mardi 30 octobre 2007

REVOLUTION : AU SECOURS LES FEMMES ARRIVENT!

Contrairement à ce qu'on pourrait penser en le lisant, ce titre n'a rien de machiste. Au contraire, il pose plutôt un regard admiratif en même temps qu'il mesure le chemin parcouru par le sexe dit faible depuis la nuit des temps. Mais aussi les défis qui l'attendent.

"En 1954, j'ai enfin pu m'inscrire au parquet général comme attachée stagiaire, à l'issue d'une nouvelle discussion émaillée d'arguments qui se voulaient dissuasifs. Le secrétaire général du parquet de Paris et son adjoint, qui m'ont reçue, n'en revenaient pas : "Mais vous êtes mariée! Vous avez trois enfants, dont un nourrisson! En plus votre mari va sortir de l'Ena! Pourquoi voulez-vous travailler?". Je leur ai expliqué que cela ne regardait que moi. (…) Devant ma résolution inébranlable, ils ont fini par accepter ma candidature. (…)"
Ainsi s'exprime Simone Veil dans une œuvre autobiographique qu'elle vient de commettre (Ma vie, par Simon Veil. Stock, 399p). La jeune Simone Jacob faisait ainsi ses premiers pas dans le combat pour la reconnaissance des droits de la femme. Combat dont l'acquis majeur aura été le vote de cette loi sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Elle se souvient du conservatisme ringard de la France et du machisme bon teint et presque natuel de l'époque : "Je me rappelle ma première rencontre avec le groupe de médecins conseillers que Robert Boulin avait constitué quelques années plus tôt. Je crois bien que, s'ils avaient pu m'assassiner, ils l'auraient fait…" dit-elle.
A l'époque, la France, berceau des Droits de l'Homme mais étranglé par son conservatisme, ne voyait que des obligations aux femmes : Faire des enfants, les garder et bien tenir sa maison : "Sois belle et tais-toi", disait-on à l'époque. D'où l'exclamation sans fin des deux magistrats hommes qui avaient reçu la jeune Simone Veil. Ils ne comprenaient pas qu'une femme aspire à autre chose que d'être femme au foyer. Et il faut dire qu'à l'époque, en 1954, c'est-à-dire 165 ans après la révolution française et la déclaration universelle des Droits de l'Homme, ces deux messieurs n'étaient pas du tout une curiosité en France. Ils rentraient parfaitement dans le format de l'homme français moderne, évolué et tout ce que vous pouvez imaginer.
Même les premières dames, c'est-à-dire les femmes des chefs d'Etats ou de gouvernement étaient réduites à jouer les figuratives auprès de leurs présidents de maris. Elles aussi devaient montrer qu'elles peuvent faire des enfants et bien tenir un foyer. Dans le décor présidentiel tel qu'on pouvait l'admirer chez beaucoup de présidents à cette époque là, la femme apparaissait au même titre que le chien du président ou tout autre relique que celui aimait bien avoir avec lui lors de ses apparitions.
53 ans après l'audace de Simone Veil, les femmes ont fait un pas de géant. Non seulement dans l'acquisition de leurs droits fondamentaux mais aussi dans la marche vers l'égalité totale et parfaite avec l'homme. Après avoir acquis le droit de travailler à leur coté, les femmes ont gravi des échelons pour occuper des postes de responsabilités jusqu'aux fonctions suprêmes.
Le 28 octobre 2007, Cristina Elisabeth Fernandez de Kirchner a été élue Présidente de la Nation Argentine. Elle entrera en fonction le 10 décembre 2007, succédant à son mari Nestor Kirchner. Elle inaugure ainsi une forme d'accession au pouvoir des premières dames : c'est-à-dire en passant par le pantalon de son mari de président.
Déjà dans les années 40 en Argentine, une autre première dame d'Argentine, Maria Eva Duarte de Peron dit Evita exerça presque le pouvoir en sous main de son mari Juan Peron. Populaire jusqu'à la caricature, Evita était presque vénérée par le peuple d'Argentine. Consciente du fait qu'elle était devenue une béquille pour son mari, elle avait même demandé à être nommée vice présidente avant d'essuyer le refus catégorique des militaires. Elle mourut quelques temps après d'un cancer de l'utérus mais restera comme la première dame la plus populaire de l'Argentine.
FILLE OU FEMME DE...
Aujourd'hui, une femme qui accède à la magistrature suprême ne fait plus rougir personne et on peut même dire que c'est devenu la mode. Seules les Français, conservatisme obligeant sans doute sont restés insensibles devant la beauté naturelle et les beaux tailleurs de Ségolène Royal. Partout ailleurs, qu'on soit au Liberia, au Chili, en Allemagne des femmes ont été propulsé à la tête des Etats ou des gouvernements. Mais une constante reste : la majorité des femmes élues à la têtes des Etats ou des gouvernements l'ont été parce qu'elle ont réussi à capitaliser un malheur : le père ou le mari avait été assassiné par le pouvoir. Elle ont donc joué de la nécromancie.
Le 26 septembre 1959, Solomon Bandaranaike, premier ministre du Ceylan (actuel Sri Lanka) est assassiné par un homme déguisé en moine. En 1960, son épouse, Sirimavo Bandaranaike remporte les élections et devient premier ministre. Elle devenait ainsi la première femme du monde chef du gouvernement. Elle le sera jusqu'en 1965. Puis de 1970 à 1977 et de 1994 à 2000. Lors de son troisième mandat, elle exerça sous la présidence de sa fille Chandrika Kumara.
Dans les années 40, on remarque dans l'entourage du premier ministre indien Jawaharlal Nehru, la présence d'une jeune femme qui l'accompagne dans les voyages officiels et l'assiste dans les fonctions officielles. Cette jeune femme n'est autre que Indira Gandhi qui deviendra après la mort de son père, premier ministre de l'union indienne de 1966 à 1977 et de 1980 au 31 octobre 1984, date de son assassinat.
Le 21 août 1983, Benigno Simeon Aquino Jr, un leader de l'opposition, revient aux Philipines – où sévit la dictature de Ferdinand Marcos - après avoir interrompu son exil aux Etats-Unis. Mais il est assassiné dès son arrivée à l’aéroport de Manille. Sa femme Maria Corazon Sumulong Coquangco Aquino "devint le centre de l’opposition contre le régime et devint présidente après la chute de Marcos en 1986".
Le 4 avril 1979, une jeune femme, Benazir Bhutto, diplômée de Oxford, revenue dans son pays le Pakistan où gouverne son père Zulfikar Ali Bhutto, assiste à la pendaison de ce dernier par les soins de Zia Ul haq qui vient de commettre un coup d'Etat. Après avoir connue la prison et l'exil, elle devient le 1er décembre 1988, la première femme premier ministre dans un pays musulman.
Le 11 mars 2006, Véronica Michelle Bachelet Jeria est élue première femme Présidente de la République du Chili. Elle vit seule et est mère de trois enfants nés de deux pères différents. Elle est la fille du Général Alberto Bachelet, un compagnon du président Salvador Allende. Après la chute de ce dernier, Alberto Bachelet fut arrêté par Pinochet, accusé de trahison, il faut détenu et torturé. Il mourut en mars 1974 d'un arrêt cardiaque.
D'autres femmes, Margaret Thatcher, Ellen Johnson Sirleaf ou encore Angela Merkel n'ont pas eu besoin de coup de pouce nécromancien et ont prouvé ou sont en train de prouver qu'une femme est d'abord un homme et vis versa. Mais un dernier écueil reste à surmonter qui là ne dépend plus des hommes mais plutôt une affaire de femmes. Il est encore loin le jour où les femmes se mettront en bloc pour voter une femme parce qu'elle est leur semblable. Et je crois que c'est plutôt tant mieux pour la démocratie.
Demain, d'autres femmes : Ségolène Royal, Hilary Clinton, Simone Gbagbo, Aung San Suu Kyi ou encore Ingrid Betancourt parviendront elles aussi au pouvoir dans leur pays. Elles y parviendront d'autant plus facilement que la plupart des tabous concernant les femmes ont été tout simplement battu en brèche. Et c'est pourquoi, une célibataire ou une presque polyandre telle Michelle Bachelet peut se faire élire sans encombre. Au rythme où vont les choses, parions que dans un siècle, c'est plutôt la présence d'un homme à la tête d'un Etat qui sera une curiosité. De quoi redonner de l'espoir à tous ces groupes exclus dans le monde et dans les pays et qui se croyaient à jamais condamnés à ne jouer que des seconds rôles.

Etienne de Tayo
Promoteur de "Afrique Intègre"


Source principale :
http://fr.wikipedia.org

lundi 29 octobre 2007

L'ARCHE DE ZOE : VOILA A QUOI PEUT CONDUIRE L'INSTRUMENTALISATION DU CONFLIT DU DARFOUR



Le 25 octobre dernier, les autorités tchadiennes ont arrêté et détiennent à Abéché au Tchad, 9 Français et 7 espagnols dont trois journalistes (deux de CAPA et France 3 et un photographe) et des membres de l'association "Arche de Zoé" représentée au Tchad par l'ONG "Children Rescue". Ils s'apprêtaient à affréter un Boeing 757 pour transporter pour la France, 103 enfants présentés comme des orphelins du Darfour. Mais en réalité, selon l'expression de Christophe Ayad et Audrey Bastide du journal "Libération", "une opération d'évacuation "sanitaire" aux allures de trafic de mineurs en vue d'une adoption". Selon les autorités Tchadienne par la bouche du président Idriss Déby Itno en personne, les enfants ne seraient pas orphelins et pas originaires du Darfour comme a prétendu l'ONG mais plutôt des enfants du Tchad tirés à leurs familles par des moyens illégaux pour alimenter les réseaux pédophiles. L'avocat de l'association Gilbert Collard parle lui plutôt "d'un coup monter contre cette association qui dérange parce qu'elle évolue en dehors de l'académisme humanitaire"
Jusque là, je croyais m'être donné une explication à tous les discours catastrophistes et parfois trop alarmistes tenus par les dirigeants des puissances occidentales. Il suffisait pour cela d'écouter les discours des dirigeants du G8 par exemple. Et de suivre ensuite les commentaires des journalistes pour laisser couler une larme pour l'Afrique. Je pensais, peut-être par naïvement, avoir trouvé la raison de tous les tableaux sombres que les autres peignaient de l'Afrique.
Je croyais que pour les puissances occidentales, le fait de présenter l'Afrique comme l'enfer sur terre, leur permettait tout simplement de justifier la surenchère des promesses fallacieuses. Je pensais qu'il s'agissait pour ces puissances, de montrer que l'Afrique est pauvre, misérable, maudite, pour mieux exploiter ses richesses, puisqu'un pauvre ne peut pas avoir de richesses. Je pensais qu'il s'agissait d'infantiliser les Africains, de montrer qu'ils ne s'en sortiront jamais par eux-mêmes, pour mieux justifier la recolonisation.
Pour les médias occidentaux, je croyais qu'il s'agissait juste d'un renforcement de clichés et des idées reçues sur l'Afrique. L'objectif étant de parachever la victoire de la guerre culturelle. Je pensais, et je m'étais laisser dire, qu'il s'agissait d'attirer l'attention de la communauté internationale sur ce ventre mou de l'humanité qu'est l'Afrique afin d'aider à son décollage économique. Mon attention a juste été attiré par la présence dans les rangs des personnes incriminées de deux journalistes de l'agence CAPA qui alimente l'émission "Envoyé spécial" en reportages qui contribuent à renforcer les images négatives de l'Afrique. Dans le cadre de notre réseau "Afrique Intègre", nous avions déjà rédigé un communiqué pour dénoncer cet état de fait. Communiqué publié par le quotidien camerounais "Le Messager" est visible à travers le lien suivant : http://www.lemessager.net/details_articles.php?code=49&code_art=14124&numero=1
Pour les ONG, je croyais en la sincérité de beaucoup d'entre elles. Je croyais en l'humanisme des personnes qui les composaient. Je le croyais d'autant plus que je vois certaines à l'œuvre lorsqu'il s'agit d'animer les mouvements altermondialistes. J'étais fasciné par ces personnes qui se battent au péril de leurs vies pour un monde plus juste alors que théoriquement, ils n'appartenaient pas au camp des plus faibles. Je me disais que c'est cet humanisme qui les pousse ainsi à vouloir soulager les souffrances des populations sinistrées et pousser toujours plus loin l'échéance de la fin des temps annoncée.
Ce que j'ignorais totalement, mais que je subodorais un peu, c'est que cet arbre de compassion et de générosité cachait à peine toute une forêt d'entreprises criminelles qui fleurissent sur le terrain préparé par les trois premiers groupes. J'ignorais que certaines ONG, exploitant la naïveté et abusant de la générosité et de l'humanisme de certaines populations en occident, ont tout simplement décidé de rétablir l'esclavage. Comme il y a 6 siècles, ils passent dans des villages africains, trompent leurs victimes avec des "biscuits et de l'argent" et les embarquent, comme l'a expliqué à la télévision (journal TF1) une des enfants kidnappé par "l'Arche de Zoé". Au moins, les autres, les amenaient travailler dans des plantations – le travail qui libère. Les néo esclavagistes "amènent leurs victimes dans des réseaux pédophiles" où elles servent à satisfaire les désirs sexuels des pervers, comme l'a expliqué le Président Tchadien Idris Deby au journal de TF1.

