Ainsi Nicolas Sarkozy vient de s’installer au Palais de l’Elysée, devenant le 6e Président de la République et le 23 Président de la République Française. Un parcours époustouflant pour un homme pressé.
Lorsqu’il y a cinq ans je vis cet homme énergique, qui sortait à peine d’une longue traversée de désert, entamer le sprint qu’il vient de conclure à l’Elysée, j’avais dit ceci pour marquer mon scepticisme : « Pour le peu que je connaisse de la politique, on ne révèle jamais aussi clairement ses intentions et on ne se fixe pas d’ambitions aux vus et aux sus de tout le monde. On fignole, on louvoie, on passe par des chemins détournés, on use de la langue de bois. Je disais qu’il n’y arrivera jamais. Je le disais avec force conviction parce que j’ai vu démolir et anéantir des personnes qui avaient moins d’ambitions que lui ». Je doutais fortement de sa réussite parce que la politique est une course d’obstacle et les coups portés sont parfois mortels ou invalidants. Et pourtant, il a réussi. Et avec de la manière !
Qu’il ait pu franchir tous ces obstacles et s’être remis de ses blessures, puisqu’il a affirmé « qu’il a le corps couvert de cicatrices », c’est que Nicolas Sarkozy a plusieurs vies de même qu’il a plusieurs peaux. Dans ses feintes politiques, il a séduit les jeunes. Il a séduit les vieux. Il a séduit la droite et son extrême. Il a séduit le centre et même la gauche. Ceux qui se laissent séduire par cette bête politique s’intéressent parfois très peu au contenu de ses discours. Ils sont séduits par la prestance de l’homme. Ils sont séduits par son charisme si bien servi par le tube cathodique. C’est que, épousant pleinement le rythme de ses discours, le nouveau locataire de l’Elysée laisse l’impression, dans son propos, d’une profonde conviction. En fait, Nicolas Sarkozy est un bon produit de communication. Il se vend bien.
De même, dans son action politique, le même Nicolas Sarkozy fait peur aux jeunes surtout ceux des banlieues. Il fait peur à droite et à son extrême. Il fait peur au centre et surtout à gauche. Il fait peur à son entourage même le plus proche. Ceux qui développent ces peurs le font non pas parce qu’il est l’incarnation du monstre mais parce qu’ils se disent qu’un homme qui a survécu à tant de tentatives « d’assassinat politique » peut être lui-même dangereux. Ceux qui détestent l’actuel président préfèrent insister sur certaines tranches de sa vie qui, faut-il le dire, n’est pas comparable à celle de l’abbé Pierre par exemple. Ils relèvent l’opportunisme de cet homme qui avoue que « la fidélité c’est pour le sentiment. Et l’efficacité c’est pour le gouvernement ».
Pendant la campagne électorale et, par la magie de la schizophrénie politique, il existait donc deux Nicolas Sarkozy : celui qui séduisait et celui qui terrorisait. Aujourd’hui, les deux personnages doivent fondre dans un seul pour former le Président de la République. Aujourd’hui, les plus de 80% de participation au dernier scrutin doivent être mis en partie au crédit de Nicolas Sarkozy qui a réussi le pari de ne jamais laisser indifférent. Que l’on ait été son adversaire ou son partisan, on avait envie d’aller voir cette nouvelle façon de faire la politique en France.
Par son franc parler, par son courage qui frise parfois la témérité, par son énergie, par son volontarisme, par sa capacité à communiquer l’optimisme dans cette France qui désormais doute d’elle-même, Nicolas Sarkozy a fait tomber les uns après les autres tous ces tabous qui agissaient comme du plomb dans l’aile de la société française. Tout le mérite de Nicolas Sarkozy, c’est d’avoir pris le risque d’anticiper sur la mutation du peuple français. C’était en effet un gros risque que de s’attaquer à ces tabous parce qu’il aurait pu simplement se faire broyer.
LE TABOU JUIF
Les juifs sont présentés comme « des personnes qui ont le judaïsme pour religion ». Mais dans la pratique, les choses peuvent être plus compliquées. Jean Paul Sartre ne disait-il pas « qu’on est juif dans l’œil de l’autre » ? Il peut arrivé que le grand public se mette à s’intéresser aux liens de parenté qu’une telle personnalité peut avoir avec la communauté juive. Ceci en raison de la puissance réelle ou supposée de cette communauté.
