vendredi 14 septembre 2007

CAMEROUN : ABAH ABAH, LE PEUPLE ET LA VINDICTE POPULAIRE




Il y a une un peu plus d'une semaine, le 7 septembre 2007, le président camerounais Paul Biya procédait à un réaménagement du gouvernement. Juste une retouche technique qui a quand même conduit au départ de certaines personnalités de premier plan. Grande déception tout de même chez ceux qui attendaient un remaniement gouvernemental avant au besoin un changement de Premier ministre.


Comme après chaque mouvement politique au Cameroun, j'ai appelé deux ou trois personnes pour savoir ce qui se dit dans l'opinion au-delà des analyses de quelques exégètes du dimanche. Au Cameroun le pouvoir est tellement hermétique qu'il ne laisse filtrer que ce qu'il souhaite voir répandre dans l'opinion. Alors la presse s'en empare et fait le reste.
La première personne que j'ai contactée n'a pas caché sa satisfaction par rapport au départ du ministre de l'Economie et Finances, Polycarpe Abah Abah : "Nous avons fêté le départ de Abab Abah. Il a failli nous tuer avec les impôts. Si je n'étais pas très solide, j'aurai moi-même eu un arrêt cardiaque comme les autres", dit-elle. Cette personne m'annonce aussi qu'avec le départ de Abah Abah, c'est la prospérité économique qui s'annonce pour le Cameroun : "Sarkozy a dit qu'il va nous aider. Et nous savons qu'il fait toujours ce qu'il dit. Nous sommes très confiants", dit-elle en faisant à sa manière la lecture du discours de Sarkozy à Dakar qui pourtant dans les milieux intellectuels africains avait reçu une volée de bois vert. Et j'ai compris l'écart qui existe encore en Afrique entre le discours des intellectuels et la compréhension de l'opinion de la base. Cette préoccupation, je l'avais déjà ressentie avant de rédiger une réflexion intitulée : "Les défis des intellectuels africains de la diaspora". Cette personne, je l'ai rappelé trois jours après et elle m'a annoncé non sans satisfaction que "les auditions de Abah Abah avait déjà commencé à la police". Des informations pas toujours vérifiées qui sont souvent aussi malheureusement relayées par la presse camerounaise où on annonce une deuxième opération épervier : "Abah Abah et Cie annoncés au Sed", titre le Messager, l'un des principaux quotidien privé camerounais.
Une deuxième personne que j'ai appelée est celle qui m'avait déjà annoncé une fois avec une pointe de fierté que "au Cameroun, nous sommes maintenant gouverné par l'ambassadeur des Etats-Unis. Il donne les ordres et notre président exécute". J'en avais été choqué. Que nous soyons tombé si bas au point d'être dirigé par l'ambassadeur d'un autre pays, fut-il une grande puissance. Cette personne est donc revenue cette fois pour me faire d'autres annonces. Selon elle, c'est finalement le fonds monétaire international dont une mission se trouve au Cameroun qui a finalement obtenu la tête d'Abah Abah.. Elle m'a dit aussi que l'ambassadeur des Etats-Unis (encore lui!) a demandé de tout faire pour que l'opposition ait un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale au risque pour le Cameroun de représenter aux yeux du monde l'image d'une démocratie monopartisane. Et c'est comme çà qu'elle explique le lâchage des ténors politique du Rdpc comme Françoise Foning, la députée-Maire de Douala 5e qui a vu ses deux élections annulées par la cour suprême.
