dimanche 9 septembre 2007

ENTRETIEN AVEC PIERRE CALAME, DIRECTEUR GENERAL DE LA FONDATION CHARLES LEOPOLD MAYER, ORGANISATEUR DU FORUM CHINA-EUROPA



"L'influence de la France en Afrique restera considérable si la France est porteuse d'idées pour l'avenir"


Question : Le climat se détériore de plus en plus entre les Etats-Unis et la Chine. Comment pensez-vous que l'on puisse éviter le clash si vous pensez qu'il peut y avoir clash?

Pierre Calame : Il y a une seule solution que l'humanité a trouvé pour éviter les clash, c'est de se parler. On définit quelque fois la guerre comme la défection de la parole. Il est extrêmement rare de se tuer en se parlant. Maintenant le dialogue, comment et pourquoi faire?
Il faut repartir des bases sinon on est tout dans le malentendu, le préconçu. Il faut que ce soit les sociétés qui se parlent et pas des appareils institutionnels qui ont leurs propres intérêts par rapport à leurs sociétés. Donc un des intérêts, on le voit bien en Europe avec la reprise en main des Etats, est de construire les pseudo intérêts nationaux. Est-ce qu'il y a un intérêt national éminent chinois d'un coté et européen de l'autre? Ou y a-t-il aussi des question qui se posent aux femmes chinoises et européennes, aux entreprises ou aux paysans. Donc une manière de déconstruire l'ennemi c'est de découvrir que parfois ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous oppose. Mais tous les médias et tous les appareils institutionnels vont vous convaincre du contraire.

Question : On sait quand même que pour dialoguer, il faut déjà se respecter. Mais lorsqu'on regarde la campagne médiatique qui est faite actuellement sur le made in china. Est-ce que avec une telle ambiance le dialogue est possible?

Pierre Calame : Totalement. Mais dans dix ans je ne sais pas, parce qu'il est en train de se construire une problématique de l'affrontement. Le blocage du dialogue vient de la peur de voir l'autre ne pas être sincère. Le dialogue est une élaboration sociale. A partir de là, quand on est en face de l'autre, une fois qu'on a accepter ces étapes intermédiaires et où on se trouve dans une situation où des femmes chinoises et des femmes européennes, des journalistes chinois et des journalistes européens, des entreprises chinoises et des entreprises européennes se parlent non pas de qu'est ce que je reproche à l'autre mais qu'est ce que je suis, quelles mes peurs, quelles sont mes points d'interrogation. Alors la prévention tombe automatiquement.

Question : On a aussi l'impression que l'Afrique est devenu un enjeu pour les grandes puissances et l'influence de la France recule dangereusement. Est-ce que la situation telle qu'elle est présentée en Afrique n'est pas parfois déformée juste pour les intérêts des groupes comme vous le rappeliez?

Pierre Calame : Quand vous dites que l'influence de la France recule dangereusement, pour qui? Pour l'Afrique ou pour la France? En quoi l'influence de la France en Afrique est capitale à l'évolution de la société française? Commençons par sortir des rhétoriques de puissance qui n'ont rien à voir avec la gestion du monde de demain. L'influence de la France en Afrique restera considérable si la France est porteuse d'idées pour l'avenir. Les rapports de force sont sans issue dans le nouvel Etat du monde. Vous vous souvenez de la boutade de Staline : "Le pape, c'est combien de division?". N'empêche que c'est finalement l'église catholique qui a largement contribué à l'effondrement de l'Union soviétique. Ce n'est pas qu'avec les divisions qu'on gagne comme l'a rappelé Michel Rocard à la conférence de presse. On est passé dans une nouvelle ère, il n'y a aucun doute. Moi en tant que Français et pensant que la France a une histoire et une culture, qu'elle des choses à dire sur le monde. Si ces choses sont utiles, l'influence de la France sera grande. Mais la question de savoir si on maintient par la françafrique des réseaux occultes, des dictateurs soutenus, des intérêts de tel ou tel groupe économique ne nous intéresse absolument pas.
Par contre l'Afrique est confronté à un autre problème. C'est que la Chine a besoin à son stade de développement d'énergie et des matières premières. Elle pense les trouver en Afrique et y fait une offensive. Elle s'en fout complètement de l'Afrique. La Chine a une histoire de repli sur elle-même. Le Chinois ont été émerveillés par l'intelligence des leaders paysans africains parce que pour eux au départ, c'était des infrahumains. La Chine ne peut avoir actuellement qu'une attitude particulièrement cynique par rapport à l'Afrique. Mais elle va le faire de manière chinoise. Et qui va faire honte à l'inefficacité totale de la coopération européenne en Afrique. Donc, qu'une coopération inefficace soit chassée par des stratégies cyniques, c'est la vie.

Question : Beaucoup d'analystes pensent que la Chine et les Etats-Unis peuvent arriver à un affrontement armé. Partagez-vous les mêmes peurs?

Pierre Calame : Dans l'enjeu du forum, il l'idée que l'Europe sera à un moment probablement le seul médiateur possible entre la Chine et les Etats-Unis. Est-elle capable de l'être maintenant? Je n'en sais rien. La Chine est dans une position extrêmement contradictoire avec les Etats-Unis : Tout le monde en Chine déteste les Etats-Unis et tout le monde ne rêve que d'une chose: émigrer aux Etats-Unis. Au niveau du mode de vie, le modèle américain est la référence. Mais au niveau de la gestion, les élites chinoises qui sont très brillantes, savent que le modèle américain n'est pas jouable. Les Etats-Unis c'est 350 millions d'habitants et des ressources naturelles immenses et pourtant pas suffisantes pour un modèle des prédateurs. Donc ils ont déjà maîtrisé les ressources de la plupart des zones de la planète. A commencer par le pétrole du moyen orient. Ce modèle là n'est absolument pas productif pour la Chine à cause de l'étroitesse de ses terres arables. Toutes les élites chinoises savent que c'est vers le modèle européen qu'il faut se tourner et non le modèle américain. Il y a une fascination en Chine pour la puissance. Elle a été la première puissance mondiale pendant les siècles. Elle a connu un déclin effroyable en 1850 et 1920. La première question de la Chine est de retrouver son rang. S'il y avait pas l'Europe je crois qu'il n'y aurait pas d'amortisseur à un modèle d'intérêts nationaux qui s'affrontent. Les deux pays qui ont gardé la vision nationaliste au sens profond du terme, ce sont les Etats-Unis et la Chine. La Chine a théorisé l'idée qu'il y aune seule chose qui existe c'est les nations. Et les Etats-Unis sont le seul pays au monde où la constitution interdit à des soldats américains d'obéir à des généraux non américains. Donc, deux nationalismes radicaux dont les intérêts sur les matières premières et l'énergie sont complètement divergents. Oui il y a de quoi être soucieux. En plus ils ne se connaissent pas bien. Vous savez que la première guerre mondiale a débuté par un fait divers d'un assassinat à Sarajevo. Ce genre d'étincelle peut bien se passer entre la Chine et les Etats-Unis.

Propos recueillis à Paris par Etienne de Tayo

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