Pendant longtemps, le moteur de recherche google a failli exploser sous l’effet du couple « Sarkozy juif ». C’était l’œuvre de tous ceux qui voulaient vérifier la filiation présumée juive du candidat favori à l’élection présidentielle. Et si cette recherche était faite avec tant de frénésie, c’est parce qu’il existe en France une loi non écrite qui tendrait à barrer la voie de la magistrature suprême aux juifs et à leurs descendants. En fait, tous les juifs qui sont parvenus à ce niveau en France par le passé se sont vus attaquer parfois violemment, non pas sur leur compétence mais sur leur origine juive.
En 1936, dans un discours prononcé à l’Assemblée nationale, un député s’adressait en ces termes au nouveau chef de cabinet Léon Blum : « Votre arrivée au pouvoir marque incontestablement une date historique. Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain va être gouverné par un juif ». Il inaugurait ainsi une saison de discours haineux anti-juif pendant laquelle l’extrême droite poujadiste s’est particulièrement illustré. Dans la presse, Léon Blum, affublé de « juif errant », va devenir « l’homme le plus insulté de France ». Quelques morceaux choisis : « Pour Louis de Launay, Blum est « grand maigre, un peu voûté, les yeux vifs regardant volontiers par-dessus son lorgnon, avec le nez busqué et les pommettes de sarace ». Sous la plume d'Henri Béraud c'est le « dromadaire ». Pour Maurras le « chameau ou chamelle », « la dormeuse parfumée du quai de Bourbon », « le juif névropathe » Marcel Jouhandeau déclare: « Bien que je n'éprouve aucune sympathie personnelle pour M. Hitler, M. Blum m'inspire une bien autrement répugnance [. ..] Le Führer est chez lui et maître chez lui, tandis que M. Blum n’est pas de chez nous et, ce qui est le plus fort, M. Blum est maître chez moi et nul, Européen ne saura jamais ce que pense,un Asiatique ». Pierre Gaxotte écrit : D'abord, il est laid. Sur un corps de pantin désarticulé, il promène la tête triste d'une jument palestinienne ».
Longtemps, Pierre Mendès France, résistant et compagnon de la libération était pourtant présenté comme un « traître ». Ses détracteurs l’accusaient de « n’avoir pas assez de terre française sous ses souliers ». En 1954, au cours d’une conférence internationale et pour avoir préféré un verre de lait au vin, il reçut cette remontrance en règle d’un de ses compatriotes : « Si vous aviez une goutte de sang gaulois dans les veines, vous n’auriez jamais osé, vous, représentant de notre France producteur mondial de vin et de champagne, vous faire servir un verre de lait dans une réception internationale ! C’est une gifle, monsieur Mendès, que tout Français a reçue ce jour-là, même s’il n’est pas un ivrogne.»
La réminiscence de ce passé pas très lointain n’était donc pas étrangère à la recherche effrénée de la filiation juive de Nicolas Sarkozy. Des sources toujours bien informées révèlent aujourd’hui que le syndrome juif a largement plané sur la désignation du candidat de la gauche aux élections présidentielles. Les porteurs de ce syndrome disaient qu’il ne faut surtout pas avoir un candidat juif à gauche. Et la raison selon eux était tout simplement celle-ci : si la filiation juive du candidat Sarkozy, favori de l’élection est confirmée, la France était bien partie pour avoir d’office un Président d’ascendance juive.
Pendant la campagne électorale, le leader de l’extrême droite Jean Marie Le Pen croyait pouvoir réveiller cette vieille peur du juif en révélant les attaches juives du candidat de l’UMP. Il a ainsi expliqué que son adversaire est "juif par sa mère". Et de préciser que "cela joue un peu en sa faveur, le fait qu'il soit juif du côté grec, mais il n'est pas juif du côté hongrois."
Aujourd’hui, la filiation juive de Nicolas Sarkozy ne fait plus l’ombre d’aucun mystère. Même si l’actuel Président de la République ne peut pas s’établir en Israël sans se convertir au judaïsme force est de reconnaître qu’il se trouverait presque en famille dans une synagogue et n’éprouverait aucune crainte de porter la kippa ou encore tenir un chandelier. Son grand père maternel Bénédict Mallah était un juif sépharade de Salonique sous l’empire Ottoman. Arrivé en France à 14 ans il s’est converti au christianisme catholique pour épouser Adèle Bouvier, une descendante de la bonne bourgeoisie lyonnaise. Ce grand père qui s’est occupé de l’éducation des Sarkozy a beaucoup influencé et influence encore d’ailleurs Nicolas. Il serait certainement très fier là où il est lorsqu’il apprendra que son petit fils a réussi à faire tomber un des tabous les plus dévastateurs de la société française.
