ne retenir de lui que l’image d’un putschiste qui a utilisé les armes pour parvenir au pouvoir en enjambant des montagnes de cadavres et en humiliant son adversaire.

Maintenant que l’homme le plus haï du monde a été arrêté, humilié, que va-t-il se passer en Côte d’Ivoire ? Pour le moment, parce qu’il est le vainqueur de la partie, toutes les cartes sont entre les mains d’Alassane Ouattara. Il peut décider d’être le démocrate et le réconciliateur. Pour cela, il faudra qu’il mette un peu d’eau dans son vin notamment en engageant des discussions politiques relatives à la dernière présidentielle comme le lui recommande le président sortant Laurent Gbagbo.

Il peut aussi être tenté par le machiavélisme consistant à liquider systématiquement ses adversaires et même certains de ses partisans. Ainsi, Gbagbo pourra être rapidement jugé et condamné ou contraint à l’exil. Après quoi, il se retournera dans son propre camp pour livrer à la justice internationale Guillaume Soro, le chef de la milice sur laquelle pèsent de forts soupçons de massacres à Duekoué. Il restera le cas de Bedié, le père de l’ivoirité sans qui peut-être le chemin de Alassane Ouattara vers le pouvoir n’aura pas été aussi long. Dans ce cas, la vengeance est un plat qui se mange froid. Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire.

Etienne de Tayo

Promoteur Afrique intègre
http://www.edetayo.blogspot.com/



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