Le troisième échec consécutif du parti socialiste, parti leader de la gauche française est un signe qui ne trompe pas. L’élite politique de gauche n’a pas perçu et n’a donc pas tenu compte des profondes mutations qui se sont opérées au sein de la société française ces vingt dernières années. Et ce n’est d’ailleurs pas une spécificité française puisque le même recul des gauches est perçu dans d’autres pays. La montée du capitalisme parfois brutal, le recul de l’Etat à la faveur de l’intégration du libéralisme économique ont contribué à affamer les peuples et les ont réduit à l’exaltation de l’utilitaire et à plus de pragmatisme. Le socialisme partout est en peine alors que paradoxalement les organisations de lutte contre la mondialisation par exemple, d’obédiences gauchistes, recrutent mais sont de plus en plus apolitique. Il reste que les idées de gauche restent vivaces au sein de la société mais fondent comme neige au soleil au contact de la réalité politique que sont les élections par exemple.
Les forces de gauche ont fini par se couper de la réalité simple qui est que les dirigeants d’un pays démocratique doivent se faire élire au cours d’un scrutin. Et pour y participer, il faut s’inscrire sur les listes électorales et avoir une carte de vote. C’est à la limite banal mais devient capital lorsqu’il faut conquérir le pouvoir par des voies démocratiques. Les masses populaires, majoritairement de gauche, continuent à croire qu’elles peuvent faire tomber un régime ou porter leur candidat au pouvoir en comptant sur les manifestations de rue, certes efficaces uniquement aux mains des syndicats, pour imposer des orientations à un gouvernement mais totalement inefficace pour prendre le pouvoir. C’est pourquoi, malgré les manifestations parfois monstres contre George Bush et sa guerre d’Irak, ce dernier s’est fait élire en 2004. On a l’impression que les peuples ont des conduites auto flagellatoires et, à la limite, masochistes qui consistent à se donner des dirigeants décrier par ailleurs dans les manifestations. Ces peuples sont aussi marqués par un dualisme qui fait qu’on peut admirer Hugo Chavez et voter quand même pour George Bush.
La réalité c’est que, lorsqu’on regarde la structure du corps des intellectuels en France aujourd’hui, on constate qu’elle a subi de profondes mutations. Le groupe formé de philosophes, sociologue, écrivains de renom, artistes s’est progressivement effrité avec le temps. C’est ce groupe qui entretenait l’idéalisme politique et donnait sa force à la gauche. On est bien loin des attaques en règle de Jean Paul Sartre qui n’hésitait pas à dire : « Tout anti-communiste est un chien ». Cette phrase à elle seule suffisait pour tenir en respect certains intellectuels qui pouvaient se laisser tenter par le réalisme politique. Le groupe animé jadis par Sartre et les autres a été tout simplement remplacé par des technocrates dotés d’un pragmatisme à tout rompre.
Contrairement à ceux qui couraient après un monde idéal qu’ils veulent inventer en recommandant la destruction du monde réel, les seconds s’accommodent du monde réel et s’affairent à y apporter des réformes par petites touches. Et si parfois ils parlent de rupture, c’est tout simplement pour couper l’herbe sous les pieds des intellectuels de gauche et des anarchistes. Les deux visions du monde évoquées ici se résument bien dans cette phrase célèbre de Bernard Shaw, rendue encore plus célèbre par son emploi dans le film à succès « I comme Icare » : « Il y a ceux qui regardent les choses telles qu’elles sont et se demandent pourquoi. Il y a ceux qui imaginent les choses telles qu’elles pourraient être et se disent pourquoi pas ».
Mais ce qui est intéressant à observer en France, c’est qu’il n’y a pas seulement l’élite qui est désormais attaché à la réalité. Le petit peuple s’y est mis et trouve de plus en plus ringards les discours sur un monde idéal qu’il faut construire. Il se pose des questions plus utilitaires : Combien je gagne d’argent ? Quel est mon pouvoir d’achat ? Que faire pour me loger ou pour accéder à la propriété immobilière ? Dans les réponses qu’il tente d’apporter à ces questions, une autre innovation s’observe dans le comportement des citoyens. Jadis et face à ces questions, la gauche conviait les militants à la table de l’Etat providence, seul selon elle, capable d’apporter des solutions concrètes. Aujourd’hui, beaucoup de personnes veulent tourner le dos à cette forme d’assistanat, qui ont-elles compris heurte leur dignité et écorne leur fierté. Et c’est les bases même du modèle français qui risque ainsi être sapées. Ce regain de fierté et de dignité constaté chez les masses populaires montre bien pourquoi le message dit de rupture de Nicolas Sarkozy qui demandait de « travailler plus pour gagner plus » a eu un succès considérable même dans les rangs des masses ouvrières jadis acquises à la gauche plurielle. C’est également cette mutation dans la perception de la vie que Nicolas Sarkozy pouvait piétiner les valeurs de mai 68 et se faire élire président de la République française. Même si après, il devait s’attacher les services d’un mai soixante huitards pour amortir le choc.
Au cours de la campagne pour la présidentielle, Ségolène Royal a bien perçu cette mutation dans le peuple français. C’est pourquoi elle a tenté de se démarquer du discours du parti socialiste en recommandant notamment de tourner le dos à l’assistanat.
Une autre menace qui guette les gauches, c’est l’indiscipline qui est certes la manifestation de la démocratie mais qui ne cesse de les fragiliser. Contrairement à la gauche où les combats des chefs empêchent très souvent l’émergence d’une personnalité consensuelle, la droite présente un modèle proche de celui des bandes. Lorsque le chef est choisi, tout le monde lui fait allégeance au risque de se voir broyer. Les combats peuvent se dérouler au niveau des lieutenants et ne doivent à aucun cas atteindre le chef. La dernière élection présidentielle française peut servir de cas d’école pour l’observation de cette démarcation entre la gauche et la droite.
Lorsqu’ j’étais aux Etats-Unis en novembre dernier, je me suis retrouvé au Texas (Austin) dans une famille bien américaine. Je venais d’assister à Washington au triomphe des démocrates au Sénat et à la chambre des représentants. Nous évoquions l’élection présidentielle américaine de 2008 et nous laissions aller dans un optimisme béat quant à ce qui est de la victoire des démocrates. Alors une dame nous a arrêté net : « Be carreful ! Les démocrates ont un péché mignon qui est le désordre, l’indiscipline. Pendant qu’ils seront en train de tergiverser ou de se taper dessus, les républicains vont se relever et peut-être l’emporter. Tout est possible », avait-elle dit. A l’époque, on parlait à peine de Barack Obama qui aujourd’hui lui discute sérieusement le leadership à Hilary Clinton. La récente courte victoire de George Bush, sur les démocrates sans veto, dans le financement de la guerre en Irak contribue t-elle à valider l’hypothèse de la dame du Texas ?
Par Etienne de Tayo
Coordonnateur du réseau « Afrique Intègre »
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