Lorsque l’exception culturelle française, faite « d’élégance mélancolique », d’après la formule non moins élégante de Jean Noël Pancrazi, rencontre la Chine éternelle, celle des loups et du pont dont parle Mme Ning Tie ou encore celle de la "transcendance d’esprit", que recommande Mo xue, le dialogue des cultures s’instaure forcément ou à tout le moins, se construit patiemment. C’est le jeu plutôt passionnant auquel se sont livrés, pendant deux jours, les 25 et 26 novembre 2009, 7 auteurs chinois et 8 auteurs français. C’était dans le cadre des premières rencontres littéraires franco-chinoises au thème très évocateur : « France-Chine : nouveaux regards ».
Ces rencontres sont organisées par le service culturel de l'Ambassade de Chine en France dont le responsable, le ministre conseiller culturel Pu Tong, a reçu des remerciements appuyés des participants, l'Association nationale des écrivains de Chine et Cultures France, en partenariat avec la société des Gens de Lettres, l'Institut de France, le centre national du livre et le service culturel de l'Ambassade de France en Chine.
Placé sous le co-commissariat pour la France de Pierre Jean Rémy, de l’Académie française, et pour la Chine de Mme Ning Tie, présidente de l’Association nationale des écrivains de Chine, ces rencontres ont permis aux deux parties de s’abreuver à la source des littératures des deux pays, la littérature étant appréhendée ici, d’après le propos savant de Mo Xue, comme un « élément nutritif de l’âme humaine". Les rencontre qui ont permis aux écrivains chinois d’accéder dans des hauts lieux du pouvoir intellectuel français, à l’instar de la Société des Gens de Lettres et de l’Institut de France, était l’occasion d’aborder des thèmes tels les expériences d’écriture de chacun, les figures de la femme dans le roman contemporain, la littérature et le spirituel, les passages et les traductions d’une langue à l’autre et plus généralement, sur la place que tient la littérature d’aujourd’hui en France et en Chine.
Dans son propos liminaire, Mme Ning Tie a déroulé l’intrigue fort instructive d’une œuvre littéraire qui met en scène des loups, le héros et un pont périlleux que ce dernier doit absolument traverser pour échapper aux loups. Et effectivement, il réussi à traverser in extremis, ce pont qui craque sous ses pas et à atteindre l’autre rive, loin de la menace des loups. Par cette métaphore, Mme Tie jetait ainsi un pont de compréhension mutuelle entre les deux cultures en présence. Lesquelles cultures sont appelées à s’enrichir mutuellement car, comme l’a affirmé Gérard Macé, « il n’y a pas d’identité toute faite par la naissance et la transmission des gênes, mais des identités à construire ». A condition de les voir avec François Jullien, non pas en terme d’identité mais de fécondité. L’affirmation de Macé est d’autant plus vraie que le propos de Mme TIE transpirait des figures empruntées aux auteurs français, Romain Rolland, Balzac, Flaubert, Zola, Camus, Sartre dont elle a profondément étudié et parfois traduit les œuvres. C’était son regard à elle posé sur la littérature française et sans doute sur la société française.
Regards croisés
Mais plus qu’un regard unilatéral, ce sont de nouveaux regards croisés et presque simultanés que les écrivains français et les écrivains chinois ont posé, les uns sur les autres, les uns sur les œuvres des autres, les uns sur la culture des autres. Regards parfois sans complaisance compte tenu de la volonté partagée de parvenir à un véritable dialogue des cultures. Or, comme l’affirme François Jullien, « les cultures ne se mettent en dialogue que si on prend en compte l’écart entre elles. L’écart étant entendu comme une mise en tension pour déclencher une réflexivité ». C’est au nom de ces écarts et de cette mise en tension qu’une série de comparaisons ont pu être conduites par les orateurs. Ainsi, d’après Mme Sa Shan, le poème en chinois est très imagé et plus synthétique que le poème en français et la traduction en français des poèmes chinois poussent souvent à perdre ces images et cette musicalité. Parlant de la liberté, Mo Xue trouve que « la liberté en Orient est le soleil alors qu’en Occident c’est la lune ». Il révèle aussi que le cœur est plus vaste en Orient et la tolérance plus grande. Et pour tout dire, il soutient que la sagesse de quelqu’un de l’Est ressemble à un miroir qui reflète tout ce qui est dans la chambre dans se laisser influencer.
