mardi 8 mars 2022

 

MANIPULATION : DE QUOI LE COMBAT POUR LES DROITS DE L’HOMME EST-IL LE NOM ?

Chaque année, la Chine et les Etats-Unis, deux ennemis intimes, font des publications croisées des rapports sur les droits de l’homme. Occasion pour les deux mastodontes de l’économie mondiale de se griffer dans une sorte de prolongement de la guerre commerciale.

Le 24 mars 2021, le bureau de l’information du Conseil des affaires d’Etat (gouvernement chinois) a publié un rapport sur les violations des droits de l’homme aux Etats-Unis en 2020. Selon ce rapport et, concernant la lutte contre la pandémie du coronavirus, « l’incompétence de Washington dans le contrôle de la pandémie a entrainé des résultats tragiques ». Sur la fin du mandat de Donald Trump et l’élection de Joe Biden, le rapport dénonce « un désordre démocratique qui a déclenché le chaos ». Le rapport relève que « les minorités ethniques ont souffert de discrimination raciale et l’agitation sociale continue à menacer la sécurité publique aux Etats-Unis ». De même, poursuit le rapport, « la polarisation croissante entre les riches et les pauvres a aggravé les inégalités sociales aux Etats-Unis ». Sur la politique internationale, le rapport relève que « le non respect des règles internationales par les Etats-Unis a entrainé des catastrophes humanitaires ».

Le 29 mars 2021, un peu comme le berger répondrait à la bergère, le Secrétaire d’Etat américain a supervisé  la publication du rapport 2020 du Département d’Etat américain sur les droits de l’homme. Comme il fallait d’y attendre, la Chine y tient une place de choix. En effet, sur la partie se rapportant à la Chine, « la situation au Tibet, et dans le Xinjiang avec les Ouïghours, la répression des manifestations de Hong-Kong et la gestion de la pandémie du covid19, sont autant d’arguments en faveur de la thèse d’une violation récurrente des droits de l’homme par les autorités chinoises ». Sur le Xinjiang particulièrement, le rapport américain parle du « génocide de la minorité Ouïghoure ». Comme il est de coutume, les Etats-Unis donnent souvent le ton de ce lynchage de la Chine et les autres pays occidentaux accompagnés de quelques ONG apparentés emboitent le pas pour enfoncer le clou dans une orchestration plutôt bien menée.   C’est ainsi que les parlements de Belgique, du Canada et des Pays-Bas et plusieurs ONG dont  Human Rights Watch qui a publié son rapport mondial 2021, ont  joint leurs voix à celle des Etats-Unis pour accabler la Chine. Ainsi, Human Rights Watch « accuse la Chine de crime contre l’humanité sur la population musulmane turcophone du Xinjiang ».

Au lendemain de la publication de ce rapport, la porte parole du ministère chinois des Affaires Etrangères a tenu à apporter un démenti formel : « Le soi disant génocide au Xinjiang est une invention absurde qui viole le droit international. Aucun pays, aucune organisation ni aucun individu n’a le droit ni le pouvoir de déterminer arbitrairement si un Etat est coupable ou non de génocide », soutient Mme Hua Chunying qui n’a pas hésité à contre attaquer : « Les Etats-Unis ne sont pas qualifiés pour condamner les droits de l’homme en Chine. Il est temps de mettre fin à cette farce écrite mise en scène et jouée par certains politiciens américains. Les groupes ethniques minoritaires en Chine vivent une vie plus heureuse, jouissant de plus d’égalité et de dignité. Leur vie est bien meilleure que celle des minorités ethniques aux Etats-Unis », se félicite-t-elle.

Cette passe d’arme entre les deux puissances économiques du monde sur le thème des droits de l’homme est une parfaite illustration de ce que les experts qualifient de « politisation des droits de l’homme » c'est-à-dire « l’intégration des droits de l’homme dans les objectifs de politique étrangère et leur instrumentalisation à des fins politiques, attisant ainsi des tensions dans des relations interétatiques (…) Une instrumentalisation qui a conduit à une interprétation et à une mise en œuvre politicienne du droit international des droits de l’homme au détriment de la promotion et de la protection des droits de l’homme et de leur universalité ». Avant que la Chine ne se décide depuis quelques années à produire des rapports pour se défendre et dénoncer ce qui se passe chez ses dénonciateurs, elle était la victime désignée de toutes les attaques du camp occidental conduit par les Etats-Unis et repris par les autres pays occidentaux. Ce concours de lapidation de la Chine a pris de l’ampleur au fur et à mesure que l’empire du milieu prenait du galon sur le plan économique et se posait ainsi en concurrent des Etats-Unis. Dès lors, le China-Basching, c'est-à-dire « taper sur la Chine » est devenu la posture partagée en occident par les politiques, les journalistes et même les intellectuels pour dénigrer et tenter de disqualifier la Chine. En Chine justement, la représentation d’un certain nombre  de ventres mous a été créée par la propagande occidentale. Le jeu consiste à « taper dessus » constamment pour faire souffrir la Chine, brouiller son image et au besoin la distraire et la freiner. Il y est parfois question d’utiliser certains relais pour manipuler la population et l’inciter au soulèvement. Pour ce faire, un très grand soin est mis sur la manufacture de l’émotion à travers des reportages, des documentaires, des ouvrages, des stories-telling… Ces ventres mous virtuels sont : Tibet, Xinjiang, Hong-Kong et Taïwan. Généralement le ton est donné dans les rapports des Etats et des ONG qui accusent la Chine de massacre au Tibet, de génocide ou de crime contre l’humanité au Xinjiang ou encore de torture de manifestants à Hong-Kong. Dès lors, les médias reprennent en boucle en essayant chacun de donner plus de crédibilité à son récit.