Mais la vedette au Cameroun reste Polycarpe Abah Abah, le parfait fusible. Et il faut se lever très tôt pour lui voler la vedette. En fait, dans l'opinion camerounaise, on accuse l'ancien ministre de l'Economie et Finances de crimes collatéraux ou si vous voulez d'homicide involontaire. On parle particulièrement à Yaoundé du cas de deux hommes d'affaires promoteurs d'agences de voyages.
Tala Voyages, le propriétaire de l'agence qui porte son nom aurait été foudroyé par une crise cardiaque après que les inspecteurs lui ont annoncé un redressement fiscal de plusieurs dizaines de millions de F CFA : "Lorsque l'inspecteur des impôts lui a dit ce qu'il devait à l'Etat, il a compris que c'est la ruine qui le guettait. Alors il a commencé à suer à grande goutte et il a arrêté sa poitrine. Transporté à l'hôpital, il est passé de vie à trépas", rapporte une source camerounaise.
L'autre opérateur économique, promoteur de l'agence de voyage "Binam Voyages" aurait connu lui aussi le même sort. Il était entré dans une grave dépression depuis le passage des inspecteurs des impôts qui lui avaient aussi annoncé un redressement fiscal. Il était mort lui aussi quelques temps après.
Au Cameroun, on parle aussi de l'autre opérateur économique, Fokou Bernard promoteur du Groupe Fokou Fobert. Il opère dans le secteur des matériaux de construction, de l'industrie, de la construction routière. Il aurait décidé de délocaliser au Gabon et en Guinée Equatoriale pour protester contre ce qu'il considère comme le harcèlement fiscal.
Un autre homme d'affaire de Douala, jadis prospère m'annonçait dernièrement qu'il avait décidé de déclarer faillite à cause du harcèlement fiscal des inspecteurs de impôts : "Depuis que j'ai pris cette décision, je crois que je suis plus tranquille maintenant. Je trouve du temps pour m'occuper de ma santé. Maintenant que j'ai déclaré faillite, je ne sais pas chez qui ils viendront encore réclamer l'argent. Est-ce que l'impôt c'est pour tuer l'économie?", s'interroge t-il.
Tous ces drames, vécus par plus d'un opérateur économique au Cameroun à divers degrés, l'opinion camerounaise ne voit qu'une seule main, celle de Polycarpe Abah Abah, présenté dans certains milieux comme le diable incarné. L'inculpation de son épouse dans une affaire de détournement de deniers publics et sa libération en catimini avait fini de ternir l'image du Minéfi aux yeux de la population. Pour celle-ci, il n'était lui aussi qu'une fripouille, comme son épouse.
Peut-être que eux-mêmes les opérateurs économiques camerounais avaient pris l'habitude de faire les affaires en s'arrangeant avec les agents des impôts, privant ainsi les caisses de l'Etat des ressources substantielles. Pratique à laquelle Abah abah a certainement voulu mettre fin. Peut-être, si on se laisse aller à la théorie du complot qui n'est jamais loin de ces commentaires autour du harcèlement fiscal, Abah Abah ne serait que le bras armé qui veut les asphyxier. Pour quelle raison?