LE TABOU IMMIGRE :
Le dictionnaire le Robert présente l’immigré comme une personne « qui est venue de l’étranger, souvent d’un pays peu développé et, qui s’établit dans un pays industrialisé ». Et de prendre l’exemple des travailleurs immigrés. Cette définition, taillée sur mesure, donne une image bien dévalorisante de l’immigré. Et prépare sans doute l’ostracisme officiel dont il sera toujours victime lorsqu’il sera question de parler de la gestion de la cité.
Depuis la révolution française qui faisait de la France un havre de liberté dans un océan de dictature européenne, la patrie des Gaulois a toujours accueilli des colonnes d’immigrés fuyant la persécution ou à la recherche du travail. Italiens, Espagnols, portugais, polonais ou hongrois souvent persécutés dans leurs pays avaient souvent trouvé refuge en France. Mais à chaque secousse, les immigrés ont souvent été la cible des attaques des xénophobes de tout bord. L’extrême droite ne les tolère que s’ils acceptent d’être confiné aux tâches subalternes auxquelles les Français ne peuvent pas se consacrer.
Au cours de la dernière élection présidentielle française, le syndrome d’immigré était présenté comme l’autre arme aux mains des xénophobes de l’extrême droite. La cible une fois de plus était Nicolas Sarkozy qui cristallise finalement en lui seul les deux syndromes : celui du juif et celui de l’immigré. Pour signifier à Nicolas Sarkozy qu’il n’avait pas suffisamment de sang français pour prétendre à la plus haute fonction de l’Etat, il fallait une gueule bien acide. Et c’est Jean Marie Le Pen qui se chargea de le lui dire : « Nicolas Sarkozy est un candidat qui vient de l’immigration. Moi, je suis un candidat du terroir », avait-il lancé au milieu de la campagne après avoir constaté les ravages de la droitisation du discours de l’UMP sur les militants de l’extrême droite. Et pour mieux préciser sa pensée, Jean Marie Le Pen affirme : « J’estime que j’incarne mieux le peuple français que Nicolas Sarkozy. Il me semble que le Président de la République, le chef de l’Etat, est un homme dont la fonction implique une incarnation dans la nation et du peuple ».
Après cette attaque en règle du leader de l’extrême droite, les autres candidats n’avaient pas suivi certainement par pudeur. Mais ils attendaient bien en récolter les fruits si jamais le peuple mordait à cette pomme xénophobe. Ils étaient convaincus, dans l’ignorance des mutations qui sont en train de s’opérer dans la société française, que Le Pen venait ainsi d’asséner un coup mortel au candidat de l’UMP : « Les Français ne peuvent quand même pas accepter d’être dirigé par un fils d’immigré », entendait-on çà et là. Mais ce qu’ils ignoraient, c’est que le conservatisme français avait vécu : « Dès que les Français ont évité le piège identitaire dans lequel Jean Marie Le Pen voulait les entraîner, j’ai compris que plus rien n’arrêtera Nicolas Sarkozy », commente une personnalité africaine.
Face à Jean Marie Le Pen, la réaction de Nicolas Sarkozy a été d’assumer pleinement son statut de descendant d’immigrés peut-être pour mieux l’exorciser : « Oui, je suis un enfant d'immigré. Mais dans ma famille, M. Le Pen, on aime la France parce que l'on sait ce que l'on doit à la France » (…), « Français au sang mêlé moi-même, né d'un père hongrois et d'une mère dont le père était né grec à Salonique, c'est un honneur pour moi de vous souhaiter la bienvenue, non comme à des amis mais comme à des frères et à des soeurs d'une même nation et d'une même patrie » (…) « Voilà ce que je voulais vous dire comme un fils et un petit-fils d'immigrés, comme l'a si gentiment rappelé M. Le Pen à mon endroit », a dit Sarkozy devant 14 personnes naturalisées à Villepinte.
Finalement, on a l’impression que les coups de butoir de Jean Marie Le Pen ont plutôt rapproché Nicolas Sarkozy de certains immigrés qui se sont dit qu’après tout il est fils d’immigré comme nous et passé les discours électorales, il sera plus sensible à nos problèmes qu’il ne le laisse transparaître : « C’est un fils d’immigré et je crois qu’à ce titre il a subi aussi la discrimination de ceux qui se présentent comme des Français de souche. Il n’est pas exclu que ses actions soient complètement à l’opposé de ses discours qui n’auraient finalement servi qu’à capter l’électorat de l’extrême droite. Il peut nous surprendre », commente un afro-français plutôt optimiste. Mais d’autres préfèrent n’avoir aucune illusion par rapport à la présidence de Nicolas Sarkozy.
