samedi 19 mai 2007

FEYMANIA : NON A LA LEGITIMATION DU CRIME




Je salue le débat sur la « feymania » que vient de lancer Me Jean De Dieu MOMO. Je salue surtout le fait que l’avocat s’élève de façon claire contre cette pratique criminelle. Venant d’un avocat, cette réaction revêt une dimension symbolique quand on sait que la plupart des feymen sont défendus par des hommes à la robe noire dont certains sont à l’origine d’une justification spectaculaire du phénomène.

D’abord, petite explication de texte pour dire que la « feymania » est le passage à la phase d’industrialisation de l’escroquerie ménagère. Il est le fait des personnes à la moralité douteuse pour ne pas dire plus, spécialistes de raccourcis, connus sous le vocable de feyman. Le mot signifie en jargon camerounais escroc. Elle consiste pour les feymen, à raconter des boniments à leurs victimes jusqu’à ce que ces dernières accèdent à leur demande, c'est-à-dire leur donner de l’argent ou tout autre bien. La plupart des « feymen » ont d’abord commencé par pratiquer le vol à la tire dans les marchés de Douala, Yaoundé, Bafoussam. Ils ont d’abord commencé par vendre des produits frelatés dans ces mêmes marchés où ils ont forgé leur courage et surtout perfectionné l’art de tromper la vigilance des clients. Ils ont d’abord commencé à escroquer les planteurs de café du Moungo, reconnu comme le berceau de la feymania même si le phénomène a gagné aujourd’hui tout le Cameroun. C’est après seulement, et profitant de la conjonction de certains phénomènes qu’ils se sont lancés à l’international.
Comme beaucoup de Camerounais, j’ai souvent regardé le phénomène de feymania avec un pincement au cœur mais en me disant qu’il disparaîtra lorsque les phénomènes qui ont contribué à leur avènement disparaîtront. Ce que je ne savais pas encore, c’est que certaines personnes, pour des raisons absolument obscurs et dans un jeu d’amalgame regrettable, ont réussi à insuffler un substrat idéologique à cette activité criminelle puisque c’en est une. Il s’agit de dire que les feymen qui font de l’escroquerie à l’international tentent de récupérer les richesses que l’occident avait détourné en Afrique et notamment au Cameroun au temps de la colonisation. Il s’agit de dire que l’argent détourné par les feymen contribue à nourrir un peuple affamé par le régime camerounais. Il s’agit d’un processus de victimisation subtilement détourné. Du coup, au lieu d’être considéré comme de vulgaires criminels, les feymen prennent du galon et deviennent des Zorro des temps modernes. Un tel amalgame est insupportable puisqu’il s’agit d’une seconde escroquerie.
Il y a dans une telle approche, une double justification :
- celle du feyman qui, en dérobant les biens des blancs colonisateurs ne fait que rétablir la justice ;
- Celle d’un peuple qui, dans cet argent du crime, retrouve la juste compensation par rapport à un régime qui l’a affamé.
Dès lors que le problème est posé comme çà, toutes les dérives sont permises. On peut ainsi transformer des criminels de la pire espèce en héros libérateurs. On peut de la même façon trouver des excuses à un peuple couard, corrompus et paresseux qui, ne pouvant pas se battre pour se libérer comme l’ont fait tous les autres peuples opprimés, se contente de s’abreuver de l’argent du crime. Il faut avoir le courage de dénoncer l’attitude du peuple camerounais car si les feymen n’était pas applaudis par ce dernier ils n’auraient jamais fleuri comme on le constate aujourd’hui. Dans toutes les localités du Cameroun, parce qu’ils distribuent de l’argent à tour de bras, les feymen ont été envoyés à l’assemblée nationale par le vote du peuple.
Lorsqu’une seule fois, on a eu une approche digne de la vie même dans la pauvreté, on sait qu’aucune famine ne peut justifier un tel basculement de la part d’un peuple. Et s’agissant de se faire justice, nous savons qu’il y a des façons plus honorables et plus dignes de parvenir à la réparation des crimes de la colonisation et même des régimes voyous. Abandonner une telle œuvre aux criminels revient à vouloir éteindre le feu à l’aide du carburant.
Je m’étais déjà intéressé à la feymania en raison des ravages que cette pratique faisait peser sur l’image du Cameroun et des Camerounais. Mais de quelque façon que j’ai pu retourner cette pratique, je ne lui ai trouvé qu’une dimension criminelle. Pour le Cameroun, la feymania est un double crime : le crime de mort d’homme puisque la plupart des feymen ont les mains couvertes de sang. Lorsqu’il est au « front », le feyman est prêt à tout pour ramener son butin y compris l’élimination physique de sa victime et même ses complices. La feymania est un crime contre l’image du Cameroun et des Camerounais. Il n’est pas juste que des honnêtes citoyens camerounais continuent à subir les regards soupçonneux et méfiants à l’extérieur parce que les feymen sont passés par là.