UNE GROSSE ESCROQUERIE MORALE :

Le scandale de l'Arche de Zoé, qui ne serait que la partie visible de l'Iceberg, est la conséquence directe d'une fixation et d'une instrumentalisation ridicules que les puissances occidentales ont faite sur le conflit du Darfour. Aux Etats-Unis, en France et dans plusieurs pays européens des personnalités politiques, parfois de premier rang, se sont regroupés pour réclamer la libération du Darfour et l'arrêt du génocide. Un discours qui ne peut laisser aucune âme sensible indifférente. On l'a vu par exemple lors de la présidentielle française lorsque certains candidats ont brandi la menace du boycotte des jeux olympique de Pékin si la Chine n'arrêtait pas son soutien au régime de Khartoum.
Par une construction intellectuelle grossière, ils étaient parvenus à une simplification ridicule de ce conflit tribal pourtant très complexe. Selon eux, et jouant ainsi le jeu des politiques extérieures de leurs gouvernements, ils disaient que dans le conflit du Darfour, ce sont les méchants arabes au pouvoir à Khartoum et soutenus par la Chine qui tuent les pauvres populations noires du Darfour à travers les milices Njenjayid. Avouez qu'une telle présentation peut susciter de la compassion et rallier les âmes généreuses surtout lorsqu'elle est doublée de l'image du Noir toujours présenté comme le "ver de terre" de l'humanité.
En occident, des politiques se sont fait élire en promettant qu'ils feront cesser les massacres des populations noires au Darfour. Des associations se sont formées pour sauver les enfants du Darfour comme cela avait été le cas pour les enfants de l'Ethiopie. Des associations, telles ce collectif des familles pour les orphelins du Darfour (Cofod) que dirige une certaine Estelle Frattini, et qui pour certaines renferment des gens de bonne foi qui répondent tout simplement au cri de détresse – malheureusement mensonger – lancé par des gouvernements et relayés par les médias.
Le scandale de l'Arche de Zoé montre comment les gouvernements en occident ont toujours tenu leurs populations dans l'ignorance totale des vraies visées de leurs politiques étrangères. Comme il y a un siècle lorsqu'on parlait de la colonisation comme mission civilisatrice alors que des peuples entiers étaient exterminés, aujourd'hui, on met la générosité et l'humanitaire en avant pour assouvir des desseins parfois très sombres. Les populations en Europe et aux Etats-Unis sont constamment grugées sur l'Afrique alors que leurs gouvernements mènent là bas des combats aux objectifs bien flous. Ces gouvernements font de la surenchère humanitaire alors qu'ils se moquent du sort des populations de ces régions comme de leurs chaussettes trouées.
J'ai souvent pensé, sans bien sûr tomber d'accord avec certaines personnes, que la libération de l'Afrique passera aussi par la capacité des Africains à informer le peuple profond de l'occident sur les vrais enjeux des politiques que mènent leurs gouvernements dans des zones où ils disent venir en assistance aux populations. Je le dis parce que je sais que dans ce peuple, beaucoup ont atteint le niveau d'humanisme qui leur interdirait de cautionner des politiques mortuaires que malheureusement beaucoup de gouvernements et aussi les organisations internationales continuent de conduire en direction de l'Afrique. Je savais que si ces populations savaient que pour exploiter le pétrole du Delta du Nigeria par exemple, leur gouvernement était amené à financer une rébellion particulièrement criminogène. Que pour exploiter l'uranium du Niger, l'or de la RDC ou le pétrole du Soudan, le même scénario est mis en place; que depuis bientôt deux décennies, la Banque mondiale et le FMI ont semé la graine de la pauvreté en Afrique, pauvreté qui déciment les populations par millions, sûr que ces populations occidentales là auraient demandé plus de comptes à leurs gouvernements. Sûr qu'on aurait dans les Assemblées nationales plus de commissions parlementaires.
Le drame, c'est que cette manipulation des peuples sinistrés auxquels il faut apporter de l'aide, trompe plus d'une âme généreuse en occident en même temps qu'elle prépare le terrain pour les criminels. Maintenant que l'Arche de Zoé a été démasqué et, comme dans toutes les activités criminelles, chacun sauve sa tête. Tout le monde lâche et grille le malheureux qui s'est fait prendre.

LE DARFOUR : UN GROSSIER PRETEXTE

Ceux qui, après la chute du mur de Berlin avaient cru voir la fin de la guerre froide et l'unipolarisation du monde doivent très vite réviser leur position. La guerre froide n'a jamais été aussi vivace qu'elle l'est aujourd'hui. Elle s'est même un peu réchauffée et on parlerait volontiers de guerre tiède. Les acteurs ont quelque peu changé, le décor a quelque peu glissé, mais les méthodes sont inchangées. Pendant que l'empire américain usait ses forces dans la guerre contre le terrorisme, la Russie a pris le temps de retrouver ses forces à travers un Vladimir Poutine qui s'avère l'incarnation même de Staline. Alors que de son coté la Chine apparaissait en force sur le ring. D'un autre coté, l'Inde, la Malaisie et tous les dragons d'Asie du Sud Est sont aux aguets.
Ce que personne ne veut dire, c'est que une partie très importante de la guerre tiède se déroule aujourd'hui au Soudan avec comme le Dafour la marque de commercialisation. Et lorsque vous aurez la présentation du Darfour, vous comprendrez pourquoi. Le Darfour, selon l'encyclopédie Wikipedia, "est un vaste territoire à l'Ouest du Soudan d'une superficie de 510 000 Km2, c'est à dire aussi grand au la France. Ce territoire, habité par 6 millions d'habitants, est riche en pétrole, uranium et cuivre". D'où son malheur.
Le Darfour, c'est aussi malheureusement une multitude de groupes rebelles plus ou moins indisciplinés et plus ou moins manipulés. On peut citer, sans que la liste soit exhaustive : le mouvement armé de libération du Soudan (SLM/A); le mouvement pour la justice et l'égalité (JEM) qui comprend huit factions; le mouvement national pour la réforme et le développement (NMRD); le front des forces révolutionnaires unies (UTFF).
Depuis bientôt une quinzaine d'années, la Chine a pris pieds au Soudan et n'est pas là pour une ballade de santé. En quelques années, l'empire du milieu, de par la franchise et le réalisme de sa politique de coopération, a battu de vitesse les puissances occidentales sur bien de terrains. Selon Didier Samson de Rfi, "La Chine est le plus important partenaire commercial du Soudan. Des entreprises chinoises détiennent 40% des concessions pétrolières dans le Darfour et contrôlent des gisements pétroliers dans le Haut Nil occidental. Ce sont également des entreprises chinoises qui construisent un pipeline de 1 400 kilomètres reliant le Bassin de Melut à Port-Soudan. C’est encore la Chine qui installe dans cette ville un terminal pétrolier destiné à l’exportation des hydrocarbures. La Chine est enfin un important fournisseur d’armes au régime de Khartoum". Et quand on aura découvert son CV énergétique, on comprendra que la présence Chinoise puisse inquiéter et même déstabiliser. Toujours selon ce journaliste de Rfi, "la Chine est le deuxième consommateur mondial d'énergie après les Etats-Unis avec un taux de dépendance pétrolière de 40%. Ce taux pouvant être porté à 80% en 2020. Ses besoins s'élèvent à 1,6 million de barils jour".
Au Soudan, "le consortium GNPOC incluant l'ONGC indienne, le Chinois CNPC, le Malaisien Pétronas et le Soudanais Sudapet, assurent plus de la moitié des quelques 500 000 barils jour produits au Soudan dont la plupart est exporté en Chine", révèle une dépêche de l'AFP. Une telle reconfiguration du monde sans les puissants réunis au sein du G8 ne pouvait que irriter les puissances occidentales. D'où l'instrumentalisation du conflit du Darfour. Une méthode qui avait toujours marché par le passé mais qui dans ce monde mondialisé d'aujourd'hui a de la peine à passer.
Tenez, alors que les pourparlers de paix de Syrte en Libye étaient annoncés, l'un des multiples groupes rebelles financés dans le Darfour, cède à la provocation, question de torpiller les négociations. En effet, selon une dépêche de l'AFP datée du jeudi 25 octobre, "un groupe rebelle, le Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM) du Darfour a lancé jeudi un ultimatum à un consortium pétrolier à capitaux chinois et indiens, lui donnant une semaine pour quitter le Soudan après avoir enlevé deux de ses employés". Un chef militaire du JEM, Abdelaziz el-Nour Ashr, a dévoilé à l'AFP les cibles de son opération : "Nous voulons que la Chine, l'Inde et la Malaisie ne fassent plus des affaires avec le pétrole car Khartoum se sert de l'argent du pétrole pour acheter des armes et tuer des gens au Darfour. C'est notre pays et ils doivent partir" (…) "Les habitants de Kordofan souffrent, ils ne tirent pas de bénéfices des revenus générés par les champs de pétrole. Au contraire, ils le payent chèrement avec leurs vies", selon lui. Une récitation ou un chant qu'il semble avoir bien assimilé les paroles.
Mine de rien, cette manœuvre du JEM a réussi à torpiller le sommet de Syrte obligeant le guide de la révolution libyenne, Mouammar Kadhafi, hôte du sommet à clarifier les choses en ces termes en même temps qu'il lançait un ultimatum à la communauté internationale : "Les Nations Unies et l'UA qui sont chargés de trouver une issue à la guerre civile du Darfour risquent d'échouer dans la résolution d'un conflit tribal. Le rôle principal de l'ONU est de résoudre les conflits entre Etats et pas entre populations d'un même Etat" (…) "L'internationalisation et la politisation des conflits internes sont comme de l'huile sur le feu et ne font qu'empirer les choses", soutient Kadhafi.
Selon un accord (ONU, UA, Soudan), les deux organisations internationales s'apprêtent à mener au Soudan une opération dite hybride consistant en l'envoi de 20 000 soldats. Mais une analyse simple permet de comprendre que pour la paix dans leur pays, les Soudanais ne doivent compter sur eux-mêmes en évitant toutes les manipulations de toutes sortes. Pour cela, ils ont des choses à apprendre à la Côte d'Ivoire de Laurent Gbagbo qui a échappé à tous les pièges pour acquérir leur réconciliation à l'ombre de l'arbre à palabre.
Pour savoir que le Darfour est un grossier prétexte pour assouvir des desseins inavoués, il faut observer d'autres conflits en Afrique qui n'intéressent plus personne parce que l'enjeu géostratégique a tout simplement disparu alors que les morts y sont comptées par millions. Je prends le cas du conflit dit des Grands lacs dans lequel on dénombre près de 3 millions de déplacés et plus d'un million et demi de morts, mais qui laisse parfaitement indifférent les puissances. Tout simplement parce que les minerai du Zaïre avaient déjà été pillé sous Mobutu et que le Rwanda et le Burundi ne déclinent aucune ressource naturelle.
Je prends sur moi de publier à la fin de cette analyse certaines photos insoutenables du conflit des grands Lacs. Des images que je détiens depuis plusieurs années et que je n'avais pas voulu publier pour ne pas à mon tour renforcer les clichés. Peut-être que, comme dans un vaccin, il faut utiliser des photos tels des germes neutralisés pour tenter de prévenir le mal. C'est pourquoi je les publie en m'excusant auprès des ceux qu'ils vont choquer. Ils sauront au moins que le Darfour n'est pas la seule région africaine qui est meurtrie par les conflits et que l'Afrique n'est pas la seule région du monde dans cette situation.

Etienne de Tayo
Promoteur du réseau de journalistes pour l'intégrité en Afrique "Afrique Intègre"
Sites consultés :
http://www.rfi.fr/
http://www.afp.fr/
http://www.yahoo.fr/
http://www.liberation.fr/



AUCUN CONGOLAIS, AUCUN ETRE HUMAIN NE MERITE CECI :







































RDCONGO RWANDA BURUNDI CONGO RCAFRIQUE





Crédit photos





Daniel LUNGY OKIT'ONDJO
Spécialiste en matière Politique pour la Région des Grands Lacs
(République Démocratique du Congo,Rwanda,Burundi,
Congo Brazzaville et République Centrafricaine)
Président des Combattant pour la Liberté
Diaspora Europe
Allemagne

samedi 27 octobre 2007

MO IBRAHIM : ET LA GOUVERNANCE S'ENRACINA EN AFRIQUE

Une cérémonie fort symbolique pour l'Afrique vient de se dérouler à Londres. Le prix Mo Ibrahim, doté de 5 millions de dollars – le prix le plus richement doté du monde – vient d'être attribué à l'ancien Président Mozambicain Joachim Chissano. C'est à l'ancien secrétaire général des Nations Unies Kofi Anan qu'est revenu l'honneur de dévoiler le nom de l'heureux élu.

