L’information, plutôt soft, ressorti des colonnes d’un quotidien généralement sérieux du Cameroun. Elle révèle ceci : Au cours de deux cérémonies, le mariage officiel célébré le 25 septembre 2009 à la mairie de Yaoundé 5 "dans la stricte intimité familiale" et le mariage coutumier et islamique célébré le 11 octobre 2009, dans le village Manka, près de Foumban, Mounchipou Seidou a pris en troisième noces Mlle Kimoun Fadimatou Zaratou, âgée de 28 ans. Et la sérénité qui caractérise la relation des faits par le journaliste montre bien que nous ne sommes pas en face d’une curiosité socio-politique. D’ailleurs, dans une allocution improvisée, rapporte le journaliste, le jeune marié, qui est par ailleurs le chef supérieur du village, déclare : "J'espère qu'elle apportera un nouveau souffle à la famille et à moi-même dans mon combat pour l'honneur, la dignité et la survie".
Si vous n’avez encore rien compris sur le caractère insolite de cette information, sachez donc que le Mounchipou en question est un ancien ministre condamné en 1999, dans le cadre de l’opération Epervier, à 15 ans de prison pour détournement de deniers publics. Il purge, du moins officiellement, sa peine à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé, c’est à dire à plus de 400 kilomètres de Foumban. Le journaliste qui rapporte l’information ne nous parle pas d’une quelconque évasion de prisonnier mais plutôt d’un phénomène très récurrent. A savoir, la vadrouille de ces prisonniers d’un genre particulier, hors de leur lieu d’incarcération. Les membres de la famille Mounchipou témoignent d’ailleurs de ce que l’illustre prisonnier leur rend très souvent des visites surprises : "il a l'habitude de faire des séjours réguliers dans son village". Il a de la chance le Mounchipou, certains de ses compagnons de misère meurent en prison, certainement parce qu’ils n’acceptent pas leur nouvelle condition, alors qu’il a réussi à en faire un petit coin du paradis et à montrer qu’il peut y avoir une vie, non seulement après la prison mais surtout pendant la prison.
Cette information d’un prisonnier qui se marie, corrobore parfaitement un certain imaginaire construit au Cameroun autour du statut de certains "prisonniers de luxe" victimes de l’opération Epervier, une sorte d’opération dite mains propres menée contre les agresseurs de la fortune publique. Il s’agit pour la plupart, d’anciens dignitaires fortunés du régime. D’après cet imaginaire, certains de ces prisonniers bénéficieraient des aménagements de peine extraordinaires. Cette complaisance carcérale leur permettrait ainsi de passer du statut de prisonnier, c’est à dire une personne constamment retenue derrière les barreaux à celui de saisonnier, c’est à dire une personne à liberté surveillée bénéficiant des séjours réguliers à l'extérieur de la prison. Il y aurait même parmi ces prisonniers à statut spécial, ceux qui continuent de conduire des investissements et de gérer tranquillement leurs affaires depuis la prison. Nous sommes loin des prisons de Tcholliré ou de Mantum de tristes réputations. Et c’est peut-être tant mieux pour la civilisation des mœurs.
Cette situation de vadrouille organisée de prisonniers peut résulter de deux choses : cela peut être le fait délibéré d’un régisseur de prison qui, dans un environnement de corruption généralisée et bénéficiant de la couverture officieuse et intéressée de ses supérieurs, décide ainsi de faire payer leur liberté à ses prisonniers les plus fortunés. Cela peut aussi résulter de la volonté affirmée du régime, du fait de leur statut spécial, d’assouplir les conditions de détention de ces prisonniers.
Dans le principe, cela ne devrait poser aucun problème qu’un gouvernement puisse ainsi trouver le moyen de soulager les peines de certains de ses anciens collaborateurs qui se sont égarés sur les chemins de l’enrichissement illicite sur le dos de l’Etat. Cela va même dans le sens de la promotion des droits de l’homme. Sauf que, ainsi posé, les privilèges accordés à ces prisonniers entraînent au moins deux hiatus dans la représentation dans la société camerounaise des valeurs comme la justice et l’égalité :
Le premier hiatus serait la consécration de l’inégalité des citoyens devant la loi - ou du moins devant l’application de la loi - du fait de la croyance en le Dieu Argent : pour autant que tu seras riche ou pauvre, ta peine sera lourde ou légère. Il n’est pas sûr que, même s’il justifiait d’une très bonne tenue en prison, un autre condamné moins fortuné puisse bénéficier des mêmes aménagements de peine.