Regards nouveaux certainement parce qu’il était question, pour ces premières journées littéraires de poser les fondations d’une institutions qui se projette dans l’avenir. Il fallait donc partir sur de bonnes bases car, comme le dit Wu Yuetan, « les choses mal faites ne pourront jamais se rattraper ». Regards nouveaux aussi car il s’agit de réchauffer des relations d’échanges plus anciens que l’imaginaire collectif ne peut l’appréhender. Heureusement que le livre est là, non seulement pour transmettre le savoir, comme l’affirme Marcel Lambron, mais aussi et surtout pour provoquer et construire l’imaginaire. Et aujourd’hui, aussi bien en France que dans la Chine moderne, la construction d’un nouvel imaginaire est une tâche impérative.
Construire un nouvel imaginaire
Ce nouvel imaginaire doit épouser les formes du temps littéraire qu’il fait aujourd’hui et pousse Marcel Lambron à parler d’une « société post littéraire ». En effet, d’après lui, « l’écriture comme pratique quotidienne avec l’avènement de Internet ». Avant, le livre était un sentier que pouvait emprunter l’imaginaire de l’enfant. Aujourd’hui, les enfants sont confrontés à des outils chronophages, de véritables prothèses électroniques. Ils sont absorbés par la télévision et les jeux vidéo. Ces instruments de la socialisation moderne qui les uniformisent et atomisent leur vision du monde. Il s’agit d’échapper à la monotonie de ce monde réel, unique et figé pour essayer de le rendre multiple sous la plume des écrivains. Mais s’il pose le diagnostic, Marcel Lambron laisse le soin aux autres d’apporter des éléments nécessaires à la construction de ce nouvel imaginaire.
Cela passera certainement par de nouvelles formes d’engagement littéraires dont parle François Jullien : « l’engagement aujourd’hui, c’est repérer les sources de négativité qui se sont disséminées dans la société et les faire apparaître ». Jean Noël Pancrazi voit l’engagement, d’abord dans l’engagement de soi-même et surtout un élément déclencheur : « Pour qu’il y ait engagement, dit-il, il faut toujours qu’il y ait des loups qui symbolisent le danger », rappelle t-il. Et d’ailleurs, Pancrazi préfère dépasser le concept de l’engagement pour enfourcher celui de l’implication. Et pour lui, la meilleure façon de s’impliquer, c’est tenter d’être juste : « Il faut témoigner en s’impliquant ». Mais avec suffisamment de hauteur car, d’après Mme Tie, « l’écrivain ne doit pas donner un jugement mais faire connaître la réalité ».
La construction de ce nouvel imaginaire passera aussi par l’appropriation de ce que Mo Xue appelle la « transcendance d’esprit » et qui veut dire selon lui, « éliminer tout ce qui est mauvais au fonds de mon cœur pour laisser apparaître la lumière. Laquelle lumière éloigne l’avidité et le souci. Après, on aura un cœur grand et sans souci ». Cette construction passera par la prise en compte et la mise en pratique de la solitude qui seule, d’après Mo Xue, nous éloigne des « réalités étouffantes qui ne valent parfois pas grand chose ». Pour lui, la vraie solitude qu’il définit comme la pression qu’on ressent lorsqu’on n’obtient pas ce qu’on veut, « est synonyme de sagesse et de prise de conscience ». Cette construction passe enfin, d’après certains orateurs, par le combat commun qu’il faut mener contre l’anglais ou plus précisément l’anglo-américain, cette langue qui a déployé son rouleau compresseur et est prête à tout écraser sur son passage. Cette langue à coté de laquelle « toutes les autres langues deviennent des dialectes », d’après Gérard Macé, « pousse tous les hommes et de toutes origines confondues d’emprunter les chemins d’assimilation irréversible » et oblige Yu Zhang à dire « qu’au paradis, les hommes ont la même apparence ».
Tout le monde va en Chine!