ET POURTANT…

Abah Abah, je l'avais connu dans les années 90, plus exactement en 1994. Il était conseiller technique dans les services du Premier ministre où il menait la réforme fiscale. J'y étais allé en compagnie de Atemebang Achu, un confrère et ami, aujourd'hui disparu, qui était très proche de lui. Je l'avais trouvé très enthousiaste et très volontaire. Il semblait maîtriser son sujet. Il m'avait offert un exemplaire de son rapport et j'avais exploité quelques extraits dans mes papiers Il sera par la suite nommé directeur de impôts avant d'être propulsé ministre de l' Economie et Finances. Et puis il était devenu très impopulaire dans l'opinion.
Après cette rencontre, je ne l'avais plus jamais rencontré mais j'étais resté marqué notre rencontre. Et j'avais de la peine à croire qu'un homme aussi volontaire pouvait dévier au point de ne devenir qu'un vulgaire cerbère doublé de pilleur de fond public impénitent. Il me souvient que je recevais très souvent les flèches de ses détracteurs lorsque j'affirmais qu'il est pour moi la personne indiquée à ces postes parce qu'il est dans son élément. Je leur disais qu'il est l'un des rares qui a une feuille de route qu'il s'était donné et qu'il avait réussi à faire accepter par le gouvernement.
D'autres n'hésitaient pas comme c'est de coutume au Cameroun de croire que mes prises de position n'étaient pas dénuées d'intérêts : "Si c'est parce que tu bouffes avec lui, pardon excuses-nous. Il nous énerve et il doit partir", disaient certaines personnes qui étaient particulièrement remontées contre lui. Elles me disaient que Abah Abah est très mauvais. Alors, je leur demandais pour qui il est mauvais: "Pour vous les opérateurs économique qui êtes à la recherche de votre profit maximum ou pour Paul Biya qui l'a nommé et qui attend de lui qui renfloue les caisses de l'Etat. Je leur disais que, lorsque son patron Paul Biya se rendra compte qu'il est mauvais pour lui, il l'enlèvera. ". C'est ce qui vient d'arriver et c'est le destin des fusibles.
Au demeurant, l'action de Abah Abah a-t-elle été complètement noire pour l'économie camerounaise et le Cameroun tout court? Que non. En renflouant les caisses de l'Etat par les moyens qui étaient les siens et qui c'est vrai ne faisaient pas l'unanimité, Abah Abah a permis à l'administration camerounaise d'éviter le ridicule qui consistait à acheter les voitures d'occasion et être la risée de ces mêmes opérateurs économiques savaient si bien jouer les victimes.
Ce qui est vrai c'est que, porté par son enthousiasme et son volontarisme, Abah Abah a voulu mettre une pression un peu trop forte. Dans beaucoup de domaine, il a fait du copier coller entre le modèle fiscal français et le modèle camerounais. Il imposait ainsi un modèle conçu pour la France dans une société camerounaise qui est complètement différente. Cette inadéquation a fini par ne privilégier que le coté répressif de l'impôt contribuant ainsi à créer des relations plus que distendues entre l'Etat et le secteur privé. C'est pourquoi, au cours du conseil des ministres du 13 septembre 2007, qui a suivi le réaménagement du gouvernement, le Président Paul Biya, dans un désaveu complet de la politique fiscal menée par son ancien ministre de l'Economie et Finances, "recommande de modifier l'attitude à l'égard du secteur privé, notamment en matière de fiscalité, en la rendant plus incitative". Voilà qui est dit et qui va redonner du baume au cœur des opérateurs économiques.
L'autre problème que Abah Abah n'a pas résolu c'est celui de l'équité de l'impôt et finalement une sorte d'égalité de tous les citoyens devant ce devoir. Or au Cameroun, il y a beaucoup de personnes qui bénéficient des passe droit pour ne pas payer les impôts alors qu'elles réalisent parfois des profits faramineux. Il s'agit de tous ces hommes d'affaires qui se réfugient dans le parti au pouvoir. Il s'agit aussi des expatriés qui obtiennent des exonérations injustifiées. L'impôt au Cameroun devient donc le fardeau des faibles qui n'ont personne au sommet de l'Etat. C'est aussi ici qu'il faut venir trouver les raisons de l'impopularité croissante et inquiétante de Polycarpe Abah Abah.
Resté longtemps sourd aux plaintes des opérateurs économiques et même des Camerounais en général, Paul Biya a enfin a compris que Abah Abah pouvait lui nuire personnellement. Il a compris que le fusible avait complètement grillé et pouvait ne plus le protéger. C'est pourquoi il a accédé à la demande d'holocauste des camerounais en leur balançant enfin son argentier. A ce stade, le peuple camerounais est comparable à une meute de chiens affamés. Chaque fois, le pouvoir suce jusqu'à l'os, un des leurs qu'il avait choisi et le leur balance. Alors, ils se précipitent pour le déchirer. Demain, ce sera un autre serviteur tombé en disgrâce qui leur sera servi. Un jour peut-être, un dernier sacrifié sera "l' Agneau de Dieu qui vaincra ce monde inique !"