Le second hiatus vient de ce que le gouvernement camerounais qui est engagé dans cette opération dite Epervier, court le risque de fabriquer au travers des personnalités embastillées, de faux martyrs et de faux héros mais de vraies victimes du système. Le risque est grand demain d’assister au Cameroun à une sorte d’encombrement du marché politique par le fait de toutes ces personnalités ayant pour seule offre politique, leurs années de prison et qui tenteront de capitaliser leur mésaventure en sollicitant les suffrages des électeurs.
En effet, dans un contexte où être ancien prisonnier peut tout à fait devenir un programme politique, une telle manœuvre a toutes les chances de fleurir. C’est à dire qu’en se posant comme des victimes du régime, les victimes de l’Epervier se positionnent comme les premiers combattants pour le changement tant réclamé par une bonne partie du peuple camerounais. Cela s’était déjà vu au cours des années 1990, lorsque dans les meetings de l’opposition, les meilleures places étaient réservées et les meilleurs étaient rendus à ceux qui justifiaient des stigmates de leur souffrance dans quelque prison du pays. Au cours du meeting, il leur suffisait juste de se lever, de montrer leur doigt coupé ou leur œil crevé en prison et la sympathie ou même l’adhésion du peuple leur était garantie.
C’est vrai que dans la plupart des cas, il s’agissait des prisonniers politiques et d’opinion. Ce qui n’est pas le cas des prisonniers de l’Epervier qui eux, sont des prisonniers de droit commun, au même titre que les voleurs de poules et autres braqueurs qui encombrent les prisons camerounaises. Mais, comme on le sait, le bon peuple – surtout lorsqu’il se laisse corrompre comme c’est généralement le cas au Cameroun – se montre souvent très compassionnel vis à vis des victimes. Et n’est pas toujours capables de faire la distinction entre un prisonnier d’opinion et un prisonnier de droit commun. Cette confusion sera d’autant plus opérante que dans l’imaginaire camerounais, l’opération Epervier est plus appréhendée comme un simple règlement de comptes entre rivaux politiques que comme une quelconque opération mains propres visant l’assainissement du système.
La prison étant le lieu par excellence de la capitalisation de la souffrance et finalement un bon tremplin pour le pouvoir, il est donc possible que demain, à la suite d’élections régulières, les portes de l’Assemblée nationale, du Sénat et pourquoi pas du palais de l’unité, s’ouvrent devant ces « héros », ces « martyrs » de la République. Une opération certainement légitime pour eux. Sauf que, le marché politique camerounais a besoin aujourd’hui de plus de visibilité. Il est impérieux dans ce marché, de séparer la bonne graine de l’ivraie pour permettre aux acteurs politiques de construire une offre politique plus attrayante et au peuple de choisir en toute connaissance.
Etienne de Tayo
Promoteur « Afrique Intègre »
www.edetayo.blogspot.com
Cette information d’un prisonnier qui se marie, corrobore parfaitement un certain imaginaire construit au Cameroun autour du statut de certains "prisonniers de luxe" victimes de l’opération Epervier, une sorte d’opération dite mains propres menée contre les agresseurs de la fortune publique. Il s’agit pour la plupart, d’anciens dignitaires fortunés du régime. D’après cet imaginaire, certains de ces prisonniers bénéficieraient des aménagements de peine extraordinaires. Cette complaisance carcérale leur permettrait ainsi de passer du statut de prisonnier, c’est à dire une personne constamment retenue derrière les barreaux à celui de saisonnier, c’est à dire une personne à liberté surveillée bénéficiant des séjours réguliers à l'extérieur de la prison. Il y aurait même parmi ces prisonniers à statut spécial, ceux qui continuent de conduire des investissements et de gérer tranquillement leurs affaires depuis la prison. Nous sommes loin des prisons de Tcholliré ou de Mantum de tristes réputations. Et c’est peut-être tant mieux pour la civilisation des mœurs.