La rencontre avec les autres étaient aussi l’occasion pour les écrivains français de déployer un immense miroir et se poser cette question que Marcel Lambron n’a pas hésité à balancer à la salle : « Qu’est ce qu’être écrivain français aujourd’hui dans un monde mondialisé ». Et on constate bien que l’identité est passée par là. Remontant le temps pour retracer l’évolution de l’écriture en France, Marcel Lambron recommande la consolidation du nouveau roman : « répudier deux éléments de tradition (psychologie et histoire) et mettre plutôt les caméras et objectifs ». Et pour tout dire, il pense que « la littérature française sera d’autant plus mondialisée qu’elle retrouvera le rapport balsacien avec le livre monde ».Pour sa part, toujours dans le but de donner plus de visibilité à la littérature et partant à la société française, Florence Delay, de l’Académie française convoque son collègue Erik Orsena pour faire l’éloge de l’ombre. Et pour cause, la décomposition des mœurs sociales : « la surexposition de nos vies à travers les écrans, les écrits. Notre intimité est mise à nu. On connaît nos goûts avant nous » s’exclame t-elle. Pour Florence Delay, « il faut protéger la littérature de l’expansion du moi ». Et elle pense que le propos spirituel pourrait apporter à la littérature l’ombre qui lui manque.
En choisissant la Chine comme sparring partner dans ces autres jeux olympiques de la littérature qui pourraient un jour s’instituer et prendre une dimension planétaire, la France a conscience qu’elle se frotte à un géant toute catégorie, même dans les domaines où on les croyait encore très en retard. La Chine, est, d’après les révélations de Bertrand Mialaret, chroniqueur au site Rue89, le leader mondial en nombre d’internautes, en nombre de détenteurs de téléphones portables ainsi qu’en nombre de livres publiés par an. Dans l’empire du milieu, il y a à ce jour : 242 millions d’internautes dont plus de 100 millions qui tiennent un blog, on compte en Chine, 7000 écrivains sous contrat.
Puisqu’il faut savoir prolonger la fin des bonnes choses et ne pas leur donner l’occasion de se terminer, nous plongeant dans l’amertume, les autorités littéraires françaises et les écrivains français ont déjà pris rendez-vous pour les deuxièmes rencontres littéraires en 2010 à Pékin. Pour les deux pays, il s’agit de sortir d’un certain « relativisme paresseux », une sorte de « culturalisme » qui a souvent caractérisé les pays du monde. D’ici à là et à la vitesse où vont les choses, le nombre de sinologues en France aura presque doublé. S’il m’était permis de dire quelque chose sur ces rencontres, je dirai qu’elles gagneraient à être moins élitistes, non pas pour rentrer dans la sphère populaire au sens vulgaire du terme, mais à tout le moins rester entre deux. Car, comme Mme Tie, « la vérité n’est pas toujours détenue par l’élite. Elle peut aussi se cacher dans les banalités », lesquelles sont l’apanage du commun des mortels.
Etienne de Tayo
Promoteur « Afrique Intègre »
www.edetayo.blogspot.com
TROIS QUESTIONS A Mme TIE NING, Présidente de l’association nationale des écrivains de Chine et co-commissaire des premières rencontres littéraires franco-chinoises.
Lorsqu’on lui tend le micro, Mme Tie Ning est intarissable et cela se voit que c’est un leader. Cette dame qui est devenue présidente de l’Association nationale des écrivains de Chine en 2006, remplaçant un monument en la personne de Ba Jin, a connu le succès très tôt. Depuis trente ans que dure sa carrière d’écrivain, elle a publié de nombreux recueils de nouvelles, des essais, des romans et des critiques d’art. Elle a aussi collectionné de nombreux prix littéraires. Ses principaux romans sont : La porte de roses, Une ville sans pluie, La Grande baigneuse, Le village Benhua.
Mais l’originalité de Mme Tie Ning, c’est surtout ce pont que très tôt aussi elle a jeté en direction de la littérature française. A la voir égrener les œuvres des auteurs français tels Romain Roland, Balzac… même les membres de l’Académie française finissent par pâlir d’admiration bien sûr.
Transcendant les barrières linguistiques et affichant un volontarisme à tout crin, elle a tenu à répondre à nos trois questions.
Madame, vous êtes co-commissaire de ces premières rencontres littéraires franco-chinois et, en parcourant votre biographie, on remarque que vous avez étudié et traduit de très nombreux écrivains français. Comment avez-vous rencontré la littérature française ?