Par Etienne de Tayo

dimanche 9 septembre 2007

FORUM CHINA-EUROPA OU COMMENT RELEVER LES DEFIS DU NOUVEAU MONDE



Dominique De Villepin vient de commettre un essai, un de plus, sur Napoléon Bonaparte (Le soleil noir de la puissance 1796-1807), pour dit-on contre attaquer en utilisant la "stratégie de la place du marché" dans l'affaire clearstream mais surtout pour tenter de démystifier et démythifier le phénomène Sarkozy. Au même moment, l'une des prédictions de l'avant dernier monarque français est en passe de se réaliser. En effet, au faîte de sa gloire, Napoléon 1er déclara : "Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera". Il comparait la Chine à un Lion endormi. Aujourd'hui, le lion s'est réveillé et la panique gagne la jungle qu'est devenu le monde.
Alors que aux Etats-Unis, les membres du congrès, dans leur panique, renouent avec le "china bashing" et brandissent la menace de rétorsions contre la Chine ou encore un recours à des mesures aussi rétrogrades et anachroniques comme le protectionnisme. En Europe, des groupes plutôt pacifistes, qui veulent se démarquer des institutions étatiques, s'organisent pour désamorcer la bombe et "créer un dialogue entre les sociétés chinoise et européenne".
C'est le cas des promoteurs du deuxième Forum "China-Europa" qui ont donné une conférence de presse au Cape de la Maison de la Radio France à Paris. Ils ont compris, peut-être avant tout le monde, que "la mondialisation et la montée en puissance de la Chine posent aux deux sociétés (européenne et chinoise) des défis nouveaux et imposent des modalités nouvelles de dialogue. Autour de Michel Rocard, les organisateurs faisaient ainsi le point des préparatifs en même temps qu'ils commentaient les dernières évolutions de l'actualité au sujet de la Chine.
Sous le thème d'un "dialogue biennal des sociétés pour relever ensemble les défis du monde contemporain" ce Forum, organisé par la fondation Charles Léopold Mayer, la Vrije Universiteit Brussels, l'Université du peuple de Chine et l'Université Sun Yat-Sen, se tiendra du 4 au 7 octobre 2007 en deux étapes : les 4 et 5 octobre 2007 dans 23 villes européennes et les 6 et 7 octobre 2007 une séance plénière à Bruxelles. Près de 50 thèmes allant du vieillissement de la population à la réforme de l'enseignement supérieur, de la gouvernance mondiale au développement durable, seront ainsi abordés dans les 27 ateliers thématiques.
A l'issue de la conférence de presse nous nous sommes tournés vers trois personnalités au centre de l'événement : Michel Rocard, ancien premier ministre français, député au parlement européen et membre de la commission des affaires étrangères. Il a été président de la délégation européenne au premier Forum qui s'est tenu à Nansha; Pierre Calame, Directeur général de la fondation Charles Léopold Mayer et Chen Yan, Secrétaire général de l'Association des intellectuels chinois en Europe. Nous avons voulu, avec eux, commenter les conséquences de l'irruption de la Chine sur la scène internationale et surtout le nouveau sort qui est celui de l'Afrique dans ce monde reconfiguré.

Etienne de Tayo

Promoteur de "Afrique Intègre"

ENTRETIEN AVEC MICHEL ROCARD, ANCIEN PREMIER MINISTRE FRANCAIS, DEPUTE AU PARLEMENT EUROPEEN






"Je vois se développer chez nos amis Américains une théorie de la menace chinoise qui m'inquiète. Et en Europe où nous réagissons différemment, le problème est plutôt la méconnaissance, l'ignorance profonde"




Question : Monsieur le Premier ministre, vous préparez ce forum Chine Europe au moment où les relations sont particulièrement tendues entre la Chine et ce que nous appellerons l'Occident. On a l'impression qu'un certain mépris de l'autre traverse ces tensions. Peut-on réussir à pacifier sans qu'il y ait ce respect nécessaire entre les deux peuples?

Michel Rocard : Il ne faut pas tout mélanger. Ce forum est le deuxième forum chinois et il rassemble des gens qui ne sont pas les gouvernements. C'est une rencontre entre deux sociétés civiles autorisée par les puissances publiques. Mais autorisée seulement et pas contrôlée. Et çà me paraît utile de faire çà justement au moment où les choses ne vont pas très bien sur le plan de la diplomatie commerciale ou encore du débat du conseil de sécurité sur le Darfour.
Ce forum est une recherche de pacification par une meilleure compréhension mutuelle.

Question : Pensez-vous qu'au niveau de l'Occident il y ait cette disposition pour la compréhension nécessaire à cette pacification. Parvenez-vous dans l'élite à présenter une autre Chine au peuple de l'Occident qui, la campagne médiatique aidant, a plutôt l'image d'une Chine qui cherche à l'empoisonner et qui ne joue pas franc jeu?

Michel Rocard : Vous parlez comme si vous résumiez la Chine à son gouvernement. Il y a un milliard trois cent million d'habitants. Il y a une vitalité de la société chinoise qui ne se limite pas aux actes de son gouvernement. D'autre part, l'Occident est un concept dangereux. Je vois se développer chez nos amis américains une théorie de la menace chinoise qui m'inquiète. Et en Europe où nous réagissons un peu différemment, le problème est plutôt la méconnaissance, l'ignorance profonde.Notre deuxième forum Europe-Chine a plutôt pour objet d'élargir la connaissance que nous avons de la Chine et peut-être de nouer des relations interpersonnelles, de commencer à créer des liens de peuple à peuple qui ont besoin de grandir beaucoup avant d'être capable d'apporter des conséquences politiques.

Question : Vous avez été premier ministre de la France, aujourd'hui, l'Afrique est devenu, plus que par le passé, un enjeu pour les grandes puissances. Et la France perd de plus en plus de terrain en Afrique au profit des nouvelles puissances comme la Chine. Comment analysez-vous cette situation?