Une autre explication, bien sûr trop facile, que les feymen utilisent pour se soulager la conscience et convaincre l’opinion de les accepter, c’est de dire qu’il existe partout dans le monde des réseaux de faussaires de toutes sortes. Mais il faut leur répondre que même si cela reste vrai, nulle part dans le monde, le crime n’a été érigé en modèle comme ils sont en train de vouloir l’expérimenter au Cameroun. Que ce soit en France, aux Etats-Unis ou en Italie tous ceux qui posent des actes criminels tels l’escroquerie ou des détournements savent qu’ils évoluent en marge de la société et qu’à tout moment, ils peuvent être arrêtés et punis. Nulle part, on n’a vu des criminels se pavaner fièrement, narguer les honnêtes gens et faire même des envieux. C’est pourtant le schéma qui est en train de se développer au Cameroun.
Juste un rappel historique pour comprendre que de tout temps au Cameroun, la feymania a toujours existé. C’est le concept qui est nouveau. Sauf que sous le régime Ahidjo par exemple elle était combattue avec la dernière énergie et était donc resté un phénomène marginal. Le régime Biya l’a tout simplement toléré et même encouragé pour contrer la montée des oppositions dans les années 90. C’est Jean Fochivé qui, cédant à la tentation de le real politik avait déroulé le tapis rouge aux feymen en leur accordant une couverture. L’intronisation symbolique de la feymania au Cameroun a été faite au cours d’une fête donné à Koutaba en l’honneur de Donatien Koagne qui était venu présenter son jet privé. Fête à laquelle prenait part le sultan roi des Bamoun et la majorité des chefs traditionnels de l’Ouest, donnant ainsi une caution traditionnelle à cette activité. Plus tard, Koagne violera les grilles de la primature à Yaoundé pour une réception chez le Premier ministre chef du Gouvernement où il avait offert une somme de 10 millions de CFA aux Lions Indomptables, autre symbole de la fierté nationale. De retour à Bafoussam, le même Koagne s’est offert le club de football mythique de la ville, Racing de Bafoussam, dont il a confié la gérance à sa maman. A toutes les étapes de son périple, Donatien était applaudi par les populations, même celles de Bafoussam qui, il y avait encore quelques années seulement, le voyait faire la poche aux commerçants du marché central de ville.
La corruption de l’élite, même si rien ne peut la justifier et qui doit être combattu sans faiblesse, est tout de même moins pernicieuse pour un pays que celle du peuple. La corruption de l’élite peut encore être combattue et éradiquée. Et c’est d’ailleurs la tâche qui incombe au peuple lorsqu’il lui arrive de renverser ses dirigeants par la voie des urnes ou celle du soulèvement populaire. Mais lorsque la corruption des élites se double de celle du peuple comme c’est le cas au Cameroun aujourd’hui, c’est que la cause est entendu et le cas désespéré.
C’est tout à fait naïf de croire qu’il y a la feymania à l’extérieur et la simple corruption à l’intérieur. Il y a déjà eu une jonction entre les deux phénomènes si bien que les feymen, c'est-à-dire ceux qui vont au « front » ne sont que des animateurs des réseaux extérieurs de ceux qui sont à l’intérieur. Le même combat doit être mené contre les deux phénomènes.
Les feymen et leurs complices portent déjà leur croix mais l’autre crime que risquent de porter tous les autres Camerounais, c’est de trouver une légitimation à la feymania. C’est d’ériger le feyman en modèle pour nos enfants. C’est de faire que sur 5 enfants interrogés sur leur métier d’avenir, 3 ou 4 disent qu’ils seront feymen. Je crois que c’est le drame qui vise le Cameroun.
Mais l’approche serait réductrice et auto flagellatoire si on réduisait le phénomène de l’escroquerie au seul Cameroun. Aujourd’hui, avec l’expansion de l’Internet, la cybercriminalité connaît un essor particulier. Animé par tous les peuples du monde entier qui profitent du caractère incognito du message Internet pour se dissimuler sous des noms ivoiriens, burkinabais, français ou encore nigérians, ces messages annoncent que vous avez gagné une loterie, que vous pouvez avoir un emploi, qu’il vient de découvrir une caisse d’argent que vous pouvez partager. Le don d’ubiquité qu’offre Internet fait que l’escroc qui vous envoie un message en disant qu’il est un chef d’entreprise basé au Canada, peut être votre voisin de pallier. Mais force est de reconnaître que la majorité des personnes qui tombent finalement le piège des escrocs, sont celles qui recèlent des vices tels : l’envie, la convoitise, le gain facile. Le seul antidote efficace à ce fléau consiste en la modification radicale du rapport au riche et à la richesse. Le regard à porter sur le riche doit être moins envieux et plus inspiré. C’est la seule façon d’échapper à beaucoup de pièges de la vie.

Etienne de Tayo