Lorsque après ces attaques de l’extrême droite Nicolas Sarkozy a continué de caracoler dans les sondages, ceux qui pouvaient encore comprendre quelque chose ont dû se rendre compte que le deuxième grand tabou de la France venait ainsi de tomber. Le bon vieux conservatisme français qui le distinguait tant des Etats-Unis mais qui était aussi la pomme de discorde entre ceux deux peuple venait ainsi d’épouser les contours du monde du 21e siècle. A savoir, un monde d’ouverture et de tolérance mais aussi d’égalité entre les sexes.
LE TABOU MACHISTE :
La France est le pays où il y a moins dix ans, le machisme rampant avait poussé Florence Montreynaud, écrivaine et militante féministe à créer un réseau de vigilance contre le machisme et les violences sexistes. Ce réseau, elle l’a dénommé : « Chiennes de garde ». Dans la foulée, elle a lancé le manifeste : « halte à la violence sexiste ». Ayant renoncé à la politique à cause du mot « pute » dont on avait barré ses affiches, elle a été meurtrie de voir les autres femmes politiques susciter auprès de certains hommes ce que Roselyne Bachelot appelle « les réactions du fond des âges ». Elle l’avait dit lorsque au sortir de l’Assemblée nationale. Sous les insultes des parlementaires mâles Edith Cresson avait presque craqué. Un député avait alors lancé cette boutade à Mme Bachelot : « Alors les femmes, vous êtes fières de vous ? » Florence Montreynaud avait constaté que plusieurs femmes publiques sont attaquées non pas sur leurs idées mais en tant que femme.
Que ce soit Elisabeth Guigou qui découvre au cours d’une campagne électorale et au détour d’un virage l’inscription suivante écrite en blanc sur une pierre noire : « Guigou = putain ». Que ce soit Dominique Voynet, alors ministre de l’Environnement qui essuie cette interpellation d’un homme au cours d’un salon de l’Agriculture : « Enlève ton slip, salope ». Que ce soit Edith Cresson « qui a subi, à ce jour, le lynchage sexiste le plus outrageant » de toute la cinquième République. Notamment en découvrant cette pancarte des agriculteurs, encore eux : « On t’espère au lit qu’au ministère ». Edith Cresson avait aussi été constamment brocardé par le bébête show, l’ancêtre des guignols.
En 1995, la presse française avait trouvé le qualificatif de « jupettes » pour désigner les femmes qui faisaient partie du gouvernement du premier ministre Alain Juppé. Ce mot de jupette dérivait autant du nom du premier ministre que d’une petite jupe. Toujours cette attaque juste au dessous de la ceinture lorsqu’il s’agit d’une femme. Il y a des personnes qui ont fini par croire à une sorte de fatalité française que ce machisme omniprésent.
Lorsque Ségolène Royal a été investie candidate du parti socialiste pour l’élection présidentielle, beaucoup ne vendaient pas cher sa peau malgré le brillant score qui avait été le sien : plus de 60% des suffrages. C’est d’ailleurs ce fond machiste que a inspiré ce titre au journal l’Express : « Tiendra t-elle ? ». L’éditorialiste Christophe Barbier la brode en ces termes : « Soudain l’icône devint Icare. Ségolène Royal, portée sur l’aile des sondages vers la gloire électorale, retombe sur terre pour avoir approché le soleil Elyséen. Trop d’aisance dans l’attitude, où elle frise l’inconséquence et pas assez dans les connaissances où elle frôle l’incompétence, ont jeté un doute sur sa capacité à être présidente ». Seulement cette fois, la mayonnaise machiste n’a du tout pas pris.
Tout au long de la campagne et ce jusqu’à la finale, Ségolène Royal a été traité comme une candidate, rien de plus. C’est plutôt elle-même et quelques féministes qui l’entouraient qui ont essayé une sorte de machisme à l’envers en interprétant toutes les attitudes des hommes et en tentant de leur donner une connotation machiste.
Cette campagne pour les présidentielles et surtout le parcours de Ségolène Royal a montré aussi la profonde mutation, signe de la modernisation de la société française du 21e siècle. Une société qui s’est débarrassé de cet autre tabou et loi non écrite qui voulait confiner les femmes aux fonctions subalternes.
Les 22 avril et 6 mai derniers, c’est une nouvelle France qui est sorti des urnes. Cette France là a décidé de porter à sa tête un fils d’immigrés ayant de surcroît d’ascendance juive. Une décision riche d’enseignement. Est-ce à dire que pour toute personne qui l’a choisi comme terre d’accueil, le rêve français est toujours possible ?