Ce prix récompense la bonne gouvernance en Afrique. Et plus particulièrement, il vise à récompenser un ancien Président, qui a quitté le pouvoir depuis 3 ans, pour sa bonne gouvernance. A travers ce prix, son promoteur Mo Ibrahim, voudrait changer le comportement des chefs d'Etats en Afrique très souvent portés vers la corruption et le détournement des fonds publics. La sélection a été faite au terme d'un dépouillement de 58 critères divisés en cinq volets : défense, sécurité, législation, bonne gouvernance et droits de l'homme.
Mohamed Ibrahim, promoteur de ce prix est un homme d'affaires prospère, d'origine soudanaise, qui s'est enrichi dans les télécommunications. Fondateur et ancien Président de l'entreprise panafricaine de téléphones mobiles, Celtel, il a été au cœur de la naissance du téléphone mobile en tant que Directeur technique d'une filiale de British télécom. Soucieux de l'enracinement de la démocratie en Afrique et du développement du continent en général, Mo Ibrahim s'est fait entourer des personnalités telles Kofi Anan, Tony Blair et Bill Clinton.
Très vite, dans les milieux des affaires, Mo Ibrahim a mesuré la nuisance des clichés désastreux qui détournaient les investisseurs de l'Afrique. Il s'est donc lancé dans ce marché abandonné et en 2005 sa société Celtel comptait 10 millions de clients. Il s'est donc enrichi sur un terrain africain où personne ne voulait miser. Il a pensé à un retour d'ascenseur. C'est pourquoi il a créé un fonds de 100 millions de dollars pour l'achat des participations en Afrique.
Joachim Chissano, l'heureux récipiendaire du prix Mo Ibrahim est l'un des pères fondateurs du Frolimo qui fit plier les colonisateurs Portugais. Il est arrivé au pouvoir en 1986 après la mort accidentelle du Président Samora Machel. Il a conduit le Mozambique de la guerre à la paix et ensuite à la démocratie. En 2004, après avoir réussi à 2 élections pluralistes et alors que la constitution n'imposait aucune limitation de mandat, Joachim Chissano a quitté le pouvoir en organisant une transition démocratique au Mozambique.
L'initiative de Mo Ibrahim porte un lourd symbole pour l'Afrique en ceci qu'elle vise non seulement à l'assainissement du climat politique dans ce continent mais règle l'épineux problème des anciens chefs d'Etats africains. Un problème qui ruinait constamment la démocratie et l'alternance en Afrique.
Dans une réflexion faite en août 2005, j'avançais cette interrogation : "FAUT-IL BRULER LES ANCIENS CHEFSD'ETATS AFRICAINS?". Dans cette réflexion, nous posions l'hypothèse selon laquelle le sort réservé aux anciens chefs d'Etats africains conditionnait le comportement des chefs d'Etat en place. Autrement dit beaucoup de chefs d'Etats en fonction étaient amenés à manipuler la constitution pour s'éterniser au pouvoir parce qu'ils voulaient échapper au sort réservé à certains de leurs collègues qui avaient quitté le pouvoir.
Visionnaires, certaines organisations comme le National Democratic Institute (NDI) avaient déjà commencé à réfléchir sur le sujet. "Il y a une vie après la présidence", était le slogan d'un forum des anciens chefs d'Etat africains organisé à Bamako au Mali en 2005. Et selon Christopher Fomunyoh, directeur Afrique au NDI, d'autres initiatives étaient menées par des universités américaines qui souhaitaient inviter les anciens chefs d'Etats africains dans des résidences d'écriture afin qu'ils rédigent leurs mémoires. L'objectif étant de les occuper et éviter qu'ils continuent encore à lorgner du coté du pouvoir.
L'initiative de Mo Ibrahim complète et prolonge ces projets généreux. Elle a l'avantage d'agir sur tout le processus de démocratisation et ouvre des perspectives heureuses pour le continent africain. Un jour peut-être, le prix Mo Ibrahim sera couru dans le monde entier.

Etienne de Tayo
Promoteur "Afrique Intègre"


Credit photo: http://www.rfi.fr/

jeudi 25 octobre 2007

NON, WATSON NE PEUT PAS AVOIR RAISON... MÊME SI CELA ETAIT VRAI



J'ai lu avec une attention soutenue l'analyse du chroniqueur Xavier Messè publié dans l'édition du quotidien "Mutations" du 24octobre 2007et intitulé : "Et si Watson avait raison?". J'ai apprécié ce coup de gueule d'un aîné de la profession. Et pour avoir moi-même publié un ouvrage qui est un coup de gueule [Pour la Dignité de l'Afrique, laissez-nous crever, Menaibuc 2006], j'ai compris ce qu'il pouvait ressentir en laissant couler l'encre, que dire, le fiel de son stylo sur une feuille ou en pianotant sur un clavier d'ordinateur : la rage.
Lorsque Xavier Messe délivre le coup de gueule, c'est qu'il s'est posé la question que toute personne étant parvenue à la phase presque achevée de la prise de conscience se pose : "Mais ces Noirs! Comment se fait-il que dans un monde où les blancs, les jaunes, les rouges ont réussi à tirer leur épingle du jeu, ils continuent à stagner et même à s'enfoncer".
Quand on se pose cette question salvatrice, la première réaction c'est de faire jouer l'adage qui voudrait que "qui aime bien châtie bien". D’où le propos assez trempé et même iconoclaste. Après avoir posé cette question, on court aussi le risque de tomber dans l'autoflagellation et même la haine de soi. Et du coup, surtout pour le cas Watson, on se trouve en train de jouer le jeu des autres, c'est-à-dire les tenants du discours raciste européocentriste.
Quel est même le problème? Le problème est celui de James Watson, un médecin généticien, prix Nobel de médecine 1962 parce que codécouvreur de l'ADN. Dans un entretien accordé à Charlotte Hunt Grubbe, une de ses parente, pour le journal "The Sunday Times", il a tenu ces propos à la fois incohérents et contradictoires : "Toutes nos politiques d'aide (à l'Afrique) sont fondées sur le fait que leur (Africains) intelligence est la même que la nôtre" (…) "Les gens qui ont des employés noirs découvrent que ce n'est pas vrai" (…) "Beaucoup de gens de couleur (désignation des Noirs) sont très talentueux. Mais ne leur donnez pas une promotion quand ils n'ont fait leur preuve au niveau inférieur". Ce sont donc ces propos qui ont inspiré le titre accrocheur suivant dans "The Sunday Times" et repris par "The Independant" : "Les Africains sont moins intelligents que les occidentaux"
En fait, Watson qui a quand même 79 ans – et qui est père d'un enfant atteint de retard mental - n'a presque rien dit si ce n'est de la provocation gratuite. Il est d'ailleurs un récidiviste en la matière. On peut d'ailleurs constater qu'il se contredit. Et pourtant ces propos ont fait le tour du monde. On ne saura jamais qui de lui ou de la journaliste a voulu faire le coup médiatique. Je sais qu'à l'âge de Watson, certaines personnes, atteintes de sénilité, deviennent capricieuses et veulent qu'on parle d'elles. Est-ce le cas de Watson? Il fallait donc éviter le piège.
Bien que choqué par cette polémique, je n'avais pas voulu intervenir, pour ne pas faire la publicité à une déclaration que je considérais comme le champ de cygne d'un vieux sénile qui est en train de partir. Voici ce que j'écrivais dans un forum sur Internet lorsque un des membres du réseau de réagir aux propos de Watson :
"Je pense que diffuser des lectures comme celles-ci et surtout prendre la responsabilité de demander aux autres de les diffuser largement c'est être complice de ceux qui les ont créées. Cette posture du Noir qui veut prouver "qu'il est" est tout simplement regrettable. Pour moi le Noir n'a rien à prouver et ignorer les écrits comme celle-ci est une attitude sage. "Chers frères et soeurs, prouvons leur que ce qu'ils disent est faux". Où prendrons-nous ce temps pour prouver ce qui sinon sur le temps qui devait nous servir à s'affirmer et à progresser. Je crois qu'il faut aux modérateurs du redid beaucoup plus de vigilance. Sinon, certaines personnes, par naïveté ou par complicité continueront à perdre le temps aux Noirs. Vous ne voyez pas qu'il y en a un peu trop de synchronisation dans cette entreprise pernicieuse pour les Noirs (africains surtout)? Après le discours de Dakar, c'est le généticien américain James Watson qui dit que les Noirs sont moins intelligents que les Blancs, maintenant ce sont les Noirs qui ne lisent pas et on demande aux Noirs de réagir pour prouver qu'ils lisent. C'est ridicule. Wole Soyinka l'avait dit : "Un tigre n'est pas là pour prouver sa tigritude. Il attrape sa proie et la mange". Et ceux qui ne l'avaient pas compris sauront alors qu'un tigre est passé par là". Mais voilà que Xavier Messè m'oblige à changer d'avis.


LA TRAHISON SENGHORIENNE


D'entrée de jeu, Xavier Messè tente de faire passer la pilule de Léopold Sédar Senghor, "un Noir très occidentalisé" qui déclara que : "L'émotion est nègre et la raison hellène". Il trouve d'ailleurs qu'à l'époque Senghor avait presque fait l'unanimité puisqu'il affirme dans son article que : "Seul son compatriote Cheikh Anta Diop tenta de démontrer sans trop convaincre le contraire des affirmations de Senghor".
Ce qu'il faut dire ici, c'est que Senghor fait partie de la race des Noirs qui se sont laissés éblouir par la brillance de la civilisation occidentale. Ce qui est compréhensible parce que, lorsqu'on arrive en Occident, si on n'est pas psychologique fort ou qu'on ait appris à relativiser les choses, on tombe en extase devant les acquis du matérialisme occidental. Senghor a donc voulu trouver une explication à cela et il a donc trouvé cette grossièreté scientifique. C'est une grossièreté parce qu'elle n'a jamais été démontrée scientifiquement. Senghor a pu dire que le Noir n'était qu'émotion et le blanc que raison. Or, ce n'est pas vrai. On ne peut être seulement émotion ou seulement raison. On est toujours les deux à la fois. Et ce n'est qu'une question de dosage ou une question de priorité.
Il se trouverait que face à un problème, peut-être du fait de sa proximité avec la nature, peut-être à cause du mode d'organisation fondé sur le relationnel et la familiarité, le nègre fasse passer l'émotion avant la raison. De même, face à un problème, le blanc, qui a depuis dépassé les formes originelles des relations humaines fait passer la raison avant l'émotion. Il faut prendre des exemples simples pour le comprendre : Lorsque vous êtes demandeur d'emploi et que vous vous pointé chez un patron européen, il regarde ses capacités d'embauche et vous répond sèchement et de façon mécanique qu'il ne peut pas vous embaucher. Mais si vous étiez en Afrique et que vous alliez chez un patron Noir qui lui aussi ne peut pas vous embaucher, il prendra quand même quelques minutes pour partager votre peine : "Ouais, j'ai vu que vous aviez une femme et des enfants, comment vous allez faire alors?", vous dira t-il. Un autre exemple : En France, si un employé s'absente à son travail pour deux jours et revient le troisième jour annoncer que son enfant était malade et qu'il vient de décéder, on l'invitera à passer chez le DRH pour son solde de tout compte, c'est-à-dire le licenciement. En Afrique, une personne revient dans les mêmes conditions, son patron l'écoutera, compatira avec lui et peut-être même ira l'aider à enterrer son fils. Il ne sera certainement pas licencié. Voilà l'observation que Senghor a voulu maladroitement théoriser.
Si les affirmations de Senghor ont eu l'écho qu'elles ont eu, c'est parce qu'elles mettaient de l'eau au moulin de la pensée raciste européocentriste qui tendaient à faire du nègre, un être inférieur. Il faut dire qu'à la même époque des théoriciens du racisme comme Gobineau, Renan, Hegel, Tempels avaient le vent en poupe. Il fallait justifier la colonisation et toutes les autres formes d'asservissement qui étaient dirigées vers les Noirs.
Prenons un autre cas de la haine de soi pour expliquer cet état de fait. Le livre de Gaston Kelman intitulé : "Je suis Noir et je n'aime pas le manioc" [Ed. Max Milo, 192p]. Pourquoi ce livre a eu beaucoup de succès en France auprès des lecteurs français? Tout simplement parce qu'il rejoignait les thèses assimilatoire du mode d'intégration à la française. Cette thèse veut que pour être français, il faudrait abandonner toutes les "cochonneries" alimentaires de chez soi pour épouser la mode gastronomique française. Quand on est Français, on aime la baguette et le fromage. On ne peut pas être Français et manger les bâtons de manioc ou les "mitoumba" et la pâte d'arachide (Namewondo) ou encore le mets de pistache. Gaston Kelman qui est un Bourguignon et Noir a donc porté ce message autoflagellatoire mais très porteur justement parce qu'il est Noir. La haine de soi, comme l'explique Ferdinand Ezembe, pousse celui qui l'use à "blâmer la victime et à comprendre le bourreau".
Plus tard, lorsque Axel Kabou écrit son ouvrage intitulé : "Et si l'Afrique refusait le développement" [Harmattan, 1991, 208p], il connaît lui aussi un très grand succès en France et même au-delà. Dans cet ouvrage, elle tente de démontrer que les mentalités africaines sont incompatibles avec l'idée du développement. C'est une approche qui n'est pas très loin de celle génétique de Watson. Et si elle rencontre le succès, c'est parce qu'il y a en France une pensée néocoloniale qui tente depuis de démontrer l'incapacité presque congénitale de l'Africain à s'assumer. Ceci toujours dans la perspective d'une recolonisation. Dans la vie, il faut faire attention de ne pas jouer le jeu des intérêts qu'on ne maîtrise pas.
La haine de soi dont il est question ici peut prendre des contours parfois dramatique. C'est le cas d'un couple d'Africains qui croyaient avoir réussi leur intégration en France en se décapant, aussi bien la femme que l'homme. Et lorsqu'ils se regardaient dans le miroir, ils n'avaient plus rien de Noir sur eux, à part bien sûr les cheveux qu'ils pouvaient toujours teindre en gris. Tout allait donc bien jusqu'à ce qu'ils aient un enfant. Et en prenant de l'âge, l'enfant a épousé la couleur originelle de ses parents. C'est ainsi que les deux parents ont commencé à détester leur enfant considéré comme le mouton noir de la famille, celui par qui les malheurs peuvent entrer dans la famille. L'histoire ne dit pas ce qu'ils avaient finalement fait de leur enfant, mais le drame était déjà là.

