samedi 10 octobre 2009

L'AFRIQUE DE JEAN PING : COMME UN PAPILLON EN DEVENIR!


S’il n’avait pas été écrit par le diplomate chevronné qu’il est, doublé de la casquette de président de la commission de l’union africaine, le dernier livre de Jean Ping aurait bien pu s’intituler : « Pour l’Afrique, j’accuse ! », et s'inscrirait ainsi dans la lignée des coups de gueule et autres lettres ouvertes qui jonchent les chemins du combat pour l'Afrique. Non, l'ouvrage s'intitule tout simplement : "Et l'Afrique brillera de mille feux". Un message d'espoir et même d'espérance. Et pourtant, l’ouvrage de près de 300 pages, publié aux éditions l’Harmattan est bel est bien une accusation en règle contre ceux que l’auteur qualifie de « maîtres » du monde. Il s’agit aussi d’une réponse aux discours afropessimistes, « ces concerts de lamentation permanente » qui ont contribué à construire de l’Afrique, l’image d’un « continent en déperdition, d’un continent perdu ou d’un continent maudit dont le passé ne passe pas ».

Le contexte de la publication de l’ouvrage de Jean Ping est celui du nouvel ordre international né de l'effondrement de l'union soviétique et marqué par la « globalisation effrénée, privatisation exacerbée, ingérence institutionnalisée, déconstruction généralisée des Etats et destruction de toute autorité ». Celui qui correspond parfaitement à ce que les tenants du réalisme tels Edward H. Carr et Henry Kissinger décrivent : "les Etats ne sont contraints par aucune loi, le droit est une fable qui n'a aucune portée à l'extérieur des amphithéâtres des facultés".
Au plan humain, ce contexte est celui de la « régression et de la paupérisation qui résultent de la création des fortunes et des misères extrêmes par l’exacerbation des forces du marché, sous la vive impulsion des plans d’ajustements structurels et des dix commandements des tables de la loi décrétés par le consensus de Washington ». Avec la mondialisation, note Jean Ping, « les maîtres sont de retour. Ils disent le droit pour nous sans se l’appliquer à eux-mêmes. Ils jugent l’Afrique avec leurs seuls repères, donnent des ordres et des leçons, condamnent et décrètent des sanctions fatales, convaincus qu’ils sont d’agir ainsi pour le bien de l’humanité ». Prise dans cette spirale, « l’Afrique a enregistré sur les questions de l’indépendance, de sécurité et du développement un véritable bond en arrière et s’est mis à évoluer à front renversé », constate l'auteur.
De façon très méthodique, Jean Ping relate dans son ouvrage comment le piège de la mondialisation s’est refermé sur l’Afrique à la fin des années 80, au moment même où le continent était en passe d'amorcer son décollage. Il se trouve qu’après l’effondrement du mur de Berlin et la dislocation de l’Union soviétique, des experts aux Etats-Unis ont sérieusement imaginé le scénario d’une unipolarité du monde dans lequel la nation américaine devait s’octroyer le leadership : "Grâce à Dieu, l'Amérique a gagné la guerre froide. Un monde jadis divisé en deux camps armés reconnaît aujourd'hui la supériorité d'une seule puissance : les Etats-Unis", triomphait Georges H. Bush dans l'état de l'union en 1992. Ainsi se sont forgé les « nouveaux maîtres du monde » dont le discours devait, telle une vague sur une plage, effacer toutes les inscriptions antérieures et inscrire le "consensus de Washington" comme seule norme s’imposant à tout le monde sans exception.
Ainsi, « les dirigeants européens et leurs experts vont s’abriter derrière des recommandations d’inspiration néo-idéalistes et ultra-libérales conçues par l’économiste Milton Friedman à travers l’école de Chicago et propagées par le couple Reagan-Thatcher ». Comme le révèle Jean Ping, personne ne pouvait résister à la toute puissance américaine et ses experts logés au sein des « deux sœurs jumelles de Washington », le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. Ainsi, « les experts européens, bruxellois d’alors, appuyés notamment par certains technocrates français, ne feront que reprendre à leur compte ces mots d’ordre, au nom du postulat des valeurs communes, en les rediffusant telle une caisse de résonance et en les imposant à leur tour à l’Afrique. Privatisation, libéralisation, déréglementation, moins d’Etat, accountability, régionalisation, ajustements structurels, stabilité macroéconomiques, sanctions… deviennent le credo des négociations ACP-UE ».
Le monde que décrit et dénonce ici Jean Ping est celui qu'avait déjà repéré le sociologue Régis Debray lorsqu'il déclarait : "le monde d'aujourd'hui est divisé enter les humiliants et les humiliés, mais la difficulté vient de ce que les humiliants ne se voient pas en train d'humilier. Ils aiment croiser le fer, rarement le regard des humiliés".