Etienne de Tayo
Promoteur du Réseau « Afrique Intègre »
Sites visités :
http://www.histoires-en-questions.fr/
http://www.debriefing.org/
http://www.chiennesdegarde.org/
http://www.lejdd.fr/
http://www.histoiredesjuifs.com/
http://www.fr.news.yahoo.com/
Lorsqu’il y a cinq ans je vis cet homme énergique, qui sortait à peine d’une longue traversée de désert, entamer le sprint qu’il vient de conclure à l’Elysée, j’avais dit ceci pour marquer mon scepticisme : « Pour le peu que je connaisse de la politique, on ne révèle jamais aussi clairement ses intentions et on ne se fixe pas d’ambitions aux vus et aux sus de tout le monde. On fignole, on louvoie, on passe par des chemins détournés, on use de la langue de bois. Je disais qu’il n’y arrivera jamais. Je le disais avec force conviction parce que j’ai vu démolir et anéantir des personnes qui avaient moins d’ambitions que lui ». Je doutais fortement de sa réussite parce que la politique est une course d’obstacle et les coups portés sont parfois mortels ou invalidants. Et pourtant, il a réussi. Et avec de la manière !
Qu’il ait pu franchir tous ces obstacles et s’être remis de ses blessures, puisqu’il a affirmé « qu’il a le corps couvert de cicatrices », c’est que Nicolas Sarkozy a plusieurs vies de même qu’il a plusieurs peaux. Dans ses feintes politiques, il a séduit les jeunes. Il a séduit les vieux. Il a séduit la droite et son extrême. Il a séduit le centre et même la gauche. Ceux qui se laissent séduire par cette bête politique s’intéressent parfois très peu au contenu de ses discours. Ils sont séduits par la prestance de l’homme. Ils sont séduits par son charisme si bien servi par le tube cathodique. C’est que, épousant pleinement le rythme de ses discours, le nouveau locataire de l’Elysée laisse l’impression, dans son propos, d’une profonde conviction. En fait, Nicolas Sarkozy est un bon produit de communication. Il se vend bien.
De même, dans son action politique, le même Nicolas Sarkozy fait peur aux jeunes surtout ceux des banlieues. Il fait peur à droite et à son extrême. Il fait peur au centre et surtout à gauche. Il fait peur à son entourage même le plus proche. Ceux qui développent ces peurs le font non pas parce qu’il est l’incarnation du monstre mais parce qu’ils se disent qu’un homme qui a survécu à tant de tentatives « d’assassinat politique » peut être lui-même dangereux. Ceux qui détestent l’actuel président préfèrent insister sur certaines tranches de sa vie qui, faut-il le dire, n’est pas comparable à celle de l’abbé Pierre par exemple. Ils relèvent l’opportunisme de cet homme qui avoue que « la fidélité c’est pour le sentiment. Et l’efficacité c’est pour le gouvernement ».
Pendant la campagne électorale et, par la magie de la schizophrénie politique, il existait donc deux Nicolas Sarkozy : celui qui séduisait et celui qui terrorisait. Aujourd’hui, les deux personnages doivent fondre dans un seul pour former le Président de la République. Aujourd’hui, les plus de 80% de participation au dernier scrutin doivent être mis en partie au crédit de Nicolas Sarkozy qui a réussi le pari de ne jamais laisser indifférent. Que l’on ait été son adversaire ou son partisan, on avait envie d’aller voir cette nouvelle façon de faire la politique en France.
Par son franc parler, par son courage qui frise parfois la témérité, par son énergie, par son volontarisme, par sa capacité à communiquer l’optimisme dans cette France qui désormais doute d’elle-même, Nicolas Sarkozy a fait tomber les uns après les autres tous ces tabous qui agissaient comme du plomb dans l’aile de la société française. Tout le mérite de Nicolas Sarkozy, c’est d’avoir pris le risque d’anticiper sur la mutation du peuple français. C’était en effet un gros risque que de s’attaquer à ces tabous parce qu’il aurait pu simplement se faire broyer.
LE TABOU JUIF
Les juifs sont présentés comme « des personnes qui ont le judaïsme pour religion ». Mais dans la pratique, les choses peuvent être plus compliquées. Jean Paul Sartre ne disait-il pas « qu’on est juif dans l’œil de l’autre » ? Il peut arrivé que le grand public se mette à s’intéresser aux liens de parenté qu’une telle personnalité peut avoir avec la communauté juive. Ceci en raison de la puissance réelle ou supposée de cette communauté.