Mme TIE Ning : Je suis née comme vous avez pu le relever en parcourant ma biographie, dans les années 1950 et plus précisément en 1957. Dans notre génération, nous avons lu beaucoup de traduction de la littérature française. Quand j’étais jeune, j’étais très influencé par la littérature du 19e siècle. Bien sûr j’ai parlé hier combien Romain Rolland, qui est certes du 20e siècle, a eu de l’influence sur moi. Après, j’ai commencé à lire beaucoup de Balzac, de Flaubert, Zola. J’ai beaucoup aimé le style de Flaubert. Je n’oublie pas, au 20e siècle, Sartre et Camus. Parmi les écrivains français du 20e siècle justement, celui que j’aime le plus c’est Proust. Et pour les écrivains d’aujourd’hui, il y a surtout Mireille Calmel qui a une influence considérable sur les écrivains chinois. Je pense qu’elle vit maintenant à Paris. J’ai lu presque tous ses romans.
Dans cet échange, qu’est c e que la littérature française vous a apporté ou vous a enlevé dans votre propre cheminement d’écrivaine. Est-ce que le fait de lire et d’assimiler tous ces auteurs français a eu une influence sur la culture chinoise que vous portez et sur la culture de Chine en général ?
Mme T. N. : Quand on parle de l’influence littéraire, il faut d’abord souligner à quelle époque et dans quelle situation nous avons eu contact avec cette littérature. Personnellement, j’ai beaucoup parlé de Romain Rolland. La raison est qu’à cette époque, je vivais une ère où l’individualité et l’affirmation de soi-même étaient complètement négligés et oubliés. C’est ce roman de Romain Rolland qui m’a donné confiance en moi-même. On peut dire que pour la plupart des lecteurs aujourd’hui, ce n’est pas un chef d’œuvre, ni même pas un écrivain de première catégorie. Et pourtant, il m’a beaucoup impressionné et même influencé. Pas seulement moi mais toute une génération d’écrivains chinois.
Vous êtes présidente de l’Association nationale des écrivains de Chine. Comment se porte la littérature chinoise aujourd’hui ?
Mme T. N. : Je pense qu’à l’issue de ce colloque, vous aurez la réponse à votre question. Ce matin M. Wu Yuetian a présenté la situation de la traduction des ouvrages en Chine ; Mme Kun Xu présentera l’écriture féminine pendant trente ans ; en fin d’après midi, M. Jiang Yun va présenter l’écriture littéraire sur Internet, une pratique en constante progression en Chine aujourd’hui ; il y a enfin Mme Zhang Yun qui nous entretiendra sur les identités et la mondialisation. Tout çà, c’est l’image globale de la littérature chinoise aujourd’hui, mais je préfère que vous puissiez faire votre propre opinion à l’issue de ces rencontres.
Propos recueillis à Paris par : Etienne de Tayo
Placé sous le co-commissariat pour la France de Pierre Jean Rémy, de l’Académie française, et pour la Chine de Mme Ning Tie, présidente de l’Association nationale des écrivains de Chine, ces rencontres ont permis aux deux parties de s’abreuver à la source des littératures des deux pays, la littérature étant appréhendée ici, d’après le propos savant de Mo Xue, comme un « élément nutritif de l’âme humaine". Les rencontre qui ont permis aux écrivains chinois d’accéder dans des hauts lieux du pouvoir intellectuel français, à l’instar de la Société des Gens de Lettres et de l’Institut de France, était l’occasion d’aborder des thèmes tels les expériences d’écriture de chacun, les figures de la femme dans le roman contemporain, la littérature et le spirituel, les passages et les traductions d’une langue à l’autre et plus généralement, sur la place que tient la littérature d’aujourd’hui en France et en Chine.
Dans son propos liminaire, Mme Ning Tie a déroulé l’intrigue fort instructive d’une œuvre littéraire qui met en scène des loups, le héros et un pont périlleux que ce dernier doit absolument traverser pour échapper aux loups. Et effectivement, il réussi à traverser in extremis, ce pont qui craque sous ses pas et à atteindre l’autre rive, loin de la menace des loups. Par cette métaphore, Mme Tie jetait ainsi un pont de compréhension mutuelle entre les deux cultures en présence. Lesquelles cultures sont appelées à s’enrichir mutuellement car, comme l’a affirmé Gérard Macé, « il n’y a pas d’identité toute faite par la naissance et la transmission des gênes, mais des identités à construire ». A condition de les voir avec François Jullien, non pas en terme d’identité mais de fécondité. L’affirmation de Macé est d’autant plus vraie que le propos de Mme TIE transpirait des figures empruntées aux auteurs français, Romain Rolland, Balzac, Flaubert, Zola, Camus, Sartre dont elle a profondément étudié et parfois traduit les œuvres. C’était son regard à elle posé sur la littérature française et sans doute sur la société française.