Comme un papillon en devenir
S’il est quelque peu d’accord avec les afropessimistes le constat d’une Afrique qui « est retournée plusieurs années en arrière et qui s’est enfoncée dans l’océan de la misère, du désordre et de la barbarie », sur la conclusion donc d’une certaine régression de l’Afrique, ce qu’il qualifie avec Umberto Ecco de « marche de l’écrevisse », l’auteur se refuse toutefois à valider les causes portées par le cliché de « tous corrompus et tous des dictateurs », lesquelles imputent la responsabilité exclusivement à l’Afrique et aux Africains. Jean Ping pense qu’avant le retour des « maîtres », l’Afrique était sur le chemin, certes lent mais déterminé, de la prospérité. Et pour le dire, il convoque la métaphore de la chrysalide ou du papillon en devenir pour éclairer la source du discours afropessimiste : «il s’agit d’une chenille qui avait entreprit un processus pour devenir papillon. Mais lorsque les "maîtres" sont arrivés, ils ont considéré que le processus était trop lent et qu’ils pouvaient l’accélérer. Ce qu’ils ont effectivement fait en sortant prématurément la chenille de sa coquille. Mais lorsqu’elle n’a pas pu voler, parce que n’ayant pas conduit son processus à maturité, les maîtres se sont mis à se moquer d’elle et à la dénigrer », soutient-il.
Mais, pour ne pas tomber dans le piège de la fatalité d’une Afrique maudite et d’un monde figé dans une division avec d’un coté des peuples condamnés à la misère et de l’autre des peuples destinés à l’opulence éternelle, Jean Ping soutient que les ordres internationaux sont les produits de l’histoire : « le temps les accouchent, les façonne et enfin les anéantit ». Ce postulat étant posé, il pouvait alors révéler la question centrale de son ouvrage : « face à une telle configuration du système international, les Etats africains vont-ils finalement parvenir, l’instar des autres Etats, à réagir et à préserver un tant soi peu, leur indépendance nationale, leur dignité humaine, leur identité culturelle et leur sécurité nationale tout en répondant aux impératifs majeurs de changement, de développement, de modernité, d’universalité et d’unité du genre humain ? ». Une question à laquelle l’auteur oppose le proverbe peul qui dit que : "si la terre tourne, tourne avec qu’elle". En effet, pour surmonter ses difficultés selon Jean Ping, « l’Afrique doit assumer avec courage et parfois abnégation la mise en pratique du proverbe peul : se reformer, s’adapter au monde nouveau et avancer vers la modernité ». Et l’espoir est tout à fait permise : « quelque longue que soit la nuit noire dans laquelle le continent africain est plongé, le jour finira bien par se lever et ce jour sera, croyez-le, lumineux », promet l’auteur.
Pour autant, Jean Ping est loin de vouloir enfermer l'Afrique dans quelque recherche d'un quelconque passé glorieux sur lequel il fera fleuri sa prospérité. Il pense plutôt que le continent doit pouvoir fructifier le fruit de ses rencontres avec d'autres civilisations : "juste un peu de patience, de savoir faire et de tolérance suffiraient car le modernisme à l'occidentale a tant transformé l'Afrique qu'il est difficile d'imaginer autre chose". Mais encore une fois, pas d'exclusivité occidentale.
Tout le monde va en Chine