Pendant longtemps, le moteur de recherche google a failli exploser sous l’effet du couple « Sarkozy juif ». C’était l’œuvre de tous ceux qui voulaient vérifier la filiation présumée juive du candidat favori à l’élection présidentielle. Et si cette recherche était faite avec tant de frénésie, c’est parce qu’il existe en France une loi non écrite qui tendrait à barrer la voie de la magistrature suprême aux juifs et à leurs descendants. En fait, tous les juifs qui sont parvenus à ce niveau en France par le passé se sont vus attaquer parfois violemment, non pas sur leur compétence mais sur leur origine juive.
En 1936, dans un discours prononcé à l’Assemblée nationale, un député s’adressait en ces termes au nouveau chef de cabinet Léon Blum : « Votre arrivée au pouvoir marque incontestablement une date historique. Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain va être gouverné par un juif ». Il inaugurait ainsi une saison de discours haineux anti-juif pendant laquelle l’extrême droite poujadiste s’est particulièrement illustré. Dans la presse, Léon Blum, affublé de « juif errant », va devenir « l’homme le plus insulté de France ». Quelques morceaux choisis : « Pour Louis de Launay, Blum est « grand maigre, un peu voûté, les yeux vifs regardant volontiers par-dessus son lorgnon, avec le nez busqué et les pommettes de sarace ». Sous la plume d'Henri Béraud c'est le « dromadaire ». Pour Maurras le « chameau ou chamelle », « la dormeuse parfumée du quai de Bourbon », « le juif névropathe » Marcel Jouhandeau déclare: « Bien que je n'éprouve aucune sympathie personnelle pour M. Hitler, M. Blum m'inspire une bien autrement répugnance [. ..] Le Führer est chez lui et maître chez lui, tandis que M. Blum n’est pas de chez nous et, ce qui est le plus fort, M. Blum est maître chez moi et nul, Européen ne saura jamais ce que pense,un Asiatique ». Pierre Gaxotte écrit : D'abord, il est laid. Sur un corps de pantin désarticulé, il promène la tête triste d'une jument palestinienne ».
Longtemps, Pierre Mendès France, résistant et compagnon de la libération était pourtant présenté comme un « traître ». Ses détracteurs l’accusaient de « n’avoir pas assez de terre française sous ses souliers ». En 1954, au cours d’une conférence internationale et pour avoir préféré un verre de lait au vin, il reçut cette remontrance en règle d’un de ses compatriotes : « Si vous aviez une goutte de sang gaulois dans les veines, vous n’auriez jamais osé, vous, représentant de notre France producteur mondial de vin et de champagne, vous faire servir un verre de lait dans une réception internationale ! C’est une gifle, monsieur Mendès, que tout Français a reçue ce jour-là, même s’il n’est pas un ivrogne.»
La réminiscence de ce passé pas très lointain n’était donc pas étrangère à la recherche effrénée de la filiation juive de Nicolas Sarkozy. Des sources toujours bien informées révèlent aujourd’hui que le syndrome juif a largement plané sur la désignation du candidat de la gauche aux élections présidentielles. Les porteurs de ce syndrome disaient qu’il ne faut surtout pas avoir un candidat juif à gauche. Et la raison selon eux était tout simplement celle-ci : si la filiation juive du candidat Sarkozy, favori de l’élection est confirmée, la France était bien partie pour avoir d’office un Président d’ascendance juive.
Pendant la campagne électorale, le leader de l’extrême droite Jean Marie Le Pen croyait pouvoir réveiller cette vieille peur du juif en révélant les attaches juives du candidat de l’UMP. Il a ainsi expliqué que son adversaire est "juif par sa mère". Et de préciser que "cela joue un peu en sa faveur, le fait qu'il soit juif du côté grec, mais il n'est pas juif du côté hongrois."
Aujourd’hui, la filiation juive de Nicolas Sarkozy ne fait plus l’ombre d’aucun mystère. Même si l’actuel Président de la République ne peut pas s’établir en Israël sans se convertir au judaïsme force est de reconnaître qu’il se trouverait presque en famille dans une synagogue et n’éprouverait aucune crainte de porter la kippa ou encore tenir un chandelier. Son grand père maternel Bénédict Mallah était un juif sépharade de Salonique sous l’empire Ottoman. Arrivé en France à 14 ans il s’est converti au christianisme catholique pour épouser Adèle Bouvier, une descendante de la bonne bourgeoisie lyonnaise. Ce grand père qui s’est occupé de l’éducation des Sarkozy a beaucoup influencé et influence encore d’ailleurs Nicolas. Il serait certainement très fier là où il est lorsqu’il apprendra que son petit fils a réussi à faire tomber un des tabous les plus dévastateurs de la société française.