Michel Rocard : Premièrement, il faudrait vraiment en finir avec le colonialisme. Que la France perde du terrain en Afrique, c'est la moindre des choses. C'est même normal. Je n'aime pas l'impérialisme. J'essaie de travailler à ce que l'Afrique conquière son autonomie, sa souveraineté, son autosuffisance. Elle a besoin de l'extérieur, il y a une émulation. La Chine arrive et offre beaucoup d'aides, c'est bien. La Chine est plus grosse que la France. C'est bien normal que son offre soit importante.
Mais sur l'Afrique, on dit beaucoup d'erreurs. J'espère qu'on comprendra que les exigences de découvertes du développement économique en Afrique sont internes. L'aide ne suffit pas. C'est vraiment le développement d'un entreprenariat notamment de PME et de services qui manquent beaucoup à l'Afrique. Ce n'est pas une multiplication de très grandes usines capables à l'européenne et à l'américaine de traiter les ressources naturelles en Afrique qui pose le problème. Il faut mettre sur pied un tissu économique et çà c'est purement africain.

Propos recueillis à Paris par : Etienne de Tayo

ENTRETIEN AVEC PIERRE CALAME, DIRECTEUR GENERAL DE LA FONDATION CHARLES LEOPOLD MAYER, ORGANISATEUR DU FORUM CHINA-EUROPA



"L'influence de la France en Afrique restera considérable si la France est porteuse d'idées pour l'avenir"


Question : Le climat se détériore de plus en plus entre les Etats-Unis et la Chine. Comment pensez-vous que l'on puisse éviter le clash si vous pensez qu'il peut y avoir clash?

Pierre Calame : Il y a une seule solution que l'humanité a trouvé pour éviter les clash, c'est de se parler. On définit quelque fois la guerre comme la défection de la parole. Il est extrêmement rare de se tuer en se parlant. Maintenant le dialogue, comment et pourquoi faire?
Il faut repartir des bases sinon on est tout dans le malentendu, le préconçu. Il faut que ce soit les sociétés qui se parlent et pas des appareils institutionnels qui ont leurs propres intérêts par rapport à leurs sociétés. Donc un des intérêts, on le voit bien en Europe avec la reprise en main des Etats, est de construire les pseudo intérêts nationaux. Est-ce qu'il y a un intérêt national éminent chinois d'un coté et européen de l'autre? Ou y a-t-il aussi des question qui se posent aux femmes chinoises et européennes, aux entreprises ou aux paysans. Donc une manière de déconstruire l'ennemi c'est de découvrir que parfois ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous oppose. Mais tous les médias et tous les appareils institutionnels vont vous convaincre du contraire.

Question : On sait quand même que pour dialoguer, il faut déjà se respecter. Mais lorsqu'on regarde la campagne médiatique qui est faite actuellement sur le made in china. Est-ce que avec une telle ambiance le dialogue est possible?

Pierre Calame : Totalement. Mais dans dix ans je ne sais pas, parce qu'il est en train de se construire une problématique de l'affrontement. Le blocage du dialogue vient de la peur de voir l'autre ne pas être sincère. Le dialogue est une élaboration sociale. A partir de là, quand on est en face de l'autre, une fois qu'on a accepter ces étapes intermédiaires et où on se trouve dans une situation où des femmes chinoises et des femmes européennes, des journalistes chinois et des journalistes européens, des entreprises chinoises et des entreprises européennes se parlent non pas de qu'est ce que je reproche à l'autre mais qu'est ce que je suis, quelles mes peurs, quelles sont mes points d'interrogation. Alors la prévention tombe automatiquement.

Question : On a aussi l'impression que l'Afrique est devenu un enjeu pour les grandes puissances et l'influence de la France recule dangereusement. Est-ce que la situation telle qu'elle est présentée en Afrique n'est pas parfois déformée juste pour les intérêts des groupes comme vous le rappeliez?