ANTA DIOP – SENGHOR : LE JOUR ET LA NUIT

S'agissant de Cheikh Anta Diop, il faut tout de suite affirmer qu'il n'a jamais tenté de démontrer quoi que ce soit sur les affirmations de Senghor, les deux n'évoluant pas sur le même registre. Il a plutôt agi dans le domaine de l'historiographie dont il a tenté de changer le paradigme d'observation et d'explication. Il l'a fait avec un succès certain. C'est une œuvre qui demande à être complétée. Contrairement aux autres dont Xavier Messè, qui veulent faire commencer l'histoire du monde au siècle des lumières ou à celui de la Renaissance – c'est-à-dire au moment où l'Europe prenait son envol et soumettait les autres peuples à l'esclavage – Cheikh Anta Diop remonte le cour de l'histoire pour se retrouver à l'Egypte pharaonique, là où les plus grands philosophes grecs sont venus s'abreuver du savoir des prêtres égyptiens.
Pourquoi je trouve que Watson n'a pas raison? Tout simplement parce qu'il n'est pas la personne indiquée, n'appartenant pas au groupe qu'il stigmatise. Il n'est pas la bonne personne pour sonner le tocsin. J'ai envie de lui dire : De quoi je me mêle? Puisqu'il n'est pas Africain, puisqu'il n'est pas Noir et qu'il ne le sera plus jamais, le coup de gueule de Watson, même s'il est sincère, produit automatiquement l'effet contraire à l'objectif qu'il veut atteindre. Au lieu de sortir le Noir de sa torpeur comme il pourrait le penser, son coup de gueule va le heurter, le blesser et l'humilier. Il risque le condamner dans une posture fataliste et finalement corvéable.
Lorsqu'on s'adresse aux membres d'un groupe auquel on n'appartient pas en des termes dégradants, on ne peut pas échapper à l'accusation de racisme. Mais si vous adressez les mêmes propos aux membres de votre groupe, vous serez au pire taxé de traîtrise ou de conduites autoflagellatoires. Au mieux, on parlera d'un amour mal exprimé. C'est un linge sale que vous lavez en public. Le reproche à vous faire sera de la laver en famille la prochaine fois. Donc, pour parler des Noirs en des termes dégradants, il faut que Watson attende mourir et se réincarner dans un corps de Noir pour enfin faire la leçon à ses frères.
Je trouve aussi que Watson n'a pas raison parce que le prétendu retard du nègre n'a rien de scientifique, ni de génétique. Or, c'est ce que Watson a tenté de démontrer avec toute l'autorité scientifique que lui offre son titre de prix Nobel de médecine. Watson est de mauvaise foi parce qu'on ne peut pas arriver à ce niveau et continuer à tirer les conclusions dès les prémisses. Schématiquement, voici ce qu'il démontre : Tous les 5 Noirs recrutés dans une entreprise ont été incapables de faire un travail pourtant très simple. Les 5 blancs recrutés à la suite l'ont fait avec une facilité inégalable. Alors, on déduit : Les Noirs sont moins intelligents que les blancs. Dans quelle population statistique? Quel échantillon? Avec quels instruments de mesure ou d'analyse? Voilà des questions incontournables qui se posent à Watson en tant qu'intellectuel. C'est d'ailleurs le minimum, s'agissant d'un sujet aussi sensible que la génétique.

A CHACUN SON RYTHME

Mais revenons dans le texte de Xavier Messè et prenons le passage où il part le du siècle de lumières pour voir comment lui aussi s'extasie devant les découvertes de cette période. Mais pourquoi, il s'arrête aux lumières alors que l'histoire nous apprend que 6000 ans avant JC, une civilisation tout éblouissante s'était construite sur les bords du Nil. Qu'est-il arrivé à cette civilisation? Et à cette époque, où étaient les ancêtres de ceux qui vont faire le siècle des lumières? Tout simplement pour dire que lorsqu'on aborde ces problèmes sans relativiser, on tombe fatalement dans des excès ou on pèche par naïveté. Malheureusement, la vie de l'homme est si brève pour observer et expliquer certains phénomènes. Mais ce n'est pas l'objet du débat.
Convenons avec Xavier Messè que le siècle des lumières est le siècle fondateur de la civilisation vers laquelle nous tendons tous aujourd'hui. Mais ce siècle ne tombe pas du ciel. Il est l'œuvre d'un peuple qui a souffert jusqu'à la putréfaction. Avant les lumières, ce peuple européen "connut la peste qui décima plus d'un tiers de sa population. Il connut la guerre de 100 ans et plusieurs autres calamités".
S'il y a eu éclosion culturelle et ensuite la révolution industrielle, c'est parce que les peuples se sont battus contre les philosophes obscurantistes et qu'ils ont réussi à mettre la raison au dessus de toutes les formes de pensée. Il fallait se battre contre l'église. Il fallait affronter la terreur des monarchies tout aussi obscurantistes.
Aujourd'hui, l'Afrique fait son petit bonheur de chemin sur la route de l'évolution et du développement. Elle le fait à son rythme, trop lent selon certains. Mais dont les avancées sont perceptibles. Elle le fera selon la voie qu'elle s'est librement donnée. Elle le fera selon son rythme. Elle ne suit personne. Elle ne cherche à rattraper personne. J'ai l'habitude de dire que, lorsqu'on ne va pas au même endroit, lorsqu'on n'est pas attendu à la même heure, on n'est pas obligé d'aller au même rythme. L'Afrique ne demande à personne de s'apitoyer sur son sort surtout pas aux non Africains. Parce que j'ai encore une fois de plus envie de leur demander : De quoi je me mêle?
Fermer les yeux sur les avancées de l'Afrique aujourd'hui sur la voie de son développement est un gros piège dans lequel beaucoup de personnes tombent chaque jour par naïveté. Or, ce discours n'est pas gratuit. Il vise à décourager chez l'Africain toute tentative de se prendre en main. Il vise à l'infantiliser en disant ceci : Puisque vous avez des tares génétiques ne vous permettant pas de vous prendre en main, puisque vous traînez avec vous la malédiction de Cham, laissez donc qu'on vous recolonise, qu'on vous "esclavagise" puisque c'est votre destin. C'est l'objectif de tous les discours catastrophistes sur l'Afrique et de tous les grossiers clichés constamment véhiculés. On veut faire croire que les Africains souffrent plus qu'aucun autre peuple sur la terre n'a jamais souffert. Je ne veux pas insulter ceux qui souffrent, mais reconnaissons que pour arriver aux lumières comme l'affirme Xavier Messè en se laissant éblouir, les occidentaux ont souffert. Pour ne pas remonter trop loin, ils ont connu les barbares, ils ont connu l'autodafé, ils ont connu des rois parfois sanguinaires, ils ont affronté le froid, ils ont connu des guerres qui ont duré parfois cent ans. Et pourtant, ils se sont relevés. Mais quand il s'agit de l'Afrique, on crie à la fatalité et à la malédiction.
L'Afrique connaît un certain nombre de problèmes d'organisation. Elle connaît des problèmes de dictature qui sont aujourd'hui localisés dans un certain nombre de foyer. La responsabilité incombe aux peuples de se libérer. Lorsqu'il l'aura fait, la Renaissance africaine s'imposera d'elle-même. Et la prospérité sera au rendez-vous. Çà, les autres, c'est-à-dire ceux qui sont très prompt à parler de la malédiction africaine le savent très bien. Ils savent que l'Afrique possède l'atout majeur qui est l'attraction quasi magique qu'elle exerce sur ses fils éparpillés sur tous les continents. Ces fils qui aujourd'hui, n'en déplaise à Watson maîtrisent la science dans toutes ses coutures. Mais ceux qui ne le savent pas, continuent de se morfondre, de raser les mûrs, de se haïr et pire, de tuer les mythes africains.

LE CRIME

J'ai eu vraiment un frisson lorsque j'ai lu ce passage du texte de Xavier Messè dans lequel il se permet d'entasser tout ce que l'Afrique a comme mythe humain avant d'y mettre le feu. Ce faisant, il commet un crime irréparable parce que, si les Africains sont ce qu'ils sont aujourd'hui, c'est qu'au cours de l'esclavage et autres périodes d'oppression, leurs mythes avaient été détruits, les privant de repères. Il y a quelques jours, le Président Nicolas Sarkozy a demandé de lire dans toutes les écoles françaises, la lettre d'un jeune résistant communiste Guy Môquet, fusillé par les nazis. C'est ce qu'on appelle entretenir les mythes. Mais les mythes africains, voici ce qu'en fait Xavier Messè :
" Qu’il s’agisse de E.Blyden, de William Willberforce, de W.E.Dubois, de Sylvester- Williams, de George Padmore, de Frantz Fanon, d’Aimé Césaire, ces Noirs des Antilles ou des Etats-Unis; qu’il s’agisse de Kwa me Nkrumah, de Wallace Johnson, de Jomo Kenyatta, de Nnamdi Azikwe dans le continent, toute cette pléiade de penseurs noirs ont passé le clair de leur temps à pleurnicher, à dénoncer l’oppression. Cette rengaine plusieurs fois centenaire est devenue une tradition, voire une espèce de culture. Elle a maintenu le Noir dans une posture que Nietzsche appelle la "perspective de la grenouille", c’est à dire une perspective des gens opprimés pendant des siècles. Ils regardent de bas en haut".
Non Xavier, ce n'est pas juste! Lorsque je vois dans le bûché que tu as dressé, des sommités comme Aimé Césaire, Frantz Fanon, Kwame Nkrumah, en train de brûler parce que, selon toi, "ils ont passé leur temps à pleurnicher", je mesure la profondeur de l'injustice et peut-être de la trahison. Il faut lire Aimé Césaire dans "Discours sur le colonialisme" [Présence africaine, 1955, 60p] il ne pleurniche pas. Il attaque. Il monte au front et il assène des coups. Voici ce que dit Césaire dès les premières lignes de son ouvrage fondateur :
"Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. Le fait que la civilisation dite "européenne", la civilisation occidentale, telle que l'ont façonné deux siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre les deux problèmes majeurs auxquels son existence a donné naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial; que, déféré à la barre de la "raison" comme à la barre de la "conscience", cette Europe là est impuissante à se justifier; et que, de plus en plus, elle se réfugie dans une hypocrisie d'autant plus odieuse qu'elle a de moins en moins chance de tromper. L'Europe est indéfendable"
Quand on pleurniche, on ne peut pas parler avec une telle flamboyance. Aimé Césaire est même prophétique. Il suffit juste d'écouter le discours actuel sur l'environnement et le développement durable. Il faut relire les discours de Kwame Nkrumah Osagyefo pour en déceler aussi la dimension prophétique lorsqu'il parle de l'unité africaine et du panafricanisme. Il faut lire Frantz Fanon [Peau noire, masques blancs, Seuil, 1952, 188p] dont les textes sont plus subtils et même plus ironiques mais qui recèlent la même dimension offensive.
Pour ce qui est du retard de l'Afrique et ses causes, je conseille à Xavier Messe la lecture de la post colonie de Achille Mbembé [Mbembe, Achille. – De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine. Paris, Karthala, 2000, 293 p]. Il peut même déjà lire une article de Patrice Ondoua paru dans la même édition de "Mutations" : "Comprendre la faillite de l'Etat post colonial". Comme çà au moins, il cessera de se détester en tant que Noir et surtout cessera t-il de blâmer la victime et d'encenser la victime. Et enfin, pour accéder à la liste des inventions réalisés par les Noirs – au moins pour ne plus être complexé – je recommande à Xavier Messè le lien suivant : http://www.africamaat.com/article.php3?id_article=55. Il pourrait d'ailleurs le retrouver sur tous les sites sérieux qui parlent de l'Afrique.