En conduisant cette étude, nous voulons aller au cœur de la pratique actuelle en cours dans le monde en rapport avec les droits de l’homme  pour comprendre ce qu’est devenu le combat pour la promotion et la préservation des droits de l’homme, comprendre ensuite pourquoi une telle dérive a pu s’installer et comment on peut y remédier.

Comprendre la politisation des droits de l’homme

Dans un ouvrage intitulé : « La politisation des droits de l’homme et le défi de la coopération universelle », Kellie Shandra Ognimba de l’université de Paris1 Panthéon s’est penché sur le fonctionnement des Nations-Unies sur son versant « droits de l’homme ». D’entrée de jeu, elle relève « des tensions persistantes entre les buts et le principe de l’ONU : la responsabilité de protéger et le principe de non ingérence ». Elle  reconnaît l’extrême politisation du thème des droits de l’homme « qui est au cœur du système onusien de promotion et de protection des droits de l’homme ». Cette politisation trouve sa source, selon elle, dans « les dispositions de la charte des Nations-Unies qui instaurent de manière ambivalente les bases de la coopération internationale en affirmant d’un coté, que l’organisation a pour but la réalisation et le respect effectif des droits de l’homme et de l’autre que le principe de souveraineté nationale doit être préservé ». Le deuxième écueil relève est ce qu’Ognimba appelle « l’antagonisme institutionnel », c'est-à-dire la cohabitation de deux entités antagonistes au sein du conseil des droits de l’homme, principal organe intergouvernemental en charge des droits de l’homme à l’ONU. A savoir : les organes gouvernementaux composés d’Etats qui ont la mainmise  sur le système et en sont les décideurs et les acteurs non gouvernementaux censés dépolitisés que sont les ONG et qui doivent faire le contrepoids aux Etats.

La configuration des acteurs au sein du Conseil des droits de l’homme fait de cet organe une véritable arène politique. Les groupes sont ainsi constitués par affinité et se regardent parfois en chiens de faïence. On a ainsi d’un coté les Etats-Unis, l’union européenne et les autres pays occidentaux ; le groupe africain ; les Bric’s… Au sein du Conseil, certains Etats voient les ONG come des instruments d’ingérence extérieure et des relais au service de la politique des autres Etats. Le camp occidental duquel relève la plupart des ONG est ainsi directement indexé. Ces mêmes Etats dénoncent la politisation des ONG qui naviguent entre « mélange de genres et monnayage de leur indépendance ». Ils récusent d’ailleurs « le caractère apolitique des ONG » car soutiennent-ils : « les ONG sont des acteurs politiques puisque intervenant sur un sujet hautement politique que sont les droits de l’homme et évoluant dans une arène très politisé qu’est le Conseil des droits de l’homme où leurs interlocuteurs sont des représentants gouvernementaux ».  Est venu s’ajouter à ce cocktail d’incompréhension et même d’animosité, une certaine conception occidentale de la pratique politique qui voudrait que « ce soit par l’intermédiaire de sa politique étrangère que l’Etat s’efforce d’assurer la défense sur la scène internationale, de l’intérêt national qu’il incarne ». C’est l’une des plus grosses faiblesses du système démocratique où chaque dirigeant n’est conditionné dans son action que par la prochaine élection présidentielle. Ainsi, en dénonçant à tout va la violation des droits de l’homme ailleurs dans le monde, on pense séduire ses électeurs en affichant un visage plus humain. Avec cette conception, il y a eu une intégration progressive du discours relatif aux droits de l’homme dans les politiques étrangères des Etats. Ce qui a accentué la politisation dans l’enceinte de l’ONU. Prenant conscience de la supériorité qu’ils disposent sur le plan de la communication et des médias à l’échelle de la planète, les Etats-Unis et les pays occidentaux ont pensé qu’ils peuvent user de l’instrumentalisation des droits de l’homme pour stigmatiser les autres pays concurrents et tenter ainsi de les disqualifier. D’où l’agressivité constatée dans ce domaine de la défense des droits de l’homme. Et nous nous trouvons là au cœur de l’institutionnalisation des droits de l’homme ainsi que de leur instrumentalisation à des fins politiques.

 

Dr Etienne Tayo Demanou

Promoteur du  Think-Tank  « ALTITUDE »

Auteur du livre : « Tout Chemin mène en Chine »

tayoe2004@yahoo.fr

 

 

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