Pierre Calame : Quand vous dites que l'influence de la France recule dangereusement, pour qui? Pour l'Afrique ou pour la France? En quoi l'influence de la France en Afrique est capitale à l'évolution de la société française? Commençons par sortir des rhétoriques de puissance qui n'ont rien à voir avec la gestion du monde de demain. L'influence de la France en Afrique restera considérable si la France est porteuse d'idées pour l'avenir. Les rapports de force sont sans issue dans le nouvel Etat du monde. Vous vous souvenez de la boutade de Staline : "Le pape, c'est combien de division?". N'empêche que c'est finalement l'église catholique qui a largement contribué à l'effondrement de l'Union soviétique. Ce n'est pas qu'avec les divisions qu'on gagne comme l'a rappelé Michel Rocard à la conférence de presse. On est passé dans une nouvelle ère, il n'y a aucun doute. Moi en tant que Français et pensant que la France a une histoire et une culture, qu'elle des choses à dire sur le monde. Si ces choses sont utiles, l'influence de la France sera grande. Mais la question de savoir si on maintient par la françafrique des réseaux occultes, des dictateurs soutenus, des intérêts de tel ou tel groupe économique ne nous intéresse absolument pas.
Par contre l'Afrique est confronté à un autre problème. C'est que la Chine a besoin à son stade de développement d'énergie et des matières premières. Elle pense les trouver en Afrique et y fait une offensive. Elle s'en fout complètement de l'Afrique. La Chine a une histoire de repli sur elle-même. Le Chinois ont été émerveillés par l'intelligence des leaders paysans africains parce que pour eux au départ, c'était des infrahumains. La Chine ne peut avoir actuellement qu'une attitude particulièrement cynique par rapport à l'Afrique. Mais elle va le faire de manière chinoise. Et qui va faire honte à l'inefficacité totale de la coopération européenne en Afrique. Donc, qu'une coopération inefficace soit chassée par des stratégies cyniques, c'est la vie.

Question : Beaucoup d'analystes pensent que la Chine et les Etats-Unis peuvent arriver à un affrontement armé. Partagez-vous les mêmes peurs?

Pierre Calame : Dans l'enjeu du forum, il l'idée que l'Europe sera à un moment probablement le seul médiateur possible entre la Chine et les Etats-Unis. Est-elle capable de l'être maintenant? Je n'en sais rien. La Chine est dans une position extrêmement contradictoire avec les Etats-Unis : Tout le monde en Chine déteste les Etats-Unis et tout le monde ne rêve que d'une chose: émigrer aux Etats-Unis. Au niveau du mode de vie, le modèle américain est la référence. Mais au niveau de la gestion, les élites chinoises qui sont très brillantes, savent que le modèle américain n'est pas jouable. Les Etats-Unis c'est 350 millions d'habitants et des ressources naturelles immenses et pourtant pas suffisantes pour un modèle des prédateurs. Donc ils ont déjà maîtrisé les ressources de la plupart des zones de la planète. A commencer par le pétrole du moyen orient. Ce modèle là n'est absolument pas productif pour la Chine à cause de l'étroitesse de ses terres arables. Toutes les élites chinoises savent que c'est vers le modèle européen qu'il faut se tourner et non le modèle américain. Il y a une fascination en Chine pour la puissance. Elle a été la première puissance mondiale pendant les siècles. Elle a connu un déclin effroyable en 1850 et 1920. La première question de la Chine est de retrouver son rang. S'il y avait pas l'Europe je crois qu'il n'y aurait pas d'amortisseur à un modèle d'intérêts nationaux qui s'affrontent. Les deux pays qui ont gardé la vision nationaliste au sens profond du terme, ce sont les Etats-Unis et la Chine. La Chine a théorisé l'idée qu'il y aune seule chose qui existe c'est les nations. Et les Etats-Unis sont le seul pays au monde où la constitution interdit à des soldats américains d'obéir à des généraux non américains. Donc, deux nationalismes radicaux dont les intérêts sur les matières premières et l'énergie sont complètement divergents. Oui il y a de quoi être soucieux. En plus ils ne se connaissent pas bien. Vous savez que la première guerre mondiale a débuté par un fait divers d'un assassinat à Sarajevo. Ce genre d'étincelle peut bien se passer entre la Chine et les Etats-Unis.

Propos recueillis à Paris par Etienne de Tayo

ENTRETIEN AVEC YAN CHEN, SECRETAIRE GENERAL DE L'ASSOCIATION DES INTELLECTUELS CHINOIS EN EUROPE


"L'intellectuel doit aider les peuples à relever le défi de la mondialisation"

Question : Depuis quelques mois, la tension monte entre les Etats-Unis et l'Europe d'un coté et la Chine de l'autre. Certains analystes craignent même le pire. Quel peut être le rôle de l'association des intellectuels chinois que vous représentez en Europe?

Yan Chen : Je pense que le rôle de l'intellectuel n'est pas d'intervenir dans le secteur du commerce et de la coopération. L'intellectuel devrait contribuer à faire comprendre les deux sociétés et réfléchir sur l'avenir soit de la guerre, soit de la coopération. L'intellectuel doit aider les peuples à relever le défi de la mondialisation.