Par Etienne de Tayo
Journaliste
Promoteur de "Afrique Intègre"
Blog : http://www.edetayo.blogspot.com/

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samedi 13 octobre 2007

CAMEROUN : LA SUCCESSION DE PAUL BIYA EN QUESTIONS





D'une succesion à l'autre, on peut assister à des événements parfaitement similaires comme on peut vivre des faits nouveaux. Pour n'avaoir pas liquidé la succession de son prédecesseur, Paul Biya cours le risque de voir la sienne propre sérieusement hypothéquée. Quand les héritiers d'Ahmadou Ahidjo hypothèquent la succession de Paul Biya!



En janvier 1947, Ahmadou Babatoura Ahidjo est élu à l'Assemblée représentative du Cameroun (ARCAM), au compte de la circonscription Benoué et au terme d'un second tour de l'élection dont le premier tour s'est tenu le 22 décembre 1946. Homme plutôt effacé et même timide, il gravira pourtant tous les échelons de la vie politique camerounaise jusqu'à la magistrature suprême : Président de l'Assemblée territoriale en 1957, Premier ministre en 1958, Président de la République en 1960. Il démissionne en 1982 en prenant tout le monde de court et en laissant de nombreux orphelins politiques. On gardera de lui, la grandiloquence du ton de ses discours et la main de fer avec laquelle il enserra le Cameroun et les Camerounais, une fois qu'il était sûr de tenir la réalité du pouvoir : "Je suis un homme… Je suis un homme pragmatique qui hait le dogmatisme" disait-il au cours d'une interview.
Le 22 juillet 2007, Mohamadou Badjika Ahidjo, fils aîné de l'ancien président camerounais, est élu député de la circonscription de Garoua Ouest à l'Assemblée nationale du Cameroun. La liste des municipales qu'il conduisait à Benoué II a aussi été victorieuse. Et c'est désormais son épouse, Oumoul Koultchoumi Ahidjo qui préside aux destinées de cette commune. C'est donc un vrai triomphe pour ce rejeton d'Ahmadou Babatoura Ahidjo qui, soixante ans après lui, entame lui aussi son parcours. Et que répond t-il lorsqu'on l'interroge sur cet entame triomphale : "Je veux juste avoir l'expérience parlementaire. Il faut se frotter à toutes les réalités, surtout en matière politique (…) Mon père a eu un parcours singulier (…) Demain, je serai peut-être quelqu'un d'autre. Et si le destin me conduit sur les pas de mon père, je ne pourrais que me réjouir". Appréciez la réserve dans le propos et une certaine modestie du ton : du Ahidjo tout craché.
Si l'on se laisse tenter par la théorie du préétabli qui voudrait que les élections au Cameroun relèvent d'une pure mascarade, les résultats étant connus d'avance du pouvoir qui aurait la possibilité de faire élire député qui il veut, même au sein des partis d'opposition. Une théorie, malheureusement très répandue chez les Camerounais surtout de la diaspora. Cette théorie, je ne la partage bien évidemment pas à cause de sa valeur annihilante qui finit par conduire au renoncement. Et le résultat justement c'est le très fort taux d'abstention observé lors des dernières élections législatives partielles où certaines sources avancent des chiffres d'abstention avoisinant les 80%.
Alors, si on se laisse tenter, disais-je, par cette théorie, on dirait que l'arrivée de Mohamadou Badjika Ahidjo à l'Assemblée nationale - après une dizaine d'années passées à la tête du conseil municipal de Garoua - parce que voulu par le pouvoir, n'est pas du tout un fait banal. Ceci, en raison du fait qu'il est le fils et finalement l'héritier d'Ahmadou Babatoura Ahidjo qui, selon la version largement répandue, offrit gracieusement le pouvoir à Paul Biya. Il faut prendre en compte ici, l'opinion de ceux qui pensent qu'au fonds de lui-même, Paul Biya sait qu'il doit une dette colossale à Ahmadou Ahidjo et qu'un jour ou l'autre il cherchera à l'effacer avant qu'ils ne se rencontrent là bas où vont toujours les Hommes.
Maintenant que l'héritier biologique et naturel d'Ahmadou Ahidjo, et non point seulement héritier politique comme les autres, vient d'investir la capitale Yaoundé comme son père il y a 60 ans. Ceci, au moment où des groupes aux dénominations de "G" quelque chose, ou tout simplement des réseaux plus ou moins brumeux s'activent à Yaoundé pour succéder, à l'échéance 2011, à Paul Biya, lui-même successeur constitutionnel d'Ahidjo. Au moment où un nouveau locataire plutôt déménageur et gaulliste pur sang vient de s'installer à l'Elysée. A quelques jours de la première rencontre entre le Président Français Nicolas Sarkozy et Camerounais Paul Biya.
N'est-il pas temps de jeter un regard rétrospectif sur les deux dernières transitions politiques au Cameroun. D'abord pour donner un éclairage aux prétendants à la magistrature suprême d'aujourd'hui et ensuite comprendre enfin les ressorts de la saga des héritiers d'Ahidjo qui a si souvent rythmé la marche du Cameroun depuis 1958. Je préfère parler des héritiers d'Ahidjo parce que à mon sens, la succession – politique s'entend - de ce dernier, prise dans des convulsions prévisibles, n'a jamais pu être liquidée. C'est vrai que certaines personnes avaient voulu y introduire une dimension tribale d'abord en présentant le parti Undp comme le cadre de regroupement des héritiers d'Ahidjo. Une démarche qui avait séduit les gens comme Samuel Eboua qui avait même réussi à se faire porter à la tête du parti. Ensuite, en faisant croire que ne pouvait être vrai héritier d'Ahidjo que celui qui se sentait à l'aise dans une gandoura et qui pouvait bien visser une chéchia sur sa tête. C'est en s'appuyant sur cette thèse que les "porteurs de gandoura" avaient réussi à débarquer Samuel Eboua au cours du fameux congrès de Garoua. Face à l'argument de ceux qui pensent qu'un vrai successeur d'Ahidjo doit porter la gandoura, Paul Biya à qui échoit finalement l'héritage politique d'Ahidjo et qui pourtant n'a jamais essayé une gandoura, répond souvent avec une pointe de raillerie : "Mais avant de me donner le pouvoir, Ahidjo les voyait avec leur gandoura non?"
Aujourd'hui, paysage politique camerounais a sérieusement évolué par rapport à ce qu'il était en 1982, lors de la seconde transition, par exemple. Mais nous ferons comme en économie en bloquant d'autres variantes et en supposant toute chose égale par ailleurs. Il faut d'ailleurs dire qu'au vu des résultats des dernières élections au Cameroun avec le ras de marée du Rdpc, on peut croire que le pays de Paul Biya avance inexorablement et malheureusement vers un parti unique de fait. Donc on retombe pratiquement dans la situation de 1982.