LE TABOU IMMIGRE :
Le dictionnaire le Robert présente l’immigré comme une personne « qui est venue de l’étranger, souvent d’un pays peu développé et, qui s’établit dans un pays industrialisé ». Et de prendre l’exemple des travailleurs immigrés. Cette définition, taillée sur mesure, donne une image bien dévalorisante de l’immigré. Et prépare sans doute l’ostracisme officiel dont il sera toujours victime lorsqu’il sera question de parler de la gestion de la cité.
Depuis la révolution française qui faisait de la France un havre de liberté dans un océan de dictature européenne, la patrie des Gaulois a toujours accueilli des colonnes d’immigrés fuyant la persécution ou à la recherche du travail. Italiens, Espagnols, portugais, polonais ou hongrois souvent persécutés dans leurs pays avaient souvent trouvé refuge en France. Mais à chaque secousse, les immigrés ont souvent été la cible des attaques des xénophobes de tout bord. L’extrême droite ne les tolère que s’ils acceptent d’être confiné aux tâches subalternes auxquelles les Français ne peuvent pas se consacrer.
Au cours de la dernière élection présidentielle française, le syndrome d’immigré était présenté comme l’autre arme aux mains des xénophobes de l’extrême droite. La cible une fois de plus était Nicolas Sarkozy qui cristallise finalement en lui seul les deux syndromes : celui du juif et celui de l’immigré. Pour signifier à Nicolas Sarkozy qu’il n’avait pas suffisamment de sang français pour prétendre à la plus haute fonction de l’Etat, il fallait une gueule bien acide. Et c’est Jean Marie Le Pen qui se chargea de le lui dire : « Nicolas Sarkozy est un candidat qui vient de l’immigration. Moi, je suis un candidat du terroir », avait-il lancé au milieu de la campagne après avoir constaté les ravages de la droitisation du discours de l’UMP sur les militants de l’extrême droite. Et pour mieux préciser sa pensée, Jean Marie Le Pen affirme : « J’estime que j’incarne mieux le peuple français que Nicolas Sarkozy. Il me semble que le Président de la République, le chef de l’Etat, est un homme dont la fonction implique une incarnation dans la nation et du peuple ».
Après cette attaque en règle du leader de l’extrême droite, les autres candidats n’avaient pas suivi certainement par pudeur. Mais ils attendaient bien en récolter les fruits si jamais le peuple mordait à cette pomme xénophobe. Ils étaient convaincus, dans l’ignorance des mutations qui sont en train de s’opérer dans la société française, que Le Pen venait ainsi d’asséner un coup mortel au candidat de l’UMP : « Les Français ne peuvent quand même pas accepter d’être dirigé par un fils d’immigré », entendait-on çà et là. Mais ce qu’ils ignoraient, c’est que le conservatisme français avait vécu : « Dès que les Français ont évité le piège identitaire dans lequel Jean Marie Le Pen voulait les entraîner, j’ai compris que plus rien n’arrêtera Nicolas Sarkozy », commente une personnalité africaine.
Face à Jean Marie Le Pen, la réaction de Nicolas Sarkozy a été d’assumer pleinement son statut de descendant d’immigrés peut-être pour mieux l’exorciser : « Oui, je suis un enfant d'immigré. Mais dans ma famille, M. Le Pen, on aime la France parce que l'on sait ce que l'on doit à la France » (…), « Français au sang mêlé moi-même, né d'un père hongrois et d'une mère dont le père était né grec à Salonique, c'est un honneur pour moi de vous souhaiter la bienvenue, non comme à des amis mais comme à des frères et à des soeurs d'une même nation et d'une même patrie » (…) « Voilà ce que je voulais vous dire comme un fils et un petit-fils d'immigrés, comme l'a si gentiment rappelé M. Le Pen à mon endroit », a dit Sarkozy devant 14 personnes naturalisées à Villepinte.
Finalement, on a l’impression que les coups de butoir de Jean Marie Le Pen ont plutôt rapproché Nicolas Sarkozy de certains immigrés qui se sont dit qu’après tout il est fils d’immigré comme nous et passé les discours électorales, il sera plus sensible à nos problèmes qu’il ne le laisse transparaître : « C’est un fils d’immigré et je crois qu’à ce titre il a subi aussi la discrimination de ceux qui se présentent comme des Français de souche. Il n’est pas exclu que ses actions soient complètement à l’opposé de ses discours qui n’auraient finalement servi qu’à capter l’électorat de l’extrême droite. Il peut nous surprendre », commente un afro-français plutôt optimiste. Mais d’autres préfèrent n’avoir aucune illusion par rapport à la présidence de Nicolas Sarkozy.