Question : Quelles sont les objectifs de votre association des intellectuels chinois?

Yan Chen : Notre association regroupe une centaine d'intellectuels chinois en Europe. Elle joue un rôle de pont entre l'Europe et la Chine. Par la communication, elle essaie de faire comprendre d'un coté aux Européen la situation chinoise et de l'autre le fonctionnement du modèle européen. Nous organisons des colloques et des manifestations pour rapprocher les deux peuples.

Question : Les deux modèles chinois et européens reposent sur des socles très différents. Etes-vous partisan de la création d'une culture de l'universelle ou croyez-vous à la force de la diversité?

Yan Chen : Je pense que la question culturelle est très vaste. Je ne pense pas toujours qu'il y a d'un coté une culture européenne et de l'autre une culture chinoise. Puisque la culture chinoise évolue et la culture occidentale pareille. Il y a une modernité qui s'oppose à la tradition. Par exemple, la Chine d'aujourd'hui est bien différente de la Chine d'il y a deux mille ans. La prise de conscience qu'on est dans un univers qui est globalisé. On est au quotidien en contact avec les occidentaux. La Chine aujourd'hui devrait comprendre et ne pas se réfugier dans son modèle de culture traditionnelle.

Question : Les accusations qui sont généralement dirigées en occident contre la Chine c'est d'être trop fermée, de ne pas s'ouvrir au monde. Les trouvez-vous justifiées?

Yan Chen : Elles sont partiellement justifiées. Il y a une Chine tout à fait ouverte et qui est prête à accueillir toutes les idées. Mais il y a une autre Chine qui essaie de retarder et même de réprimer cette demande. Il y a donc une Chine politique qui est à la fois totalitaire et post totalitaire. Elle peut réprimer avec les moyens de l'Etat. En même temps le régime est doté d'une économie très forte et en pleine croissance. Donc il a les moyens modernes de contrôler la société. Mais la dimension politique peut peut-être retarder la prise de conscience et surtout les mutations dans une société qui est en pleine croissance mais il ne peut pas complètement l'étouffer.

Propos recueillis à Paris par Etienne de Tayo

samedi 8 septembre 2007

VOICI POURQUOI LES ETATS-UNIS NE FERONT PAS LA GUERRE A LA CHINE




Ces derniers jours, l'opinion publique américaine, alertée par la campagne médiatique anti "made in china", est particulièrement remontée contre l'empire du milieu. Le pays de Hu Jintao est accusé au mieux d'une concurrence déloyale au plan commercial, au pire d'un plan diabolique visant tout simplement à empoisonner les consommateur américains.