AHIDJO, COMME UN SPHINX

En 1958, André Marie Mbida, arrivé à la tête du gouvernement camerounais un an auparavant fatigue déjà les Français par ses prises de position tranchées, son impatience dans le reglement de la rébellion qui ensanglante le pays Bassa depuis quelques années. Il agace surtout par son affirmation indépendantiste sur certains sujets. La France s'apprête au Cameroun à accorder une indépendance en trompe œil comme d'ailleurs dans la majorité de leurs colonies. Il leur faut des hommes sûrs et surtout maîtrisables. Pour la France, Mbida est fougueux, brutal et finalement imprévisible. Il ne fera pas l'affaire. Il faut le virer.
La France a repéré dans la classe politique camerounaise, un homme "étonnement muet, effacé et respectueux de la hiérarchie", comme le relève Noumbissie M'Tchouake. Cet homme, c'est Ahmadou Babatoura Ahidjo "considéré par ses adversaires comme un paresseux". Ce qui était paradoxalement un plus à la panoplie des atouts qu'il présentait déjà. C'est donc sur ce Peul originaire de Garoua, qui a tout de même un parcours politique honorable et qui dirige le second groupe à l'Assemblée territoriale, que la France jette finalement son dévolu pour se débarrasser de l'encombrant Mbida. Mais pour arriver à imposer son candidat, la France doit d'abord manœuvrer pour faire tomber le gouvernement Mbida et ensuite manœuvrer pour éliminer tous les autres concurrents sur la ligne de départ.
Le renversement du gouvernement Mbida a été obtenu grâce à la manœuvre de la "démission collective". Elle a consisté pour Ahmadou Ahidjo à démissionner du gouvernement avec tous les membres issus de ses rangs. C'est pour cela que, le malfrat revenant toujours sur le lieu du crime, il tenta en 1983 d'utiliser la même manœuvre contre son successeur Paul Biya en demandant à son filleul et Premier ministre Maïgari Bello Bouba de démissionner avec tous les ministres originaires du Nord à l'issue du gouvernement du 18 juin 1983. Mal lui en prit parce que Biya n'était pas Mbida et le contexte de 1983 était très différent de celui de 1958. En France, François Mitterrand, est désormais aux affaires. Il est le pire ennemi politique de De gaulle qui avait intronisé Ahidjo en 1958. Il est intéressant de savoir que le 18 juin 1983, date du gouvernement de défi de Paul Biya, rime avec une date (18 juin 1940) très chère au Général De Gaulle et à tous les Gaullistes. Il faut aussi relever que Mitterrand choisi d'atterrir au Cameroun le 20 juin au lendemain de ce remaniement ministériel controversé et à haut risque. Il y effectua une visite officielle de deux jours pour, disent certains introniser à son tour Paul Biya.
L'autre équation qui se posait à la France en 1958 consistait à neutraliser les autres concurrents d'Ahidjo. Ils avaient pour noms :
Paul Soppo Priso : Certains Français se laissent charmer par les allures débonnaires de ce bon Douala qui tel un chat se préoccupera plus à lécher et lustrer ses poils qu'à s'engager dans des batailles qui pourraient les ébouriffer et dégrader ainsi sa mise. Soppo dispose des atouts certains. Il a été Président de l'Assemblée territoriale. Il est issu d'une ethnie très minoritaire mais qui a su conserver son identité. Soppo est même approché au cours d'une réunion à Paris pour succéder à Mbida, mais il esquive par calcule. Il connaît la situation du pays particulièrement explosive. Il veut une personne pour essuyer les plâtres et lui viendra en recours.
Daniel Kemajou : En 1958, il est le Président de l'Assemblée territoriale du Cameroun. C'est un homme courageux. Il le montrera d'ailleurs par son "non" aux pleins pouvoirs à Ahmadou Ahidjo en 1959. Mais il est un peu trop imbu de son statut de prince puis de chef traditionnel de Bazou. Il dispose lui aussi des atouts mais il est fortement desservi par un contentieux qui oppose les Bamiléké, ethnie dont il est issu, à la France. Et ce contentieux, en quoi consiste t-il? Il se trouve tout simplement que les Français, qui s'apprêtent à jeter les bases de l'exploitation du Cameroun connu aujourd'hui au niveau continental sous le nom de françafrique, ont trouvé en les Bamiléké, déjà très impliqués dans les affaires, des concurrents qui pourraient sérieusement les gêner. Ils ont donc véhiculé un certain nombre de clichés qui tendaient tous à démontrer que ce n'était pas bon pour le Cameroun qu'un Bamiléké en soit le Président. Des clichés qui courent encore à ce jour.
Arouna Njoya : Comme les autres, il a été représentant à l'Assemblée de l'Union française et au Sénat français. C'est un homme très charismatique qui réussira en 1961 à réunir, chez lui à Foumban les protagonistes des deux Cameroun (francophone et anglophone), dans la conférence de la réunification. Nji Monkouop par son père, c'est-à-dire oncle du roi, Njoya Arouna est très populaire dans le pays Bamoun en raison de sa contribution au maintien du royaume que les Français voulaient disloquer pour lui faire payer au Sultan Ibrahim Njoya sa fidélité aux Allemands. L'autre atout de Njoya Arouna c'est la position charnière des Bamoun qui, présentés comme les cousins des Bamiléké, disposent de liens très solides avec le Nord musulman dont ils ont épousé la religion. Mais malgré tout cela, il ne dit vraiment rien aux Français comme vrai recours. Et d'ailleurs lui-même se plaît plus dans des rôles de médiateur que celle d'un vrai leader ambitieux.
Charles Okala : Il a été représentant du Cameroun au Sénat français. Il a été plusieurs fois ministre. Si on avait voulu préserver les équilibres régionaux et même intellectuels, Okala aurait été la personne la mieux indiquée pour remplacer Mbida à la primature. Originaire de Ntui, il se trouve à quelques encablures seulement d'Obala, le fief d'André Marie Mbida. De même, il est séminariste ayant suivi des études générales et religieuses comme Mbida. Comme lui d'ailleurs, il est convaincu qu'ils sont supérieurs aux autres issus de l'école primaire supérieure. Et cette assurance agace les Français et finira par le disqualifier.
Charles Assalé : C'est un syndicaliste originaire de la région d'Ebolowa dans le Sud ayant été proche de l'Upc. Il est populaire dans son fief et dispose d'une capacité de nuisance certaine. Mais très peu de personnes le prennent au sérieux, surtout pas comme dirigeant de haut niveau.
Après donc la chute du gouvernement Mbida en janvier 1958, après la manœuvre de la démission collective des ministres du groupe Ahidjo, les Français avaient constaté que les autres leaders tardaient à rallier Ahidjo et le risque de voir Mbida rallier le Sud Cameroun à sa cause et même de ressusciter était grand. C'est alors que la France actionna la seconde manœuvre. Il s'agit en fait d'un leurre qui a pourtant magistralement marché. La France a fait courir le risque de la partition du Cameroun en deux afin que Ahmadou Ahidjo, leur candidat préféré, gouverne sur le Nord. Les Français étaient parfaitement au courant du patriotisme presque épidermique des leaders camerounais de l'époque pour qui le Cameroun devait être un et indivisible. Ils se sont donc senti atteint dans ce qui leur est de plus cher : la Nation camerounaise. Ils ont tenu à régir pour la préserver.
C'est ainsi qu'à l'initiative de Paul Soppo Priso, une réunion fut tenue dans sa villa campagnarde de Bonapriso. On y retrouvait Ahmadou Ahidjo et tous les leaders cités ci-dessus sauf bien sûr André Marie Mbida contre qui était dirigé la conspiration. Là bas, ils ont joué sans le savoir une pièce de théâtre écrite et mise en scène par la France et qui a consisté en l'adoubement d'Ahmadou Babatoura Ahidjo. Tous avaient une seule préoccupation en tête : préserver l'unité territoriale du Cameroun.
Bien entendu, au cours de cette réunion, Ahidjo se montra plus muet et effacé que jamais. En fait il s'agit d'une stratégie propre aux Peuls et qui consiste à dissimuler au plus ses intentions au risque même d'être pris pour un niais. Mais ce qui est sûr c'est qu'ils n'oublient jamais le chemin qui mène à leur objectif qu'il finit par saisir comme un fauve attrape sa proie. C'est Moussa Yaya Sarkifada, leader politique camerounais et lui-même Peul qui nous éclair sur cette stratégie et sur sa mise en œuvre au cours de cette période de transition : "Ils (les autres leaders) nous prenaient pour des idiots et c'est comme çà que nous jouions plus encore à l'idiot pour les perdre. Ils nous appelaient "Maguida" (référence faite ici à une race de vendeurs ambulants originaires du Nord qui écumaient les villes du Sud et dont la légende disait qu'ils étaient en fait des fantômes des personnes mortes parce que "vendues" dans la sorcellerie. On disait aussi qu'ils avaient des pattes de chèvre et c'est pourquoi ils portaient de longs boubous pour les cacher). Ils se moquaient de nos gandouras qu'ils prenaient pour des robes et c'est comme çà aussi qu'ils nous assimilaient aux femmes. Mais nous ne nous laissions pas distraire. Le jour où nous avons senti que nous détenions la réalité du pouvoir, il était trop tard pour eux. C'était désormais à nous de jouer et à eux de danser", révèle Moussa Yaya, un rien triomphant.
Lorsque j'ai lu un bref portrait de Mohamadou Badjika Ahidjo par Olivier Mbellé, journaliste à la Nouvelle Expression lors de la première session parlementaire après les législatives du 22 juillet 2007, j'ai tout de suite perçu cette identité Peule : "Très discret et d'une sobriété légendaire, le nouveau député de la Benoué, Mohamadou Badjika Ahidjo, était loin du champ visuel des cameras", écrit le journaliste. En fait lorsqu'on observe Badjika, il a un regard fuyant, un sourire écrasé et une silhouette particulièrement frêle. Il me souvient que je m'étais étonné devant cette indolence de Djika et je m'étais ouvert à Moussa Yaya. Il m'avait dit ceci : "Son père était exactement comme lui. Et pourtant, il a fait le parcours politique que tu connaît". Ce parcours qui l'a conduit au sommet de tous les pouvoirs jusqu'à sa démission mystérieuse de novembre 1982.

AHIDJO, LE MALIN

Lorsqu'il décide de se retirer de la scène politique en 1982, Ahmadou Ahidjo n'a pour sa part aucun doute sur le règlement de sa succession qu'il a longtemps mûri dans le secret le plus absolu. Il l'a voulu pacifique et réglé comme sur du papier à musique. Mais les choses n'étaient pas aussi sereines que l'actualité de l'époque l'avait laissé penser. Malgré son casting presque public et l'adoubement officiel qu'il avait accordé à Paul Biya – d'abord comme premier ministre successeur constitutionnel et ensuite comme vice président du parti au congrès de la maîtrise à Bafoussam - pas moins d'une demi douzaine de noms circulaient qui prétendaient tous ou qui se laissent dire qu'ils étaient ses héritiers, les uns plus légitimes que les autres.
Paul Biya : C'est le candidat préféré d'Ahmadou Ahidjo. Il est à son image. Ses adversaires parlent d'un homme effacé et transparent. Les plus méchants le qualifient de la "non personne". Depuis 20 ans, Ahidjo l'a accueilli, dit-on, avec une lettre de recommandation de Louis Paul Aujoulat. Il l'a fait gravir tous les échelons administratifs de l'Etat et n'hésitant pas au besoin à l'exposer : Chargé de missions, directeur de cabinet civil du Président de la République, Secrétaire Général de la Présidence de la République, Premier ministre, successeur constitutionnel. On était en plein dans une monarchie constitutionnelle.
D'après Moussa Yaya qui savait parfaitement de quoi il parle, Paul Biya avait réussi haut la main à tous les tests :
- Le test du pouvoir : Rien dans son attitude ne laissait montrer qu'il était dans une posture d'attente du pouvoir. Ou encore qu'il marquait une quelconque impatience. Par son comportement au quotidien et la configuration de son entourage, il avait aussi pu convaincre Ahidjo de ce qu'il n'était pas tribaliste. Paul Biya est un serviteur fidèle. Il n'est pas un courtisan. C'est ainsi qu'il n'avait jamais porté la gandoura comme certains de ses congénères;
- Le test de l'argent : On ne lui connaissait aucune fortune et aucune volonté d'en acquérir malgré les dossiers financiers qu'il avait traité et sur lesquels il pouvait se laisser tenter par l'affairisme. On lui reconnaissait une villa bien modeste dans le quartier Anguissa.
- Le test de la femme : Bien qu'il ne fut pas qu'un prélat en la matière, force est de reconnaître que Paul Biya ne s'était pas offert le droit de cuissage sur les femmes, y compris mariées, comme beaucoup de ses collègues de l'époque. Il était très attaché à sa femme et d'aucuns n'hésitaient pas à dire qu'elle le dominait.
Ainsi, ce qui pouvait être considéré comme des faiblesses de Paul Biya par ses concurrents, étaient transformé en atouts majeurs par un Ahidjo qui avait d'autres calculs en tête.
Ayissi Mvodo Victor : À la différence de Paul Biya, Victor était plus activiste et même tonitruant. Pour avoir été secrétaire politique de l'Unc, il était plus politique que Biya qu'il se plaisait à défier, les deux partageant la même aire géographique qui était alors le Centre-Sud. Une légende, pas toujours vérifiable, comme toutes les légende d'ailleurs, voudrait qu'il ait giflé l'actuel président camerounais au cours d'une altercation portant justement sur la succession d'Ahidjo.
Ahidjo se montrait agacé par les manœuvres politiciennes d'Ayssi Mvodo. Il vivait très mal le fait que Victor utilise sa position de pouvoir pour "brimer ses frères". Il se montrait aussi bien amusé par les attitudes courtisanes qui obligeaient Ayssi Mvodo à se mettre très souvent en gandoura immaculé. D'aucuns disaient de lui que pour parler avec Ahidjo… au téléphone, il se croyait obligé d'enlever son chéchia. Mis au courant, Ahidjo aurait envoyé quelqu'un le vérifier sur place. Pour Ahidjo, Ayissi était un homme trop imprévisible pour qu'il garde le pouvoir chez lui.
Jeune reporter à "Challenge Hebdo", j'avais rencontré Ayissi Mvodo en 1993 dans sa villa de Mfou. Il était encore en réserver de la République. Lui ayant proposé une interview pour mon journal, il m'avait dis de repasser dans quelques jours, le temps pour lui de consulter les siens. J'étais repassé quelques jours après et il m'a dit qu'après avoir consulté les siens, il n'était pas possible pour lui de m'accorder l'interview. Plus tard, je l'ai vu se relancer en politique dans l'optique d'en découdre une fois pour toute avec Paul Biya. Il est mort presque en plein vol à quelques mois de l'élection présidentielle de 1997 après avoir fait rêver plus d'un déçu du Biyaïsme.
Eboua Samuel : C'était un bon commis de l'Etat et beaucoup ont pu dire qu'il était le préféré de Mme Ahidjo dans cette course vers la succession. Sa fidélité à Ahidjo ne souffrait d'aucune contestation. Mais Ahidjo lui-même n'appréciait pas le caractère parfois belliqueux de Samuel Eboua qui, dans son entourage, avait décidé d'ouvrir ouvertement la guerre contre Paul Biya et Moussa Yaya. Il pensait que pour exister, il eût fallu que ces deux personnes disparaissent. Or, chacun d'eux avait un rôle bien précis à jouer auprès d'Ahidjo et on peut même dire qu'ils lui étaient indispensables. Ahidjo l'aimait bien Eboua. Mais pas au point de sacrifier les autres pour ses beaux yeux.
Samuel Eboua a été aussi largement desservi par le conflit foncier qui l'opposait aux Bamiléké dans son Moungo natal. Ahidjo voyait dans ses agissements, les germes du tribalisme qu'il voulait absoilument éviter au Cameroun.
William Aurélien Eteki Mboumoua :
Dans le regard d'Ahidjo, Eteki lui rappelait Soppo Priso qu'il avait réussi à confiner aux affaires et qui finalement lui manquait en politique. Eteki était d'ethnie Douala comme Soppo et avait même fini par devenir son beau fils. Plusieurs fois, Ahidjo avait voulu lui mettre le pied à l'étrier. Mais à chaque fois il était découragé par les attitudes empreintes de trop de fierté d'Eteki. C'est vrai qu'il n'appréciait pas particulièrement les courtisans, mais aussi Ahidjo ne voulait pas non plus de collaborateurs trop suffisants.
En 1965, Ahidjo vire Eteki du gouvernement sans raison suffisante, juste pour voir ce qu'il va faire. Ce dernier en profite pour prendre ses vacances et va s'installer à Paris. A sa place, d'autres seraient en train de pleurnicher à Yaoundé et de tournoyer autour du pouvoir pour espérer un retour. Intrigué par l'attitude de Eteki, Ahidjo le rappelle au pays et finit par le nommer ministre chargé des missions à la Présidence de la République.
En 1980, au congrès de Bafoussam, Ahidjo a bien voulu introniser Eteki Mboumoua au niveau du parti. Mais il y a renoncé à la dernière minute, on ne saura jamais pourquoi.
Maïgari Bello Bouba : Ce prince de Baschéo avait presque été copté à partir du berceau politique par Ahidjo qui l'avait tout de suite pris sous son aile. Ils étaient comme çà un certain nombre de prince ou princesse que Ahidjo, plutôt roturier, était obligé d'adopter dans le Nord encore très féodal pour se faire accepter dans des lamidats où s'imposer par la force pouvait lui être fatal.
Pour Ahidjo, Maïgari Bello Bouba n'était pas à proprement parler, un dauphin mais plutôt un jeune loup qui avait encore à faire ses dents pour, un jour, s'attaquer aux grandes proies. Dès sa cooptation, il l'avait tout de suite pris à ses cotés comme secrétaire général adjoint de la Présidence de la République, question de l'habituer aux dossiers. Il savait que sa démission fera beaucoup d'orphelins dont Bello.
Pour sa part, Bello qui savait qu'il doit tout à Ahidjo ne manageait nullement sa fidélité à son endroit. Il est prêt à tout pour lui faire plaisir. Surtout quand il croit que c'est Ahidjo qui l'a propulsé au poste de Premier ministre un certain 6 novembre 1982, dernière marche vers la magistrature suprême.
Issa Adoum : C'est un des volatiles de la basse-cour d'Ahidjo. Originaire de l'actuel extrême Nord, c'est l'un des enfants que Ahidjo avait pris sous sa protection en raison des relations qui le liaient à son père. Pour les adversaires de Issa Adoum, il ne valait même pas un poussin. Mais lui-même se prenait pour un coq. Personnage présenté comme brouillon et prétentieux, Issa Adoum était le chef de file d'un groupe composé essentiellement de militaires. Pris dans le piège du coup d'Etat d'avril 1984, ils avaient tous été passés par les armes.
Mohamadou Badjika Ahidjo : Son allure plutôt frêle ne le laisserait jamais soupçonner. Pourtant, Badjika est un militaire. Peut-être c'était un moyen pour son père de le requinquer un peu. Peut-être voulait-il imiter certains rois arabes de qui il était si proche. Mais on ne connaissait pas de tendance monarchique à Ahmadou Ahidjo. Il rêvait plutôt d'une position de grand timonier.
Ce qui est vrai c'est que Ahidjo ne pouvait pas se faire succéder par son fils. C'était même un sujet tabou chez lui. Ahidjo était très soucieux de l'équilibre régional du Cameroun. C'est donc clair que Badjika ne pouvait pas succéder à Ahidjo, son père. Qu'en sera t-il de Paul Biya, son tonton?