L’une des prises de positions majeures de l’ouvrage de l’actuel président de la commission africaine, c’est l’hypothèse qu’il avance d’un « monde non exclusivement occidental ». Se faisant, il remet au goût du jour le débat très actuel d’une concurrence que se font en Afrique les nouvelles puissances asiatiques et les anciens pays colonisateurs du continent. Et de rappeler pour fixer à la fois les esprits et les contours de ce débat un rapport de la CIA selon lequel « l’Asie sera le continent emblématique de la plupart des tendances lourdes susceptibles de façonner le monde des 15 prochaines années ». L’auteur constate tout simplement que face à l’Asie, « certains s'en inquiètent, d’autres n’hésitent plus à agiter le vieux chiffon rouge du péril jaune ». Et, corroborant ce rapport de la CIA, Jean Ping affirme qu’on « assiste à un basculement du monde vers l’Asie pacifique et les pays qu’il faudrait imiter en raison de leur extraordinaire success story ». D’où l’intérêt qu’il porte pour la coopération afro-asiatique : « c’est qu’elle se fait apparemment sans diktats, sans grossières ingérences, sans conditionnalités impossibles, sans préalables, et surtout sans menaces systématiques de sanctions : c’est la carotte sans bâton », révèle Jean Ping. Pédagogue, le président de la commission de l’union africaine rappelle aux occidentaux que « punir est une science et non un réflexe ».
Et s’agissant spécifiquement de la coopération sino africaine, Jean Ping se demande au nom de quoi, les pays occidentaux qui entretiennent des relations avec la Chine, trouveraient-ils à redire : « Ce qui est bon pour eux n’est-il pas bon pour l’Afrique ? » S’interroge t-il. Et pour appuyer sa position par rapport à ce débat, l’auteur convoque les propos dénonciateurs de Louis Michel, le commissaire européen au commerce : « je ne veux pas rester complice silencieux de tous les pays européens qui cherchent à approfondir leurs relations économiques avec la Chine et tenir en même temps le discours culpabilisant à l’égard des Etats africains qui nouent de telles relations avec la Chine. Je suis favorable à la mondialisation pour tous, pas seulement pour les européens ».
Au delà de sa dimension rhétorique par rapport au développement de l’Afrique, l’œuvre de Jean Ping est d’abord une sorte de récit de vie dans lequel l’auteur décline avec force anecdotes et met en récit justement sa riche carrière de diplomate qui, à l’ombre du président Omar Bongo Ondimba, a participé à la résolution de plus d’un conflit en Afrique. Et nous pensons d’ailleurs que c’est l'image du pacificateur qu’il souhaite voir garder de lui aussi bien à la tête de la commission de l’union africaine qu’à quelque position que ce soit dans son pays natal le Gabon. Il reste que pour la première fois, grâce à Jean Ping et cet ouvrage majeur, « les idées africaines rencontrent la réalité, c’est à dire portent en elles mêmes leur propre faisabilité ». L’ouvrage de Jean Ping se lit d’un trait, grâce à la relation des faits et surtout grâce aux images qui maintiennent éveillés.

Par Etienne de Tayo

« Et l’Afrique brillera de mille feux »
Editions l’Harmattan, Paris, 2009-08-03
Collection : Grandes figures d’Afrique

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour Etienne,

Merci pour un point de vue qui ne laisse pas indifférent. Il faut nécessairement refaire une deuxième lecture, car les actions et les solutions font défaut... Les alternatives ne sont pas clairement énoncées et apparaissent comme inexistantes.... le constat était déjà connu. Afrology n'a pas voulu prendre position officiellement en référence à une carrière politique où les légitimités ont été questionnées.
Au demeurant, un papillon, cela ne vit pas très longtemps... donc il faut espérer que le papillon n'est pas une référence directe à l'Afrique, sinon, il y a du souci à se faire... Merci. Fraternellement.

Bonne journée
10 octobre 2009
Dr. Yves Ekoué Amaïzo, Ph.D., MBA
Directeur du Groupe de réflexion et d'action "Afrology"
Internet: www.afrology.com
Email: yeamaizo@afrology.com

Internet: www.amaizo.info