Regards croisés
Mais plus qu’un regard unilatéral, ce sont de nouveaux regards croisés et presque simultanés que les écrivains français et les écrivains chinois ont posé, les uns sur les autres, les uns sur les œuvres des autres, les uns sur la culture des autres. Regards parfois sans complaisance compte tenu de la volonté partagée de parvenir à un véritable dialogue des cultures. Or, comme l’affirme François Jullien, « les cultures ne se mettent en dialogue que si on prend en compte l’écart entre elles. L’écart étant entendu comme une mise en tension pour déclencher une réflexivité ». C’est au nom de ces écarts et de cette mise en tension qu’une série de comparaisons ont pu être conduites par les orateurs. Ainsi, d’après Mme Sa Shan, le poème en chinois est très imagé et plus synthétique que le poème en français et la traduction en français des poèmes chinois poussent souvent à perdre ces images et cette musicalité. Parlant de la liberté, Mo Xue trouve que « la liberté en Orient est le soleil alors qu’en Occident c’est la lune ». Il révèle aussi que le cœur est plus vaste en Orient et la tolérance plus grande. Et pour tout dire, il soutient que la sagesse de quelqu’un de l’Est ressemble à un miroir qui reflète tout ce qui est dans la chambre dans se laisser influencer.
Regards nouveaux certainement parce qu’il était question, pour ces premières journées littéraires de poser les fondations d’une institutions qui se projette dans l’avenir. Il fallait donc partir sur de bonnes bases car, comme le dit Wu Yuetan, « les choses mal faites ne pourront jamais se rattraper ». Regards nouveaux aussi car il s’agit de réchauffer des relations d’échanges plus anciens que l’imaginaire collectif ne peut l’appréhender. Heureusement que le livre est là, non seulement pour transmettre le savoir, comme l’affirme Marcel Lambron, mais aussi et surtout pour provoquer et construire l’imaginaire. Et aujourd’hui, aussi bien en France que dans la Chine moderne, la construction d’un nouvel imaginaire est une tâche impérative.
Construire un nouvel imaginaire
Ce nouvel imaginaire doit épouser les formes du temps littéraire qu’il fait aujourd’hui et pousse Marcel Lambron à parler d’une « société post littéraire ». En effet, d’après lui, « l’écriture comme pratique quotidienne avec l’avènement de Internet ». Avant, le livre était un sentier que pouvait emprunter l’imaginaire de l’enfant. Aujourd’hui, les enfants sont confrontés à des outils chronophages, de véritables prothèses électroniques. Ils sont absorbés par la télévision et les jeux vidéo. Ces instruments de la socialisation moderne qui les uniformisent et atomisent leur vision du monde. Il s’agit d’échapper à la monotonie de ce monde réel, unique et figé pour essayer de le rendre multiple sous la plume des écrivains. Mais s’il pose le diagnostic, Marcel Lambron laisse le soin aux autres d’apporter des éléments nécessaires à la construction de ce nouvel imaginaire.
Cela passera certainement par de nouvelles formes d’engagement littéraires dont parle François Jullien : « l’engagement aujourd’hui, c’est repérer les sources de négativité qui se sont disséminées dans la société et les faire apparaître ». Jean Noël Pancrazi voit l’engagement, d’abord dans l’engagement de soi-même et surtout un élément déclencheur : « Pour qu’il y ait engagement, dit-il, il faut toujours qu’il y ait des loups qui symbolisent le danger », rappelle t-il. Et d’ailleurs, Pancrazi préfère dépasser le concept de l’engagement pour enfourcher celui de l’implication. Et pour lui, la meilleure façon de s’impliquer, c’est tenter d’être juste : « Il faut témoigner en s’impliquant ». Mais avec suffisamment de hauteur car, d’après Mme Tie, « l’écrivain ne doit pas donner un jugement mais faire connaître la réalité ».