PAUL BIYA, LE MALIN ET DEMI

Mais revenons en 1982 pour revivre les moments intenses de la transition. L'idée répandue à ce jour est que Paul Biya avait été pris de cours par le pouvoir qui lui tombait presque dessus. Certains vont même jusqu'à dire qu'il avait pleuré en suppliant son mentor de lui épargner une telle responsabilité. Si jamais il se trouve qu'il l'avait fait réellement, ce devait être plus par convenance que par une quelconque peur de la responsabilité. Il paraît que les responsables politiques de l'époque, surtout ceux qui étaient autour d'Ahidjo avaient parfois la larme facile, surtout lorsqu'ils se retrouvaient en face du grand camarade. Ceci avait pour lui l'avantage de doper sa puissance. En tout cas, beaucoup pensent qu'il n'était pas préparé à assumer la fonction suprême que Ahidjo lui avait accordée.
Aujourd'hui, et en observant comment les événements s'était enchaînés, on peut affirmer avec une marge d'erreur très faible que non seulement Paul Biya attendait le pouvoir, mais qu'il s'était préparé à l'assumer. C'est vrai que la tentation est grande de faire valider la thèse de l'impréparation en faisant valoir les contre performance du Cameroun depuis bientôt deux décennies. Mais ce n'est qu'une coïncidence malheureuse.
A partir de 1975 et depuis la primature où il était pratiquement en réclusion, Paul Biya savait qu'un jour ou l'autre son heure sonnera. Et lorsque cette heure sonnera, rien, mais alors rien n'entravera sa marche vers le trône. Et c'est Moussa Yaya qui traduit parfaitement cette ambiance : "J'ai vu Ahidjo se débarrasser du pouvoir comme une personne dégage la fourmi qui l'a mordu et qui reste accroché à sa peau".
A la primature, alors qu'il subissait pratiquement une traversée de désert, Paul Biya s'était entouré d'un certain nombre de jeunes cadres de tous les corps de l'administration et de toutes les régions. Certaines de ces personnalités sont d'ailleurs encore à ses cotés aujourd'hui. D'autres malheureusement tels René Owona ou encore Philippe Mataga sont depuis passés de vie à trépas. On y trouvait des économistes, des juristes, des agronomes, des administrateurs civils… Il attendait le pouvoir. Du pouvoir, Paul Biya n'avait pas une attente passive. Il avait une attente active, c'est-à-dire qu'il manoeuvrait pour que les choses s'accélèrent. Il le faisait avec une telle subtilité que cela passait presque inaperçue. C'est ainsi qu'il avait anticipé la transition et savait plus que son mentor comment elle se passera. Il savait par exemple, pour avoir fait des études universitaires, que lorsqu'on reçoit le pouvoir de la façon dont il devait le recevoir, le parricide était absolument nécessaire pour le consolider.
On peut dire de Paul Biya qu'il était finalement l'élève qui avait fini par supplanter le maître. Il a rusé plus que Ahidjo qui croyait être l'homme le plus rusé de tous les temps. Il lui a soigneusement caché son jeu. D'où l'accusation de fourbe que Ahidjo lui a portée : "Je me suis trompé. Le président Biya est faible. Mais je ne savais pas qu'il était fourbe et hypocrite". En parlant ainsi, Ahidjo s'est trahi. On peut en effet croire qu'il le savait faible et c'est d'ailleurs pour cela qu'il l'a choisi. Mais il ne voulait pas donner le pouvoir et le reprendre comme certaines personnes l'ont soutenu. Il était plutôt séduit par une position qu'il voulait occuper celle du grand timonier comme celle de Mao Tsé Toung qu'il admirait tant ou encore comme celle de l'Ayatolah Khomeny. Il voulait être le guide. Il voulait être le recours. Il croyait que toute la classe politique allait continuer à venir se prosterner devant lui comme par le passé y compris Paul Biya.
Le conflit entre Biya et Ahidjo a d'abord commencé sur l'avion présidentiel pour ensuite embrayer sur l'affaire des dépendances de la résidence du lac.
Après sa démission et l'investiture de Paul Biya, le président Ahidjo continuait à solliciter l'avion présidentiel pour ses déplacements. Le président Biya l'accordé une ou deux fois mais les faucons de son camp lui ont certainement dit que l'avion présidentiel était un attribut du pouvoir et que le laisser à Ahidjo pouvait sérieusement hypothéquer la consolidation de son pouvoir. Alors, un jour, Ahidjo a sollicité l'avion présidentiel et à la place on lui a envoyé un lot de billets de la Camair, la compagnie aérienne nationale. Ahidjo a piqué une colère noire et a considéré cela comme une grosse insulte.
L'histoire des dépendances, c'est que dans le deal de la passation du pouvoir Ahidjo devait libérer le palais du Lac précédemment la résidence du premier ministre Paul Biya qui lui devait désormais occuper le palais présidentiel. Ahidjo devait rester à Yaoundé, le temps que sa fille termine ses études de médecine au Cuss. Il veut occuper la résidence mais elle n'est pas toujours libérée. Les dépendances continuent d'être habité par les relations du nouveau président. En attendant, Ahidjo est confiné à la résidence des hôtes au sommet du Mont Febe à quelques encablures du palais présidentiel qu'il a abandonné. Il fait une première relance à Paul Biya pour que les dépendances soient libérées afin qu'il réintègre la résidence. Mais des semaines passent et puis des mois, rien! Ahidjo tempête : "Mais j'ai cédé tout le pays à Biya! Comment c'est si difficile pour lui de me donner une résidence où je vais attendre la soutenance de ma fille".
Lorsqu'on analyse le problème au fond, on comprend finalement que c'est juste un problème d'humeur comme on en rencontre tout les jours dans les relations humaines qui a dégénéré en raison de la complexité du réseau en place. Les complots et tout ce qu'on a pu voir par la suite n'étaient nullement la cause mais plutôt la manifestation des sautes d'humeur entre un mentor et son filleul. La cohabitation entre les deux hommes, parce qu'elle était génératrice de ce qu'on a pu appeler bicéphalisme, n'était plus possible sans heurt. Et çà, c'est Ahidjo qui a manqué le niveau intellectuel pour comprendre ces choses un peu compliquées de la science politique. Il lui suffisait de lire et assimiler par exemple "Le Roi Lear" de Shakespeare pour comprendre que le pouvoir ne se garde pas chez un autre.
Même au Sénégal où une telle transition avait eu lieu un an auparavant et qui de toute évidence aurait sérieusement inspiré Ahidjo, tout laisse croire que si le président Senghor n'avait pas finalement choisi d'immigrer en France, on aurait connu le même scénario qu'au Cameroun. Tout cela parce que, au-delà des deux protagonistes que nous voyons et qui sont le prédécesseur et le successeur, il y a dans chaque camp, une troupe de faucons qui comme tous les faucons, sont là pour bagarrer et qui ne peuvent pas exister sans bagarre.
C'est vrai qu'au Cameroun, quand les hostilités avaient commencé, elles s'accompagnaient généralement de grandes manœuvres. Et c'est celui, ou le camp, qui avait le plus anticipé qui marquait aussi le plus des points. Deux faits permettent de comprendre l'anticipation de Paul Biya, ou de son camp, sur les événements : La nomination de Maïgari Bello Bouba et la mission de Moussa Yaya chez les Bamiléké.
La nomination de Maïgari Bello Bouba :
Lorsqu'il lui transmet officiellement le pouvoir le 6 novembre 1982, Ahidjo remet à Paul Biya une liste de personnalités qu'il souhaite voir entrer au gouvernement ou maintenus s'ils y sont déjà. Dans cette liste, le Premier ministre qu'il propose s'appelle Youssoufa Daouda. Officiellement, Paul Biya n'a rien contre lui. Et pourtant il convainc Ahidjo d'accepter Maïgari Bello Bouba à la place. Youssoufa Daouda est originaire du grand Margui Wandala, la région qui deviendra la province de l'extrême nord. Une zone sur laquelle, durant tout son règne, Ahidjo a imposé l'hégémonie islamo-peul sur les masses kirdi en les matant systématiquement à travers le gouverneur Ousmane Mey, un kotoko. Youssoufa n'est pas à proprement parlé un kirdi mais on peut voir dans sa nomination, la volonté d'Ahidjo, d'éloigner le pouvoir de Garoua et de faire comprendre aux kirdis qu'ils peuvent espérer. Mais Biya qui sait ce que Ahidjo peut gagner dans ce jeu là ne lui donne pas cette chance. En obtenant la nomination de Maïgari Bello Bouba, fils presque adoptif d'Ahidjo et originaire de Baschéo dans les environs de Garoua, il veut montrer aux Kirdis qu'aucun espoir n'est permis, du moins, pas avec Ahidjo qui continue avec son nombrilisme de Garoua. Et que si d'aventure, ils peuvent espérer à un quelconque salut, celui-ci ne viendra que de lui.
Les choses se passeront exactement comme il a prévu. Au plus fort de la crise entre lui et son illustre prédécesseur Ahmadou Ahidjo, Maïgari Bello Bouba qui croit tout devoir de ce dernier ira présenter sa démission au Président Biya. C'est alors que celui-ci sortit la liste manuscrite du Président Ahidjo et lui dit ceci : "Nous tous connaissons l'écriture du patron. Vous voyez bien que ce n'est pas vous qu'il avait proposé au poste de premier ministre", lui dit-il. Maïgari Bello Bouba sortit de cet entrevu complètement bouleversé. Il ne savait plus s'il doit détester Ahidjo ou proclamer sa fidélité à Biya. C'est pourquoi, quelques mois après, il s'embarqua pour un exil au Nigeria alors qu'il n'était pas réellement menacé au Cameroun.
La suite des événements montre bien que, pour combattre Ahidjo dans le Nord, Biya n'est pas passé par quatre chemins. Il a tout simplement opposé à l'hégémonie islamo-peule, la contre hégémonie kirdi notamment en favorisant l'émancipation de ces derniers. Le premier acte a été la nomination de Ayang Luc, un Kirdi de surcroît chrétien pour remplacer Maïgari Bello Bouba au poste de premier ministre. Par la suite, il a créé la province de l'extrême nord, présentée comme fille aînée du Renouveau. C'est sur ce registre qu'il a fonctionné pour réduire l'influence islamo-peule à sa portion congrue dans la Nord.
Mission chez les Bamiléké :
En janvier 1983, Moussa Yaya, sur la demande du Président Ahidjo, alors président du parti UNC, fit une mission dans la province de l'ouest. Pour comprendre la genèse de cette mission, il faut remonter à la passation du pouvoir entre Ahidjo et Biya. Le président Ahidjo aurait attiré l'attention de son successeur sur les relations privilégiées qu'il doit absolument avoir avec les Bamilékés : "Si tu te brouilles avec eux, tu risquerais avoir de sérieux ennuis", lui aurait-il dit. Dans le cadre du parti, Ahidjo avait donc mis Moussa Yaya en mission pour savoir quel était l'état d'esprit des Bamiléké après sa démission et comment ils accueillaient le nouveau président. Il devait aussi les rassurer de ce que rien n'a en fait changé et que le deal qui les liait devait continuer.
Moussa Yaya a fait la mission auprès des notabilités et des élites de l'Ouest. Mais quand il est revenu à Yaoundé, c'est d'abord chez Biya qu'il a déposé son rapport. Ahidjo qui a été mis au courant et qui peut-être sentait déjà la dégradation du climat politique, n'a pas digéré ce qu'il a considéré comme un acte de trahison de la part de Moussa Yaya. D'où le coup de colère qui a conduit à l'éviction de Moussa Yaya du parti et de toutes les responsabilités en février 1983 : "Je suis remonté à Garoua comme j'étais descendu 25 ans auparavant", se souvient Moussa Yaya. Puisqu'il ne pouvait pas dire exactement ce qui s'est passé, Ahidjo a soutenu que Moussa Yaya était en train de manipuler dans le but de s'accaparer le parti : "Moussa Yaya est maintenant tout le temps fourré chez mes ennemis. Donc il veut ma mort", avait-il dit au cours de la réunion de réconciliation que le Lamido de Garoua avait organisé après le clash.
Mais il faut démêler cette affaire pour mieux comprendre. Moussa Yaya n'avait jamais accepté la démission d'Ahidjo et le lui avait dit : "Vous ne pouvez quand même pas dire subitement que vous démissionnez et que vous donnez le pouvoir à Biya. Ce pouvoir là, nous l'avons construit ensemble. Nous sommes un certain nombre. Il fallait au moins nous réunir afin que nous voyions ce qu'il y a lieu de faire", avait dit Moussa Yaya à Ahidjo. Mais puisque Ahidjo s'était entêté et avait remis le pouvoir à Biya, Moussa Yaya qui ne pouvant pas s'épanouir trop éloigner du pouvoir, était en train de se régénérer dans le système Biya. Il n'hésitait même pas à se moquer d'Ahidjo : "Mais il dit qu'il a remis le pouvoir. Qu'est ce qu'il fait encore à Yaoundé, il faut qu'il parte", disait-il parlant d'Ahidjo et en sachant parfaitement que les propos lui seront rapportés. Ahidjo rétorquait que Moussa Yaya est un opportuniste : "Il est déjà fourré chez Biya". Donc, le rapport de la mission qui va d'abord chez Biya n'était que la goutte d'eau.
A l'issue de cette affaire, Paul Biya, finalement le grand vainqueur, avait fait d'une pierre deux coups : il avait réussi à neutraliser Moussa Yaya dont la perspective de l'avoir aussi bien comme adversaire ou même comme allié le terrorisait pratiquement. Il avait réussi aussi à affaiblir Ahidjo en le brouillant avec son allié de toujours. Pendant la crise, une personne, qui était venu proposer à Biya de récupérer Moussa Yaya pour combattre Ahidjo, avait eu cette réponse mémorable de Biya : "Ahidjo m'enlève une épine du pied et tu veux que je me l'enfonce moi-même!?".
Ces deux faits qui sont certes des détails mais des détails de poids, montrent bien que Paul Biya ou si vous voulez, le camp de Paul Biya de l'époque, avait bien une stratégie de conquête et de conservation de pouvoir. Ils avaient même un plan de lutte. Un tel appareillage ne s'élabore pas en deux jours et surtout pas dans la précipitation.