L'énumération macabre qui noirci les pages et défile sur les écrans télé et sonores est de nature à décourager même le consommateur le plus inconscient. Ici, un extrait de l'article de l'Express : "Les pneus défaillants : 2 morts. La mélanine dans la nourriture pour animaux : 4 150 quadrupèdes tués. Les avions télécommandés qui explosent en vol: 22 personnes atteintes de surdité partielle ou temporaire. Les jouets ou bavoirs peints avec de la peinture au plomb ou encore le dentifrice au diéthylène glycol"
Cette campagne de diabolisation, connue sous le nom de "china bashing" (taper sur la Chine) est menée au congrès américain où plusieurs projets de loi protectionnistes sont proposés. Dans un congrès où les "china bashers" sont majoritaires, démocrates et républicains s'accordent pour protéger le petit et fragile Etats-Unis contre la grande et méchante Chine. Par ailleurs, d'autres officiels, plus belliqueux et jaloux du statut de l'hyper-puissance des Etats Unis, n'écartent pas la possibilité des sanctions multiformes à infliger à la Chine.
Il n'en fallait pas plus pour que certains analystes y voient les prémisses d'une guerre économique ou d'une guerre tout court. Mais à y voir de plus près, les chances pour les Etats-Unis d'ouvrir un conflit commercial ouvert ou un conflit armé contre la Chine sont très minces. Ceci pour un ensemble de raisons idéologiques, commerciales, financières, géostratégiques et géopolitiques.
En recourant au protectionnisme quelle qu'en fut la raison au 21e siècle, les Etats-Unis courent le risque d'un reniement idéologique en sapant le socle sur lequel repose l'idéologie capitaliste et libre échangiste dont ils sont les plus grands promoteurs dans le monde. Après la responsabilité que certains lui reconnaissent volontiers dans l'échec du cycle de Doha de l'OMC, la préconisation des mesures de rétorsion protectionnistes des Etats-Unis contre la Chine confirmeraient tout le mal que certaines ONG pensaient du pays de Georges Bush en tant que fossoyeur du libéralisme économique. Cela s'appellerait : scier la branche sur laquelle on est perché.
Au plan commercial, la Chine a fait les choses de telle sorte que, si elle devrait tomber suite à une attaque américaine, les deux économies s'écrouleraient simultanément. Ainsi, les exportations de la Chine vers les Etats-Unis en 2006 se montaient à 288 milliards de dollars. Elles portent sur les équipements électriques, les jeux, les jouets, l'habillement, le mobilier. La Chine est responsable de plus d'un quart du déficit commercial américain avec 232 milliards de dollars. Les Etats-Unis dépendent de la Chine pour le financement de leurs déficits extérieurs. Selon Philippe Boulet Gercourt, correspondant du magazine "Challenges" aux Etats-Unis, "les chinois disposent de gros excédents monétaires qui rendraient suicidaires une guerre commerciale ouverte" contre la Chine.
Au plan financier, bien que la sous-évaluation du Yuan, la monnaie chinoise, soit perçue par les Etats-Unis comme la plus grosse tricherie financière de la part de la Chine, ils se gardent pourtant bien d'engager des mesures de rétorsion. Et pour cause, la Chine détient les bons de trésor américain pour une valeur d'environ 407, 4 milliards de dollar. La vente soudaine de ces titres ferait chuter le dollar d'au moins de moitié. De même que cette monnaie longtemps considérée comme étalon de référence pour les échanges internationaux risquerait perdre ce statut.
Au plan géostratégique, il est important de remarquer que "l'ours Russe, humilié au lendemain du démantèlement de l'union soviétique est en train de sortir les griffes", comme le souligne un article de "The Economist" repris par "l'Express". En fait, entre la Chine et les Etats-Unis, deux belligérants en ordre de bataille, la Russie joue le rôle d'épouvantail capable de dissuader les américains quant à l'éventualité d'une attaque contre le Chine. De même l'Europe occidentale joue le rôle d'amortisseur et de stabilisateur qui permettrait aux deux adversaires d'entendre raison. A savoir que ce qui divise peut parfois être immensément plus minime que ce qui nous unit.
Au plan géopolitique, la mondialisation entamera tellement la souveraineté des Etats qu'il ne sera plus facile de parler de patriotisme commercial aux hommes d'affaire qui n'auront plus envie d'être enfermé dans des entité appelés Etats, mais qui voudraient avoir leur liberté d'action partout dans le monde et surtout dans les secteurs qui comme la Chine leur permet de réaliser des profits substantiels. Dès lors parler des produits chinois et les lier directement à l'image de la Chine relèverait d'une absurdité à nulle autre pareille. Ce d'autant plus que "près de 2/3 des exportations chinoises aux Etats-Unis sont manufacturées par les entreprises non chinoises à Taiwan, au Japon et aux Etats-Unis".
Enfin, contrairement à son apparence, la Chine pratiquerait un lobbying d'une efficacité à faire pâlir les plus grands experts américains en la matière. Ainsi, comme l'écrit "l'Express" : "les chinois possèdent de nombreux amis, prêts à calmer le jeu. Yang Jiechi, l'actuel ministre chinois des affaires étrangères, est un ami de longue date de la famille Bush. Dans l'administration, le secrétaire au Trésor Hank Paulson conserve de nombreuses amitiés chinoises nouées à l'époque où il dirigeait la banque Goldman Sachs. Dans le secteur privé, les chinois peuvent aussi compter sur le soutien de Madeleine Albright ou Charlène Barshefsky ex-secrétaire au commerce qui a négocié l'entrée de la Chine à l'OMC. Quant aux multinationales, elles sont les premières contre toute mesure protectionniste qui irait à l'encontre de leur intérêts". Il faut signaler que "le club for growth a publié une pétition contre les politiques protectionnistes visant la Chine signée par 1028 économistes".
Pour autant, faut-il penser que les china bashers, conscients de cette situation, rangeront leurs armes. Que non. Ils continueront se muscler jusqu'au jour où un président suffisamment belliqueux leur permettra d'assouvir leurs besoins. A savoir, casser du Chinois.

Par Etienne de Tayo
Promoteur de "Afrique Intègre"