La construction de ce nouvel imaginaire passera aussi par l’appropriation de ce que Mo Xue appelle la « transcendance d’esprit » et qui veut dire selon lui, « éliminer tout ce qui est mauvais au fonds de mon cœur pour laisser apparaître la lumière. Laquelle lumière éloigne l’avidité et le souci. Après, on aura un cœur grand et sans souci ». Cette construction passera par la prise en compte et la mise en pratique de la solitude qui seule, d’après Mo Xue, nous éloigne des « réalités étouffantes qui ne valent parfois pas grand chose ». Pour lui, la vraie solitude qu’il définit comme la pression qu’on ressent lorsqu’on n’obtient pas ce qu’on veut, « est synonyme de sagesse et de prise de conscience ». Cette construction passe enfin, d’après certains orateurs, par le combat commun qu’il faut mener contre l’anglais ou plus précisément l’anglo-américain, cette langue qui a déployé son rouleau compresseur et est prête à tout écraser sur son passage. Cette langue à coté de laquelle « toutes les autres langues deviennent des dialectes », d’après Gérard Macé, « pousse tous les hommes et de toutes origines confondues d’emprunter les chemins d’assimilation irréversible » et oblige Yu Zhang à dire « qu’au paradis, les hommes ont la même apparence ».
Tout le monde va en Chine!
La rencontre avec les autres étaient aussi l’occasion pour les écrivains français de déployer un immense miroir et se poser cette question que Marcel Lambron n’a pas hésité à balancer à la salle : « Qu’est ce qu’être écrivain français aujourd’hui dans un monde mondialisé ». Et on constate bien que l’identité est passée par là. Remontant le temps pour retracer l’évolution de l’écriture en France, Marcel Lambron recommande la consolidation du nouveau roman : « répudier deux éléments de tradition (psychologie et histoire) et mettre plutôt les caméras et objectifs ». Et pour tout dire, il pense que « la littérature française sera d’autant plus mondialisée qu’elle retrouvera le rapport balsacien avec le livre monde ».Pour sa part, toujours dans le but de donner plus de visibilité à la littérature et partant à la société française, Florence Delay, de l’Académie française convoque son collègue Erik Orsena pour faire l’éloge de l’ombre. Et pour cause, la décomposition des mœurs sociales : « la surexposition de nos vies à travers les écrans, les écrits. Notre intimité est mise à nu. On connaît nos goûts avant nous » s’exclame t-elle. Pour Florence Delay, « il faut protéger la littérature de l’expansion du moi ». Et elle pense que le propos spirituel pourrait apporter à la littérature l’ombre qui lui manque.
En choisissant la Chine comme sparring partner dans ces autres jeux olympiques de la littérature qui pourraient un jour s’instituer et prendre une dimension planétaire, la France a conscience qu’elle se frotte à un géant toute catégorie, même dans les domaines où on les croyait encore très en retard. La Chine, est, d’après les révélations de Bertrand Mialaret, chroniqueur au site Rue89, le leader mondial en nombre d’internautes, en nombre de détenteurs de téléphones portables ainsi qu’en nombre de livres publiés par an. Dans l’empire du milieu, il y a à ce jour : 242 millions d’internautes dont plus de 100 millions qui tiennent un blog, on compte en Chine, 7000 écrivains sous contrat.
Puisqu’il faut savoir prolonger la fin des bonnes choses et ne pas leur donner l’occasion de se terminer, nous plongeant dans l’amertume, les autorités littéraires françaises et les écrivains français ont déjà pris rendez-vous pour les deuxièmes rencontres littéraires en 2010 à Pékin. Pour les deux pays, il s’agit de sortir d’un certain « relativisme paresseux », une sorte de « culturalisme » qui a souvent caractérisé les pays du monde. D’ici à là et à la vitesse où vont les choses, le nombre de sinologues en France aura presque doublé. S’il m’était permis de dire quelque chose sur ces rencontres, je dirai qu’elles gagneraient à être moins élitistes, non pas pour rentrer dans la sphère populaire au sens vulgaire du terme, mais à tout le moins rester entre deux. Car, comme Mme Tie, « la vérité n’est pas toujours détenue par l’élite. Elle peut aussi se cacher dans les banalités », lesquelles sont l’apanage du commun des mortels.