TROP DE PRETENDANTS POUR UN SEUL FAUTEUIL

Nous avons vu que pour ce qui est de la succession présidentielle au Cameroun, la France avait joué un rôle prépondérant et même ouvert en 1958, ce d'autant plus que le Cameroun n'était pas encore indépendant et la France y exerçait une tutelle. En 1982, cette intervention de la France a été plus que discrète et même parfois imaginaire. Qu'en sera-t-il en 2011?
Selon Luc Sindjoun, "la succession présidentielle se déroule dans un marché des positions politiques, constitué par l'ensemble des relations concurrentielles entre acteurs du pouvoir d'Etat tissées autour du Président de la République. C'est celui-ci qui distribue les rôles et les positions de prestige, organise la proximité ou la distance vis-à-vis de lui. Dans un contexte d'autoritarisme, de monopole politique, le marché gouvernant est au cœur de la succession présidentielle". Lorsqu'on regarde le paysage politique camerounais aujourd'hui, et lorsqu'on analyse la progression des acteurs et surtout le rôle central que joue Paul Biya, on peut dire que le décor est presque planté.
En 1982, la victoire de Paul Biya - technocrate et homme du système qui n'avait jamais affronté une élection - sur Ahidjo, homme politique de race, traduisait et encrait le triomphe des politiciens du décret. Elle marquait la primauté du modèle bureaucratique sur le modèle politique de succession. Il faut souligner que ce modèle bureaucratique et de promotion des politiciens du décret avait été développé par Ahidjo lui-même. Il le faisait parce qu'il avait peur de voir les politiciens de race se régénérer hors du système. Car, comme le souligne encore Luc Sindjoun en citant Bourdieu : "La logique du système bureaucratique vise la consécration des "gens sûrs" qui ne sont rien sans le système, qui n'ont rien d'extraordinaire, rien en dehors de l'appareil, rien qui les autorise à prendre des libertés à l'égard de l'appareil, à faire les malins". En clair, Ahidjo avait été victime d'un système que lui-même avait passé son temps à construire. Et c'est Moussa Yaya Sarkifada qui l'avait perçu avec une lucidité incomparable. Il avait le sens du flair et de la météo politique.
En effet, lorsque Ahidjo reçoit Moussa Yaya en mi journée du 4 novembre 1982, il lui annonce sa décision de démissionner et de transmettre le pouvoir à Paul Biya. Passé le temps des surprises, Moussa Yaya l'avait clairement mis en garde en ces termes : "Monsieur le Président, pendant 25 ans, nous avons cousu un manteau de fer à ta taille et pour ta protection. Tu es en train de t'en débarrasser pour l'offrir à quelqu'un d'autre. Lorsqu'il l'enfilera et si par mégarde il se retourne contre toi, il aura forcément le dessus", lui avait-il dit. C'est d'ailleurs cette mise en garde qui avait résolu Ahidjo à garder la présidence du parti unique.
Lorsqu'il est arrivé au pouvoir, Paul Biya a tenu à garder intact le modèle de promotion par décret qui lui avait porté bonheur. Cela donne aujourd'hui un système où on assiste à l'administration de la politique et à la politisation de l'administration. De tout temps, il fait primer ce modèle sur le modèle de légitimité populaire. La preuve, tous ceux qui sont placés en pôle position aujourd'hui dans son entourage et qui sont cités par des analystes politiques et des éditorialistes comme des hommes puissants ou des hommes de réseau n'ont jamais affronté le suffrage des électeurs. Ce sont tous des Dominique de Villepin tropicalisé que Sarkozy tançait en ces termes : "Il y a beaucoup de critiques à l'endroit des élus et de la politique, mais j'observe que ceux qui critiquent en général n'ont jamais été capables de se présenter à une élection, de se faire élire, et pire, de se faire réélire", déclare Sarkozy.
Tous ceux qui gravitent autour de Paul Biya aujourd'hui et se battent pour le dauphinat ont une seule caractéristique : ils doivent tout au chef de l'Etat. Ils sont les poissons de son aquarium et dès qu'il les sort de là, ils manquent d'oxygène et meurt d'asphyxie. Lorsqu'on l'oublie, on le paie parfois très cher comme Titus Edzoa qui avait voulu s'affranchir. Qu'ils se nomment Laurent Esso, Marafa Hamidou Yaya, René Sadi, Jean Marie Atangana Mebara, Amadou Ali ou encore Ayang Luc, ils ont tous ce dénominateur commun : Sans Paul Biya et son appareil, ils ne sont rien.
Ebenezer Njoh Mouelle ne l'avait pas compris en 1992 lorsqu'il avait été nommé secrétaire général du comité central du Rdpc, parti au pouvoir. Il avait sollicité le suffrage des électeurs et Paul Biya n'avait pas hésité à tirer les leçons d'une telle audace. Revenu au gouvernement en 2006, comme ministre de la Communication, après une longue traversée de désert, il avait continué à construire sa stature d'intellectuel et il a cru au discours d'ouverture en prenant quelques initiatives, il a été viré du gouvernement. Biya a dû se dire qu'il est un peu dur d'oreille ou des yeux, Ebenezer. Décidemment, le philosophe n'y comprend rien à la science politique bien tropicalisée.
Aujourd'hui, beaucoup d'oiseaux parfois carnassiers, survolent le Cameroun, se prévalant des entrées à l'Elysée, à la Maison Blanche ou au 10, downing street à Londres ou encore dans quelques réseaux qui écument ce monde désormais mondialisé. Il faut seulement observer que plusieurs de ces personnes sont depuis longtemps grillées à ces adresses et ne peuvent plus faire rêver que ceux qui vivent les choses de très loin. Mais ils continueront malheureusement à pantoufler au Cameroun et à vivre au frais du contribuable.
Le moment venu, Paul Biya devrait quand tenter de régler sa succession. Compte tenu de tout ce qui précède, celui qui aura ses faveurs devra avoir le profil suivant :
- Il doit être sa propre fabrication, c'est-à-dire qu'il lui devra tout;
- Il ne doit pas avoir montré quelque velléité à rechercher une légitimité populaire;
- Il ne doit pas avoir des réseaux trop voyants et trop bruissants;
- Il doit avoir fait la preuve de sa patience et de son inutilité.
Compte tenu de ce profil, des gens comme Esso Laurent et René Sadi se détachent du lot. Mais le dernier pourrait être handicapé par sa surexposition au comité central du parti au pouvoir. C'est un homme de cabinet qui risque commettre des erreurs de jeunesse pour ce qui est de l'action publique. Ayang Luc, une autre personnalité particulièrement effacée rentre pourtant parfaitement dans ce profil. Pour avoir accepté de se laisser ensevelir au conseil économique et social, une structure en panne depuis plus de 20 ans, c'est qu'il a une force ou une faiblesse. Il est Kirdi, il a été premier ministre. Il est la quatrième personnalité du pays dans l'ordre des préséances et il a montré qu'il sait patienter, attendre son heure… comme Paul Biya. Dans la perspective du retour du pouvoir au Nord et pour atténuer les craintes de certaines personnes qui dans le centre et le sud parlent de la revanche inéluctable des islamo-peuls, Ayang pourrait être une solution peut-être intermédiaire. Bien entendu, d'autres surprises pourraient se produire et on pourrait assister à un vrai coup de théâtre.
Mais nous aurions été bien naïfs et baignerions dans un angélisme béat si nous ne reconnaissions pas qu'un péril certain plane au dessus de cette succession présidentielle du fait de certaines personnes qui, justement dans cette perspective ont accumulé des fortunes colossales et qui seraient prêts à en découdre le moment venu. On se demande bien comment Paul Biya fera pour les neutraliser. D'aucuns parlent d'une vaste opération mains propres qui permettra ainsi de nettoyer les écuries.
Maintenant que nous allons clore cette large parenthèse ouverte sur la succession présidentielle au Cameroun, nous pouvons ouvrir le champ de la réflexion pour constater que d'autres Camerounais, tout aussi de valeur qui se sont affranchi et qui n'ont plus rien à voir avec le système Biya ou qui n'en ont jamais fait partie, prétendent aussi à la magistrature suprême au Cameroun. Je pense à John Fru Ndi, à Adamou Ndam Njoya ou encore Sanda Oumarou. Ce qui veut dire qu'à l'échéance 2011 ou avant et, contrairement à 1982 où Ahidjo avait généré un successeur constitutionnel et l'avait imposé à tout le Cameroun, Paul Biya fournira plutôt un concurrent qui devra se jeter dans la bataille avec les autres concurrents au cours d'élections qu'on espère transparentes. Ce concurrent pourrait bien être Paul Biya lui-même. L'avenir nous le dira.

Par Etienne de tayo
Promoteur de "Afrique Intègre"
Quelques sites visités :
http://www.archive.lib.msu.edu/
http://www.assemblee6nationale;fr/
http://www.histoire-du-cameroun.com/
http://www.lanouvelleexpression.com/
http://www.polis.sciencespobordeaux.fr/