Lorsque après ces attaques de l’extrême droite Nicolas Sarkozy a continué de caracoler dans les sondages, ceux qui pouvaient encore comprendre quelque chose ont dû se rendre compte que le deuxième grand tabou de la France venait ainsi de tomber. Le bon vieux conservatisme français qui le distinguait tant des Etats-Unis mais qui était aussi la pomme de discorde entre ceux deux peuple venait ainsi d’épouser les contours du monde du 21e siècle. A savoir, un monde d’ouverture et de tolérance mais aussi d’égalité entre les sexes.
LE TABOU MACHISTE :
La France est le pays où il y a moins dix ans, le machisme rampant avait poussé Florence Montreynaud, écrivaine et militante féministe à créer un réseau de vigilance contre le machisme et les violences sexistes. Ce réseau, elle l’a dénommé : « Chiennes de garde ». Dans la foulée, elle a lancé le manifeste : « halte à la violence sexiste ». Ayant renoncé à la politique à cause du mot « pute » dont on avait barré ses affiches, elle a été meurtrie de voir les autres femmes politiques susciter auprès de certains hommes ce que Roselyne Bachelot appelle « les réactions du fond des âges ». Elle l’avait dit lorsque au sortir de l’Assemblée nationale. Sous les insultes des parlementaires mâles Edith Cresson avait presque craqué. Un député avait alors lancé cette boutade à Mme Bachelot : « Alors les femmes, vous êtes fières de vous ? » Florence Montreynaud avait constaté que plusieurs femmes publiques sont attaquées non pas sur leurs idées mais en tant que femme.
Que ce soit Elisabeth Guigou qui découvre au cours d’une campagne électorale et au détour d’un virage l’inscription suivante écrite en blanc sur une pierre noire : « Guigou = putain ». Que ce soit Dominique Voynet, alors ministre de l’Environnement qui essuie cette interpellation d’un homme au cours d’un salon de l’Agriculture : « Enlève ton slip, salope ». Que ce soit Edith Cresson « qui a subi, à ce jour, le lynchage sexiste le plus outrageant » de toute la cinquième République. Notamment en découvrant cette pancarte des agriculteurs, encore eux : « On t’espère au lit qu’au ministère ». Edith Cresson avait aussi été constamment brocardé par le bébête show, l’ancêtre des guignols.
En 1995, la presse française avait trouvé le qualificatif de « jupettes » pour désigner les femmes qui faisaient partie du gouvernement du premier ministre Alain Juppé. Ce mot de jupette dérivait autant du nom du premier ministre que d’une petite jupe. Toujours cette attaque juste au dessous de la ceinture lorsqu’il s’agit d’une femme. Il y a des personnes qui ont fini par croire à une sorte de fatalité française que ce machisme omniprésent.
Lorsque Ségolène Royal a été investie candidate du parti socialiste pour l’élection présidentielle, beaucoup ne vendaient pas cher sa peau malgré le brillant score qui avait été le sien : plus de 60% des suffrages. C’est d’ailleurs ce fond machiste que a inspiré ce titre au journal l’Express : « Tiendra t-elle ? ». L’éditorialiste Christophe Barbier la brode en ces termes : « Soudain l’icône devint Icare. Ségolène Royal, portée sur l’aile des sondages vers la gloire électorale, retombe sur terre pour avoir approché le soleil Elyséen. Trop d’aisance dans l’attitude, où elle frise l’inconséquence et pas assez dans les connaissances où elle frôle l’incompétence, ont jeté un doute sur sa capacité à être présidente ». Seulement cette fois, la mayonnaise machiste n’a du tout pas pris.
Tout au long de la campagne et ce jusqu’à la finale, Ségolène Royal a été traité comme une candidate, rien de plus. C’est plutôt elle-même et quelques féministes qui l’entouraient qui ont essayé une sorte de machisme à l’envers en interprétant toutes les attitudes des hommes et en tentant de leur donner une connotation machiste.
Cette campagne pour les présidentielles et surtout le parcours de Ségolène Royal a montré aussi la profonde mutation, signe de la modernisation de la société française du 21e siècle. Une société qui s’est débarrassé de cet autre tabou et loi non écrite qui voulait confiner les femmes aux fonctions subalternes.
Les 22 avril et 6 mai derniers, c’est une nouvelle France qui est sorti des urnes. Cette France là a décidé de porter à sa tête un fils d’immigrés ayant de surcroît d’ascendance juive. Une décision riche d’enseignement. Est-ce à dire que pour toute personne qui l’a choisi comme terre d’accueil, le rêve français est toujours possible ?
Etienne de Tayo
Promoteur du Réseau « Afrique Intègre »
Sites visités :
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