Cette situation de vadrouille organisée de prisonniers peut résulter de deux choses : cela peut être le fait délibéré d’un régisseur de prison qui, dans un environnement de corruption généralisée et bénéficiant de la couverture officieuse et intéressée de ses supérieurs, décide ainsi de faire payer leur liberté à ses prisonniers les plus fortunés. Cela peut aussi résulter de la volonté affirmée du régime, du fait de leur statut spécial, d’assouplir les conditions de détention de ces prisonniers.
Dans le principe, cela ne devrait poser aucun problème qu’un gouvernement puisse ainsi trouver le moyen de soulager les peines de certains de ses anciens collaborateurs qui se sont égarés sur les chemins de l’enrichissement illicite sur le dos de l’Etat. Cela va même dans le sens de la promotion des droits de l’homme. Sauf que, ainsi posé, les privilèges accordés à ces prisonniers entraînent au moins deux hiatus dans la représentation dans la société camerounaise des valeurs comme la justice et l’égalité :
Le premier hiatus serait la consécration de l’inégalité des citoyens devant la loi - ou du moins devant l’application de la loi - du fait de la croyance en le Dieu Argent : pour autant que tu seras riche ou pauvre, ta peine sera lourde ou légère. Il n’est pas sûr que, même s’il justifiait d’une très bonne tenue en prison, un autre condamné moins fortuné puisse bénéficier des mêmes aménagements de peine.
Le second hiatus vient de ce que le gouvernement camerounais qui est engagé dans cette opération dite Epervier, court le risque de fabriquer au travers des personnalités embastillées, de faux martyrs et de faux héros mais de vraies victimes du système. Le risque est grand demain d’assister au Cameroun à une sorte d’encombrement du marché politique par le fait de toutes ces personnalités ayant pour seule offre politique, leurs années de prison et qui tenteront de capitaliser leur mésaventure en sollicitant les suffrages des électeurs.
En effet, dans un contexte où être ancien prisonnier peut tout à fait devenir un programme politique, une telle manœuvre a toutes les chances de fleurir. C’est à dire qu’en se posant comme des victimes du régime, les victimes de l’Epervier se positionnent comme les premiers combattants pour le changement tant réclamé par une bonne partie du peuple camerounais. Cela s’était déjà vu au cours des années 1990, lorsque dans les meetings de l’opposition, les meilleures places étaient réservées et les meilleurs étaient rendus à ceux qui justifiaient des stigmates de leur souffrance dans quelque prison du pays. Au cours du meeting, il leur suffisait juste de se lever, de montrer leur doigt coupé ou leur œil crevé en prison et la sympathie ou même l’adhésion du peuple leur était garantie.
C’est vrai que dans la plupart des cas, il s’agissait des prisonniers politiques et d’opinion. Ce qui n’est pas le cas des prisonniers de l’Epervier qui eux, sont des prisonniers de droit commun, au même titre que les voleurs de poules et autres braqueurs qui encombrent les prisons camerounaises. Mais, comme on le sait, le bon peuple – surtout lorsqu’il se laisse corrompre comme c’est généralement le cas au Cameroun – se montre souvent très compassionnel vis à vis des victimes. Et n’est pas toujours capables de faire la distinction entre un prisonnier d’opinion et un prisonnier de droit commun. Cette confusion sera d’autant plus opérante que dans l’imaginaire camerounais, l’opération Epervier est plus appréhendée comme un simple règlement de comptes entre rivaux politiques que comme une quelconque opération mains propres visant l’assainissement du système.
La prison étant le lieu par excellence de la capitalisation de la souffrance et finalement un bon tremplin pour le pouvoir, il est donc possible que demain, à la suite d’élections régulières, les portes de l’Assemblée nationale, du Sénat et pourquoi pas du palais de l’unité, s’ouvrent devant ces « héros », ces « martyrs » de la République. Une opération certainement légitime pour eux. Sauf que, le marché politique camerounais a besoin aujourd’hui de plus de visibilité. Il est impérieux dans ce marché, de séparer la bonne graine de l’ivraie pour permettre aux acteurs politiques de construire une offre politique plus attrayante et au peuple de choisir en toute connaissance.
Etienne de Tayo
Promoteur « Afrique Intègre »
www.edetayo.blogspot.com
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