Etienne de Tayo
Promoteur « Afrique Intègre »
www.edetayo.blogspot.com
TROIS QUESTIONS A Mme TIE NING, Présidente de l’association nationale des écrivains de Chine et co-commissaire des premières rencontres littéraires franco-chinoises.
Lorsqu’on lui tend le micro, Mme Tie Ning est intarissable et cela se voit que c’est un leader. Cette dame qui est devenue présidente de l’Association nationale des écrivains de Chine en 2006, remplaçant un monument en la personne de Ba Jin, a connu le succès très tôt. Depuis trente ans que dure sa carrière d’écrivain, elle a publié de nombreux recueils de nouvelles, des essais, des romans et des critiques d’art. Elle a aussi collectionné de nombreux prix littéraires. Ses principaux romans sont : La porte de roses, Une ville sans pluie, La Grande baigneuse, Le village Benhua.
Mais l’originalité de Mme Tie Ning, c’est surtout ce pont que très tôt aussi elle a jeté en direction de la littérature française. A la voir égrener les œuvres des auteurs français tels Romain Roland, Balzac… même les membres de l’Académie française finissent par pâlir d’admiration bien sûr.
Transcendant les barrières linguistiques et affichant un volontarisme à tout crin, elle a tenu à répondre à nos trois questions.
Madame, vous êtes co-commissaire de ces premières rencontres littéraires franco-chinois et, en parcourant votre biographie, on remarque que vous avez étudié et traduit de très nombreux écrivains français. Comment avez-vous rencontré la littérature française ?
Mme TIE Ning : Je suis née comme vous avez pu le relever en parcourant ma biographie, dans les années 1950 et plus précisément en 1957. Dans notre génération, nous avons lu beaucoup de traduction de la littérature française. Quand j’étais jeune, j’étais très influencé par la littérature du 19e siècle. Bien sûr j’ai parlé hier combien Romain Rolland, qui est certes du 20e siècle, a eu de l’influence sur moi. Après, j’ai commencé à lire beaucoup de Balzac, de Flaubert, Zola. J’ai beaucoup aimé le style de Flaubert. Je n’oublie pas, au 20e siècle, Sartre et Camus. Parmi les écrivains français du 20e siècle justement, celui que j’aime le plus c’est Proust. Et pour les écrivains d’aujourd’hui, il y a surtout Mireille Calmel qui a une influence considérable sur les écrivains chinois. Je pense qu’elle vit maintenant à Paris. J’ai lu presque tous ses romans.
Dans cet échange, qu’est c e que la littérature française vous a apporté ou vous a enlevé dans votre propre cheminement d’écrivaine. Est-ce que le fait de lire et d’assimiler tous ces auteurs français a eu une influence sur la culture chinoise que vous portez et sur la culture de Chine en général ?
Mme T. N. : Quand on parle de l’influence littéraire, il faut d’abord souligner à quelle époque et dans quelle situation nous avons eu contact avec cette littérature. Personnellement, j’ai beaucoup parlé de Romain Rolland. La raison est qu’à cette époque, je vivais une ère où l’individualité et l’affirmation de soi-même étaient complètement négligés et oubliés. C’est ce roman de Romain Rolland qui m’a donné confiance en moi-même. On peut dire que pour la plupart des lecteurs aujourd’hui, ce n’est pas un chef d’œuvre, ni même pas un écrivain de première catégorie. Et pourtant, il m’a beaucoup impressionné et même influencé. Pas seulement moi mais toute une génération d’écrivains chinois.
Vous êtes présidente de l’Association nationale des écrivains de Chine. Comment se porte la littérature chinoise aujourd’hui ?
Mme T. N. : Je pense qu’à l’issue de ce colloque, vous aurez la réponse à votre question. Ce matin M. Wu Yuetian a présenté la situation de la traduction des ouvrages en Chine ; Mme Kun Xu présentera l’écriture féminine pendant trente ans ; en fin d’après midi, M. Jiang Yun va présenter l’écriture littéraire sur Internet, une pratique en constante progression en Chine aujourd’hui ; il y a enfin Mme Zhang Yun qui nous entretiendra sur les identités et la mondialisation. Tout çà, c’est l’image globale de la littérature chinoise aujourd’hui, mais je préfère que vous puissiez faire votre propre opinion à l’issue de ces rencontres.
Propos recueillis à Paris par : Etienne de Tayo